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Pourquoi le ciel est bleu ? - Tome I: Roman d'anticipation
Pourquoi le ciel est bleu ? - Tome I: Roman d'anticipation
Pourquoi le ciel est bleu ? - Tome I: Roman d'anticipation
Livre électronique747 pages10 heures

Pourquoi le ciel est bleu ? - Tome I: Roman d'anticipation

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À propos de ce livre électronique

Lorsqu'un nouvel arrivé entre dans la vie de 27, le monde qu'elle pensait connaitre autour d'elle s'écroule... Plus rien ne sera jamais comme avant.

Beta, une ville uniquement composée de femmes, est sous l’autorité de L’Instruction, police militaire de la ville. 27, une jeune femme conforme en tout point, ne se soucie ni de réfléchir ni de trouver sa place. Jusqu’au jour où un évènement vient tout changer.

Plongez dans ce roman d'anticipation captivant qui montre les rouages d'une société totalitaire.

EXTRAIT

— Pourquoi nous empêcheraient-on de franchir le mur si derrière il y avait des femmes comme nous ? Un peuple civilisé et aux mœurs semblables ? Et s’il y avait des hommes ? Et si certains avaient survécu et s’étaient reproduits jusqu’à créer une ville à part entière que l’on cherche à nous dissimuler et dont Beta serait le garde-fou ? Se lance 36 dans des murmures précipités.
— C’est impossible. Ils ont été exterminés par la peste et leurs capacités ne leur permettaient pas la moindre chance de survie. Aucun homme n’a été vu depuis 1754, il y a trois cent sept ans. Rétorque 27 aussitôt, le poing crispé mais le visage toujours neutre.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sarah Pascaud est née en 1998 et écrit depuis l’âge de dix ans. En 2016, elle publie son premier livre, un recueil de proses, sous le titre de Transformation. Cette année, elle revient avec Pourquoi le ciel est bleu ? un roman d’anticipation, critique de la société. Elle écrit toujours de la prose ainsi que des nouvelles et travaille sur d’autres romans en parallèle.
LangueFrançais
Date de sortie4 oct. 2019
ISBN9782851137456
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    Aperçu du livre

    Pourquoi le ciel est bleu ? - Tome I - Sarah Pascaud

    Prologue

    Je marche à pas vifs dans le parc Gavroche. Il est tôt, la rosée fait briller l’herbe et les fleurs piégées dans de petits parterres délimitant les allées de sables et de graviers. Il n’y a pas beaucoup de gens à cette heure-ci. Je regarde derrière moi. L’Instruction n’est pas encore arrivée, pas d’hommes à ma poursuite. Ça ne devrait pas tarder. Je continue de marcher, ignorant les oiseaux s’envolant sous mes pas, le bruit que fait la ville qui se réveille, la vieille qui jette des miettes de pain rassis aux pigeons qui s’approchent d’elle, le journal soulevé par un coup de vent.

    Nous sommes le vendredi 6 juillet 2018 et il est huit heures.

    Je regarde de nouveau derrière moi. Toujours rien. Je remets nerveusement la capuche de mon sweat en place et mets les mains dans les poches de mon jeans. Je gratte la brûlure sur mes poignets à l’aide des coutures de mes poches mais ça ne me soulage que temporairement.

    J’accélère le pas. Il faut que je sorte de la ville, que je m’enfonce dans la forêt avant que l’Instruction ne commence son action. Avant qu’il ne m’attrape aussi de préférence.

    S’ils pouvaient seulement me laisser en paix ! S’ils pouvaient comprendre que j’en ai rien à foutre de cette ville et de ses habitants ! Qu’ils en fassent ce qu’ils veulent !

    Huit heures dix. Le peu de personnes présentes dans le parc s’arrête pour écouter la voix qui sort des haut-parleurs fixés aux lampadaires éteints. Je les imite. Ne pas me faire remarquer, ne pas me démarquer de cette masse stupide et grouillante.

    Le même discours abrutissant depuis des années. La même soupe servie encore et encore sans qu’on la laisse refroidir et autant d’idiots qui s’en resservent sans arrêt.

    — … Pour un monde en paix, juste et beau. Que le silence soit et que les rires s’éteignent avec les cris de haines.

    Tous répètent la maxime de la ville en cœur et reprennent leur marche de moutons à travers le parc.

    Les mots que j’ai dits me brûlent la gorge mais la peur et la rage y sont aussi pour quelque chose. J’ai l’impression que je vais m’écrouler et à tout instant, vomir mes tripes… Mais je ne dois pas m’arrêter… Continuer de marcher, marcher loin.

    Je regarde par-dessus mon épaule mais l’entrée du parc encore visible n’est pas envahie de soldats vêtus de rouge et de blanc. Je n’ai pas le temps de me retourner que je percute un obstacle et manque de tomber.

    Je fais un bond en arrière, le cœur battant et les yeux fous et me retournant voit que l’obstacle en question est une gamine d’à peine sept ans qui me regarde, sans expression.

    Ses cheveux sont d’une étrange couleur entre le roux et le blond et retombent en boucles épaisses sur ses épaules couvertes d’un manteau rouge. Ses yeux sont d’un bleu qui me fait penser à celui des iris aveugles de mon vieux… avant qu’ils ne soient injectés de sang suite à son soi-disant accident. Elle a le teint pâle des morts. On dirait une poupée de porcelaine, de celles qu’on voit dans les vieilles boutiques résistantes, à l’ouest de la ville. Là où il existe encore des traces du passé, avant l’Instruction. Avant le Président. Avant tout ce merdier.

    — Pardon, monsieur.

    Je tressaille et croise le regard de la gamine qui a autant d’expressivité que les cadavres que l’on peut croiser dans les rues de la ville.

    Est-ce que tous les gamins de maintenant ont ce même regard mort ? Ces mêmes airs de fantôme ?

    Ça me dégoûte de voir ces générations transformées en clones, en robots qui ne poseront jamais de question dans un monde où la disparition des êtres chers sera quelque chose de normal…

    Race d’aveugle.

    — Pas grave. Marmonnais-je en voulant la contourner.

    Et puis qu’est-ce que j’en ai à foutre après tout ? Qu’elle reste dans son ignorance cette foutue gamine ! De toute façon, elle n’aura pas le droit de faire autre chose…

    Les haut-parleurs grésillent de nouveau.

    — Avis à la population, un jeune terroriste s’est infiltré dans notre ville. Il est suspecté de vouloir attenter à la vie du Président et de détruire l’ordre établi. Il est suspecté d’être membre de la Résistance. Il est suspecté de détenir une arme pouvant blesser, voir tuer. Cheveux noirs, yeux verts, environ un mètre soixante-dix, de corpulence moyenne. Pour toute information, veuillez contacter un agent de l’Instruction disponible à l’entrée de toute place et de tout monument publics. Avis à la population, un jeune terroriste…

    Merde ! Je ressers les bords de ma capuche autour de mon cou et baisse la tête, reprends mon chemin. Continuer d’avancer. La sortie du parc est dans quelques mètres. Seulement quelques mètres ! Allez !

    L’on m’agrippe la manche. D’un geste brusque je me dégage, bondis en arrière, prêt à courir, fuir ou s’il le faut me battre jusqu’à la mort.

    Mais à la place je vois la gamine aux yeux bleus se relever sans pleurer ni grimacer alors même que la paume de sa main saigne à cause de moi, de mon geste qui l’a jeté à terre.

    — Tu sais toi, pourquoi le ciel est rouge ?

    — Quoi ?

    Ma voix est rauque, tendue, comme moi. Qu’est-ce qu’elle me veut celle-là ? Et c’est quoi cette question débile ? Un ciel rouge ?

    — Dégage gamine. Crachais-je d’une voix plus ferme en me détournant.

    Mais elle attrape encore ma manche.

    — C’est toi le jeune terroriste.

    Je m’immobilise. Tourne la tête vers elle. C’est qui cette gosse ?

    — Qu’est-ce que tu me veux ? Sifflais-je entre mes dents.

    Je regarde autour de moi. L’Instruction n’est pas encore là, personne ne fait attention à nous. Ne pas attirer les regards, faire comme si de rien n’était, survivre.

    — Pourquoi le ciel est rouge ? Tes yeux sont rouges à toi, pourquoi le ciel est rouge ?

    Mes yeux ? Mais…

    — Y’ a beaucoup de gens qui ont les yeux rouges chez les grands. Toi aussi t’as les yeux rouges. Alors tu dois savoir, pourquoi le ciel il est rouge aussi.

    Elle n’a même pas l’air curieuse. Elle a l’air…morte.

    — Moïra, qu’est-ce que tu fais ? Laisse le monsieur tranquille ! Intervient alors une femme d’une trentaine d’années, sa mère sûrement.

    — Pas grave. Répétais-je.

    Mais cette gamine… Elle me regarde encore, droit dans les yeux, sans battre des cils, sans bouger. Comme un zombie. Comme si d’un côté… elle savait.

    — Y a des grands aux yeux rouges qui arrivent. Dit-elle alors.

    Soudain on entend des explosions. Des nuages d’une fumée noire montent au loin, au-delà des limites ouest du parc, depuis le centre-ville. On entend des cris. On entend une fusillade. Des cris encore. D’hommes, de femmes.

    La mère de la gosse a les yeux écarquillés, son teint a pâli, elle a peur.

    Son regard se tourne vers la ville puis vers sa fille et enfin vers moi. Ses yeux s’élargissent encore et oscillent alors entre l’entrée du parc et moi. Encore. Et encore.

    Jusqu’à ce que je les voie.

    — Merde… Jurai-je.

    Je repousse vivement la gamine et me mets à courir.

    — C’est lui ! C’est lui ! Hurle une voix stridente et déformée d’angoisse dans mon dos.

    Une voix qui se mue en un cri de panique, d’horreur, jusqu’à ce que son hurlement ne s’éteigne dans un coup de feu. Je ne m’arrête pas. Ne pas s’arrêter. Ne jamais s’arrêter. Toujours courir. La sortie du parc, je la vois. Là à quelques mètres encore. Allez !

    — Arrête-toi, c’est trop tard.

    Au prix d’un effort qui me déchire les genoux, je m’arrête. Lentement, haletant, je lève les mains en l’air.

    — Sage décision. Approuve l’homme visant ma tête de son arme.

    Je serre les dents. C’est fini…

    Une nouvelle explosion, plus proche cette fois, me fait sursauter. Par automatisme, je lève les yeux vers le ciel… Un ciel rouge du sang qui monte avec la fumée des bombes.

    Acte 1

    Innocence

    1

    — Numéro 27 !

    Dans le silence le plus total, la jeune fille répondant au numéro appelé se lève et monte sur une petite estrade en bois dont les planches grincent sous son poids. Une femme en tailleur gris strict et aux petites lèvres pâles et étroites lui tend un parchemin enroulé d’un ruban blanc, de sa main manucurée.

    — Félicitations. Numéro 28 !

    27 incline la tête et descend de l’estrade afin de se fondre dans la foule de ceux ayant déjà reçu leur diplôme de fin d’année. Foule compacte et silencieuse. Foule aux yeux vides, rangée en rangs d’oignons soignés. 27 s’y mêle sans aucune difficulté bien que ses longs cheveux roux tirant sur le blond détonnent un peu sur le fond blanc de sa tenue de diplômée.

    28 vient les rejoindre et ainsi de suite jusqu’à la fin de la liste des soixante-quatorze élèves diplômées. Résonne un tambour dans les enceintes et dans un nouveau silence et d’un même geste, soixante-quatorze jeunes femmes jettent en l’air le petit béret qu’elles portaient sur la tête.

    Parmi eux retombe celui de 27 dont le regard s’attarde sur une de ses compatriotes. Puis elle s’éloigne en retirant sa toge, dévoilant un pantalon usé et un chandail blanc.

    Une fois hors des limites de l’établissement où elle vient de voir se finir sa dernière année, 27 se fait rattraper par la jeune fille qu’elle observait tout à l’heure mais son visage ne montre toujours aucune émotion.

    — Tu vas bosser chez la vieille 479 ? Demande l’autre en faisant tournoyer une mèche de ses cheveux chocolat autour de son doigt.

    Ses yeux se promènent sur les murs blancs et impeccables sans les voir, trop habitués à ces rues sans couleurs et sans âmes qu’elle parcourt chaque jour que le Président fait.

    — Elle m’attend pour dix-huit heures. Répond 27 d’une voix monotone.

    — Cette vieille chouette ne peut pas t’accorder cinq minutes de pause alors qu’on vient à peine de goûter à la liberté ? S’exclame l’autre sourcil froncé et en plissant ses yeux marron.

    27 ne prend pas la peine de répondre et hausse simplement les épaules. Ne s’attendant visiblement pas à autre chose, l’autre ne réagit pas et poursuit :

    — Si je n’avais pas passé six ans de mon existence à entendre que l’esclavagisme n’était qu’une légende, je te dirais que ça en est !

    — Tais-toi c’est tabou. Répond simplement 27 d’une voix égale mais en jetant un regard vers sa compagne.

    — Je ne comprends pas pourquoi on pose le seau du tabou sur quelque chose censé être faux ! Tu sais très bien ce que j’en pense 27. Il n’y a pas de fumée sans feu ! S’enflamme l’autre, à mi-voix cependant.

    Du haut d’un lampadaire encore éteint, une caméra en aluminium renforcé et à l’œil vicieux les suit quelques secondes de son regard froid avant de s’attarder sur le coin d’une ruelle. Une parmi la multitude de celles laissaient dans l’ombre par les hauts bâtiments aux cent fenêtres qui s’étendent et se succèdent dans toute la partie ouest de la ville, à la frontière de Beta.

    — Tu vas t’attirer des ennuis. Si les manuels l’évoquent ainsi c’est que tu n’as pas à te poser plus de questions. Déclare 27 sur le ton de la conclusion sans que son visage ne trahisse toujours aucune expression.

    C’est comme si la moindre ride, la moindre crispation pouvait briser son teint de porcelaine. Comme si les veines que l’on voit sous sa peau pâle pouvaient jaillir soudainement de son cou et couvrir sa blancheur de rouge. Comme si elle était une poupée.

    — Nous n’avons pas suivi un cursus d’histoire et littérature pendant toutes ces années pour ne pas nous poser de questions ! Proteste cependant l’autre, les poings sur les hanches et dans les yeux, une flamme qui brille d’une lueur passionnée.

    Une flamme que 27 voudrait pouvoir étouffer un peu.

    Tout le monde sait, à Beta, que les numéros posant trop de questions sont vite effacés par le système et immédiatement remplacés pour maintenir un nombre d’habitants de cinq cents individus. Ceci afin d’éviter de voir se reproduire la Grande Séparation d’il y a cinquante ans… Ou la Grande Catastrophe selon ce qui se murmure dans l’intimité relative des foyers.

    -36… Soupire alors 27 en fermant brièvement les yeux.

    Cette dernière la regarde et finalement lève les mains en signe de reddition.

    — OK, d’accord, j’arrête là aujourd’hui mais on reprendra cette conversation, compte sur moi ! Je dois allez voir 428, on se retrouve après ton service ?

    27 hoche la tête et 36 bifurque alors dans une rue à sa droite qui ressemble pourtant à toutes les autres pour qui ne connaîtrait pas la ville.

    Dans le silence le plus complet, ses chaussures ne claquant même pas sur le bitume, 27 continue sa marche dans la ville silencieuse, croisant parfois d’autres numéros seuls ou en groupe. Discutant ou non. Mais sans jamais aucun éclat de voix.

    Elle s’arrête devant une route large de deux mètres qui traverse la voie perpendiculairement et qui, sous le soleil se couchant lentement, reflète une étrange et hypnotisante couleur argent. Un tramway silencieux et rapide passe devant elle et une fois le passage dégagé, elle reprend sa route jusqu’à arriver face à une boutique aux portes ouvertes laissant pénétrer le doux air chaud d’un début d’été. Sur la vitrine s’étend en gros caractères le nom de la boutique et celui de sa propriétaire en lettres gris tirant sur un bleu doux.

    PAS SANS PAIN - MME 479

    7 j/7 j de 6 h à 20 h

    01 85 33 61 70

    Elle en fait le tour et entre dans le bâtiment par la porte de derrière qui donne sur la cuisine.

    — Bonsoir, lance 27 en prenant un tablier blanc accroché au porte-manteau sur sa gauche.

    — Ta liste est sur le comptoir, t’as une heure ! Lui répond une voix rendue sèche par l’aigreur de la vieillesse.

    Une main apparaît dans l’embrasure de l’arrière-salle et 27 prend le papier où sont indiquées ses tâches.

    Sans prononcer un mot de plus que nécessaire, elle se rend en cuisine et entame alors la confection des sandwichs frais que viendront chercher les femmes d’affaires en rentrant du travail. Elle sort quelques viennoiseries qu’elle dispose dans l’espace de vente à l’attention des jeunes lycéennes qui passeront par la boutique à la fin de leur journée et prépare les sachets de fruits séchés que viendront s’arracher les universitaires d’ici moins de deux heures.

    27 n’oublie pas de vérifier le stock de boissons dans le frigo de l’entrée et rajoute quelques bouteilles de vitamines aromatisées. Puis elle retourne en cuisine pour vérifier que les pâtes devant gonfler pendant la journée sont toutes couvertes et correctement rangées. Chose que sa collègue de jour oublie parfois de faire. Pas que 24 soit une imbécile mais elle perd facilement ses moyens devant la verve de leur patronne.

    24 et 27 se croisent rarement en semaine mais plus le week-end quand leurs emplois du temps respectifs le leur permettent.

    Dix-neuf heures trente sonnent et les universitaires commencent à arriver, se succédant au comptoir entre deux femmes d’affaires, leur serviette en coton blanc battant leurs cuisses vêtues d’un tailleur et leur mine fatiguée se succédant sans prendre le temps de respirer. Malgré le monde qui entre et sort de la petite boutique, tout se fait dans le calme et avec une fluidité parfaite, mécanique.

    27 fait le service et l’emballage alors que Madame 479 encaisse et assure la relation avec la clientèle.

    Tout est dans les mots. Quelques-uns bien tournés dans la bonne phrase au bon moment et la cliente est contente. C’est la clé de toute relation saine. Avait dit Madame 479 à ses deux employés à mi-temps quand elles avaient commencé à travailler dans la boutique.

    Bien que dits avec sévérité, les conseils et astuces délivrés par la boulangère aux cheveux tirés en arrière et aux mains calleuses sont toujours précis et offerts avec bon sens. Et très souvent applicables au quotidien.

    Enfin vingt heures viennent et les dernières clientes sortent sans précipitation, leurs courses en mains, permettant à 27 de fermer boutique précisément à l’heure de fermeture indiquée sur la devanture.

    Déjà Madame 479 nettoie les vitrines et le comptoir pendant que 27 va chercher le balai et la serpillière pour que l’endroit soit propre pour demain matin. Bien que ce soit 24 qui gère l’ouverture de la boutique avec leur patronne jusqu’à dix-huit heures, 27 fait les choses correctement et jamais Madame 479 n’a rien pu lui reprocher.

    Quand vingt et une heures sonnent à la pendule de bois blanc accrochée au mur, tout est rangé et lustré. Madame 479 avise sa jeune employée accrochant son tablier au porte-manteau et lui tend un sac sans un mot avant de partir à l’étage où elle réside, éteignant derrière elle les lumières de la boutique, laissant le soin à 27 de fermer la porte avec sa propre clé.

    Une fois sortie, 27 ouvre le sac et à l’étincelle dans ses yeux, l’on comprend que les deux demi-baguettes et les croissants un peu abîmés de ce matin lui font chaud au cœur. Ce genre de petites attentions n’est pas monnaie courante dans la ville et encore moins de la part de sa vieille patronne. Mais Madame 479 n’est pas ingrate et l’absence d’enfants a tendance à tourner son affection vers ses employées qui la remercient silencieusement chaque jour en acceptant ce genre de cadeaux quand ils arrivent. C’est une sorte de contrat à bon entendeur.

    27 lève un instant les yeux vers le ciel se teintant d’un bleu sombre. Y apparaîtront bientôt les étoiles qui formeront ces constellations qu’elle a apprises il y a des années et dont elle se raconte encore les histoires quand l’insomnie la tient en otage certaines nuits. Puis, lâchant un soupir dans l’air doux, elle se détourne de la boutique et prend la direction de la frontière de Beta marquée par la Grande Muraille. La ligne de l’ouest. La Grande Barrière. Le Mur. Autant de noms pour qualifier l’immense muraille à l’horizon parcourant des kilomètres de distance et séparant la ville du reste du monde plus efficacement que dix mille soldats.

    Cet immense mur de pierre noire n’enveloppe pourtant pas la ville entière. Les frontières Sud et Est de la ville sont ouvertes sur le reste du monde et la frontière Nord est adossée à une immense chaîne de montagnes qui se poursuit de l’autre côté du mur et en marque la fin. Ou le commencement. Il se prolonge ensuite jusque dans la mer du Sud, trop loin pour que toute personne exempte de droit d’accès puisse le contourner et voir de l’autre côté. Et si l’on voulait passer par la montagne autant se jeter immédiatement dans le vide ; les falaises escarpées ont donné du mal dans le passé à de jeunes aventurières et beaucoup sont maintenant effacées. Des rebelles et des curieuses ont tenté de franchir le mur mais à peine le touchaient elles qu’elles se raidissaient alors et s’écrasaient au sol. Si leur corps n’avait pas explosé sous la décharge électrique distribuée par la pierre opaque, l’on pouvait voir que la mort avait atteint leurs yeux avant qu’elles ne touchent le sol.

    Pour toutes celles qui avaient le courage de le murmurer, le mur serait l’instrument d’effacement le plus efficace de la planète… Personne ne sait cependant s’il est là pour protéger ou enfermer la population.

    Leur ville, Beta, uniquement composée de femmes, ne semble pourtant présenter aucun danger aux yeux des jeunes générations. Mais les numéros plus âgés, entre 300 et 500, se souviennent-ils des rumeurs du passé. Mais n’en parlent jamais…

    -27 ! Appelle brusquement une voix déchirant le silence.

    Des regards réprobateurs se posent sur la responsable qui n’est autre que 36. Celle-ci les ignore et prend la main de son amie pour la traîner jusqu’à l’intérieur d’un bar construit à l’extrémité Ouest de la ville non loin de l’appartement de 27 et se dressant à une cinquantaine de mètres du mur.

    À la connaissance de 128, la barman, personne de sa clientèle ne s’en est jamais approché à moins de dix mètres depuis longtemps. Parfois de jeunes femmes s’aventuraient simplement à la lisière de la petite forêt qui borde le bar et qui se poursuit sur quelques kilomètres le long du mur. Les légendes créées par ces jeunes personnes pour effrayer les générations suivantes ont fini par rendre ces balades de moins en moins fréquentes. Depuis environ six ans de ça, plus personne n’ose y poser un pied.

    On n’a pas besoin d’années pour persuader un troupeau de moutons de suivre une règle, juste de bons arguments ! Avait un jour dit Madame 479.

    Et c’est vrai, se dit 27 en regardant la forêt pleine d’ombresà travers une fenêtre du bar, se laissant servir et écoutant d’une oreille les babillages de sa compagne.

    — Vous avez entendu la nouvelle rumeur sur la forêt ? Chuchote la jeune femme tout excitée, le regard un peu fiévreux de quelques verres déjà consommés.

    128 sourit en essuyant de la vaisselle et s’accoude au bar, jetant son torchon sur son épaule dénudée par son veston de cuir synthétique beige.

    — Comme quoi il y aurait une jeune qui aurait vu une ombre dans la forêt près du mur ? Connerie ! Personne n’y va, personne n’en sort. Elles ne savent plus quoi inventer pour se rendre intéressantes.

    — Comment tu peux le savoir, t’y étais ? La provoque 36 taquine.

    — Je bosse ici depuis sept ans, je le saurais s’il y avait quelqu’un dans cette forêt ! S’exclame 128 en riant et les quittant pour servir une nouvelle tablée dans un coin de la salle.

    27 sent le regard brûlant de son amie sur elle mais ne relève pas l’invitation silencieuse.

    — Allez, me dis pas que t’es pas curieuse ! Lance finalement 36 sans pouvoir se retenir plus longtemps.

    27 hausse les épaules en portant son verre à ses lèvres.

    — Ce serait… il paraît que ce serait… un homme. Murmure alors l’autre à son oreille.

    Immédiatement 27 se raidit et tourne son regard glacé vers la brune qui se mord la lèvre inférieure d’excitation.

    — Ne dis pas de bêtises. Parvient juste à souffler 27.

    — Pas grave.

    — Ça n’existe pas. Déclare-t-elle immédiatement en effaçant d’un geste de main la douleur de son crâne et les insanités de 36.

    Elle sait très bien pourtant que le sujet des hommes est encore plus tabou que celui de la légende de l’esclavagisme. Toutes en ont entendu parler… toutes ont vu des images de ce que ces animaux ont fait par le passé jusqu’à qu’ils disparaissent il y a des centaines d’années. On les décrit comme dotait d’une peau robuste et sale, des pensées les plus viles, des envies les plus abjectes, d’un corps déformé par la cupidité et la luxure. Ils auraient régné sur les femmes avant que leur race ne s’éteigne et ne libère le sexe féminin de leur joug.

    Même leurs professeurs évoquaient cette sombre partie de l’histoire avec prudence et voilà que 36 venait siffler ça en plein milieu d’un bar, là où n’importe qui pourrait l’entendre et la dénoncer à l’Instruction.

    D’ailleurs, la jeune femme a une théorie bien à elle…

    — Pourquoi nous empêcheraient-ont de franchir le mur si derrière il y avait des femmes comme nous ? Un peuple civilisé et aux mœurs semblables ? Et s’il y avait des hommes ? Et si certains avaient survécu et s’étaient reproduits jusqu’à créer une ville à part entière que l’on cherche à nous dissimuler et dont Beta serait le garde-fou ? Se lance 36 dans des murmures précipités.

    — C’est impossible. Ils ont été exterminés par la peste et leurs capacités ne leur permettaient pas la moindre chance de survie. Aucun homme n’a été vu depuis 1754, il y a trois cent sept ans. Rétorque 27 aussitôt, le poing crispé mais le visage toujours neutre.

    Elle finit son verre et d’un geste de la main, en demande un nouveau.

    — C’est ce que disent les manuels 27. Aucune preuve scientifique de leur disparition n’a été donnée et aucune hypothèse n’est inébranlable. À quoi servirait donc ce mur si ce n’est pour nous empêcher de connaître une vérité que l’on tient à nous dissimuler ?

    — À empêcher les idiotes comme toi de prendre leur délire paranoïaque pour la réalité ? Suggère calmement 27 bien que son pouls s’accélère sensiblement.

    Par la fenêtre, du coin de l’œil, elle voit une des caméras de l’Instruction tournait dans leur direction sans qu’elle sache bien si 36 et elles sont bien les cibles de cette observation interposée.

    — Ou à dissimuler des choses pires encore… Souffle 36 qui ne prête plus vraiment attention à son amie, le regarde vague, perdue dans ses pensées.

    Elle laisse passer un moment de silence puis se tourne entièrement vers 27.

    — Allons voir. On s’approchera pas du mur si tu veux, mais allons dans la forêt. Propose-t-elle alors avec sérieux.

    — Voir quoi ?

    — Si l’on trouve des indices. Des empreintes d’hommes. Une trace de quelque chose d’étrange. Et si le mur est bien là pour nous protéger d’une menace et qu’il s’y trouvait une brèche ? L’Instruction nous remercierait de les en avoir informés. Argumente alors 36, son visage affichant de plus en plus une franche détermination.

    Et ce visage signifie aussi que peu importe ce que pourrait dire 27, elle ira coûte que coûte, avec ou sans elle.

    — Pas moins de dix mètres.

    — Promis ! S’exclame 36 brusquement rayonnante en enlaçant son amie qui se laisse faire, les yeux fermés et les épaules tendues, seuls signes de son agitation et de son agacement quant au comportement de la brune qui finit son énième verre d’un trait avant de se lever de son tabouret.

    L’imitant, 27 laisse son sac derrière le comptoir sous le regard bienveillant et attentif de 128 qui les regarde sortir, bien consciente de l’action que vont entreprendre les deux jeunes diplômées.

    — On aurait dû prendre une lampe torche. Râle 36 en tâtonnant à l’orée de la forêt.

    27 ne répond rien, se contentant de lui lancer un regard réprobateur quant à son impatience incessante. Puis elle sort de la poche de son jean un petit boîtier blanc dont elle presse un bouton et une petite lumière clignotante éclaire alors doucement les alentours, leur permettant de distinguer où elles posent le pied sur un mètre environ.

    — C’est pas la clé de chez toi ? Demande 36 un sourcil haussé et l’air sceptique.

    — Si. Mise à jour des systèmes de sécurité. Répond 27 en faisant allusion à la loi qui est récemment passée.

    Le Président a décidé, pour la sécurité de son petit peuple, de faire automatiser toutes les portes d’entrée de la ville qui ne s’ouvrent désormais que lorsque l’on passe le boîtier correspondant au code d’entrée devant la serrure. Lorsque l’on passe mal le boîtier, celui-ci se met à clignoter pour signaler qu’il fonctionne mais qu’il a été mal utilisé et ceux, jusqu’à l’ouverture de la porte. Si au bout de trois passages, comptabilisés par le réseau informatique, la porte ne s’ouvre pas, l’Instruction est immédiatement contactée. Ici, pas de serrure, le boîtier va se contenter d’émettre de la lumière jusqu’à que 27 rentre chez elle ce soir.

    — Pratique. Admet 36 qui n’est pas trop pour cette réforme mais l’accepte gracieusement n’ayant, de toute façon, pas tellement d’autres choix.

    Les deux jeunes femmes avancent alors lentement à l’intérieur de la forêt. L’épais feuillage des arbres leur dissimule vite la lumière de la lune et elles se retrouvent plongées dans une obscurité plus fraîche et moins rassurante que celle à la sortie du bar. Une obscurité faite d’ombres rendues mouvantes par la petite lumière clignotante que 27 tient de la main droite. Les feuilles des saisons précédentes bruissent sous leur pas et des branches craquent, petites détonations dans le silence seulement troublé par le faible écho de la musique provenant du bar.

    — On ne trouvera pas d’indices visibles avec si peu de luminosité. Il faudrait revenir en plein jour. Déclare alors 36, visiblement contrariée de ne pouvoir obtenir de réponse immédiate à ses interrogations.

    — On travaille.

    — Prenons un jour de congé ! Pour une fois !

    — Pour de simples rumeurs ?

    — De possibles faits ! Tu es toujours si… attends, c’est quoi ça ?

    36 prend le boîtier des mains de 27 et le dirige à bout de bras face à elle, un peu sur sa droite. Bien que n’éclairant pas grand-chose de plus cela suffit pour distinguer au sol…

    — C’est une chaussure ? Demande 36 perplexe.

    Se penchant elle ramasse alors du bout des doigts une grande chaussure en toile noire, large et légèrement abîmée mais paraissant presque neuve.

    — Taille quarante-sept, je ne connais personne avec de si grands pieds à Beta. Tu crois que…

    — Impossible. La coupe 27.

    Mais son regard est immanquablement attiré par la chaussure et par son mystère. S’approchant à son tour, elle la prend et la retourne doucement dans ses mains, la renifle et observe l’intérieur.

    — Elle sent encore un peu le neuf, la semelle interne n’est pas usée et celle externe à peine, les lacets sont encore un peu raide, le talon non pliée. Soit presque neuve, soit rarement utilisée. Et oui, grand pied… Observe-t-elle rendant la chaussure à 36.

    — Qu’est-ce que ça fait là ? Et où est la deuxième ?

    Par réflexe, les deux jeunes femmes regardent autour d’elle mais dans l’obscurité, impossible de distinguer quoi que ce soit.

    — Pourquoi laisser sa chaussure ici ?

    — Par obligation ? Répond 27 en regardant de nouveau l’objet.

    Qu’est-ce qui aurait pu forcer sa propriétaire à repartir avec une, ou pas de chaussures alors qu’il lui aurait suffi de se baisser ?

    — Des jeunes qui auraient fait une blague à une amie ? Suggère 27 ne pouvant envisager les solutions farfelues qui virevoltent à l’instant dans la tête de sa compagne.

    — Ou autre chose. N’en démord pas cette dernière.

    Sans demander son avis à son amie, elle reprend sa marche dans la direction de sa découverte. 27 la suit ne pouvant revenir seule en arrière sans lumière pour lui éviter les obstacles dressés par la forêt.

    Fouillant les environs du regard, les deux jeunes femmes ne trouvent aucune trace de la deuxième chaussure. Elles ne savent pas depuis combien de temps elles sont là, marchant presque à l’aveugle sans trop savoir dans quelle direction. Elles n’entendent plus la musique du bar et n’en distinguent pas non plus les lumières.

    -36, stop. Ordonne alors 27.

    Surprise, la brune manque de lâcher tout ce qu’elle a en main et se tourne vers son amie d’un geste interrogateur.

    27 lève la main et pointe du doigt ce qu’elle a distingué devant elle, au travers des troncs et des fourrés, éclairés par un rayon de lune. 36 suit son regard et ses yeux s’écarquillent.

    — Une brèche… Il y a une brèche dans le mur. Souffle-t-elle alors, avec pour la première fois depuis le début de la soirée, une note de peur dans la voix.

    Devant elles, à quelques mètres à peine, un grillage aux mailles épaisses déchire la Grande Barrière sur une hauteur de deux mètres et une largeur d’au moins un mètre. Un pan suffisamment large pour laisser passer n’importe qui à condition de découper la grille qui en interdit l’accès.

    Malgré de petites traces de mousses et quelques plantes grimpantes sur les bords, la grille paraît neuve et rutilante. Elle brille doucement sous les rayons de la lune qui baignent la petite clairière. La lumière clignotante du boîtier dans la main de 36 ne se distingue presque plus et donnerait presque un air sinistre à l’endroit.

    La brune fait brusquement un pas en avant, brisant la sorte de transe qui s’était abattue sur les deux jeunes femmes, mais 27 se saisit de son avant-bras et l’empêche d’aller plus loin.

    — Je dois savoir. Proteste 36 en se dégageant vivement, s’avançant encore et encore jusqu’à ce qu’en tendant le bras elle effleure le grillage…

    Et que rien ne se passe. Toutes celles qui n’avaient qu’effleuré le mur jusqu’à présent étaient effacées sur le coup. Mais là, rien. 36 est encore debout.

    — Le grillage n’a peut-être pas les mêmes propriétés que le mur. Suppose 27 d’une voix un peu cassée.

    Elle toussote discrètement pour dégager sa gorge du mauvais pressentiment qui monte en elle et bloque sa respiration.

    — J’ai pas vraiment envie de vérifier. Avoue 36 dont la main ne s’égare pas vers la Grande Barrière mais reste sagement près du grillage.

    Puis elle se penche un peu en avant et fronce les sourcils avant d’appeler 27 à la rejoindre. Après un instant d’hésitation trahi par la tension de ses jambes, celle-ci s’approche à son tour de la brèche.

    — Regarde. Souffle 36 en désignant un carré à hauteur d’épaule, environ à un mètre soixante du sol.

    Braquant le boîtier dessus, 27 voit alors quelques traces sombres et épaisses qui partent du côté extérieur de la barrière et se termine en de minces traînées vers elles, vers l’est.

    — C’est du sang. Murmure-t-elle.

    Parcourant les mailles sur un peu plus d’un mètre de haut se trouvent des brûlures assez anciennes comme si la grille avait été soudée en son centre pour laisser passer quelqu’un ou quelque chose.

    — Qu’est-ce qu’il c’est passé ici bordel…

    36 recule et se laisse tomber sur le sol de terre et de mousse. Assise, elle lève les yeux vers le haut de la Grande Barrière, le regard trouble et le visage hagard, la chaussure dans une main et l’autre légèrement tremblante.

    27 observe le sol attentivement, s’occupant pour ne pas se laisser envahir par des suppositions terrifiantes et irréalisables.

    — Il n’y a pas de trace de pas. Pas de balles. Pas de marque de taser. Pas de brûlure. Les seules marques de passages sont les nôtres.

    — Donc tout s’est passé de l’autre côté. Il y a des gens de l’autre côté de la Grande Barrière et ils portent des chaussures.

    Les deux jeunes femmes se regardent et soudain 36 éclate d’un rire nerveux. Les épaules de 27 se secouent au même rythme sans que ça affecte son visage.

    Leur hystérie dure quelques minutes avant que progressivement elles ne se calment. 27 s’assoit à côté de son amie et toutes deux regardent la brèche en silence.

    — Les hommes ne sont pas supposés porter des chaussures. Rappelle 27, se référant aux légendes enseignées par leur professeur au fil de leurs années d’études.

    — Le mur est supposé être indestructible. Rétorque 36.

    27 ne dit rien. Elle réfléchit. Les hommes n’existent pas, sur ça elle ne changera pas d’avis. Et que la Grande Barrière sépare deux peuples de femmes serait totalement insensé, d’autant plus qu’il n’est absolument pas mention d’une telle possibilité dans tous les livres d’histoires qu’elle a pu lire. Et d’Histoire, avec un grand H.

    — Et si… Commence-t-elle alors.

    — Quoi ?

    Un moment de silence passe puis 27 lève les yeux sur le grillage.

    — Et s’il y avait de l’autre côté les survivantes de l’ancien groupe terroriste de l’ouest.

    — Celles qui prétendaient se battre au nom d’une soi-disant résistance ?

    — Oui.

    36 reste songeuse un instant puis frémit d’une terreur automatique. Toutes ont entendu le récit des horreurs que perpétraient ces terroristes, causant ainsi la Grande Séparation et entraînant la construction du mur. Bien que la cause soit enseignée, les partis séparés n’ont jamais été clairement énoncés, restant ainsi dans l’ombre de la fondation de la Grande Barrière, fêtée tous les six juillet de chaque année.

    — Ce serait… possible. Il n’a jamais été question de génocide ni d’anéantissement de ce groupe… Si quelques-unes ont fui, le Président a pu vouloir les cloîtrer derrière le mur… et nous en serions le garde-fou.

    27 acquiesce simplement, assimilant elle aussi leurs hypothèses et tout ce que cela pourrait vouloir dire si elles ne se trompent pas. Mais les réponses entraînent inévitablement d’autres questions et il est de toute façon dans la nature humaine de n’être jamais satisfaite de ce qu’elle a.

    — Mais pourquoi nous le cacher ?

    — Éviter un nouveau soulèvement ? Propose 27.

    — Avec l’Instruction et leurs nouvelles armes de pointes ? Plus tous les systèmes de surveillances ? Ça relèverait de centaines d’années de préparations pour organiser un coup d’État et ce seraient des centaines d’années qui pourraient servir à l’amélioration constante de nos défenses. S’il y avait un soulèvement, ce serait un acte kamikaze inutile qui se noierait dans la masse… Proteste 36.

    — Un moustique contre un rocher.

    — Nous sommes… 27 bon sang, on est complètement emprisonnées par le système. Tu ne le vois pas ? Quoi que l’on fasse, quoi que l’on dise, quoi que l’on pense, le système le sait, l’enregistre et si ça ne plaît pas à l’ordre établi nous sommes simplement effacées ! C’est ça qui provoquerait un soulèvement si c’était seulement possible !

    L’ampleur de toutes ces déductions monte à la tête des deux jeunes femmes qui chacune de leur côté sentent venir une migraine colossale mais aussi une excitation grandissante et la sensation d’avancer vers un chemin jusque-là obstrué, vers une vérité terrifiante mais tellement grande qu’elle les en étouffe. Et le dire à voix haute accorde à tout ça une réalité dangereuse.

    — Mais alors… les terroristes seraient de véritables résistantes au sens juste du terme ? Et ce serait Beta qui…

    — Tais-toi. Tranche brusquement 27.

    — Mais… Veut commencer à protester 36 qui n’en revient pas de l’aveuglement de son amie.

    27 secoue la tête en fronçant les sourcils, le visage complètement fermé.

    — Je sais. Mais tu l’as dit, tout se sait. Alors…

    — Alors si quelqu’un a entendu cette conversation l’Instruction le saura…

    La brune se sent bête de ne pas avoir pensé à cette éventualité plus tôt et ses yeux s’assombrissent. Elle se rend compte qu’elle est piégée dans une roue gigantesque dont elle n’est que le jouet. Dans une roue qui continuera de tourner qu’elle que ce soit sa volonté de l’arrêter parce que trop immense pour qu’une brindille dans l’engrenage puisse l’immobiliser. Et savoir tout ça, avoir découvert toute cette immense et potentielle vérité n’aura au final… servi à rien. En plus d’être prisonnière du système, les voilà prisonnières d’elles-mêmes.

    27 se saisit brusquement de la chaussure et décrivant un arc de cercle parfait avec son bras, la lance avec force. Traçant une ligne dans le ciel, la chaussure s’élève jusqu’à passer la Grande Barrière et les deux jeunes femmes la voient retomber de l’autre côté du grillage.

    — Des années d’athlétisme. Souffle 27 en se frottant les mains pour en enlever les résidus de feuilles qui étaient collés à la chaussure.

    — Rentrons. Conclut-elle en tournant le dos au mur et repartant dans la forêt, éclairant le chemin de son boîtier qui clignote toujours, telle une lumière vouée à s’éteindre, absorbée par les ténèbres…

    2

    Le lendemain matin, 27 ouvre les yeux sur sa main réchauffée par les rayons du soleil passant par la fenêtre. Ses mains pâles pleines de sang.

    — Non ! Sursaute-t-elle en se redressant brusquement.

    Elle cligne des yeux en contemplant ses mains vierges de toute trace. Le sang a disparu. Mais dans son esprit, les images elles, tournent encore. Des souvenirs qu’elle ne souvient pas avoir vécu. Et des cris qu’elle ne se souvient pas avoir entendus.

    — Moïra !

    Elle enfouit son visage entre ses mains et ressert ses genoux près de sa poitrine. Elle n’a jamais su ce qu’était ou qui était Moïra. Ni d’où vient le sang qu’elle voit sur ses mains certains matins. Ni à qui appartiennent les hurlements dans sa tête. Ni si elle est folle ou si ces images ne sont juste que des résidus de cauchemars. Elle n’en a jamais parlé à personne non plus.

    Dans le silence de son appartement, elle reste immobile de longues minutes, les yeux fermés, la respiration lente, comme si elle se rendormait. Puis elle relève la tête et dégage ses jambes nues de sa couverture bleue pour poser les pieds sur le parquet clair. Vêtue d’un débardeur blanc qui dévoile ses épaules maigres et sa poitrine menue ainsi que d’une culotte de la même couleur, elle passe une main dans ses cheveux emmêlés après sa nuit agitée et se lève pour se diriger vers sa salle de bain.

    Contemplant son visage pâle mangé par les cernes dans le miroir, elle se demande un instant comment elle fait pour encore tenir debout. Elle passe une main sur ses clavicules se détachant sous sa peau et remonte jusqu’à ses lèvres craquelées après une nuit à probablement gémir et parler dans son sommeil. 27 ne se souvient jamais de ses cauchemars. Hormis les cris, le sang et « Moïra », elle ne souvient de rien. Juste des impressions, un sentiment de douleur, de perte et parfois, deux yeux verts dilatés par la peur.

    La jeune femme ferme les siens en soupirant doucement et va ensuite dans sa petite cuisine jouxtant le salon-salle à manger et se prépare un jus d’orange pressé en pianotant sur son plan de travail.

    Elle avait donné les croissants à 36 hier soir, après qu’elles soient rentrées et qu’elles se soient promis de ne plus rien dire de ce qu’elles soupçonnent sur Beta.

    27 prend son verre plein et le regarde quelques secondes, immobile dans sa cuisine.

    Soudain elle lâche prise, regarde le verre tomber et s’éclatait au sol en des dizaines de morceaux qui s’enfoncent dans ses jambes et tracent des sillons sanglants sur ses pieds.

    Elle ne tressaille même pas et regarde le sang se mêler à l’orange. Et ainsi jusqu’à que l’horloge sonne neuf heures.

    Le courrier est éparpillé sur la table. Certaines enveloppes ne sont pas encore ouvertes. 36, attablée, regarde la feuille entre ses mains et la lit encore et encore. Comme si elle n’y croyait pas, comme si c’était impossible, comme si ce qui s’étend sous ses yeux était un mensonge.

    — J’ai été acceptée au L.S.R. ! S’exclame-t-elle pour ce qui doit être la vingtième fois déjà.

    — Je sais. Répète 27 dont l’euphorie invisible pour son amie c’est légèrement transformé en amusement serein après la dixième fois.

    — Au Laboratoire Scientifique de Recherche ! 27 ! J’ai été acceptée ! Ils ont gardé mon C.V. !

    La voix de 36 monte doucement dans les aigus au fur et à mesure de son excitation et enfin elle pose le papier administratif légèrement froissé par la pression de ses doigts.

    Mais c’est pour immédiatement tenter d’entraîner son amie dans une danse folle au milieu du salon, manquant de renverser un vase sur une commode et d’envoyer la table de chevet dire bonjour à la baie vitrée donnant sur le cœur de la ville.

    — Calme-toi. Sourit 27 sans que ce sourire n’atteigne ses yeux, comme d’ordinaire.

    Elle se dégage de l’étreinte de son amie qui pétille et rayonne pour s’asseoir sur un fauteuil et prendre la lettre officielle qu’elle n’avait pu lire jusque-là.

    36, elle, continue de danser toute seule sur une musique imaginaire mais au rythme qui paraît bien entraînant à la voir.

    — Tu avais moins d’entrain pour notre diplôme. Fait remarquer 27 en observant d’un œil songeur la signature du Président en bas de page.

    Cette signature est présente sur tout papier officiel. L’encre rouge utilisait attire l’œil par son étrange teinte couleur sang, et les lignes sèches des lettres semblent agressées son destinataire.

    En fonction de la teneur du papier, cette signature peut faire autant peur que transporter de joie. Comme c’est actuellement le cas.

    27 elle-même avait déjà reçu une de ses signatures, tracée sur le même papier crème que celui qu’elle tient entre ses doigts, afin de la convier à une conférence la semaine prochaine où elle pourra voir en personne l’historienne la plus réputée de Beta : 396.

    Soit la seule personne que pourrait vénérer la jeune femme dans cette ville par la même occasion.

    396 n’avait été à la base qu’une universitaire elle aussi. Mais grâce à de nombreuses années de recherches et une lutte acharnée contre un système réfractaire, elle était parvenue au sommet de la chaîne alimentaire que constitue l’impitoyable bataille pour la reconnaissance de ses paires. Désormais toutes connaissent son nom y compris celles qui, au départ, n’auraient misé sur elle qu’un quignon de pain et encore avec générosité.

    Dans une ville de femmes, la lutte peut être acharnée pour parvenir à se distinguer de la masse et y trouver une place.

    396 avait exposé aux yeux de tous la preuve de l’existence des hommes dans le passé après de nombreuses recherches approfondies et des heures et des nuits passées dans les archives et bibliothèques en tout genre de la ville. La rumeur dit qu’actuellement, l’historienne tenterait de comprendre le mystère du Mur.

    Elle avait aussi publié de formidables articles sur les anciennes guerres et mis en avant le rôle de résistantes désormais imminentes qui jusque-là étaient resté dans l’ombre.

    C’est aussi une magnifique danseuse de tango et une lectrice assidue de tout ce qui peut lui tomber sous la main.

    Et 27, 27 la toute jeune diplômée, va voir cette formidable personnalité en chair et en os dans une semaine. Ce qu’elle n’a pas encore dit à 36, celle-ci trop transportée par sa propre chance pour l’écouter dans l’immédiat.

    Et puis confier ceci à son amie déjà virevoltante risquerait de l’entraîner à son tour dans une danse où elle ne veut pas poser un pied.

    36 s’écroule soudain à côté de la jeune femme tirant celle-ci de ses pensées.

    — Bon sang, j’en peux plus. Expire-t-elle, la tête rejetée en arrière faisant cascader ses longs cheveux chocolat par-dessus le dossier du fauteuil.

    — Regarde. En profite 27, sortant de la poche de sa veste le papier crème reçu ce matin.

    36 relève la tête et prends la feuille qu’elle parcourt du regard.

    — Bon sang de bonsoir de Bon Dieu ! S’exclame-t-elle, son énergie soudain ravivée et les yeux écarquillés.

    -27 ! Tu vas… Je te déteste ! Crie-t-elle encore, un immense sourire sur les lèvres démentant ses paroles.

    L’interpellée hausse les épaules en souriant légèrement et acquiesce.

    — Tu permets que je me fasse un café ?

    N’obtenant aucune réponse, 36 trop occupée à lire et relire la lettre, elle se lève et se dirige vers la cuisine. Elle passe par le bureau de son amie et son regard est attiré par une enveloppe posée devant l’ordinateur portable que 36 apportait parfois à l’amphithéâtre. Particulièrement pour les cours de droit qui l’ennuyaient au plus haut point. À ce moment-là, elle jouait à des jeux de réflexions sur l’ordinateur et offrait de grands sourires innocents à leur professeur quand celle-ci l’interpellait.

    Bien que pas dupe, 240 ne disait rien et se contentait de froncer les sourcils devant ses deux élèves les plus prometteuses. Puis rien ne valait les cafés que lui apportait 27 les jeudis matin ou les joutes verbales qu’elle avait avec 36 lorsque celle-ci protestait contre une idée.

    La curiosité des deux jeunes femmes l’avait toujours séduite. Elle et d’autres.

    Pestant intérieurement contre sa manie de laisser ses pensées s’éparpiller dans toutes les directions depuis quelques semaines, 27 s’approche du bureau et écarte une feuille volante de l’enveloppe pour en dévoiler l’adresse.

    Elle fronce les sourcils et son visage s’assombrit. Cette enveloppe est censée contenir le C.V. de 36, le C.V. retenu par la L.S.R.…

    Son esprit d’apprenti historienne, formé à l’analyse et aux suppositions, se met en marche et des centaines de possibilités, d’explications et d’hypothèses se mettent à tourner dans sa tête.

    Un autre C.V. ?

    Une erreur d’enveloppe ?

    Une copie envoyée par mail ?

    Le bouche-à-oreille ?

    Une enveloppe vide ?

    Un autre courrier pour le même bâtiment ?

    Quelque chose de plus sombre ?

    Quelque chose en lien avec la veille ?

    Quelque chose que son amie n’aurait pas dû obtenir dans son intérêt ?

    D’autres questions font leur chemin jusqu’à que 27 en stop le flux. L’explication la plus simple est parfois la bonne et sa paranoïa s’est bien développée entre hier soir et son nouveau cauchemar de cette nuit.

    -27 ? Appelle 36 depuis le salon.

    — J’arrive. Répond distraitement la jeune femme en retournant vers son amie, le regard absent.

    — Tu n’as pas trouvé le café ? Interroge la brune.

    27 ne comprend d’abord pas puis se souvient qu’elle s’était éclipsée pour s’en préparer une tasse.

    — Non. Répond-elle juste, ne voulant pas gâcher la joie de son amie avec toutes ses suppositions probablement aussi fausses que celles de 36 hier soir au sujet des hommes.

    Tout ceci ne doit être qu’une coïncidence et elle tente de s’en convaincre.

    Quelqu’un qui ne pense pas est moins dangereux et ai moins en danger que celui qui pense.

    24 plie son tablier alors que sonne dix-huit heures et que 27 entre dans la boutique.

    — Madame 479 est dans la cuisine. Lui dit la jeune femme avec un petit sourire timide et un salut rapide de la main.

    Elle retire la casquette couvrant sa courte chevelure rousse et les deux jeunes femmes se serrent la main avant que 24 ne sorte de la boutique, laissant 27 prendre son service.

    La jeune diplômée se saisit de son propre tablier et se fait une rapide queue de cheval avant de vérifier ce qu’il reste en vitrine. Mais soudain la clochette retentit. Il n’y normalement personne à cette heure-ci dans la boutique aussi elle réagit avec quelques secondes de retard.

    — Bonsoir. Vous désirez ? Demande-t-elle en relevant la tête.

    Devant elle se tient une femme en tailleur nacre avec une ceinture étincelante soulignant sa taille étroite, sèche comme son visage aux traits figés dans une expression de sévérité inquiétante.

    Les yeux noirs de la cliente la dévisagent et la scrutent comme si elle cherchait à fouiller au fond d’elle mais 27 soutient son regard en silence, sans flancher jusqu’à ce que les lèvres peintes en rose pâle ne s’étirent en une sorte de sourire rapide.

    — Bonsoir. Un sachet de pommes séchées s’il vous plaît.

    — Tout de suite.

    27 prend une pince propre et un sachet de papier biodégradable et pioche délicatement les tranches de pommes séchées dans le silence jusqu’à ce que la cliente ne reprenne la parole.

    — Vous avez une charmante boutique.

    — Merci madame, mais elle appartient à Madame 479.

    — Oh, je sais. Vous êtes réputées pour vos fruits séchés d’excellente qualité. Surtout vos pommes. Poursuit la cliente, sans que le ton de sa voix ne trahisse aucune émotion.

    — Elles poussent à Beta, dans les champs de l’est. Nous les préparons en cuisine.

    — J’aime beaucoup les pommes. C’est un fruit… paradoxal. Positif parce qu’il est le fruit de la connaissance. Mais négatif car cette connaissance peut impliquer de sombres conséquences.

    27 referme le sachet et s’efforce de ne pas laisser ses mains trahirent sa soudaine méfiance. Intérieurement elle se rassure en lançant la pierre à saparanoïa excessive de ces derniers jours. Cette femme peut simplement vouloir alimenter la discussion en faisant étalage de sa culture. Ses mots ne portent sûrement aucun double-sens, ni ne supportent aucune menace…

    — Si l’on ne s’en sert pas correctement, réplique-t-elle alors en encaissant le sachet, trente-cinq pietas s’il vous plaît.

    La cliente sort trois pièces frappées de valeur numérique couleur bronze et les tend à 27.

    — Si l’on sait quoi exposer au grand jour et quoi garder sous silence. Merci, bonne soirée.

    La femme sort de la boutique sur un nouveau sourire crispé et la clochette de la porte d’entrée sonne de façon funeste à l’oreille de 27 dont la main est crispée sur la monnaie.

    Cette femme n’avait pas de brassard rouge au bras, elle ne faisait pas partie de l’Instruction. Et 27 ne l’avait jamais vue parmi les membres importants de la ville. Il y a très peu de chance que ce soit quelqu’un qui était au bar en même temps que 36 et elle la semaine dernière, ce n’est pas le genre du personnage. Il n’y aurait donc aucune raison de se méfier. Aucune raison de s’inquiéter, de chercher un sens particulier à cette étrange conversation.

    Pourtant…

    Si quelqu’un savait ce que son amie et elle ont découvert, chercherait-on à les prévenir au lieu de les effacer immédiatement ? Ce n’est pas comme si la politique de la ville avait l’habitude de prendre des gants avec les membres jugés problématiques de Beta…

    -27, un problème ?

    La jeune femme manque de sursauter mais se contient et se tourne vers sa patronne aux mains pleines de farines et au tablier taché de compote d’abricot.

    — Tout va bien. Répond-elle.

    479 la regarde un moment, ses épais sourcils froncés avant de retourner en cuisine. 27 dégage la montre à son poignet et s’apprête à envoyer un message à 36 pour lui demander si elle n’aurait pas, par hasard, reçu une étrange visite aujourd’hui mais se ravise immédiatement. Si son message est lu par le système informatique de la ville, cette femme le sera sûrement et ceux qui constituent l’instance supérieure aussi… Donc s’ils n’ont jusque-là que des soupçons les menaces sous-entendues de sa visiteuse pourraient devenir concrètes. 27 doit attendre la fin de son service ou le passage miraculeux de 36 à la boutique pour lui parler. De préférence loin de toutes caméras.

    Réarrangeant distraitement la vitrine, il lui vient soudain une idée. Une idée folle.

    En arrivant devant l’immeuble à la façade immaculée et semblable aux autres, 27 n’aurait jamais imaginé découvrir un appartement aussi miteux.

    Le plafond est souillé d’humidité, les meubles pleins de poussières et la moquette tachée sont presque recouverts par des tas de vêtements sales et de nourritures décomposées.

    Où qu’elle pose les yeux tout n’est que misère, angoisse et désespoir. 27 observe de son regard figé cet effarant spectacle et avance un peu plus dans l’appartement, s’enfonçant dans un couloir sombre aux murs couverts de mots isolés, de phrases illisibles et de gribouillis informes.

    La seule chose que l’on peut y discerner est la folie.

    Des dessins grossiers parsèment l’encadrement des quelques portes. Tous représentent des silhouettes de différentes tailles mais arborant toujours des épaules carrées et des cheveux courts. Certains dessins montrent ce qui semblerait être des paysages, des villes, ou bien des explosions et du sang. Il y a énormément de rouge. À y regarder de plus près il y en a partout : là où se situerait le cœur sur les dessins représentants des personnages, parfois formant des rivières ou d’immenses lacs au travers des paysages ou encore des tâches aléatoires.

    — Madame 499 ? Appelle 27, sa voix résonant comme le roulement d’un tambour entre ces murs obscurs.

    Un coup sourd résonne dans une des pièces du fond et y voyant l’indication d’une présence humaine, 27 traverse le couloir pour frapper doucement à la seule porte close.

    — Dégagez ! Crache une voix haineuse et éraillée comme quelqu’un qui aurait déjà trop crié ou au contraire perdu l’habitude de parler.

    — Madame 499, je m’appelle 27 et je suis diplômée d’histoire et de littérature. J’aimerais vous poser quelques questions si vous me le permettez. Insiste la jeune femme, décidée à ne pas faire demi-tour sans avoir obtenu même des ébauches de réponses.

    — Rien à dire ! Rétorque la même voix assourdie pas la porte.

    Pourtant un tremblement tout juste discernable dans la voix de la vieille femme lui indique qu’il est peut-être bon d’insister encore.

    — Je veux des réponses madame, des réponses sur la Grande Séparation. Je veux savoir ce qu’il s’est vraiment passé il y a cinquante ans.

    Un silence long et inconfortable suit sa déclaration mais 27 ne bouge pas.

    500 ayant disparu il y a peu 499 est la dernière personne que 27 peut interroger pour pouvoir obtenir un témoignage non trafiqué de l’Ancien Temps. Une version qui a dû être transmise à la vieille femme par leurs ancêtres, avant la Grande Séparation.

    L’historienne 396 a beau avoir révélé pas mal de choses au grand jour, elle n’en était pas moins absente le jour de l’élévation du Mur, le jour d’où proviennent toutes les questions. Et le jour dont les institutions parlent le moins.

    Plusieurs

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