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Pourquoi le ciel est bleu - Tome 2: Roman d'anticipation
Pourquoi le ciel est bleu - Tome 2: Roman d'anticipation
Pourquoi le ciel est bleu - Tome 2: Roman d'anticipation
Livre électronique340 pages4 heures

Pourquoi le ciel est bleu - Tome 2: Roman d'anticipation

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À propos de ce livre électronique

La lutte de 27, Léo et les Résistants contre l'Instruction devient plus intense que jamais...

Alors que les résistants de l’Est, d’Alpha et de Beta se réunissent, l’Instruction ne leur laisse aucun répit. Mais de nombreux secrets sont sur le point d’être dévoilés, le passé ressurgit avec sa part de mystère et de douleur. Comment 27 va-t-elle faire face ?

Retrouvez 27, notre jeune héroïne, et replongez dans ce deuxième tome de la saga d'anticipation captivante qui montre les rouages d'une société totalitaire.

EXTRAIT

- 27 est différente de chacun d’entre nous c’est vrai. Moi aussi je me suis posé des questions sur ses particularités physiques. Mais elle a affronté l’Instruction plus souvent que les trois quarts d’entre nous et y a survécu à chaque fois pour venir jusqu’à nous. Elle fait partie de la Résistance. Et elle a souffert comme chacun d’entre vous. Allons-nous la rejeter pour sa différence ? Allons-nous tomber comme les sociétés de l’Ancien Temps dans la crainte et la haine de ce que l’on ne comprend pas ? Dans le rejet de ce qui ne nous ressemble pas ? Allons-nous devenir des barbares ?
Ses questions accueillent une vague de murmures négatifs. 27, noyée dans le tourbillon de ses émotions, ne se demande même pas comment cette femme qu’elle connaît depuis quelques heures seulement a pu en deviner autant sur elle et avec autant de justesse. Et à nouveau, c’est un enfant, dans toute son innocence, qui débloque la situation.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sarah Pascaud est en 1998 et écrit depuis l’âge de dix ans. En 2016, elle publie son premier livre, un recueil de proses, sous le titre de Transformation. Cette année, elle revient avec Pourquoi le ciel est bleu ?. Un roman d’anticipation, critique de la société. Elle écrit toujours de la prose ainsi que des nouvelles et travaille sur d’autres romans en parallèle.
LangueFrançais
Date de sortie14 nov. 2019
ISBN9791037701060
Pourquoi le ciel est bleu - Tome 2: Roman d'anticipation

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    Aperçu du livre

    Pourquoi le ciel est bleu - Tome 2 - Sarah Pascaud

    22

    Quand 27, Léo et Avel arrivent aux abords de l’immense table de bois installée au cœur de l’immeuble de pierre, les enfants ont effectivement commençaient à prendre possession des lieux. Au nombre d’une trentaine, ils crient, rient, piaillent et courent autour des adultes qui s’efforcent de rester debout, les surveiller d’un œil et de discuter entre eux sans s’y perdre.

    27 a le tournis face à tant de bruits. Même à Alpha où la vie est loin du calme et du silence poli de Beta ce n’est pas le même tourbillon de sensations et de mouvements. À Beta, tout est blanc et gris, à Alpha marron et noir, mais ici les couleurs se chevauchent, les sons prennent la forme d’un brouhaha indistinct qui la cerne de toute part.

    Léo effleure son dos d’une main et 27 reprend constance, sans que rien de son trouble n’ait pu se voir sur son visage de poupée.

    — Léo ! s’exclame une voix aiguë avant qu’un missile à tête blonde ne vienne heurter les jambes du brun.

    — Léo y a mon ami que je veux te montrer, dis tu viens ? Tu viens ? Enchaîne immédiatement l’enfant en lâchant les jambes du résistant pour mieux se saisir de sa main et tenter de le traîner à sa suite de ses maigres forces.

    Le brun le regarde un instant de ses yeux impénétrables et cette fois c’est 27 qui effleure son dos pour le pousser à suivre son neveu. Léo se laisse guider et se perd au milieu de la foule à la suite d’un Keren rayonnant.

    — Je comprends qu’il me déteste, mais Keren est bien le seul innocent dans cette histoire, j’aimerais qu’ils apprennent à mieux se connaître.

    27 ne sursaute pas. Malgré le vacarme de la vie, elle avait senti Aromeda arrivé et celle-ci n’avait pas cherché à dissimuler sa présence.

    Les deux femmes regardent Léo qui s’est vite retrouvé encerclé par tous les enfants du camp. Keren, sautillant près de lui, semble en avoir fait un héros aux yeux de ses petits amis et continue de le glorifier en racontant une histoire qui ne fait pas sens aux yeux des adultes, mais est visiblement incroyable pour les enfants.

    — Il va devenir le nouveau prince charmant ou preux chevalier de toute une génération. Rit doucement Aromeda.

    Bien que ne saisissant par la référence, 27 se rend un peu plus compte à chaque seconde passée dans le camp du fossé qu’il peut y avoir entre Beta et le reste du monde.

    Des expressions, des mots, des sentiments qui lui sont totalement inconnus paraissent des plus banals pour son nouvel entourage. Et elle voit bien que ce nouveau rythme de vie commence à la changer à son tour. Qu’elle se fait plus sauvage, plus dure et en même temps plus réceptive à ce qui l’entoure, plus… sensible.

    Plus elle évolue plus elle se rend compte que la vie à Beta avait été morne et platonique. Sans aucune saveur, sans étincelles, complètement terne.

    Alors qu’ici, les enfants rêvent de « prince charmant » et de « preux chevalier ».

    Aromeda tape soudain dans ses mains avec force et le camp se tourne vers elle.

    — À table ? Propose leur chef tout sourire.

    Certains adultes tentent de cueillir les enfants par la taille pour les réfréner vers leur soudain élan en direction des victuailles qui les attendent, mais c’est un échec cuisant. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire les bancs se sont fait réquisitionner par de petits estomacs avides alors que les plus grands se regardent entre consternation et amusement. 27 devine leur retenue face à la faim, sûrement pour ne pas affoler les plus jeunes.

    Avel ricane et prend place en bout de table, aux côtés d’un jeune homme qui lui sourit et lui fait passer un plat fumant de patates.

    Léo se glisse aux côtés de 27, toujours debout et immobile face à cette peinture de la vie. Poussée par les émotions nouvelles qui se bousculent dans son estomac, 27 se tourne vers lui, englobant d’un geste de la main la tablée devant eux.

    — C’est aussi pour ça qu’on doit faire ce qu’on fait. Se contente-t-elle de dire, la gorge serrée ?

    Léo la regarde un instant et hoche la tête.

    Dans l’esprit de la jeune femme, son combat prend une nouvelle forme. La vengeance cède la place à l’espoir et à un nouveau but. Et elle en comprend le véritable sens. De ce mot qui dicte la vie de Léo, de Maïa, de 396 et qui avait guidé celle de Mme.479. Résistance. Résistance pour la vie et pour l’espoir de ceux qui n’en ont plus et se sont laissés happés par la société oppressante. Pour donner une chance au monde qui vacille dans la facilité. Pour offrir à ceux qui n’ont pas eus 36, Mme 479, Léo et Jay dans leurs vies une chance de se réveiller à leur tour et de comprendre qu’exister n’est pas un terme technique, mais un combat paraît de rêves, de douleurs et d’espoir.

    — Je comprends… Souffle-t-elle en caressant l’étoile sur la nuque de son ami ?

    — C’est bien, répond Léo.

    Et le monde change de couleurs.

    De chaque côté d’Aromeda qui s’était assise au hasard, ne marquant aucune distinction entre elle et le reste de la communauté, les deux résistants de l’ouest mangent et se font observer.

    Parvenus à un point où même le danger représenté par l’Instruction fait partie du quotidien, la présence de ces deux étrangers parmi eux en fait l’attraction du jour.

    Mais, alors que les regards qui convergent vers Léo semblent plutôt revêtir un mélange de surprise, de tendresse et de doute, ceux tournaient vers 27 sont plus méfiants voir haineux. Seuls les enfants ne semblent avoir aucun ressentiment vis-à-vis d’elle et jouent dans son dos.

    Une vieille femme, assise à la droite de la rousse, tapote sa main pour lui demander de lui faire passer une carafe d’eau et quand 27 s’exécute elle surprend le regard soupçonneux d’un trentenaire face à elle.

    Un sentiment dérangeant lui gratte la gorge et semble embrumer sa vision et ses pensées. Semblable à de la colère.

    — Il y a un problème Thomas ? L’interpelle Aromeda d’une voix se voulant légère.

    L’interpellé sert les dents, hésitant visiblement à trahir sa pensée ou à se soumettre à l’autorité évidente de son chef. Ses épaules se crispent quand il finit par secouer négativement la tête. Mais, 27 voit bien les visages se détournaient discrètement d’eux avec des mines déçues ou inquiètes à peine dissimuler. Léo aussi s’en aperçoit et caresse d’une main furtive le poignard à sa ceinture, au cas où l’angoisse latente se tournerait vers une explosion de colère.

    Il se souvient de ce peuple, il comprend sa frayeur, sa rage et sa méfiance, mais jamais, d’aussi loin que peuvent remonter ses souvenirs, ces gens n’avaient été malveillants vis-à-vis de réfugiés. Même venant de Bêta, siège de l’Instruction. A contrario d’Alpha où se méfier était une règle pour survivre et où personne n’hésitait à tuer pour ne pas être tuer, les résistants de l’Est sont avant tout un peuple de citoyens pacifiques avec ce qu’il faut de soldats pour les protéger. C’est probablement le camp se rapprochant le plus de ce qu’était le monde avant le Président, sans les problèmes raciaux, d’homophobie, d’antisémitisme et conflits divers et variés provoqués par les esprits étriqués de l’époque.

    Mais alors qu’est-ce qui peut motiver cette vague d’antipathie ?

    Un enfant tire sur un pan de la tunique déchirée de 27, les yeux brillants de curiosité et un sourire timide sur ses joues rondes couleur chocolat au lait.

    — Dis, c’est vrai que tu connais mon papa ?

    Le garçon semble avoir une dizaine d’années, peut-être moins et quelque chose dans les traits de son visage et la douceur de ses grands yeux noirs ourlés de longs cils évoque une sensation de déjà-vu à la jeune femme.

    Se tournant sur son banc pour faire face à ce petit être, elle rate la crispation de Thomas qui a de plus en plus de mal à dissimuler ses sentiments.

    — Comment s’appelle-t-il ?

    Le garçon semble un instant intimidé par 27, mais se reprend vite.

    — Papa Azad ! Il est grand et c’est le plus fort du camp ! Il est parti y a longtemps, mais mon amie Lucie m’a dit que tu le connaissais !

    — Tu es Jonus ? Lui demande doucement la jeune femme, reconnaissant maintenant le fils de son compagnon resté de l’autre côté du pont.

    Le petit sourit en tapant dans ses mains.

    — Oui ! Oui ! Alors c’est vrai que tu connais mon papa ?

    — Azad est mort. Intervient soudain le dénommé Thomas.

    Se tournant vers lui, 27 voit que la réflexion lui avait échappé, mais que cela avait aussi fait céder la barrière qui l’empêchait jusque là de se taire.

    — Cette gosse est une menteuse, elle n’a rien à foutre ici ! continue-t-il donc, se levant dans l’élan.

    Tous se taisent. Les uns pour marquer leur accord, les autres pour comprendre ce qui se passe.

    Aromeda continue de manger en silence, les yeux baissés sur son assiette, indifférente.

    — Mais regardez là ! Elle leur ressemble, elle est comme eux ! Figée, inhumaine ! Elle n’est pas comme nous !

    Crachant ses mots, il se lève et contourne la table, se rapprochant de 27, effectivement figée, mais par la surprise.

    — C’est une des leurs, elle est un putain de monstre créé par l’Instruction ! Regarder son foutu visage ! insiste-t-il.

    Puis, d’un geste rapide et porté par la haine, il la gifle. Si fort que la jeune femme tombe du banc sous le coup.

    — Elle n’a aucune expression ! Elle est morte à l’intérieur comme eux ! C’est un foutu monstre !

    Et pour conclure, comme si son geste prouvait ses mots, il lui crache dessus.

    27, pétrifiée par tant de haine ne réagit pas et la salive coule sur sa joue. Elle voit le reflet de son visage, ce visage de porcelaine sur lequel elle ne s’était jamais posé de questions, son visage qui ne reflète aucune émotion, vide de tout, mort. Les mots de Thomas pulsent pêle-mêle dans son crâne. Elle se sent comme si tous la regardaient avec la même haine, le même dégoût, comme encerclée par les loups. Misérable.

    — Tu as fini ? Demande Aromeda qui n’avait pas bougé.

    Léo s’est levé à côté d’elle, la main blanchit sur le manche de son poignard à force de le serrer entre ses doigts. Ses yeux verts sont presque devenus noirs de fureur et si un regard pouvait tuer, nul doute que Thomas serait déjà raide mort sur la terre battue.

    — Relève-toi. Crache son agresseur.

    À son image se superpose celle de Cress, cet homme qu’elle avait tué dans l’arène il y a ce qui lui paraît des années. Elle retrouve en lui la même rage, le même orgueil et le même mépris. Elle comprend que si elle reste là, sans défense, il pourrait la tuer.

    Comme dans l’arène, le monde s’étrécit autour d’elle et elle esquive le coup de pied qui visait sa tête en roulant sur elle-même et se relève face à lui, au corps à corps.

    Surpris, Thomas recule en trébuchant et manque de tomber à son tour.

    — Tu voulais que je me lève, c’est fait. Dit froidement 27.

    Comme s’il y avait toujours était, Léo se retrouve à ses côtés, glacial et imperturbable. Il lui glisse son propre poignard dans le creux de la paume et la jeune femme ressert ses doigts autour du manche, prête à se battre si cela devenait nécessaire.

    Mais, une autre main se saisit de l’arme sans chercher à lui retirer pour autant. 27 lève les yeux sur Aromeda, droite et impériale à ses côtés.

    — J’ai pris la décision d’accueillir ces deux résistants dans notre camp et de leur accorder ma confiance. Quelqu’un a quelque chose à y redire ? Quelqu’un veut-il me défier ? demande-t-elle d’une voix suave.

    Elle ne prononce aucun nom, mais son regard transperce Thomas de part en part.

    L’autorité qui se dégage par chacun des pores de sa peau fait comprendre à 27 pourquoi c’est elle, malgré son jeune âge, qui tient les rênes du camp.

    Elle lâche le contestataire des yeux pour les promener sur le reste de son peuple, fière et digne.

    -27 est différente de chacun d’entre nous c’est vrai. Moi aussi je me suis posé des questions sur ses particularités physiques. Mais elle a affronté l’Instruction plus souvent que les trois quarts d’entre nous et y a survécu à chaque fois pour venir jusqu’à nous. Elle fait partie de la Résistance. Et elle a souffert comme chacun d’entre vous. Allons-nous la rejeter pour sa différence ? Allons-nous tomber comme les sociétés de l’Ancien Temps dans la crainte et la haine de ce que l’on ne comprend pas ? Dans le rejet de ce qui ne nous ressemble pas ? Allons-nous devenir des barbares ?

    Ses questions accueillent une vague de murmures négatifs. 27, noyée dans le tourbillon de ses émotions, ne se demande même pas comment cette femme qu’elle connaît depuis quelques heures seulement a pu en deviner autant sur elle et avec autant de justesse. Et à nouveau, c’est un enfant, dans toute son innocence, qui débloque la situation.

    Jonus, s’approchant de 27 qui reste tendue, tant les bras vers elle. Le regardant quelques secondes, perdue dans le brouillard de sa colère, la jeune femme finit par se pencher pour le prendre dans ses bras. Le petit plonge ses grands yeux dénués de toute haine dans ceux de la résistante et pose sa main chaude sur sa joue meurtrie par le coup de Thomas.

    — Tu as mal ? Lui demande-t-il timidement.

    27 ne répond pas, la gorge serrée tandis que les adjectifs utilisés pour la décrire précédemment font des ravages dans son cœur.

    Le petit déplace alors sa main jusqu’à sa poitrine, la posant où résonnent les battements de son palpitant.

    — Tu as mal ? répète-t-il avec une sagesse propre à l’esprit vierge de sang et de ténèbres de tout enfant.

    — Oui. Bredouille 27.

    Perdue, elle trouve un ancrage dans les yeux de ce petit bout d’homme qui semble voir au fond d’elle-même.

    Les bras de Jonus se lèvent et entourent son cou pour se serrer contre elle.

    — Moi aussi je fais confiance ! Mon papa il est en vie ! décrète-t-il.

    — Et bien, l’affaire est close. Si quelqu’un a quelque chose à y redire, qu’il vienne s’adresser à moi directement. Déclare Aromeda en ébouriffant les cheveux de Jonus et reprenant sa place à table.

    Keren sort de la foule à son tour et vient enlacer les jambes de 27. D’autres enfants s’amassent autour d’elle pour l’enserrer de leurs maigres forces et la jeune femme sent ses yeux pleurer.

    Thomas était parti furieux et blessé dans son orgueil. Le reste du camp, ayant vu les larmes de 27 et son comportement avec les enfants, avait arrêté de la traiter comme une pestiférée et la tension qui subsistait auparavant dans l’air avait disparu. La curiosité avait remplacé la haine dans les regards ainsi que la compassion avait remplacé le mépris. Quand le repas avait pris fin, Aromeda était de nouveau intervenu pour réfréner l’avidité de la foule à la questionner et avait invité les deux résistants de l’ouest ainsi que son conseil à la suivre à l’intérieur de sa tour.

    Et c’est dans la salle du conseil qu’ils se retrouvent maintenant. Cette fois, Léo et 27 ont acceptés les sièges proposés et le ton de la discussion est moins houleux que dans la matinée.

    — On n’a pas assez d’infos pour pouvoir faire quoi que ce soit d’un minimum sécurisé. Lance Lucie, campée sur ses positions.

    — On peut y retourner en éclaireurs. Lui oppose Léo, calme et sûr de lui.

    — Qui on ?

    -27 et moi.

    — À deux contre l’Instruction ? Ricane la rouquine.

    — Nous l’avons déjà fait, on ne serait pas ici sinon.

    — Vous avez eu de la chance. Crache l’adolescente.

    — Les capacités.

    27 suit du regard le combat de coqs entre son ami et Lucie en se demandant si cela peut vraiment aboutir à quelque chose de concret.

    Visiblement, Avel a suivi le même raisonnement qu’elle puisque se levant de son siège, il interrompt une nouvelle réplique acerbe de sa collègue qui se rassoit de mauvaise grâce.

    — Ces disputes ne mèneront à rien. La question n’est pas de savoir si l’un est plus doué que l’autre espèce de gamins capricieux ! La question est : est-ce que, tous ensemble, cette folie est possible ?

    — Si nous nous préparons bien, oui. Affirme Léo, imperturbable.

    — Et comment veux-tu être bien préparé si nous n’avons que des informations bancales ? Nous ne faisons que parler des soldats postés au ravin, mais il ne faut pas oublier ceux qui nous encerclent.

    — Léo a raison, nous pouvons y retourner en éclaireurs en passant à travers leur ligne. Intervient 27, tout aussi calme que son compagnon.

    Depuis le début de la réunion, elle avait observé Aromeda et avait vu l’étincelle dans ses yeux. Si on lui donne les bons arguments, nul doute que la chef de camps les suivra et la jeune femme s’accroche avec fermeté à cette certitude.

    — Au risque de vous faire tuer et de ne pas avoir d’informations du tout ? Rétorque Avel, sévère.

    — Si nous mourons, vous n’en aurez plus besoin. Fait remarquer 27 sereinement.

    Ce n’est pas comme si elle avait encore le luxe d’avoir peur à cette idée.

    Avel, soufflée, se rassoit et la jeune femme se lève, prenant sa place.

    — Nous sommes partis d’Alpha, avons traversé Beta, avons affronté l’Instruction en terrain découvert, franchi un ravin sous leur nez, crapahuté dans une forêt pleine de leurs soldats et avons passés vos murailles sans nous faire trouer de flèches. Je pense qu’envisager de faire le quart de ce parcours dans l’autre sens n’est pas si fou que ça.

    — Vous avez perdu l’effet de surprise. Ils s’attendent à vous voir. Contre Avel après un court temps de réflexion.

    — Alors j’irai seul. Déclare Léo.

    27 se tourne vers lui, mais ne se précipite pas pour le contredire. Elle sait très bien qu’il ne joue pas aux héros, qu’il n’a rien à prouver à personne et encore moins à lui-même.

    — Je connais la forêt. Seul j’avancerais plus vite. Plus silencieusement. Ils ne verront même pas mon ombre. Affirme-t-il ?

    La jeune femme se souvient de lui se déplaçant dans la forêt. Elle se souvient de cette étrange communion, de la félinité dans ces mouvements. Elle se souvient de sa force à Alpha, de sa manière de se battre, la force et la rapidité qu’il avait mises à tuer. Elle sait qu’il est capable de bien plus que ce qu’elle a pu voir jusqu’ici.

    — C’est n’importe quoi. Marmonne Lucie en voyant 27 hochait la tête.

    — Vous êtes fous, ajoute Avel.

    — « La folie est le propre de l’homme »¹, sourit Léo.

    Aromeda se lève alors à son tour et tous se rassoient. Elle sourit à son demi-frère de ce sourire malicieux que 27 lui avait déjà vu.

    — Es-tu sûr de toi ? Lui demande-t-elle.

    Le brun la regarde de longues secondes en silence, déchiré entre la raison et la haine.

    — Oui. Finit-il par dire, les yeux dans les yeux avec cette femme qui lui ressemble tant ?

    — Quand seras-tu prêt à partir ?

    — Ce soir, à la tombée de la nuit. Je serai revenu demain, aux alentours de midi. Déclare-t-il ?

    Les deux bruns s’observent, Aromeda jaugeant de la conviction et de la force que dégage son aîné. À les voir aussi, personne ne pourrait douter de leur lien de sang et 27 se demande comment elle n’a pas pu le comprendre seule. Tous deux respirent la dignité et l’assurance, cette même force sauvage et silencieuse, la même impression de danger.

    — Nous t’attendrons dans ce cas. Sourit le chef de camp.

    396 relie une fois de plus la lettre qu’elle avait reçue ce matin. Elle provenait de la nouvelle institutrice choisie par l’Instruction pour remplacer 225. Celle qui lui disait qu’elle avait bien pris connaissance d’un mail qu’elle aurait apparemment écrit pour lui dire que 7 avait une grosse fièvre et qu’elle ne pourrait pas venir à l’école pour la semaine.

    Sauf que 396 n’avait jamais envoyé un quelconque mail.

    En posant la lettre sur la table basse, l’historienne fait tomber l’enveloppe qui la contenait et se penchant pour la ramasser aperçoit une marque sur le côté intérieur de la bordure.

    Un zéro y est tracé au stylo. Leur atout ne les avait donc pas lâchés. Et ainsi elle lui fait gagner du temps. La fièvre expliquerait aussi que 7 n’apparaisse jamais sur les caméras surveillances et qu’elle n’ait pas été présente au rassemblement d’il y a quelques jours.

    L’excuse est bancale, mais pas invraisemblable et 396 compte bien profiter du temps imparti.

    Aussi lance-t-elle une vidéo pirate après avoir installé sa mise en scène et se penche de nouveau sur le discours présidentiel et le code mystère recopié sur une feuille à part.

    Elle rassemble ses connaissances au sujet des codes cryptés fonctionnant à base de chiffres. Il y a le système de Vernam², la transposition des chiffres en lettres³, le chiffre affine⁴ ou encore le système du livre-code⁵.

    Ayant essayé les trois premiers à lui être venu à l’esprit, 396 en conclut qu’elle va devoir trouver quel bouquin 273 avait pu avoir l’idée d’en faire un livre-code.

    N’oubliant pas de regarder sa montre, elle se lève pour faire le tour de sa bibliothèque, mais devant l’ampleur de la tâche et le peu de temps qu’il lui reste sur sa vidéo pirate, elle se décide pour un autre plan. Mémorisant les cinq premières paires de chiffres, elle dissimule à nouveau les papiers et s’installant dans son fauteuil, coupe la transition pirate. Se repassant inlassablement la suite de nombres en faisant semblant de lire, elle finit par s’étirer, prendre son livre et le ranger à sa place sur les étagères.

    Prenant son ordinateur et se positionnant de façon à être dos à la fenêtre, mais l’écran clairement visible pour quiconque la surveillerait, elle ouvre un tableur.

    Puis, petit à petit, elle construit des petits tours d’ouvrages divers autour d’elle, regroupant tous les livres de l’appartement dans son salon et fait mine d’en faire un inventaire en règle. Tout ce cinéma lui servant de diversion pour feuilleter ceux qui pourraient être susceptible d’avoir été utilisés comme livre-code en partant du fait que s’en est forcément un qu’elles ont en commun, un livre qu’elles auraient lu toutes les deux et qu’elle pourrait avoir sous la main en toutes circonstances, qui lui évoquerait quelque chose d’assez évident pour supplanter l’absence d’indices.

    Arrivée à la moitié de sa bibliothèque, 396 finit par se demander si elle ne s’est pas trompée. Prenant une pause le temps de se préparer un thé et de calmer son esprit tourbillonnant de chiffres et de mots sans aucun lien, l’historienne laisse son regard se perdre sur les feuilles de thés qui flottent dans sa tasse.

    Qu’elle sorte de livre une historienne et une cadre d’entreprise dans le textile pourrait avoir en commun ? Leurs métiers n’ont pas vraiment de liens apparents et leurs personnalités encore moins. Là où 396 est réfléchie et posée, 273 est plutôt vive et colérique. Toutes les deux d’une grande intelligence et d’une logique foudroyante, la femme d’affaires a tendance à croire que son raisonnement est toujours limpide pour tout un chacun autant qu’il peut l’être pour elle. Contrairement à 396 qui avait appris à expliquer le cheminement de sa pensée, de sa naissance à sa conclusion à force d’écrire des livres et de donner des conférences.

    Elle avait aussi appris à se mettre à la place des sujets qu’elle avait eu besoin d’étudier au cours de ses recherches et se fondre dans l’esprit d’un autre lui est devenue une seconde nature.

    Aussi, 396 s’efforce de penser comme son amie.

    Qu’est-ce qui, aux yeux de 273, pouvait constituer une telle évidence ? Qu’est-ce qui a ses yeux les relies dans le domaine littéraire ? Son amie est quelqu’un qui ne perd pas de temps, elle est directe et incisive, elle ne s’embêterait pas à fouiller toute sa bibliothèque pour pouvoir lire son livre préféré. Elle le mettrait sur sa table de chevet, à côté de son lit, sous la lumière douce d’une lampe qui voisinerait probablement une bouteille d’eau. Tout parfaitement à sa place. Une vie d’ordre et de règles strictes. Ou chaque chose doit avoir un but et une utilité précise. Une vie conforme à ce que peut attendre l’Instruction d’une cadre d’entreprise trentenaire dont la réussite a été foudroyante.

    Aucune ombre au tableau si ce n’est que cette même personne fait partie de la Résistance. Touche de chaos à sa vie millimétrée.

    Alors, au milieu de cette vie conforme et parfaite, qu’est-ce qui peut maintenir sa rébellion ? Quel livre aurait ce pouvoir et qui serait aussi en possession de 396 ? Qu’est-ce qui les touches toutes les deux, avec assez de forces pour les garder sur le bon chemin ?

    Sans doute un ouvrage que l’Instruction ne laisserait pas entre les mains du peuple. Et la première chose que le Président avait faite censuré et disparaître de toutes librairies et

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