Delacroix en a fait en 1837 un tableau célèbre (voir p. 74), qui reste à ce jour une toile-monument dans la galerie des Batailles du château de Versailles: y figure saint Louis, marteau d’arme en main et monté sur un blanc destrier, chargeant les Anglais en 1242 sur le pont de pierre de Taillebourg. Or cet épisode, ancré dans le légendaire national comme la version médiévale du Bonaparte d’Arcole, a des fondations fragiles. Jean de Joinville (voir enca dré), mémorialiste de Louis IX qui a relaté l’exploit royal et fondé la légende, n’était sans doute pas sur place: de combat, il n’y a pas eu, ou guère, et la vraie bataille s’est déroulée plusieurs jours plus tard, à Saintes. Louis n’en a pas moins mis les Anglais en déroute et repoussé les frontières de l’Aquitaine de la Charente à la Gironde, au terme d’une campagne de onze semaines aussi mûrement réfléchie que bien conduite. En stratège avisé et inspiré par les classiques militaires latins (voir enca dré), Louis IX a suivi un plan réfléchi, à rebours de l’image impulsive qu’on se fait de la guerre féodale.
Un scénario calculé
La campagne du Poitou qui se clôt sur la double affaire de Taillebourg et de Saintes est le produit d’un jeu triangulaire, impliquant Louis IX, Henri III d’Angleterre et de Lusignan, comte de la Marche et beaupère du précédent. Second époux d’Isabelle d’Angoulême, la veuve de Jean sans Terre, Hugues a de grandes ambitions en Angoumois et en Poitou. Ces régions sont en effet un terrain de jeu rêvé: cœur battant de la vieille Aquitaine Plantagenêt, le comté de Poitiers a été démembré par Philippe Auguste (r. 1180-1223) et Louis VIII (r. 1223-1226), mais sans entrer totalement dans le giron des Capétiens. Le comte de la Marche et son épouse rêvent donc d’indépendance féodale et de mariages princiers. Au nord de la Loire, on surveille de près ces
