L’évaluation de la réussite ou de l’échec des croisades n’a pas la même résonance selon l’aire géographique retenue. Si la Reconquista en Espagne ou les entreprises de christianisation des confins orientaux de l’Europe ont obtenu des succès indéniables, les croisades en Terre sainte, au Proche-Orient, se soldent par un échec manifeste. « Je ne vois guère que l’abricot comme fruit possible ramené des croisades par les chrétiens », ironise ainsi en 1982 l’historien Jacques Le Goff (1924-2014, voir bibliographie p. 31). Il inscrit au passif de leur bilan un appauvrissement de l’Occident et de sa classe chevaleresque, l’édification d’un fossé définitif entre Latins et Grecs, l’exacerbation de l’hostilité entre chrétiens et musulmans, sans contrepartie morale ou religieuse significative pour les premiers. Les causes de l’échec sont néanmoins multiples et conduisent sans aucun doute à relativiser le jugement particulièrement sévère de Le Goff sur son ampleur.
Jérusalem, le marqueur de l’échec
Le pape Urbain II avait uni dans ses prêches l’idée de pèlerinage, acte pénitentiel en rémission des péchés confessés, et celle de guerre sainte qui, comme son nom l’indique, sanctifie ceux qui y participent. L’historien Jean Flori a été plus loin en définissant les expéditions en Terre sainte comme une guerre « saintissime » : l’objectif ultime des croisades est effectivement de rendre son berceau à la chrétienté, en s’emparant de Jérusalem – l’équivalent pour les musulmans aurait été un jihad pour libérer La Mecque. À ce titre, la perte définitive de cette ville symbole marque donc concrètement l’échec des croisades. La ville accueille en effet les lieux saints de la chrétienté dès le IVe siècle, avec les constructions du règne de l’empereur romain Constantin. Romaine puis byzantine, elle demeure chrétienne jusqu’en 621, avant de passer brièvement sous contrôle perse.
À peine récupérée par l’empereur byzantin Héraclius en 629, Jérusalem est conquise par les musulmans en 638. Les croisades redonnent la ville aux chrétiens de 1099 à 1187, puis de 1229 à 1244. Sa perte définitive matérialise l’échec des Latins au Proche-Orient et le début d’une litanie de défaites et de reculs de la chrétienté en Terre sainte.
La chute d’Acre en 1291 marque de son côté la fin de la présence des croisés au Levant. L’échec et le repli s’étendent plus généralement aux chrétiens d’Orient, lorsque le royaume des Arméniens de Cilicie disparaît à son tour en 1375. Puis le recul s’accélère dans le monde grec avec la chute de Constantinople en 1453, celle de Rhodes en 1522 et de Chypre en 1570. Les coups d’arrêt que sont les succès de la chrétienté