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Au bord du monde: Un roman fantastique
Au bord du monde: Un roman fantastique
Au bord du monde: Un roman fantastique
Livre électronique241 pages3 heures

Au bord du monde: Un roman fantastique

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À propos de ce livre électronique

Et si l’existence d’un monde jusqu’ici inaccessible se révélait ? Un monde où les morts sont censés être enfermés ? Un monde coupé des vivants ?

Julian et sa sœur Seenie ressentent les émotions de personnes encore vivantes, comme celles de Rekia qui met sa vie entre parenthèses lorsque la mort lui enlève la personne qu’elle aime. Il va suffire de l’audace de Julian pour franchir les frontières et quitter ce monde dans lequel ils sont prisonniers, entraînant avec eux Eiriane et Lisa, elles aussi en proie aux regrets de leur existence passée.
Leur retour parmi les vivants va les mettre sur la route de Rekia, mais aussi de Raph et Maya, plongés dans la culpabilité et le regret d’avoir perdu leurs proches. Morts et vivants vont alors être confrontés à leur passé et à tout ce qu’ils ont laissé d’inachevé derrière eux.
En interagissant avec le monde des vivants, Julian et sa sœur vont bouleverser les croyances et faire naître une forme d’espoir. Mais ils vont aussi provoquer la colère des Sages qui dirigent le royaume des morts, jusqu’alors impénétrable.

Embarquez pour un voyage entre réel et imaginaire avec ce roman fantastique surprenant !

EXTRAIT

— Pourquoi me poses-tu cette question ? demande doucement Eiriane en se tournant vers elle.
— Car ça n’a pas été aussi évident pour moi, souffle Lisa.
— Contrairement à toi, j’ai rejoint le village sans le vouloir. Tu as fait le choix de laisser ta vie derrière toi. Devoir y être confrontée à nouveau n’est pas une décision facile, loin de là. Ça peut se comprendre, Lisa.
— Je n’avais pas vu les choses sous cet angle...
— Tu restes sûre de toi ? s’inquiète Eiriane.
— Oui, lui sourit Lisa en piochant un muffin dans le sac en papier. Tu n’appréhendes pas la réaction de Rekia ?
— J’ai confiance en tout cas. Même si cela semble irréel, le lien et l’amour que nous avons avec eux peuvent changer leur perception...
— Accepter que l’irréel puisse exister..., commente Lisa pour elle-même.
Elles s’accordent un instant de calme, dégustant leur café. Dehors, l’ombre de Julian approche, silencieuse.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un passage entre la vie et la mort, des rêves déçus, des remords, de l'amour, des regrets, de la compassion, du courage... Tous ces thèmes se croisent dans ce roman. J'ai aimé son originalité, je l'avoue et la plume de l'auteure est belle et fluide. - Cocomilady

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire de Normandie, Laureen David est aujourd’hui installée à Lyon. Elle travaille dans le domaine de l’environnement et de la santé. Passionnée de cinéma, de musique et de littérature, elle trouve dans les sonorités et les rythmes de la musique sa principale source d’inspiration pour écrire. Au bord du monde est son premier roman, dans lequel elle a voulu mêler le réel à l’imaginaire.
LangueFrançais
ÉditeurThoT
Date de sortie23 déc. 2016
ISBN9782849214015
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    Aperçu du livre

    Au bord du monde - Laureen David

    Eths

    PROLOGUE

    Le temps s’est arrêté. Les lumières éteintes. Du haut d’un tas d’herbes sèches, un jeune garçon, assis sur sa veste, lance des morceaux de bois dans un ruisseau. L’heure de rentrer. Devant lui s’étend une longue plaine rocailleuse, bordée de sentiers gravillonnés. Quelques arbres d’un vert intense bordent ici et là le chemin. Au loin, il peut apercevoir une maison de pierre grise assez rudimentaire, à l’écart du sentier. Julian scrute ce paysage infini dont il commence à connaître peu à peu les secrets. Il n’a pas de souvenirs précis de son arrivée dans ce monde. Une semaine déjà. Il s’était retrouvé avec sa sœur au milieu d’une vaste salle de marbre, entouré de personnes inconnues. À sept ans, il ne retient que des détails sans grande cohérence. Le reste se mélange dans un épais brouillard dont il n’essaie plus de discerner les contours. Seul le visage de sa sœur reste familier dans ce décor. Seenie, sa grande sœur de dix ans. Malgré son amusement à lui jouer des tours, à se cacher, elle est son seul repère ici. Ce monde nouveau, ces gens différents, cette sensation de vide derrière lui... La présence de Seenie le rassure. Dans la Grande Salle dont il ne se rappelle que les tables de bois brut et les six colonnes bleutées, elle lui a serré la main. Mais elle n’a rien voulu lui dire des événements. Ces questions qui se bousculent dans sa tête. Julian a du mal à comprendre ce changement de vie. Il sait seulement que quelque chose de grave s’est produit. Que l’endroit où il se trouve avec sa sœur est différent. À part. Et cela lui fait peur. Alors il préfère s’évader vers la plaine, chercher le ruisseau pour regarder les « autres » à travers le miroir de l’eau. Julian se sent proche de ces personnages sans en comprendre vraiment la raison. Il les voit déambuler dans des rues animées, monter dans des bus ou des tramways, s’asseoir dans des parcs... Toute une vie parallèle qui se déploie. Sa vie d’avant. Depuis son arrivée, il vient fréquemment se poser au bord du ruisseau, muni d’un petit cahier et d’un crayon de papier, et reste assis à observer leurs allées et venues. À chercher une signification.

    — Je savais que je te trouverais par ici, bonhomme, dit alors une voix derrière lui.

    Julian tourne la tête et voit la silhouette de Gormon se rapprocher de lui. Vêtu d’une longue tunique beige, il se fond dans le décor ambiant. Une masse de cheveux grisonnants lui encadre le visage ; son front bas creusé de profondes rides et ses pommettes saillantes lui confèrent un aspect bienveillant. L’attribut de Sage lui va bien, se dit Julian. Gormon vient s’asseoir près de lui, la lenteur de ses mouvements trahissant son âge.

    — Tu dois avoir beaucoup de questions, continue Gormon de sa voix râpeuse, passant sa main dans les cheveux du garçon.

    — Oui, monsieur, mais j’aime cet endroit. Regarder toutes ces personnes qui vivent.

    — Je comprends, oui, lui répond Gormon en souriant. Appelle-moi par mon nom, ici pas de formalités. Tu l’apprendras bien assez vite.

    — Je crois que j’ai beaucoup de choses à apprendre, souligne Julian en le fixant de ses yeux couleur miel. Seenie ne me dit rien, elle ne me parle plus comme avant.

    — Tu sais, mon garçon, ta sœur est un peu perdue elle aussi. Le silence est une manière pour elle de faire la transition. D’appréhender cette vie nouvelle qui est maintenant la vôtre.

    — Je ne comprends pas très bien ce que je fais ici, soupire Julian.

    Gormon se tourne et lui saisit l’épaule dans un geste affable.

    — Je pense que tu as compris l’essentiel, Julian. Le reste viendra en temps et en heure.

    — Je ne pourrai jamais rejoindre les autres n’est-ce pas ?

    — Les autres ? s’étonne le vieux Sage.

    — Ces personnes que je vois dans le ruisseau.

    — Ah... non, mon garçon, en effet cela est impossible.

    — C’est parce que je suis mort hein ?

    — Oui. Désormais tu fais partie des nôtres. Allez, rentrons, ta sœur doit s’inquiéter de ne pas te voir.

    Seenie attend le retour de son frère, adossée contre le mur de la maison, les yeux perdus vers les collines. Le vent joue avec ses fins cheveux cuivre qui lui descendent jusqu’aux épaules. Elle se sent attirée dans une sorte de pays lointain, calme, à des années en arrière de sa vie réelle. Malgré tout, elle s’approprie doucement ce schéma inconnu qui s’est ouvert à elle. Une vie pas si différente que la précédente, si ce n’est que la mort en fait partie intégrante. À cette pensée, un sourire se dessine sur son visage. Quelle ironie, se dit-elle. Alors elle reste en retrait, observe, analyse. Ne pas reculer. Faire face pour elle et pour son frère. À son âge, elle sait qu’elle devra user de discernement et de malice pour trouver sa place. Des bruits de pas sur le gravier. Un jeune garçon aux cheveux blonds passe sur le sentier, le visage baissé et les mains dans les poches. À la vue de Seenie, il change de trajectoire et emprunte le chemin de la maison, les yeux fixés sur l’inconnue.

    — Salut, lui lance-t-il.

    — Salut.

    Elle le dévisage, curieuse. Des yeux d’un gris profond emplis de mystère. Des joues creusées et un menton fin qui lui donnent un air rusé.

    — C’est quoi ton nom ? Tu viens d’arriver, non ?

    — Je suis là depuis une semaine. Et toi, ça fait combien de temps que tu es ici ?

    — Quelques mois. J’habite avec d’autres personnes, deux rues plus loin. Alors, tu t’appelles comment ?

    — Seenie.

    — Drôle de nom, lui répond le garçon en souriant. Je dois partir, on se recroisera certainement. Le monde est petit. Bienvenue dans le monde de l’oubli...

    Il fait mine de lever un chapeau imaginaire avant de repartir vers le sentier.

    — Au fait, tu ne m’as pas dit ton nom ! lui crie Seenie.

    — Paul, lui répond le garçon de loin.

    Seenie le regarde s’éloigner, puis le paysage retrouve son calme habituel. Le silence. La recherche de sens. D’une nouvelle identité. Elle aimerait parcourir les rues du village, rencontrer ses habitants, mais Gormon préfère qu’ils restent un peu à l’écart. À cet instant, le vieil homme fait son apparition en compagnie de Julian, sur le sentier emprunté quelques minutes auparavant par le garçon blond. Paul. Seenie les rejoint en courant, ses longs cheveux virevoltant derrière elle.

    — Ton frère semble apprécier la montagne, lui dit Gormon légèrement essoufflé.

    — La prochaine fois, je viendrai avec toi, dit Seenie à son frère. J’aimerais découvrir ce monde aussi.

    — Tu as tout le temps nécessaire pour cela..., intervient Gormon.

    À ces mots, le visage de la jeune fille s’assombrit. L’apparence du vieux Sage entouré des deux enfants se perd alors à l’entrée de la maison.

    CHAPITRE 1

    La ville s’est endormie depuis plusieurs heures, bercée par la réverbération des lampadaires et l’aplomb sournois du vent. Seules quelques lumières filtrent à travers les fenêtres des appartements, trahies par les éclats de la télévision. Reflets de nuits d’insomnie, d’ennui ou de veille tardive. Parmi toutes ces ouvertures sur la vie nocturne, une lueur se dessine dans l’encadrement d’une fenêtre. Au troisième étage d’un immeuble en pierres grises. Le bout incandescent d’une cigarette. Une silhouette est accoudée sur le rebord de la fenêtre, ses gestes nerveux masquant des pensées rêveuses. Ses courts cheveux noirs la font se confondre avec ce décor sombre, son frêle profil accentuant ce contraste. L’air froid qui l’enveloppe lui fait prendre conscience de sa présence singulière. Instant à part qui défie sa perception des choses. Le son de la chaîne grésille encore par les enceintes. Un air de Blutengel : No Eternity. Les notes de musique, teintées de mélancolie, dansent dans la pièce, virevoltent sans jamais s’arrêter, tourbillonnent au rythme des intonations. La musique l’enserre, la berce ; notes satinées dans ce décor si abrupt. Une pile de magazines déchirés, raturés, des verres empilés dans l’évier, des fringues un peu partout... désordre nonchalant d’une journée remplie, trop courte. Ce qui l’entoure semble moins hostile la nuit. Une dimension parallèle. Seul le bruit de quelques passants vient troubler cette ambiance. Ses yeux les suivent, ses pensées sont ailleurs. Rekia tire une dernière bouffée sur sa cigarette, savourant ce doux picotement, avant de la jeter. Tournant le dos à la voûte céleste, elle s’enfonce dans le canapé, se concentrant sur la musique. Une fois la fenêtre fermée, la nuit la berce toujours de ses illusions. La lumière qui s’infiltre projette ses ombres, distrait sa vision. Insomnie. Douce mélancolie. Sa tête tourne, la vodka lui comprime les tempes. Une soirée bien arrosée. Même pas la force de se lever, d’enlever ses fringues. Estomac au bord de la nausée. Elle retire sa veste, la roule et s’allonge, la tête posée dessus. Une grande bouffée d’air. Ses yeux se ferment, elle commence à tomber dans un sommeil comateux. Son tee-shirt se soulève au rythme de sa respiration saccadée. Son visage se contracte ; ses traits se crispent. Un spasme la soulève. Un rêve prend forme rapidement et l’emmène dans une pièce faiblement éclairée, emplie de fumée. Une vieille sono crache du son, une table de bois fait office de bar, où se mêlent tequila, whisky et autres liquides colorés dans des bouteilles en verre. Le sol est poisseux, jonché de mégots, de gobelets. Une vingtaine de personnes est éparpillée dans cette pièce crasseuse. Rekia en reconnaît certains, dont Stef et ses dreads emmêlées, et de vieilles connaissances de fac dont elle ne se rappelle plus les noms. Elle se dirige vers eux à travers une fumée bleutée qui embaume la salle. Nouveau spasme. Elle ne distingue plus rien, la fumée devient omniprésente. Étouffante. Ses yeux la brûlent, elle tente en vain de respirer. Et soudain le vide. La musique s’est éteinte, les voix se sont évanouies dans le brouillard laiteux. Rekia n’a plus aucune sensation, pas même le contact de ses mains sur son crâne. Impression d’être irréelle. De s’être effacée dans le décor. Comme si ce dernier l’avait totalement absorbée. Elle rouvre les yeux, affolée. Toutes les personnes présentes quelques minutes plus tôt sont affalées sur le sol. Elle aperçoit Stef, qu’elle ne voit plus bouger. Rekia fonce sur elle, la prend dans ses bras, lui parle, la secoue...

    — Stef, réveille-toi ! Stef...

    Sa voix se brise lorsque du sang se met à couler du nez de son amie, dont le teint vitreux la rend méconnaissable. Vide. Aucune réaction. À cet instant, Rekia voit une seringue plantée dans son bras... Elle lâche brusquement Stef, se relève en titubant, les yeux hagards. Elle fait le tour de la pièce, trébuchant sur les corps allongés, cherchant une personne encore animée... Mais tous les visages paraissent artificiels, d’une blancheur cadavérique. Rekia tente de s’agripper à la table en bois, la pièce tourne... et elle sent une présence flotter vers elle dans la pièce. Une femme se tient devant elle, ses cheveux couleur cuivre tombant sur ses épaules dénudées. Elle porte une longue robe pourpre avec un corset noir lacé dans le dos. Son visage empreint d’une grâce éternelle laisse échapper un regard indéchiffrable. Ses yeux ont la couleur d’une étendue d’eau glacée, limpide, transparente. Elle s’avance vers Rekia.

    — Crois-tu y être pour quelque chose ? Le destin ne t’a pas attendu, il agit comme bon lui semble. Sans demander son reste... Tu n’as plus rien à voir avec ça. Tu n’as plus rien à faire ici.

    Rekia la regarde sans comprendre, déconcertée. Elle s’apprête à lui répondre, lorsque la pièce se remet en mouvement. Elle sent qu’elle part... et se réveille en sursaut sur son canapé. Le contact du tissu familier, de sa veste sous sa nuque, l’apaise. Lui fait reprendre conscience de la réalité. Et puis ces lueurs régulières du dehors qui la rassurent... Elle se redresse tant bien que mal, le temps d’être tout à fait réveillée. Les jambes tremblantes, Rekia se lève et se dirige vers la fenêtre. Pose son front contre la vitre froide. Elle hésite à fumer une cigarette, mais renonce en voyant son paquet quasiment vide. Elle ne peut pas non plus appeler Stef pour s’assurer que tout va bien. L’obscurité la calme partiellement. Les images du rêve deviennent moins présentes ; elles s’évanouissent dans ses pensées. Rekia se décide à déplier le canapé, attrape sa veste qu’elle jette sur une chaise et retire ses fringues. Sentant le froid la gagner, elle enfile rapidement un short, un tee-shirt et un sweat léger. L’amas de vêtements par terre la fait soupirer. Elle rangera plus tard... Avant de se glisser sous la couette, Rekia s’approche de l’étagère attenante à la table et prend une photo posée contre un livre. Malgré la faible luminosité, elle reste ainsi à la fixer, connaissant chaque détail. Puis elle la remet en place et s’enfonce dans son lit.

    ***

    Les quais ne sont guère animés en cette heure tardive. Quelques personnes s’attardent encore sur les bancs, leurs sacs jetés négligemment sur le sol froid. Les voitures traînent l’allure sur le pont Lafayette, coincées dans une myriade de métal. Un paysage sombre en fait. Des gouttes de tristesse dans l’air. Au bord du fleuve, un homme se tient debout, les mains dans les poches. Seulement animé par le flottement de son long manteau de cuir noir. Ses cheveux rasés et un symbole étrange tatoué sur la nuque le rendent presque surnaturel. Comme sorti d’une vieille bande dessinée ; un mercenaire solitaire. Une ombre sans lumière. Son regard n’a pas de frontières. Il semble capturer les aspérités de la ville, en connaître le moindre secret. Il aimerait tellement que sa sœur soit avec lui. Cette terre lui paraît étrangère à présent, et le village si loin. Pourtant son existence s’est construite là-bas. Une nouvelle existence. Une seule idée et il se retrouve ici. Entraînant avec lui des personnes innocentes. Peut-être en paix ? Il ne peut anticiper leur réaction face à cet affrontement avec la vie réelle. À cet instant, il ne ressent plus grand-chose. Demain est un autre jour. Julian repense à toutes les fois où il regardait ses semblables, à rêver à travers le ruisseau découvert alors qu’il était enfant. Il pensait à ce qu’aurait pu être son rôle dans ce théâtre bruyant. Il était pourtant loin d’imaginer qu’il se retrouverait un jour en plein milieu. Ce qu’il avait appris à aimer, apprécier chez les autres, lui avait laissé malgré tout un sentiment amer. Perdu. Sa sœur n’arrivait pas à comprendre cette déchirure. Sous prétexte qu’il n’avait pas eu le temps de vraiment connaître sa vie d’avant... Mais les souvenirs se rappelaient à lui. Flous, incertains, mais bien présents. Avec un goût d’inachevé. Le jour de leur arrivée dans l’autre monde, c’est la grandeur du lieu qui l’avait marqué. Rien à voir avec la ville où il avait grandi avec sa sœur. À perte de vue, des collines, des forêts. Et le village au centre de tout cet espace. Face à eux, un imposant bâtiment de briques rouges. Julian avait été impressionné. On les avait conduits à l’intérieur sans explications, et installés dans une salle aux murs ocre. Six colonnes d’un bleu clair coupaient la pièce, la rendant étouffante. C’est à ce moment que sa vie avait basculé. Il avait écouté sans broncher le monologue d’un homme appelé Sage, ne saisissant pas vraiment le sens de ses propos. Des observations sur la raison de leur venue ici, et sur la suite à venir. Julian s’était contenté de rester stoïque. S’en remettant entièrement à Seenie. Ce n’est qu’avec le temps, le soutien de sa sœur et la présence de Gormon, l’un des Sages, qu’il avait réussi à assimiler une partie des données. Un nouveau monde. Sans jamais oublier pour autant les traces de son existence passée. Seulement vue à travers ses yeux d’enfant. Il ne veut pas savoir ce qu’il laisse derrière lui. À l’horizon, les lueurs du soleil commencent à faiblir, un autre jour va mourir. Le ciel assombri devient illisible. Les rares sons étouffés, irréguliers, résonnent ici comme des alliés. Ressentir chaque souffle extérieur. Croire, imaginer à nouveau le monde dans toute sa splendeur, avant que la nuit n’entre en scène. Car alors toute tentative sera vaine. Julian effleure une dernière fois cette lumière cruelle, délaissant ses pensées qui s’entremêlent. Son ombre glisse et disparaît dans la nuit naissante, errant dans les rues baignées de larmes. De vapeurs culinaires. D’effluves goudronnés. L’odeur du bitume. L’essence des pas. De la vie qui circule.

    La tête appuyée contre la vitre, elle regarde les collines partiellement masquées par les nuages. La maison retentit des bruits du rez-de-chaussée, ses colocataires s’affairant à leurs occupations. Seenie s’est isolée dans la chambre de son frère au premier étage, assise sur le rebord de la large fenêtre. Ses mains fines entourent ses genoux, froissant légèrement sa robe pourpre. Dehors, elle voit défiler les habitants du village, et leur expression paisible lui saute aux yeux. Comme si rien ne pouvait altérer leur existence ici. Un chemin chanceux et sans encombre. Ils ne se doutent de rien. La vitre froide lui rappelle la frontière qu’elle ressent avec eux. Surtout depuis la disparition de Julian. Ils sont tellement loin d’imaginer que leur univers a été agité. Pour eux, c’est inconcevable. Même pour elle. Jusqu’à hier... Lorsqu’elle s’est rendu compte que son frère, lui, avait tout bousculé. Malgré sa colère envers lui, elle ne peut s’empêcher de sourire. Et ces trois mots se répètent en boucle dans sa tête :

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