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Naïm Khader: Prophète foudroyé du peuple palestinien (1939-1981)
Naïm Khader: Prophète foudroyé du peuple palestinien (1939-1981)
Naïm Khader: Prophète foudroyé du peuple palestinien (1939-1981)
Livre électronique304 pages4 heures

Naïm Khader: Prophète foudroyé du peuple palestinien (1939-1981)

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À propos de ce livre électronique

À quand remonte le conflit israélo-palestinien ? 3500 ans avant Jésus-Christ en terre de Canaan ? 1896 avec la création du mouvement sioniste ? 1948 lors de la création de l’État d’Israël ? Quels sont les enjeux religieux, politiques, économiques, géographiques, culturels de ce conflit ? À travers cette biographie, passionnante et accessible à tous, d’un homme remarquable, proche de Yasser Arafat, pionnier de l’OLP dont il fut le représentant en Belgique pendant une dizaine d’années, l’auteur nous fait pénétrer dans le quotidien de Naïm Khader, assassiné à Bruxelles le 1er juin 1981 pour avoir voulu défendre les droits des Palestiniens, pour avoir cherché une réconciliation entre ceux-ci et les Israéliens, pour avoir aussi affiché des valeurs éthiques et humanistes tels que la liberté, la justice, le respect de l’autre, la paix. L’originalité de cette biographie — complétée par des annexes, des cartes et des notes précises — consiste à expliquer au lecteur, à travers la chronique d’une époque fondamentale, les questions essentielles qui se posent, aujourd’hui plus que jamais, aux Palestiniens et donc, aussi, aux Israéliens, aux Arabes et à l’Occident, à en dessiner les véritables enjeux tels que Naïm Khader avait su les cerner, les expliquer, en convaincre ses interlocuteurs belges et européens avec l'aide de nombreux amis, militants, responsables qui, vingt ans après, ont accepté de témoigner.
Outre son approche historique et biographique, ce livre rend hommage à un homme qui a payé de sa vie des convictions et des engagements qui demeurent plus que jamais d'actualité.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Robert VERDUSSEN est journaliste. Pour le quotidien La Libre Belgique, il a suivi les événements du Moyen-Orient, depuis la guerre des Six jours en 1967 jusqu’aux accords d’Oslo et leurs suites dans les années ’90. Il en a rencontré quelques-uns des principaux acteurs, Yasser Arafat, Shimon Pérès, Anouar el Sadate, le roi Hussein. Comme tous les journalistes qui, à Bruxelles, couvraient à l’époque l’actualité de cette région du monde, il a été en rapport régulier avec Naïm Khader.
LangueFrançais
ÉditeurLe Cri
Date de sortie6 août 2021
ISBN9782871067757
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    Aperçu du livre

    Naïm Khader - Robert Verdussen

    PRÉFACE

    Un homme simple, un peuple

    Vingt ans après sa mort, la mémoire de Naïm Khader reste très vive dans le cœur de tous ceux qui l’ont connu et aimé. Pour son peuple, il reste l’un des plus brillants défenseurs de ses droits légitimes bafoués et un signe d’espérance dans cette nuit dense que nous sommes en train de traverser. Il nous rappelle que, malgré tout, rien n’est encore définitivement joué et que le meilleur est encore à venir. L’espérance est bien une vertu palestinienne.

    Un homme doué

    Naïm est d’origine très modeste. Il appartient à cette race de paysans palestiniens, dont il a hérité le caractère opiniâtre et patient, qui ne désarme pas devant les difficultés. Il était capable de revenir sans cesse sur le même sillon pour le creuser toujours davantage. Mais surtout il était d’une intelligence rare et universelle. Il excellait en tout et, dirais-je, sans effort. Il avait une capacité de synthèse qui lui permettait de cerner un sujet et de pouvoir le présenter d’une manière qui ne pouvait que convaincre après avoir captivé. À cette intelligence se joignaient les grandes qualités du cœur. Naïm était un ami admirable, humble et affable, qui n’hésitait devant rien pour rendre ses amis heureux. Ceux qui l’ont connu dès son jeune âge gardent toujours le souvenir de cet ami qui était prêt à tout pour eux. Il aimait, quand il était jeune, répéter à ses amis: « Tu dois être heureux à n’importe quel prix et malgré tout ». À tout cela s’ajoutait aussi une beauté bien orientale — bien palestinienne — et captivante et une force physique qui ne reculait pas devant la fatigue et l’effort.

    L’homme d'une cause

    Une nature aussi riche ne pouvait être qu’au service d’une cause et d’un grand idéal. Il a essayé le chemin du sacerdoce. Mais, au fil des années, il a découvert que telle n’était pas sa vocation. Mais il a gardé de ses années de séminaire une forte formation spirituelle et chrétienne qui lui permettait, lors de son séjour en Belgique, d’être un « paroissien » qui savait mettre ses diverses qualités — dont une belle voix — au service d’une communauté. Mais le grand choix de sa vie a été la cause palestinienne, la cause de son peuple, et il ne pouvait en être autrement. Après la guerre de Juin ’67, il vivait à Amman et c’est là qu’il s’est trouvé face à face avec la détresse de son peuple avec toute son étendue. Les Arabes sortaient d’une défaite cuisante et traumatisante. L’heure était au désespoir et au désarroi. Mais aussi ce fut justement l’heure où le peuple palestinien a compris qu’il devait prendre son destin en mains et que personne ne pouvait l’aider s’il ne s’aidait lui-même. Naïm a trouvé la cause qui était à la mesure de ses capacités, le service de son peuple laissé à lui-même.

    « Terriblement convaincant »

    « Terriblement convaincant », a-t-on dit de lui (Georges Hourdin dans le magazine « La Vie » après son assassinat). Après ses études en droit dans les universités belges, il s’est complètement engagé dans la révolution palestinienne pour devenir bien vite le représentant de l’OLP à Bruxelles. Il aimait se définir « le missionnaire de la Palestine ». Dans cette mission, il a investi toutes ses énergies intellectuelles et humaines, tout en gardant son indépendance d’esprit face à toutes les idéologies. Naïm n’était pas l’homme d’une idéologie étroite, mais l’homme d’une cause. Et il s’est attelé pour expliquer cette cause à l’opinion publique, dans les forums internationaux (n’a-t-on pas dit de lui qu’il était « le roi des Conférences »?) et les médias belges et européens. Il s’est attaqué de front aux lieux communs d’une propagande mensongère qui se propageait — de bonne ou de mauvaise foi — au sujet des palestiniens. Et le mensonge était une des bêtes noires de Naïm. Il ne pouvait le supporter dès sa jeunesse. Face au mensonge il ne pouvait rester inactif et résigné. Il fonçait de toutes ses forces pour le démasquer sans compromis et sans détours. Les témoignages, qui ont suivi son assassinat, ont montré à profusion le large public de toutes les couches sociales et de tous les bords politiques qu’il a su atteindre et gagner à sa juste cause.

    Un homme épris de justice et de paix

    Naïm a été un homme épris de justice. Les moindres formes d’injustice le révoltaient. Et il ne pouvait se taire. Confronté à des situations d’injustices, il n’hésitait pas à déranger avec détermination et entêtement et n’importe qui, même les plus proches de son cœur. Bien vite, il a découvert l’injustice dont était victime son peuple. Il n’avait d’autre choix que de se mettre à expliquer avec beaucoup de patience et de talent cette injustice à une opinion publique bien mobilisée depuis longtemps contre les Palestiniens.

    Faut-il rappeler qu’il n’a jamais porté une arme? Il se plaisait à répéter que son engagement politique il le puisait dans la force de la justice et du droit. Il était convaincu de la justesse de sa cause. Pour lui, la justice était le chemin obligé de la paix. Et pour ouvrir la voie à cette paix il n’hésitait pas à entrer en contact avec des milieux dont l’opinion publique arabe ne comprenait pas l’importance, comme certains milieux juifs qui n’étaient pas insensibles aux voix de la justice. Il restait ouvert à tous, parce qu’il était convaincu que tous, de n’importe quel bord politique, étaient susceptibles de comprendre la vérité. Il a su ouvrir de nouvelles voies à la diplomatie palestinienne. Dans un temps où les Palestiniens n’avaient d’interlocuteurs que certains milieux politiques, ceux de la gauche d’une manière particulière, il a eu le courage — mais sans illusions — de frapper à toutes les portes, toujours avec dignité et franchise. Et il réussissait, parce qu’il était intègre et inattaquable. Même ses adversaires reconnaissaient en lui cette intégrité qui ne pouvait que désarmer. Dans tout cela, il mettait aussi une touche d’humour qui ne pouvait que décontracter et plaire. Il savait raconter des anecdotes, même dans ses conférences de presse les plus délicates. Il a su donner à la révolution palestinienne un visage humain devant une opinion internationale — surtout occidentale — manipulée et entichée de préjugés bien ancrés.

    Un homme, un peuple

    Le drame palestinien est l’un des plus tragiques des temps modernes… et des plus méconnus, sinon des plus déformés. Personne ne peut imaginer la marche infernale du peuple palestinien tout au long de son histoire moderne. Il a été continuellement victime de la force et du mensonge, un mensonge au service de la force, et une force au service du mensonge. En lui se résume la blessure du peuple palestinien et sa lutte pour la vie. Se trouvant en dehors de la Palestine lors de la guerre de Juin 67, il s’est vu projeté, avec des millions de palestiniens, à la suite de guerres consécutives, à la périphérie de son pays natal sur des terres souvent hostiles. Le Palestinien « errant » n’est pas du domaine de la mythologie, mais de la réalité sanglante et tragique de tout un peuple, qui s’est vu tout d’un coup dans tous les aéroports du monde subissant toutes sortes d’humiliation, d’oppression et de dénigrement. Jean-Paul II, lors de son pèlerinage en Terre Sainte, l’a bien dit dans un de ses discours: « Personne ne peut ignorer combien le peuple palestinien a dû souffrir au cours des dernières décennies. Votre tourment est présent aux yeux du monde. Il a duré trop longtemps » (discours du 22 mars 2000, à Bethléem). Il est temps que la communauté internationale décide enfin et d’une manière décisive et sérieuse de se pencher sur le cas palestinien pour le bien de ce peuple comme aussi pour le bien du peuple israélien et de la communauté internationale dans son ensemble.

    L’homme de l’avenir

    Le peuple palestinien est en train de traverser une nuit tragique, où la force et le mensonge continuent à aller bon train semant la souffrance et la mort. La deuxième Intifada est la conséquence directe d’une situation qui devenait de plus en plus invivable. Il est temps d’ouvrir une brèche dans ce système de mensonge et de force qui n’aboutira à rien sinon à semer la mort et le désespoir nous entraînant tous vers une catastrophe dont personne ne peut prévoir les conséquences. Les roquettes laissent derrière elles des cadavres, mais elles ne peuvent construire la paix. À cette heure de vérité où est arrivé le conflit israélo-palestinien, la paix ne peut se construire que sur une réalité qui a été lamentablement et trop longtemps oubliée, à savoir la justice et les droits fondamentaux, inaliénables et légitimes du peuple palestinien. Pourquoi prolonger la souffrance au lieu d’aller directement à la vérité? Naïm n’a cessé de le dire à qui voulait l’entendre. Il est temps de lui donner raison.

    À cette heure des ténèbres, Naïm nous manque terriblement. Mais on ne peut hésiter à dire qu’il est là. Malgré toutes ses souffrances, le peuple palestinien ne cesse de regarder vers l’avenir. Malgré la fermeture des territoires, une fermeture qui emprisonne les gens dans leurs villes et villages, les étudiants continuent à se diriger vers leurs écoles et universités, contournant tous les barrages militaires et empruntant à pied les sentiers les plus difficiles des montagnes et des vallées et bravant toutes les difficultés. Les enseignants continuent à rejoindre leurs écoles et universités malgré toutes les mesures tentant de les en empêcher. Comme Naïm, les Palestiniens aiment la vie. Le peuple qui a donné Naïm Khader est un peuple qui ne mourra pas. Je suis sûr que ce livre le montrera.

    ✝ Michel Sabbah

    Patriarche Latin de Jérusalem

    Jérusalem, 15 avril 2001

    AVANT-PROPOS

    Naïm Khader a-t-il été un prophète du peuple palestinien ? Le mot est lourd de sens et on n’en use pas à la légère. Avec le recul, à la lecture des événements qui se sont inscrits dans le destin de ce peuple depuis l’assassinat de son représentant, dans une avenue de Bruxelles, il y a vingt ans, le mot paraît juste. Du grec prophanai, il signifie : « dire d'avance ». L’émergence de la cause palestinienne dans l’opinion belge et européenne, Naïm Khader avait su tout à la fois en discerner la nécessité, en préparer la possibilité, en expliquer la justification, en convaincre les acteurs, en mesurer les risques d’échec. Et, finalement, y exposer sa vie.

    Vivant aujourd’hui encore, il serait assurément déçu. Mais sa déception serait, sans doute, à la mesure de la réserve avec laquelle il aurait accueilli, voici huit ans à Oslo, la réconciliation entre Israéliens et Palestiniens. Une réconciliation dans laquelle il avait pourtant toujours voulu espérer parce qu’elle était, à ses yeux, la clé de la paix. Lui qui savait regarder au-delà de l’immédiat aurait perçu très vite les pièges qui s’ouvraient sous les pas de Rabin et d’Arafat alors même que le monde entier applaudissait leurs poignées de mains. Aurait-il pour autant refusé de tendre la sienne ? Certainement pas. Il avait trop conscience de la désespérance et de l’impatience du peuple palestinien pour lui contester le moindre souffle d’espoir. Mais il savait aussi que, de quelque camp qu’il se revendique, l’extrémisme refuse l’acte courageux du dirigeant, cherche à éliminer celui qui prend le risque de la paix, tellement plus dangereux que celui de la guerre, est toujours prêt à verser de l’huile sur le feu alors même qu’il s’éteint. Il aurait été attristé mais sans doute pas surpris par le nouvel enlisement, aujourd’hui, de sa Palestine natale dans une violence dont elle avait semblé se sortir. Il ne se serait pas contenté de déplorer ce qui n’aurait été, pour lui, qu’un accident de l’histoire. Il aurait cherché dans les tragiques réalités du présent les raisons et les moyens de bâtir un avenir différent. La situation des Palestiniens en 2001 est pire qu’il y a vingt ou trente ans. À l’époque, il n’était pas désespéré. Il l’aurait peut-être été aujourd’hui. Mais il aurait continué d’avancer.

    Naïm avait-il le pressentiment de devoir mourir jeune ? Il a vécu sa courte vie sans traîner en chemin mais sans brûler les étapes. On reste pourtant fasciné face au destin du gamin palestinien qu’il fut, tapant pieds nus sur un ballon fait de chiffons dans son village de Zababdeh et reçu, trente ans plus tard, aux quatre coins du monde, par chefs d’État et ministres. Entre ces deux images, s’inscrivent trois décennies de travail acharné, d’obstination intelligente, de soif d’une justice dont le peuple palestinien était, est toujours l’un des plus privés.

    Le mot prophète possède aussi une dimension religieuse. S’agissant de Naïm Khader, celle-ci ne doit pas être écartée. Était-il inspiré par Dieu dans son combat pour les Palestiniens ? Non dans le sens d’un Moïse ou d’un Mahomet. Oui, dans la mesure où sa religion, le christianisme, implique la justice et l’amour du prochain pour règle de vie. Il aurait pu être prêtre. Il a choisi de porter ailleurs la force qu’il aurait consacrée à ce sacerdoce. Avec la même rigueur, la même foi, la même disponibilité que celui qui se met au service de Dieu et donc des hommes. Lui s’est mis au service des hommes. Et donc de Dieu. Sans ostentation, dans l’intimité d’une conscience qu’il avait aussi discrète que convaincue de ce qui lui paraissait son devoir.

    Naïm était un réaliste. Sa perception aiguë de la réalité ne l’empêchait pourtant pas de rêver mais elle le préservait des idéologies factices. Elle ne lui interdisait pas d’être intransigeant quand il le fallait et tolérant lorsque l’intransigeance ne débouchait sur rien. Il usait de la politique mais se méfiait de ceux qui en abusent. Il la savait un passage obligé, ouvert à toutes les dérives. Sur ce chemin-là, il ne s’est jamais éloigné du quotidien des siens, ses frères palestiniens dont il avait eu la chance de pouvoir devenir l’avocat, l’interprète, le héraut, avant d’en devenir un héros. On ne donne pas sa vie pour une cause sans héroïsme, celui de tous les jours. Et cette vie, il l’a donnée durant toute sa vie. En bravant jusqu’au bout et en connaissance de cause les extrémismes des deux camps pour lesquels il prêchait la réconciliation. En consacrant d’abord vingt de ses jeunes années à l’étude d’un droit indispensable, il le savait, au combat contre les injustices. En optant volontairement pour un mode de vie modeste lui permettant d’aider les moins chanceux qu’il considérait comme les plus méritants, là-bas en Palestine comme dans sa Belgique d’adoption.

    De cette Belgique et des Belges, Naïm Khader fut un connaisseur qui honorait l’une et les autres. Il avait su discerner dans nos caractères frondeurs, dans notre attachement aux racines, dans nos refus de toute violence, dans notre souci du consensus, ces qualités qui nous apparaissent trop souvent comme des défauts. Des qualités dont il voulait s’inspirer pour construire un État à l’aune du peuple palestinien dont la ressemblance avec le peuple belge ne cessait de le frapper. Il savait mieux que personne que, seul parmi les Arabes, les Palestiniens ont su accepter les religions à travers l’acceptation du christianisme et fonder ainsi une tolérance rarissime au Moyen-Orient. Il s’était attaché à connaître les Belges comme il avait le souci de ne rien ignorer de tous ses interlocuteurs. C’était sa manière de convaincre que de se mettre, chaque fois, à la place de celui qui devait être convaincu. Son charme, son charisme, cette chaleur humaine qui rayonnait avant même qu’il ne prononce le premier mot naissait d’un mélange de patience et de respect de l’autre. Il disait à Bernadette, la compagne de sa vie et de sa lutte : « Si je peux faire un kilomètre avec quelqu’un, je fais un kilomètre. Si je peux en faire dix, j’en fais dix ». Il n’a cessé de marcher avec les autres.

    Européen, Naïm Khader l’était. Plus que la plupart des Européens, y compris, trop souvent, ceux qui font métier de l’être. Parce qu’il venait de la Méditerranée qui lui avait été un berceau, il traçait pour l’Europe des horizons que ses responsables discernaient rarement. Il voulait la voir manifester la largeur de vue qu’elle n’osait afficher, le courage qui lui manquait, la fierté dont l’absence de confiance la privait. Mais cette Europe-là, telle qu’elle était, enlisée trop souvent dans son mercantilisme et sa sujétion à l’Amérique face au bloc soviétique, il la respectait et l’admirait. La réconciliation franco-allemande, qu’il avait étudiée de près, lui était devenue un modèle pour celle dont il projetait la conclusion en Palestine. Si les peuples européens, après tant d’années de massacres, d’aveuglement et d’intolérance, muselant tout esprit de vengeance, avaient réussi à faire la paix, y compris celle des cœurs, les peuples du Moyen-Orient pouvaient en faire autant. Dans le respect de soi et de l’autre. Il y fallait la volonté d’aller vers l’autre, de l’écouter, de lui parler, de le connaître, de le reconnaître, de lui montrer ce qu’il refuse de voir, de le comprendre autant que de lui faire comprendre. La méconnaissance est source de peur et, donc, de haine. Il en était persuadé à une époque où, au Moyen-Orient, peu l’étaient.

    Prophète, il le fut aussi pour ses frères arabes. C’est eux qu’il dut convaincre d’abord de dialoguer avec les Européens à l’heure où la crise pétrolière poussait à ce dialogue. Il savait se faire leur avocat auprès d’une Europe dont il avait bu la culture avec le lait de l’école. Il savait aussi les persuader qu’ils ne pouvaient espérer jouer à nouveau un rôle du côté du vieux continent sans renoncer à leurs phantasmes d’un autre âge, ceux des fanatismes et des exclusions. Il n’avait de cesse de leur démontrer que le bon droit n’était pas l’apanage de leur camp et que refuser de répondre à la bonne volonté qui se manifestait aussi dans l’autre camp relevait de l’aveuglement, pire du suicide. Avec Bichara, son frère de sang et de combat, il s’est toujours efforcé de concilier justice du possible et utopie, c’est-à-dire le possible qui n’est pas encore réalisé.

    Le jour de la mort de Naïm Khader, l’un de ses meilleurs amis en Belgique, Marcel Liebman, déclara qu’il avait été la victime des extrémismes entre lesquels il avait voulu jeter un pont. Dans les guerres, les ponts ont toujours été les premiers objectifs à détruire. Parce que ceux-ci sont les voies de la paix. Parce qu’ils permettent aux hommes de se rencontrer, de confronter leurs idées, de croiser leurs cultures. Lui avait réussi à conserver un double ancrage culturel. Dans sa discothèque, on trouvait Bach, Mozart, Beethoven mais aussi Mahalia Jackson et Ray Charles, Oum Koulsoum et Fairouz, Brel et Beaucarne, des voix bulgares et des carillons de Belgique. Sur les rayons de sa bibliothèque, Henry Kissinger voisinait avec Raymond Aron, Mahmoud Darwich avec Rainer Maria Rilke, Pierre Mertens et Frédéric Kiesel, avec Marie Gevers, Raymond Devos avec Ronny Coutteure, Tintin avec Black et Mortimer. Il avait lu des dizaines d’ouvrages sur l’histoire des juifs, les persécutions dont ceux-ci avaient été les victimes en Europe, l’antisémitisme qui y avait régné au cours des siècles et qu’il voulait comprendre.

    L’homme respirait aussi cet humour qui est le plaisir de l’intelligence et la pudeur des sentiments. Son rire n’était ni cruel, ni cynique. Il naissait du spectacle du ridicule. Il dénotait un énorme appétit de vivre que ses interlocuteurs percevaient tout de suite. Il avait le regard à la fois sombre et lumineux, le sourire parfois ironique. Sa voix d’une douceur chaude trahissait une détermination absolue mais aussi une extrême sensibilité. Les femmes le trouvaient séduisant. Il était séducteur parce qu’il alliait le charme à l’intelligence, l’attention à la tolérance. Et personne n’échappait à cette séduction-là. Elle était celle d’un homme accroché à ses convictions, courageux parce que conscient de ses peurs, révolté dès l’enfance par toutes les injustices. Celle faite à son peuple, il avait résolu de la combattre et en avait fait sa cause. Une cause sans laquelle, affirme Rafiq Khoury, l’ami de toujours, des hommes comme lui ne peuvent vivre. Mais pour laquelle ils doivent parfois mourir.

    Bruxelles, 23 avril 2001

    Remerciements

    Merci à Bernadette et à Bichara pour avoir revécu, à travers leurs souvenirs, les moments de bonheur et les autres.

    Merci à Chawki Armali, Moaz et Terry el Azem, Michèle Cédric, Claude Cheysson, Tijl Declercq, Jean Delfosse, Jean-Pierre Dubois, Michel et Nicole Dubuisson, Willy Estersohn, Pierre Galand, Pierre Grech, Françoise Gueur, Michel Khleifi, Rafiq Khoury, Adeline Liebman, Anne-Marie Lizin, Albert Mabille, Nicole Malinconi, Pierre Mertens, Marcel Pirard, Paul Ramadier, Jean Salmon, David et Simone Susskind et Georges Widart pour leurs témoignages et leurs documents.

    Merci à Christine et Christian pour leur précieuse relecture.

    Merci à Monique pour son attention et sa patience.

    À sa mémoire

    CHAPITRE UN

    Premier juin 1981, 9 heures :

    l’assassinat à Bruxelles…

    Des coups de feu déchirent soudain le silence de la tranquille avenue des Scarabées où le printemps, en ce matin du 1er juin 1981, se prend déjà pour l’été. Combien ? Trois, dira un témoin. Six, un autre. Sept, concluront les enquêteurs. Peu importe, sans doute. Une balle a suffi, une des premières ; tirée à bout portant, elle a frappé droit au cœur. Celui-ci a aussitôt éclaté, préciseront les experts.

    Naïm Khader est resté couché sur le ventre, à moins d’un mètre du pilastre de pierre bleue qui marque l’entrée du numéro 5. Calmement, comme pour une exécution, l’assassin pointe son arme vers la tête et tire encore deux balles, sans doute inutiles, celles d’un tueur professionnel soucieux du travail bien fait. En quelques heures, la nouvelle de la mort du représentant de l’OLP à Bruxelles va se répandre en Belgique et à l’étranger et, avec elle, la consternation de tous ceux qui l’ont connu, l’ont entendu parler, en ont entendu parler et qui, avec lui, sont frappés au cœur.

    Un suspect

    Ce jour-là, Naïm Khader s’est levé vers 8 heures et quart. Il a fait sa toilette, s’est habillé. Vers 9 heures moins le quart, il est sorti de l’immeuble de sept étages dont il occupe, avec Bernadette son épouse, le quatrième, au numéro 5. Comme tous les matins, à l’ombre de ses arbres et en retrait de la circulation des artères voisines, l’avenue des Scarabées semble bien paisible dans ce confortable quartier de Bruxelles que les étudiants de l’université partagent notamment avec les diplomates.

    Naïm tient une valise brune et un sac noir contenant le linge du couple qu’il va porter à un lavoir proche, au 227 de l’avenue du Bois de la Cambre, celle qui mène à la chapelle de Boendael. Il y est connu : c’est lui qui se charge régulièrement

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