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Reporter comme au ciel: Aimer, ou se défaire
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Reporter comme au ciel: Aimer, ou se défaire
Livre électronique361 pages5 heures

Reporter comme au ciel: Aimer, ou se défaire

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À propos de ce livre électronique

C’est l’histoire d’un journaliste gonzo et bipolaire de rien ayant commencé son parcours à Libération avant de chuter sévèrement. Il s’en sortira grâce à sa femme, M.C., deux psychiatres, l’amitié vraie, l’amour courtois et deux molécules. Mais aussi par la raison sensible et le mysticisme bien compris.
Autofiction conçue comme un grand article gonzo.
LangueFrançais
Date de sortie13 juil. 2016
ISBN9782312045474
Reporter comme au ciel: Aimer, ou se défaire

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    Aperçu du livre

    Reporter comme au ciel - Benoit Helme

    cover.jpg

    Reporter comme au ciel

    Benoit Helme

    Reporter comme au ciel

    Aimer, ou se défaire

    Roman

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2016

    ISBN : 978-2-312-04547-4

    À Marie, Alexandre et Charlie

    « Le buisson d’épines est le vieil obstacle sur ton chemin. Si tu veux avancer, il doit prendre feu.  »

    Franz Kafka

    Longtemps, je me suis couché débonnaire.

    Couché, debout.

    Ceci est une histoire de fou inspirée de faits réels – une auto-friction. On y causera sexe, espace, amour, kabbale et camisole de force. Il est minuit moins le quart avant la fin du monde. L’espace a coupé le temps. Le soleil cogne chez les gonzos. Le journaliste gonzoïde est ce terrien médiatique qui s’exprime à la première personne après s’être immergé profondément dans son sujet en le pénétrant au plus près des muqueuses. Le journaliste gonzo tente de témoigner d’une réalité alors même qu’il baigne ou se noie dans cette réalité là. Il considère que la neutralité et l’objectivité sont des points de vue impossibles à atteindre pour un être humain comme pour un escargot. Je y est perpétuellement un autre. Son objectif consiste à ne pas l’être. Il entend informer ses lecteurs sur la nature et l’intensité d’un évènement après s’y être infiltré comme on plonge dans un océan. En se faisant poisson baltringue, le gonzo cherche avant tout le souffle de vie et parie sur le sens critique et les émotions du lecteur. Il espère que ce lecteur se construira une idée au plus près de la réalité vécue. Ecrire qu’un tremblement de terre a fait dix mille morts ne renseigne en rien sur la manière dont on vit un tremblement de terre – ce qu’il s’agit de saisir, c’est la réalité du tremblement.

    Il pourra aussi bien tenter de saisir le tremblement dans un couple – hétéro, homo, bi, bi-bop. C’est un peu plus difficile, car il faut expérimenter longtemps. Comment on s’aime au début. Comment on s’ennuie bien avant la fin, parfois. Pourquoi du côté de la rive gauche, il est dit que l’amour dure trois ans. La vie de couple est un reportage de longue haleine. Il est compliqué et bien souvent impossible de comprendre la vérité dans un couple. Il y a ceux qui parlent dans la tension et ceux qui parlent dans l’attention. Mais ça ne dit rien de leur amour. Il faut être en couple pour de bon, rencontrer d’autres couples, sentir ce qui s’y passe, pour essayer de comprendre la vie à deux. Au final, on ne sait pourtant rien du lien qui fait un couple plutôt qu’un autre. Il faut alors sortir en couple comme on va sur le terrain. Certains s’évertuent à donner le change quand ils croisent un autre couple, en lui crachant leur bonheur à la gueule et comme pour dire on est bien plus heureux que vous. Serait-il possible au fond que tout le monde s’emmerde en couple ? On voit ça parfois, comme une ridule planquée sous du rimmel en couches. La grande variable en couple serait l’effort de mise en scène pour impressionner la galerie, selon Virginie D. Des couples resteraient amoureux de l’effet qu’ils produisent en société. Tant qu’ils ont un public, ils continuent de faire semblant. Mais de retour à la maison, ils s’ennuient à nouveau.

    Ecrire à ce sujet ?

    Quel sujet ?

    Le couple ?

    Mais non, l’amour fou.

    La folie ?

    La Folie-Méricourt ?

    Ce quartier de bars où le cours du demi varie selon le prix du mètre carré parce que les cocktails y portent des noms de peintres américains ?

    Pas du tout.

    Parlons de la folie, tout court.

    Aberrant. Absurde. Ecervelé. Abracadabrantesque. Affolé. Egaré. Anormal. Eperdu. Braque. Chimérique. Cinglé. Cinoque. Débridé. Cintré. Aliéné. Voilà ce que j’ai été sous le soleil des mourants. Par ce jour de folie. C’est un jour où je me dirige vers le Palais de l’Elysée sans boussole ni télescope. Je marche dans les rues de Paris comme propulsé par un sentiment de toute puissance. La puissance est noire, compacte et légèrement velue, il faut le savoir. La troisième guerre mondiale a du commencer – je le suppose en tout cas, persuadé de la validité de mes sources. Je vois des bombes et des fleurs calcinées partout dans le ciel de Paris. Je marche vite, très vite, dans une fièvre impossible à négocier. Je suis un autre et cet autre a un nom. Il s’appelle Ruy-Blas, de Victor Hugo. Me voilà donc azimuté pour de bon, biscornu, bizarre, et bouffon en chef. Bouleversé, branque et baltringue. Je marche dans Paris. Je crois être un chevalier blanc tout froid sorti du dix-neuvième siècle, revenu de l’exil pour donner la leçon.

    J’avance. Ils vont bien voir de quoi je suis capable. Je marche de plus en plus vite avec la mort aux trousses – l’avion d’Alfred n’est jamais loin, il vole de plus en plus bas. Le vent souffle dans la plaine et je distingue au loin l’Arc de Triomphe. C’est un violent coup de grisou que je traverse. Mais la victoire est au bout. J’ai le sang plein de gin orange et de kérosène brûlé. Je marche. La terre est bleue comme un orage. De l’encre noire coule dans mon sang de zombie parachuté. Je marche pour ne pas crever. Je veux décrocher mon premier rôle aux forceps. Ruy-Blas est un immortel. Je veux en être, je crois être Ruy-Blas dans la réalité. Je me souviens par cœur de cette scène – acte III, scène 2 – où le chevalier s’indigne de tout son souffle devant des ministres corrompus. Je l’ai apprise au Cours Florent lorsque j’avais vingt ans. Ruy-Blas est le roi du putsch, du kitch et du lyrisme débridé. Alors que personne ne l’attendait là, il déboule en plein repas et lance à la face de ministres vieux, moches et médusés :

    – Bon appétit, Messieurs !

    Et puis direct, il en remet une louche exaltant le panache : « Ô Ministres intègres, conseillers vertueux, voilà votre façon de servir, serviteurs qui pillez la maison ? ».

    Je ne veux pas rater le rôle, je ne veux pas rater ma cible. Au cours Florent, on disait bien que cette scène était la plus difficile à jouer dans le répertoire français du théâtre. Je suis maintenant une flèche tendue vers les frissons du blizzard. Je remonte le temps. Je passe devant l’ancien club de l’Elysée Matignon, pas loin de la vieille Apocalypse, une autre de ces boites où j’ai dansé il y a longtemps comme n’importe quel branché ordinaire de l’ère Mitterrand. Ici comme au Privilège, au Palace, ou aux Bains Douches à l’époque où Maryline sélectionnait sur fringues à l’entrée.

    Les Bains douches ne sont plus ce qu’ils étaient, et alors ? Je m’en fous complètement. La douche en vue sera froide pour les ministres, droit devant. C’est tout ce qui compte. Un oui, un non, une ligne droite, un but disait Frédéric Nietzsche, et je veux tout faire comme le philosophe. Je suis au bout des nerfs. Je suis comme un junkee rongé par l’envie du crack. J’évolue dans la folie pure, pas la coke de salon. Je suis devenu dingue. Le flux du vent. Le soleil en berne. C’est la révolution pleine, enfin. Moteur. Action. Ca tourne à ciel ouvert, extérieur nuit à l’heure du grand midi dans mon esprit de reptile.

    Moteur.

    Action.

    Total kheops ?

    C’est à dire grand bordel en grec ancien.

    Je n’ai plus de néo cortex. Je suis fou. Je marche à la fois dans le huitième arrondissement de Paris et le dix-neuvième siècle. Je suis dans un jour où l’espace a coupé le temps. Suis-je au moins vivant ? J’arrive enfin sur les lieux du crime politique, ils sont là, casqués au sabre clair sur le trottoir d’en face. Pile poil en faces cachées, raides comme l’injustice ou le devoir oublié, qui sait. Ils protègent les ministres. Je fais maintenant face au commandement militaire du Palais de l’Elysée. Je ne bouge plus, je les fixe. Ils sont en ordre bien serrés. Je ne bouge plus, je les fixe. Le premier régiment d’infanterie de la Garde Républicaine commence alors une manœuvre par un enchainement de gestes parfaitement logique et maitrisé. Je ne bouge pas, je les fixe. Puis je déclare les hostilités ouvertes :

    – Bon appétit, messieurs !

    L’un des gardes se déplace alors, tout en discipline rongée par le métal, comme pour assurer la relève. Je ne bouge pas, je les fixe. Il y a ensuite un temps long, très long, dont je ne me souviens plus très bien. Je ne bouge pas, je les fixe. Il y a dans mes yeux de la défiance, du cabotage en surdose, et de la folie pure.

    Alors l’ordre est enfin donné :

    – Présentez… Armes !

    Bon.

    Johnny Weissmuller, Camille Claudel et Frédéric Nietzsche ont commencé par vivre intensément leur vie pour la finir dans un hôpital psychiatrique. J’espère être en mesure de faire mieux, c’est à dire l’inverse.

    Théoriquement, c’est jouable.

    Je suis bipolaire de rien.

    Mais je me soigne.

    J’ai commencé ma vie d’adulte par des séjours chez ceux que l’on désigne comme fous. Et j’espère vivement la terminer chez moi.

    La bipolarité est une chance pour l’homme aguerri qui se soigne, mais elle peut tourner au désastre quand elle est mal soignée.

    Mes postures existentielles, mes aléas, mes crises, mes expériences extrêmes, mon métier de journaliste ayant commencé son parcours Libération, comment j’ai taillé la zone parfois, je me souviens de tout – ou de presque tout, sans doute. Je me souviens. Comment ils ont frappé fort dans ma nuque, pour que je m’incline, ah ça, comment pourrais-je l’oublier ? J’étais malade bien sûr, mais il existe des médecins qui tirent sur les ambulances, autant le savoir. La torpeur dans mes yeux, la folie des grandeurs. Je me souviens de tout. Virginie aussi s’en souvient, elle qui écrit si bien, et qui m’a vu sous le sol de l’underground, pollué par ma folie à en dévisager la mort.

    Aujourd’hui, ça va mieux.

    Je peux même écrire – sans être sous coke – que j’ai pris de la coke pour mieux vendre mon livre. En réalité, je n’en ai pris que deux fois dans ma vie, allez tris au maximum, et je sais maintenant qu’il faut se méfier de la coke comme d’une bombe à retardement. La coke, soyons clair, c’est de la merde. L’alcool aussi d’ailleurs, pour celui qui ne sait pas doser ou qui boit seul. Si soudain je me sens bourré, alors je n’écris plus. Quand tu es trop bourré, tu es mort et tu ne dis plus rien, dit mon fils. Il précise :

    – Si tu es juste bourré, papa, sache que les trois quarts de ce que tu dis, cela est vrai.

    Mon fils, ce génie des échecs, ce beau gosse passionné et doux, dont le souffle de vie est sans égal dans l’océan gris-bleu de l’amour, mon fils, qui relève un, deux, trois défi ou d’autres encore, comme pour être numéro 1, d’accord, oui, peut-être, mais en toute humilité. Il a 16 ans. On est sérieux, un peu, beaucoup, pas du tout quand on a 16 ans. L’essentiel est là, peut-être : mon fils est occupé à croître, à murir comme un fruit d’excellence, et non sans une certaine classe, soleil pour tous, il est occupé à naître et à se surpasser.

    Je suis un joueur de poker – full aux dames par Ruy-Blas. Il y a toujours quelque chose en moi qui joue au poker, ou qui fait de l’escrime comme lorsqu’adolescent, je me battais au fleuret mouché à la caserne des pompiers du quatrième arrondissement auprès de Maître Lacroix.

    Faire mouche, ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul ?

    J’aime passionnément mon métier, celui de la presse écrite.

    J’aime aussi vivre en famille, dans mon clan, ma tribu, famille je vous aime.

    Journaliste au foyer, voilà le bon plan.

    La solitude pour mieux travailler, mais pas l’isolement. L’isolement tue.

    L’isolement tue des chômeurs, en France et dans le monde entier.

    Le chômeur passe bien souvent une journée vide de sens, puisqu’il ne sent pas utile, plus utile, alors que la notion de temps se transforme en lui et se referme parfois comme un piège sanglant. Il voudrait hurler tellement il voudrait travailler encore. Mais c’est la peur, la mort, et l’isolement, qui lui répondent. Il voudrait travailler encore mais la société ne veut plus de lui. Il faut pouvoir être fort, sur une période de longue haleine, pour supporter la longueur des journées sans travail. Beaucoup de gens disent que les chômeurs sont feignants. Pauvres gens. S’il savaient le courage qu’il faut pour revenir des journées sans travail. S’ils savaient comme c’est fatiguant comme tout de ne rien faire.

    On se sent mort, et vivant à la fois, quand on n’arrive plus à faire quoi que ce soit de ses journées tellement l’angoisse de ne rien foutre comprime la cage thoracique.

    La mort nous attend tous, au coin d’un virage, après une chute en scooter, dans un microbe, un virus, dans la vieillesse, elle est la mort à qui l’on ne peut pas dire non. Elle exige de nous, me semble t-il, et quoi de plus normal au fond, que nous nous surpassions, que nous aimions mieux et plus encore, ou alors elle nous fauche sans autre forme de procès.

    Alain Delon, merveilleux acteur incompris dans le « le passage », film réalisé en décembre 1986 par René Lalanne, frère de Francis – interprète de la chanson titre – dit au sujet de la mort :

    – Je n’ai pas peur de la mot, j’ai peur d’être malade.

    Pas mieux.

    Quand je rencontre justement un inconnu, je me dis tiens, voilà un autre mortel que moi.

    Que fait-il de sa vie ? Que va t-il en faire ?

    Yann passe me voir, en revenant du Gabon.

    Yann me dit qu’au Gabon, il est dit que :

    – Tant que la lune est au-dessus de ta tête, et que tu as les pieds dans l’eau, tu t’en sors déjà bien.

    Et la presse écrite, comment va-t-elle ? La lune en haut les pied dans l’eau ?

    Je suis un journaliste, presque heureux de l’être.

    Un journaliste de gauche – habitant l’Est parisien comme de bien entendu ?

    Je cherche l’écart critique.

    Aïe.

    Non, c’est pas vrai.

    Je me suis fait gicler du mur de Cholé Delaume – géniale écrivaine française imbibée de modernitude. À moins que peut-être.

    J’ai toujours 510 amis sur mon compte Facebook.

    Peut-on être de gauche et publier un livre à la maquette aérée comme celui-ci alors qu’il participe peut-être à la déforestation ?

    Ben non, bien sûr, ce livre là, celui que vous êtes en train de lire, est distribué numérique.

    La presse écrite, ya, oui, affirmatif, c’est une passion. Putain de crise.

    Je suis journaliste indépendant.

    Petit reporter, hein, aux ambitions solaires.

    Croyant, chrétien, aussi, surtout.

    Gnostique.

    Gnostique ?

    En 1945, on découvre en Haute Égypte, non loin de la ville de Nag Hammadi, cinquante-deux copies des anciens écrits appelés » évangiles gnostiques ». Ces écrits sont alors découverts sous la forme de 13 codex – livres manuscrits – de papyrus reliés en cuir. Ces textes, rédigés en copte – les coptes étant les chrétiens d’Égypte – ont appartenu à la bibliothèque d’un monastère. Plusieurs érudits – gnostiques – ont même déclaré que ces textes là racontent l’histoire authentique de Jésus, plutôt que celle contée dans le Nouveau Testament.

    Thé à la menthe avec Saodade.

    Saodade me dit que Jésus a dit :

    – Vous serez vraiment grands, quand vous serez petits.

    Petit, petit.

    C’est beau.

    Small is beautifull.

    Yes bien sûr, mais comment rester small ?

    L’homme est un animal qui cherche souvent à se reproduire au mieux, et agrandir son territoire.

    Oui, comment rester small ?

    Comment rester petit et partager pour de bon ?

    Même le entreprises censées s’inscrire dans l’économie du partage à petite échelle, quand elles s’appellent Hubert, Erebiandbi, ou Ibêê, se développent maintenant à l’échelle internationale quand leur charme essentiel venaient sans doute, à l’origine, de leur petite taille – David contre Goliath, on peut bien dire ce qu’on veut, c’est beau comme une fronde au soleil levant.

    Il n’y a pas d’économie de partage possible à si grande échelle, c’est un peu comme le bio. La privatisation du monde semble néanmoins annoncée sans rétropédalage. Ce que je me demande, au sujet de ce monde qui vient, c’est ce que pourrait vouloir dire « paradis fiscal » dans un monde où l’État aurait disparu.

    Disparu ? Disparaitre, réapparaître, disparaître, reparaître. Comme un enfant qui joue.

    Redevenir un enfant, oui, et jouer le grand jeu – enfin, le petit jeu.

    Je suis un ancien de crèche parentale, fier de l’être.

    La crèche parentale de la rue du Transvaal, dans le vingtième arrondissement de Paris, cette bulle passionnelle où, avec M.C., nous avons élevé nos enfants avec d’autres gens de la tribu ; eh bien elle était fort petite et belle cette crèche. Nous étions dix-sept couples avec des enfants que nous allions éduquer et instruire jusqu’à l’âge, à peu près, de trois ans. On découvrait l’enfance, on faisait bien souvent du mieux que l’on pouvait avec les enfants, les nôtres comme ceux des autres, alors même qu’évidemment, nous n’étions pas des parents parfaits. À cette époque, l’État nous subventionnait et ne se mêlait pas trop de nos affaires, pourvu que les enfants soient biens. Nous étions les premiers éducateurs de nos enfants, aidés pour cela par des éducatrices jeunes enfants et des auxiliaires puéricultrices. On découvrait nos enfants et on voulait juste pour eux des jours meilleurs. Un jour que j’étais dans la cuisine de la crèche avec mon fils, tout petit, et probablement trop inquiet pour pas grand chose, Ariane m’a dit :

    – Tu es une vraie mère juive, Benoit !

    Le genre de truc qui pourrait bien affoler Eric Zemmour.

    Dieu est juif, estimait pour sa part le bienaimé Serge Gainsbourg dans une de ses – très bonnes – chansons.

    Est-ce que je crois en Dieu ?

    Dieu ?

    Qu’il existe ou qu’il n’existe pas, la seule chose importante, c’est Dieu – a dit un rabbin.

    Ca ne fait pas l’ombre d’un doute, pour moi, et même si on ne prouvera jamais l’existence de Dieu dans un laboratoire de Boston, Paris, ou ailleurs, oui, bien sûr, c’est l’évidence à mon âme, Dieu existe. In God we trust. Dieu est le créateur de l’incommensurable beauté de l’univers. Dieu est amour. Dieu est humour. Dieu est même lent à la colère, mais s’Il se fâche attention, gare, chaud, très chaud devant.

    Qu’en pense le kabbaliste ?

    La kabbale, qu’est-ce que c’est ?

    Revenir 5000 ans en arrière de là, en Mésopotamie, c’est à dire quasiment à l’Irak actuel avant que le pays ne soit dévasté par la guerre et que l’on s’étonne qu’il soit impossible d’exporter une démocratie. L’Irak à l’époque de la révélation de la kabbale est un pays entre les fleuves où les gens vivent au plus près de la nature en révérant des esprits supérieurs, comme dans une forme d’animisme, en attribuant des forces singulières aux éléments de la nature. Parmi ces gens, aurait vécu un homme que la tradition monothéiste nomme Abraham, précisément en quête de source universelle et de lois qui régiraient la nature ; la raison de sa propre existence, la raison du monde, la raison de l’univers.

    Ce qu’Abraham est censé découvrir sera consigné bien des années plus tard dans un livre intitulé Sefer Yetsirah – livre de la Création ou de la Formation, en hébreu – dans les premiers siècles de notre ère après avoir été transmis de bouche à oreille, ou peut-être de bouche à bouche. C’est un livre qui relate et interprète la formation du monde par le prisme des lettres de l’alphabet hébraïque et leurs combinaisons. C’est le premier livre de la kabbale. Dans cet opus, des clés sont offertes pour comprendre ce que pourraient être, selon Abraham, les lois de la réalité spirituelle, la vraie nature de l’âme, notre rapport à l’infini.

    L’âme en hébreu se nomme Nechama.

    Mon âme est-elle en kabbale ?

    En cavale comme Bonnie and Clyde ?

    Elle est moi, c’est un peu ça. Nous sommes comme Bonnie and Clyde, mais dans une autre légende, une autre dimension. Nous serions comme Bony and Clyde, mais qui ne tueraient pas, après l’enfer, et les saisons mortes ; Bonnie and Clyde en phase de rédemption, qui non seulement ne tueraient pas, mais qui ne voleraient pas non plus, qui ne mentiraient pas, et qui s’aimeraient au mieux, grandement au mieux, de plus en plus fort. Bonnie and Clyde, oui, comme des guerriers pacifistes revenu de l’enfer – une éternité sans amour.

    J’ai quitté Libération il y a bien des lustres, à l’époque où Serge July en était encore le boss, bien avant que les plus grandes pointures du journal ne se demandent si elles devaient partir ou rester. J’ai aimé Libération. J’aime encore ce journal. Il m’a notamment appris à placer un point dans une phrase et à faire bon usage du mot « notamment ». J’ai toujours essayé d’écrire pour plaire à Libération. C’est idiot. Tout faire pour plaire à Libération, c’est le meilleur moyen de lui déplaire. Au fond, je crois que ce que je préfère dans ce journal, c’est la finesse de son papier et l’aberration de son titre.

    Et puis quand-même, Libération est un vrai journal, quotidien, où quelques plumes, parmi les meilleures du monde, ont dit ce qu’elles avaient à dire.

    Libération, dans les années quatre-vingts, c’était le journal de référence, le plus courageux, le mieux enflammé. Il est toujours debout, ce journal. C’est rare, un journal qui vit au plus près du désir, de la nouveauté, de la jeunesse, d’une certaine forme de rigueur, et de la passion.

    Une phrase de Jean-Paul Sartre, co-fondateur historique du journal, me revient relayée par le journaliste alors en partance Olivier Séguret dans son livre Godard vif :

    – Il n’est pas possible de se saisir soi-même comme conscience, sans penser que la vie est un jeu.

    La vie est un jeu, peut-être, mais il faut se méfier des enquêtes à poil dur. J’ai voulu comprendre la folie. Je me disais, on peut expérimenter des états modifiés de conscience, on peut enquêter là-dessus. Mais la vérité, c’est que je portais la folie en moi déjà – depuis quelques traumatismes de l’enfance. Un dérèglement de mes sens était logé depuis cette enfance au creux de mes lignes de fuite. La résilience n’était pas gagnée. Le journalisme et l’écriture m’ont aidé aussi à m’en sortir.

    Je suis devenu journaliste par passion – et gonzo par amusement ou défaut. Je me suis noyé dans le journalisme puis dans l’abcès délirant, ou peut-être était-ce l’inverse. Dégaine stupéfiante, araignées au plafond, musique à fond dans les neurones, écriture implosive et mode de vie déjanté confondus dans l’outrance et les éclairs. Le journal Libération me manque, parfois. Ce journal qui m’a initié au journalisme comme une femme de pouvoir initierait un puceau.

    J’allume mon ordi.

    Pascale S a posté sur son mur Facebook : L’ennui en ce monde, c’est que les imbéciles sont surs d’eux et les gens sensés plein de doutes – Bertrand Russel

    T’es sûre de toi ? lui demande une amie

    Pascale répond, agrémentant la citation d’un smiley :

    Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude (Nietzsche)

    Alors je lance un grain de sel :

    En même temps, Pascale, Nietzsche, bien que douteur génial, a sombré les dix dernières années de sa vie dans une forme de folie…

    Un temps, et un commentaire supplétif de ma part :

    En fait, je me suis toujours posé cette question là : Nietzsche, ma référence ultime lorsque j’avais 20 ans et quelques poussières encore, a terminé sa vie dans une forme de folie. Je ne vois pas pourquoi on devrait ignorer cet évènement lorsqu’on cherche à estimer la (pourtant grande) valeur de sa philosophie. Je crois, malheureusement, que les êtres hyper sensibles, intelligents et douteurs fragiles, sont susceptibles de devenir fou dans un monde essentiellement axé sur la matière. Heureusement que le jazz, qui sublime le doute comme personne, est là pour nous prouver le contraire. En espérant, Pascale, te voir chanter un jour.

    Pascale :

    Tu ne crois pas si bien dire, B : le 23 octobre, mon concert au Jet lag. Wish you are here.

    Léger pic d’endorphine.

    Puis Vanessa lance un grain de poivre :

    C’est le rapport au temps qui est intriguant. Je trouve qu’à 20 ans, on est blindé de certitudes et que, plus on avance, plus on doute. Si il y avait une logique ce devrait être l’inverse : nos expériences devraient nous apporter des certitudes… bref.

    Pascale répond :

    Tu as raison, Vanessa. Plus on a d’expérience de la vie, moins on a de réponses toutes faites. C’est ça qui fait la belle aventure. Sinon d’ailleurs on en aurait vite marre.

    Et puis Pascale d’estimer en général :

    Le problème des gens qui ont des certitudes (il y en a en religion, en politique ou dans les associations) c’est qu’ils s’y accrochent tellement qu’ils entendent illico apprendre aux autres comment il faut penser. C’est vraiment l’horreur, ça.

    Je suis de la génération X – génération ainsi dénommée par l’écrivain canadien Douglas Coupland lorsqu’il a publié, en 1991, un livre intitulé précisément : Génération X. Il se référait alors aux noirs, analphabètes de sa génération, qui, bien qu’intelligents, signaient leur nom d’une croix ; Ce X renvoie du même coup à une jeunesse occidentale anonyme, sans identité. Le roman de Coupland raconte ça : la vie de trois personnages âgées d’une vingtaine d’années aux prises avec un néant social qui fleure bon le Big Mac, vivant de petits boulots qu’on appelait Mc-jobs. Coupland, après Nizan, ne laisse à personne le droit de dire que 20 ans est le plus bel âge de la vie.

    Après avoir vécu la précarité à plusieurs reprises, sous différentes formes, nous allions comprendre que notre seul choix, pour vivre sans chuter, et sans rechuter, était de faire de notre précarité une force. Cette précarité ressemblerait au renard du petit prince ; un jour ou l’autre, nous l’apprivoiserions. La génération des baby-boomers, celle-là même qui a élevé ses enfants en pleine période de prospérité économique, en Occident, dans un monde au goudron vainqueur, n’est pas responsable de cette situation. Elle a cru à l’avenir du pétrole, parce que tout le monde croyait alors que la société du pétrole tiendrait la route. Ma génération X – née entre 1960 et 1980 – s’est rendue compte, comme à la fin d’un conte de fées, qu’il nous faudrait nous battre pour changer la réalité, celle des lendemains désenchantés. Nous nous sommes rebellés contre ce choc de réalité ; nous étions dans le luxe de nous permettre cette rébellion, peut-être, mais nous avons connu et pratiqué la précarité suffisamment pour comprendre que l’essentiel est bien, cher petit prince, invisible pour les yeux.

    Génération X ? Signes particuliers : les femmes de la jungle urbaine ont des salaires parfois, souvent ?, plus élevés que leurs hommes – du moins chez le bourgeois poème. Nous avons par ailleurs, et bien souvent, moins de brouzoufs que nos parents au même âge. Il nous est aussi compliqué d’évaluer un âge pour notre retraite, notamment parce que la précarité augmente, ou encore parce qu’on ne voit pas pourquoi on devrait tout arrêter du jour au lendemain si le job convient, mais aussi parce que nous sommes confrontés aux ambitions tenaces des baby-boomers justement pas pressés de prendre leur retraite – et encore qu’on se demande bien ce que peut faire Serge July à l’heure qu’il est. À priori, je ne me fais pas de souci pour lui. C’est un vrai journaliste.

    Nous sommes censément dépassés par la génération Y – née entre 1980 et 2000 – qui prendrait bien les commandes tant elle manque de reconnaissance dans le modèle de ses ainés. Nous sommes sujets aux humeurs désenchantées en mode rétro-lyrique, un peu comme Mylène Farmer dans un clip énervé ou encore le groupe Fauve – qui a d’ailleurs fait une pause définitive pour ne plus jamais sortir de l’underground et des hautes lumières.

    Nous nous considérons aussi, souvent, comme les premiers éducateurs de nos enfants, avant même les enseignants de

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