Johnny-Flupke Hallyday: Marginales 297
Par Collectif
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À propos de ce livre électronique
C’est entendu : la mort de Johnny, célébrée par tout un peuple, adhérents de la dernière heure, panurgiens et opportunistes compris, s’est enlisée dans la plus saumâtre des affaires de famille, où la règle du capitalisme triomphant camouflée dans une idylle de fin de vie et une adoption tiers-mondiste (selon l’expression désormais mal portée) d’avant-dernière heure, a déployé son infâme loi avec un cynisme immonde.
Au point que notre choix du thème, à peine diffusé, s’est trouvé remis en question, ce qui explique le retard de cette parution que Jean Jauniaux et moi avons maintenue en raison de la qualité des contributions qui avaient reflété – avant que le veau d’or n’intervienne – l’émotion éprouvée lors de la disparition du chanteur français le plus illustre de sa génération.
Ce dont nous ne nous doutions pas, c’est que cette même Amérique, à laquelle Johnny s’était si vainement mesuré, allait l’absorber dans la pire de ses aliénations coupables : la loi du profit.
Découvrez le numéro 297 de la revue Marginales, la voix de la littérature belge dans le concert social. Sous la direction de Jacques De Decker.
EXTRAIT DE Les joueurs de flûte par Marc Wilmet
Le 31 octobre 1981, au lendemain de la mort de Georges Brassens, je me trouvais dans le train Bruxelles-Milan pour un séminaire qu’on m’avait demandé à l’Université de Metz. Gare après gare, les journaux des kiosques égrenaient à la une le portrait encadré de noir du chanteur.
Le compartiment était presque vide (heureuse époque où les professeurs invités recevaient un billet de première classe). Seul un jeune Américain, accoudé à la fenêtre, rédigeait des notes. En profitant d’une brève escapade hygiénique, j’ai eu l’indiscrétion de déchiffrer quelques lignes de son carnet et lu sous le dessin d’une moustache : Who is this guy? « Qui est ce type ? » Ainsi, Brassens, que Gabriel Garcia Márquez et le numéro du 12 décembre 1982 de la Revue Clarin de Buenos Aires allaient déclarer « le meilleur poète du moment en France », lui était totalement inconnu !
À trente-cinq ans de distance, ne nous leurrons pas. Qui, en dehors de la Francophonie, se sera vraiment ému du décès de Johnny Hallyday (ou d’ailleurs de la perte de l’académicien mondain Jean d’Ormesson qu’avaient médiatisé ad nauseam les Bernard Pivot et les Michel Drucker) ? L’effervescence, déjà, ne semble pas avoir franchi la frontière linguistique de la Belgique. N’empêche, elle a été par ici d’une ampleur rare.
Les gens de ma génération – j’avais 20 ans en 1960 – ne s’intéressaient guère aux « idoles des jeunes ». Nos références musicales ne furent pas celles-là, même si les éclats des tumultueuses amours successives du rockeur arrivaient de loin en loin : Sylvie Vartan (combien jolie !), Nathalie Baye (ah ! difficile de pardonner cet écart de goût à l’actrice de Truffaut), les copains, les motos, l’alcool, la drogue, le barnum du Stade de France, les évasions fiscales…, aucun obstacle apparent à la légion d’honneur, à l’« hommage populaire » et multi-présidentiel du 9 décembre 2017. Puis la maladie.
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Avis sur Johnny-Flupke Hallyday
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Aperçu du livre
Johnny-Flupke Hallyday - Collectif
Éditorial
Jacques De Decker
C’est entendu : la mort de Johnny, célébrée par tout un peuple, adhérents de la dernière heure, panurgiens et opportunistes compris, s’est enlisée dans la plus saumâtre des affaires de famille, où la règle du capitalisme triomphant camouflée dans une idylle de fin de vie et une adoption tiers-mondiste(selon l’expression désormais mal portée) d’avant-dernière heure, a déployé son infâme loi avec un cynisme immonde.
Au point que notre choix du thème, à peine diffusé, s’est trouvé remis en question, ce qui explique le retard de cette parution que Jean Jauniaux et moi avons maintenue en raison de la qualité des contributions qui avaient reflété – avant que le veau d’or n’intervienne – l’émotion éprouvée lors de la disparition du chanteur français le plus illustre de sa génération.
Ce dont nous ne nous doutions pas, c’est que cette même Amérique, à laquelle Johnny s’était si vainement mesuré, allait l’absorber dans la pire de ses aliénations coupables : la loi du profit.
Or, il va sans dire que les seuls héritiers de Johnny sont ceux qu’il eut avec deux autres artistes, des femmes très douées qui ont aussi transmis leur code génétique à David et à Laura, qui font tout autant partie de cette dynastie que l’ensemble de sa descendance participe du talent de Jean-Sébastien Bach (il est déconseillé de rire).
Si un argument devait ébranler la justice, y compris outre-Atlantique, ce serait celui-là. Les enfants de Johnny se sont vu léguer la fibre créatrice de Jean-Philippe Smet, qui lui-même la tenait de ses parents, même si, pour être restés dans l’ombre, ils n’en étaient pas moins marqués par le sceau de l’art. Son père, issu de la bohème belge, j’en entendis parler dans ma jeunesse par la veuve de Michel de Ghelderode : il avait été un compagnon de guindaille de l’auteur de « Pantagleize ». Il avait chanté dans les cabarets des Marolles puis, après avoir reconnu son fils, il l’avait laissé à sa mère cabaretière elle aussi qui le refila à son tour à sa sœur, autre enfant de la balle, milieu où le garçonnet fut vite repéré, notamment par Charles Aznavour, ce poète-chanteur français d’origine arménienne.
Johnny s’appelait donc Jean-Philippe, et la tentation était grande de l’affubler du surnom du ketje que Hergé rendit universellement célèbre.
Hallyday n’est pas un artiste de premier plan comme les autres : il était devenu un personnage inventé de toutes pièces, dans la dégaine duquel il se glissait lors de ses concerts et dont il se débarrassait lorsqu’il n’était plus sous le feu des projecteurs. Là, il redevenait Jean-Philippe Smet, discret, effacé, réservant ses irrésistibles sourires, ses yeux d’une douceur infinie à ses vrais proches Pour lui avoir serré la main une seule fois, je puis dire que ce qui frappait le plus, dans ces contacts furtifs, c’était son humilité. Mais dès qu’il rejoignait son clan, sa « gang » comme disent les Québécois, il redevenait l’éternel gamin, le « tombeur » qui séduisait malgré lui.
Mais voilà : il lui manquerait toute sa vie ce dont il fut privé dans sa prime enfance, et sa troisième épouse sut être parfaite dans son rôle de femme au foyer assortie d’une descendance sur mesure. Ce dont il ne se doutait pas, c’est que se profilait, derrière cette image d’Épinal, la machine de guerre de la plus bourgeoise des conjugalités traditionnelles.
Avec une sordide affaire de succession à la clé, qui force d’autres artistes, Sylvie, Nathalie, David et Laura à se vautrer dans la plus balzacienne des querelles d’héritage. Brusquement, les observateurs les moins futés ont dû eux-mêmes comprendre qu’un piège sordide s’ourdissait là, avec aux manettes une Folcoche comme on n’ose plus en imaginer de nos jours.
Alors, faisons comme si : un être de légende s’en est allé, on l’a précipité dans le moins édifiant, le plus sordide des règlements de compte de bas étage, mais il n’a été victime que de l’envers de sa générosité créatrice : sa candeur.
Nous savons aujourd’hui que Johnny était cet innocent aux mains pleines : il a plus que jamais le droit de continuer à hanter nos rêves et nos souvenirs.
Jacques De Decker
22 mars 2018
Garde à vous
Jean-Marc Rigaux
Offenburg. 1966.
L’œil. J’ai vu l’œil. Mat. Glacé. Réflecteur. Mon image flotte en lui. Je m’y vois multiplié à l’infini. Pris en sandwich entre deux miroirs. Je me brise en mille morceaux. Je saigne. Hémophile éternel.
Je ne sais pas pourquoi je fais ce rêve depuis que la caserne m’a avalé. Le colonel et ses deux filles énamourées tiennent à me ménager. J’ai vite eu ma chambre personnelle. Les gars, un peu trop distants au départ, sont devenus plus sympas. Je me sens pourtant plus vieux qu’eux. Le lait leur coule encore du nez alors que j’ai déjà tant vécu pour mon âge. L’hystérie des foules. L’adoration des minettes. L’extase du riff. Les cascades de billets. Le carrousel des villes de province et les paillettes de la capitale.
J’ai, en les regardant, le sentiment que l’on m’a volé quelque chose. Quelque chose que, eux, tiennent précieusement dans leurs mains terreuses à force d’avoir rampé et que, moi, je n’ai pas réussi à encager.
Les premiers jours ont été bizarres. Dans mon treillis, j’étais parfaitement pareil aux autres. Perdu, indistinct, dans la masse du régiment. Béret incliné du même côté que tous.
Pendant l’instruction, je me suis tortillé avec eux, sous les barbelés. J’ai apprécié viser les cibles que j’imaginais en journalistes baveux, la bouche remplie de questions qui m’intimidaient ou en photographes harceleurs accrochés, dans toutes les positions, aux réverbères, jouant les funambules sur les gouttières ou les singes savants aux branches. Je leur tirais dessus. Ils tombaient et je décrochais la timbale avec un trou, plein centre.
Les paparazzis sont d’ailleurs les seuls qui me rappelaient la vie d’avant. Certains se sont introduits, au mépris du Code pénal, dans l’enceinte pour quelques clichés de moi en tenue de camouflage. Certains ont fini au violon. D’autres, plus futés, se sont évaporés en fantômes vénaux. Après les premières publications, ils ont fini par se lasser des mêmes images.
Au début, je me languissais de Sylvie et David. La brutale césure entre les tournées, les enregistrements et la vie militaire m’entraînait dans un gouffre. Au moins, je tentais de m’agripper aux parois. Depuis que l’instruction a pris fin, je plane, anesthésié.
Le temps s’est gélifié dans une routine déroutante. Je n’ai jamais eu beaucoup d’inspiration pour écrire mes propres textes ou musiques, mais au moins je les ressentais, je les régurgitais avec une puissance que personne n’égale. Ici, je suis vide de l’intérieur. Atone. Catatonique. Je finis par regretter les paparazzis. Au moins, ils me mettaient en colère. J’en viens à désirer les corvées patates que l’on m’épargne.
Les permissions ressemblent à d’étranges parenthèses enchantées. Je n’en profite pas vraiment. Comme si elles me rappelaient un monde évanoui qui n’est plus le mien. Ces morceaux reconstitués n’offrent aucune autre perspective que le retour à mon pénitencier kaki.
Avant de pouvoir réintégrer la prison du show-biz, il faut accomplir toute sa peine.
Je n’ai pas cherché à y couper. Je voulais de toutes mes forces faire mon devoir. Je n’y suis pas vraiment arrivé. Régime de faveur. Difficulté d’échapper à une certaine lueur dans la prunelle de potes qui n’en sont pas vraiment.
Le garde-corps à l’entrée du camp n’est pas le seul qui m’empêche de sortir. Il y a tous ceux qui me barrent la route des âmes.
On dirait que j’ai franchi une frontière sans retour. J’y songe souvent quand je me promène, solitaire, aux confins du terrain, à quelques kilomètres à peine du Rhin et au-delà de Strasbourg et de la France. Je peux presque la voir mais ne peux plus y pénétrer. J’habite à Offenburg pour toujours.
Bien sûr, il y a aussi le pays rêvé. Celui que je n’ai jamais vu et qui ne m’a jamais prêté attention. Là. Tout au nord. Écrasé dans ses plaines d’indifférence. Je ne verrai jamais la grand-place de Bruxelles.
Mes seules échappées consistent dans les longues marches bimensuelles. Combat shoes aux pieds. Harnachement qui scie les épaules. Soleil gelé ou rôtisseur. Ces épreuves physiques me rendent un peu du vertige des scènes où je me brûle les ailes de la voix, où mes jambes se raidissent pour ne pas fondre sous la sueur, où mes doigts se râpent au contact des mailles métalliques du micro, où mes neurones grésillent plus qu’une sono mal réglée.
Finalement, c’est peut-être là que ma route se sépare de celle du reste de la troupe. La plupart des gens ont peur de la souffrance. Ils ne veulent que le plaisir. Pour moi, les deux sont indissociables. L’une nourrit l’autre. Le manque est si difficile à admettre. On finit par le convoiter parce qu’on n’a rien connu d’autre.
Je marche dans la poussière ou la neige. J’aime ça. Seul sur les chemins ou seul sur les planches. Que les oiseaux soient les uniques spectateurs du don de mon corps ou qu’il s’agisse de salles gondolantes de paires d’yeux ou d’oreilles, je ne trouverai aucun autre réconfort que la douleur de mon cri.
Quand nous revenons, trempés, puants, essorés, lessivés de toute émotion, je respire enfin, loin de moi-même.
Hier, le colonel m’a appelé dans son bureau. Je ne savais pas si c’était encore une ruse de ses filles ou pour une permission non prévue au règlement qu’il affectionne de m’octroyer en grand seigneur.
Il se fit plus mystérieux, me signalant qu’une surprise m’attendait à l’entrée.
De loin, je vis que le planton discutait avec un vieux type, campé derrière la barrière, tenant un ours en peluche dans ses paluches.
Le soldat, à ma vue, chuchota quelques mots au bonhomme qui s’agita. En m’approchant, je l’entendis répéter, en refrain. « Mon fils. Mon fils. Mon fils. ».
Tout en restant de l’autre côté du garde-corps, il me serra dans ses bras. J’étais aussi raide que mes jambes après vingt kilomètres, barda sur le dos. J’aurais voulu me laisser aller. Je n’y parvenais pas. J’étais sans rancœur. Sans chaleur.
Il me promit monts et merveilles. Un avenir radieux et complice. C’était la première fois que je le voyais en vingt-trois ans. J’étais incrédule, dépassé, incapable d’émettre un son.
C’est alors que j’ai vu l’œil. L’œil mat, glacé, réflecteur. L’objectif de l’appareil. Tendu comme un sexe de violeur. Il me crucifiait sur pellicule, me diffusait déjà sur papier glacé, en bagnard de moi-même vers l’océan d’amour de mes fans, trop heureux d’avoir une histoire à se raconter à eux-mêmes.
Cet après-midi, en lisant le journal, j’apprends que les deniers de Judas s’élèvent à cinq mille francs. Je ne lui en veux pas. Je ne sais si c’est de la pitié ou de la piété filiale. Je n’en veux qu’à moi. Je n’ai jamais été assez « aimable ».
Je saigne. Je me saigne. Hémophile pour l’éternité.
Lorsque je me réveille, à l’hôpital, je comprends que mon salut résidera désormais dans les couplets qui m’accoupleront avec ces anonymes que je connais mieux qu’ils ne se connaîtront jamais.
Sang pour sang
Catherine Deschepper
« Il vieillit », disait invariablement ma mère quand nous quittions la résidence où mon père, son époux, l’éminent chef d’orchestre de nos vies et de quelques-unes des plus belles salles de concerts avait été interné. Mon père, son époux, le chef d’orchestre, ou du moins ce qu’il en restait, vieillissait, oui… Et à mesure que l’âge marquait ses gestes alourdis, l’âge, toujours lui, allégeait son esprit. Savait-il encore qui nous étions, où il était, qui elle était