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Septembre Gong: Marginales - 244
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Livre électronique209 pages2 heures

Septembre Gong: Marginales - 244

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Découvrez un nouveau numéro en version numérique de la revue littéraire belge Marginales

Nous ne regardons plus le ciel de la même façon. Le ciel, par-dessus les toits. Qu'un avion le sillonne, il nous semble un engin de mort possible, qui choisit, délibérément, criminellement, de choir sur la ville. Si une bâtisse se hisse par-dessus les autres, nous ne la voyons plus comme un défi à l'altitude, nous ne la percevons plus comme une tentative de gratter le ciel, mais comme une cible possible, une stèle immense où un gigantesque projectile peut venir se ficher...

Et "nous", pour une fois, n'est pas une extension abusive du sujet. Ce nous a englobé, en un rien de temps, une immense part d'humanité. D'abord incrédule, puis horrifiée et fascinée, enfin hébétée et affligée. Le 11 septembre, l'histoire s'est donnée en spectacle en cassant la baraque. Elle a pulvérisé les records de recette, elle a joué à bureaux fermés. S'attachant au plus fort concentré d'opérations économiques au monde, elle a, littéralement, arrêté d'innombrables transactions. D'ailleurs, la Bourse de New York, cet organe vital de la planète, s'est, un temps interrompue, comme un coeur qui cesse de battre. Et des bureaux par milliers ont été fermés, mais à tout jamais, quand ils n'ont pas été complètement détruits, jusqu'à la dernière souris.

Des poèmes et nouvelles inspirés par la thématique du 11 septembre avec des écrivains comme Gérard Adam, Corinne Hoex ou encore Daniel Simon.

À PROPOS DE LA REVUE

Marginales est une revue belge fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social, romancier (citons notamment Simon-la-Bonté paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche (1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que Marginales se soit dès l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social, la parole d’un esprit collectif qui est le fondement de toute revue littéraire, et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
Marginales, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance en 1998 avec le n°230, sorti en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule. Marginales reprit ainsi son chemin par une publication régulière de 4 numéros par an.

LES AUTEURS

Jacques De Decker, Gérard Adam, Jean Claude Bologne, Moh Boualkitab, Éric Brogniet, Huguette de Broqueville, Jacqueline De Clercq, Didier de Lannoy, Luc Dellisse, Alain Bosquet de Thoran, Régine Detambel, Vincent Engel, Roger Foulon, Marianne Hendrickx, Alain Bosquet de Thoran, Corinne Hoex, Françoise Houdart, Claude Javeau, Philippe Jones, Françoise Lalande, Jean-Louis Lippert, Françoise Lison-Leroy, Françoise Nice, Adolphe Nysenholc, Jean-Luc Outers, Emmanuèle Sandron, André Schmitz, Liliane Schraûwen, Daniel Simon, Monique Thomassettie, Alain Bosquet de Thoran, Michel Torrekens, Patrick Virelles et Yves Wellens.
LangueFrançais
ÉditeurKer
Date de sortie22 août 2016
ISBN9770025293343
Septembre Gong: Marginales - 244

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    Aperçu du livre

    Septembre Gong - Collectif

    9782882531902.jpeg

    Éditorial

    Jacques De Decker

    Nous ne regardons plus le ciel de la même façon. Le ciel, par-dessus les toits. Qu’un avion le sillonne, il nous semble un engin de mort possible, qui choisir, délibérément, criminellement, de choir sur la ville. Si une bâtisse se hisse par-dessus les autres, nous ne la voyons plus comme un défi à l’altitude, nous ne la percevons plus comme une tentative de gratter le ciel, mais comme une cible possible, une stèle immense où un gigantesque projectile peut venir se ficher…

    Et « nous », pour une fois, n’est pas une extension abusive du sujet. Ce nous a englobé, en un rien de temps, une immense part d’humanité. D’abord incrédule, puis horrifiée et fascinée, enfin hébétée et affligée. Le 11 septembre, l’histoire s’est donnée en spectacle en cassant la baraque. Elle a pulvérisé les records de recette, elle a joué à bureaux fermés. S’attachant au plus fort concentré d’opérations économiques au monde, elle a, littéralement, arrêté d’innombrables transactions. D’ailleurs, la Bourse de New York, cet organe vital de la planète, s’est, un temps interrompue, comme un cœur qui cesse de battre. Et des bureaux par milliers ont été fermés, mais à tout jamais, quand ils n’ont pas été complètement détruits, jusqu’à la dernière souris.

    Nous étions donc des milliards aux premières loges. Cela ne s’était jamais vu. Cela ne se reverra jamais. Même si un désastre comparable se produit, il aura un relent de « déjà-vu ». On parlera de répétition, de reprise, de « remake » plus ou moins réussi. D’où l’idée que ce « double impact », pour reprendre le titre d’un film où joue Jean-Claude van Damme, le seul Bruxellois qui rivalise véritablement avec Tintin comme héros sans frontière, puisse n’être qu’un « one shot ». Parce qu’on ne pourra jamais faire mieux dans le genre, surpasser cette collection de superlatifs : la plus grande ville, ses plus hauts bâtiments, le plus célèbre ministère de la guerre au monde, celui dont l’édifice, on ne sait pourquoi, adopte la forme pentagonale, se présente comme la stylisation géométrique d’un cœur, une fois encore. La cité qui a pour slogan favori : « The biggest in the world » a fait l’objet du plus grand attentat au monde.

    Car il faut préciser le tir, si l’on peut dire, lorsque l’on use du vocabulaire. Le 11 septembre n’est pas comparable à Coventry, à Dresde ou à Hiroshima. L’agression a été fomentée par une organisation qui n’obéit pas aux règles militaires convenues, et commise par des combattants qui sortent complètement de cet ordinaire. Il ne s’agit donc pas d’un fait de guerre, du moins classique. Ou alors la guerre s’est transformée, comme les virus peuvent muter, et prendre les médecins et les chercheurs de cours. Mais ici, les armes utilisées n’ont rien de commun avec l’arsenal traditionnel. Elles sont d’une part, dérisoires, comme des cutters. Elles sont, de l’autre, devenues incommensurables : des vies humaines qui se sont immolées en sacrifice.

    Là se situe évidemment la rupture de civilisation. Une société qui engendre des kamikazes s’attaque à une société qui a désormais érigé la vie humaine en bien absolu. Une collectivité qui situe le paradis dans l’au-delà en affronte une autre qui prétend l’avoir érigé sur terre. La partie est inégale. Un passager isolé qui prend l’équipage d’un jet en otage est un forcené. Un détachement organisé qui agit de propos délibéré et avec un synchronisme parfait, c’est quoi ? Une secte ? On dira : un commando suicide. Mais avec, derrière, des centaines de milliers d’adeptes qui ne mettent pas en question une seconde leur qualité de héros et de martyr. Cela, non plus, ne s’était jamais vu, et nous questionne très profondément.

    Qu’on y consente ou non, le 11 septembre a remis nos certitudes en jeu. Et excité les spéculations. Ne fût-ce que la date même, qui semble illustrer l’image des deux tours qui s’écroulèrent ce jour-là : notre ami Roland Breucker, au fronton de ce numéro, a évidemment eu la lucidité fulgurante de nous le signaler. Comment éviter d’aller y voir au-delà des apparences, de chercher des cohérences enfouies, des logiques cachées ? Un mot lourd de sens et de connotations s’est instantanément imposé aux esprits, et a fait les titres d’innombrables journaux un peu partout, c’est celui d’apocalypse. Dans une déclaration récente, prenant la parole sur le thème de l’Europe et de la culture, Claire Lejeune nous a fait souvenir que le mot apocalypse voulait dire « révélation ». Voilà évidemment le meilleur usage que l’on puisse faire de l’événement : tenter de voir ce qu’il nous révèle, ce qu’il veut nous apprendre, de quel rêve il nous a réveillés, et à quelles réflexions il nous contraint. C’est pourquoi nous y avons vu un coup de gong, frappé un mardi de septembre 2001.

    Les textes rassemblés ici, si denses et si nombreux qu’ils ont forcément donné lieu à un numéro spécial, sont pour la plupart inspirés par l’émotion, et sont en cela littéraires. Dans la presse, le bouleversement des premières heures, des premiers jours, a fait place au compte rendu, à l’analyse, parce que le registre affectif ne peut pas persister dans la pratique de l’information. Alors que l’essentiel s’est passé là : dans la décharge, l’explosion suscitées en nous au moment de la catastrophe. Il s’agissait de porter témoignage de cela, ce que les contributions à cette livraison concrétisent. Elles constituent un ensemble qui fera date, puisqu’il est le premier écho poétique collectif à un phénomène qui s’est d’emblée inscrit parmi les jalons de l’histoire humaine. Pour le pire certainement. Pour le meilleur si l’on veut bien en entendre les résonances infinies, et les innombrables enseignements.

    Décérébration du quotidien

    ¹

    Gérard Adam

    J’entends ses baskets racler le pavement. La porte se referme. Plus personne dans la salle d’attente. Clore un instant les yeux…

    Mais peine perdue, son regard vrillé sous mes paupières.

    Hagard. Buté. Dépossédé.

    Il est rentré chez lui, des mois, des années, des siècles déjà, femme et enfants partis, envolés, disparus, pas un mot, pas une adresse, rien, le trou, noir, puis rouge, alors il frappe, il frappe, il n’a jamais su que frapper, mais plus personne pour encaisser, alors n’importe quoi, les meubles, les murs, jusqu’au sang, qu’il suce avant de se ruer dehors, apostropher les passants, les menacer du poing, rouge le poing, rouge, terrifiant, on géhèssème, pimpon, camisole, hôpital, piqûre, femme en blanc qui demande, quoi, quoi, une femme, une femme, qu’est-ce qu’une femme… ?

    — Bien sûr, Monsieur Bennasri, vous n’êtes pas en état de travailler, soignez-vous et ne vous inquiétez pas, votre dossier est en ordre, nous continuons de vous indemniser…

    Mes paroles dans un vide sidéral.

    Et les mains qui se tordent, et le tremblement des doigts, et les saccades de la tête, du torse, des épaules, violence enkystée, mal, par les neuroleptiques.

    Et ce regard surtout, ce regard, qui me rappelle…

    Mon rêve, cette nuit…

    Enfin ça commence en rêve, puis j’émerge, plonge à nouveau, refais surface, toute la nuit… Mohamed Atta, cet Égyptien de trente-trois ans, l’âge du Christ, qui a crashé le premier Boeing sur le WTC. Aussi sec dans l’au-delà et les 77 vierges promises qui l’attendent en se trémoussant, pas voilées celles-là, mais alors pas du tout, à poil comme dans les cassettes pornos qu’importent par cargaisons entières les émirs à pétrole et qui l’aidaient à se branler du temps où il étudiait à Hambourg. Il se précipite, les yeux exorbités, ces mêmes yeux que mon schizophrène, et paumes grandes ouvertes vers les lunes de leurs seins…

    Refermées sur le néant, serres d’un aigle qui a manqué sa proie. Mais les femmes, toujours, ballet, tourbillon, chevelures en marée, tailles de lianes, pubis foisonnants, pulpe des hanches… Il repart à l’assaut, glaive érigé… Le vide !

    Et ces rires, ces brocards, ces quolibets…

    Il tombe à genoux, bascule, s’effondre, se recroqueville, contenir l’expansion du désir, la souffrance du désir…

    Un homme l’apostrophe avec un fort accent yankee.

    — Hello ! Je suis ton mentor dans l’en deçà ! Si tu as des questions profites-en, parce que je n’en ai plus pour une éternité !

    — Pourquoi ? Mais pourquoi mes promises se refusent-elles ? N’ai-je pas mérité le Paradis d’Allah, sacrifié ma vie pour combattre les infidèles ?

    — Mais parce qu’elles n’existent pas, tes promises, pas plus que ton Paradis, ton Allah, tous les dieux que s’inventent les hommes ! Elles sont rémanence de tes illusions, qui s’accrochent à ta conscience et l’empêchent de se refondre à l’océan des possibles. Elles te feront souffrir d’autant plus que tu les auras nourries au lieu de les combattre, qu’elles auront obnubilé ta vie, l’auront détournée de son cours. C’est seulement après leur dissolution que tu pourras toi-même retourner au néant comme je vais le faire, à présent qu’enfin mes propres illusions se sont dissoutes.

    — Mais qui es-tu, et de quelles illusions parles-tu ?

    — Là-bas, ils m’appelaient Tibbets, et comme toi j’étais pilote. Aux commandes de mon B-29, le 6 août 1945, j’ai lâché sur Hiroshima une bombe qui a fait cent quarante mille victimes innocentes, du moins aussi innocentes que ne l’étaient les six mille tiennes, c’est-à-dire coupables d’aveuglement et de lâcheté comme la plupart des humains. Quant à mes propres illusions, j’en ai tout oublié. Je sais seulement qu’elles m’ont torturé moins longtemps que ne le feront les tiennes, parce que, de ce qu’il m’est resté à survivre, je n’ai cessé d’expier mon acte…

    Déchirure du réveil, tâtonner, merde mes lunettes, sur le tapis heureusement, la journée qui commence au radar, attendre le tram sous le crachin, paperasses courtelinesques, sandwich et verre d’eau sans même lever la tête, puis recrachin jusqu’au métro, et cette consultation de médecin-conseil dans une mutuelle, pesante, particulièrement pesante aujourd’hui.

    Bon, inscrire les absents, ranger les dossiers. Seize heures, et cinquante minutes avant d’être chez moi, d’encore me coltiner les rapports des invalides, une vraie litanie, j’en ai jusqu’aux infos, quelques bombes sur les talibans, un kamikaze du Hamas, deux ou trois Palestiniens liquidés par Tsahal, après ça lessivé je serai, pas encore ce soir que je m’attellerai à mon texte pour Marginales. D’ailleurs, que raconter sur l’après-11 septembre, tellement flou, enchevêtré, tant d’éléments nous font défaut, ça plane à des années-lumière au-dessus de ma petite cervelle, rien à fantasmer sur la barbe de Ben Laden, je suis écrivain de témoignage, moi, ni théoricien ni adepte de la Nouvelle Fiction…

    Relire le récapitulatif avant de le signer. Pas à dire, c’était gratiné ! Fatima, cinq moutards, cent vingt kilos pour un mètre soixante, un an comme nettoyeuse, puis chômage dès la première grossesse, jamais recherché de boulot, va se faire virer, alors rentre un certificat, forcément un début de diabète, et la thyroïde ne suit plus, et la colonne demande grâce, mais comment lui faire comprendre qu’elle n’a rien de grave, que je peux lui accorder un délai mais qu’elle doit se prendre en mains, régime, exercice, parce qu’à trente-sept ans, même si elle en paraît cinquante, je ne pourrai pas la garder jusqu’à la pension. Indignée, moi mâlâd’, moi mâlâd’… La maladie, ça vous tombe dessus, on n’y peut mais, aux toubibs de la guérir mais qu’on ne compte pas sur elle pour lever le petit doigt ! L’impuissance m’envahit. Allez, je me secoue. Lui fait suite Samira, employée, vingt-deux ans, premier bébé, va trouver un docteur-certificat pour qu’il prolonge son congé de maternité, accouchement normal, pas l’ombre d’une pathologie, l’enfant se porte comme un charme, elle allaite, veut prolonger la symbiose, alors elle s’invente une déprimette ; d’habitude ça se passe bien, je montre que je ne suis pas dupe mais je reste cool, risette au poupon, elle a gagné trois semaines en attendant le contrôle, faut bien reprendre un jour, si elle en rajoute elle se fera virer à la première restructuration, ça va, je laisse une semaine de rabiot et on se quitte bons copains. Mais Samira ne l’entend pas de cette oreille, mince de furie, si je ne la crois pas c’est qu’elle est Arabe et moi raciste, pas question de reprendre le travail, elle va se plaindre au syndicat, allaiter son enfant c’est sa culture à elle, pas à moi d’en juger… Pour ne pas disjoncter je rétorque mentalement que la solidarité sociale par contre c’est ma culture à moi, que dans un état de droit elle est définie par des lois qui s’appliquent à tous, que c’est un peu facile de jouer sur les deux tableaux, qu’on m’a confié la responsabilité d’en juger, que je le fais avec un maximum d’indulgence mais qu’il y a des limites, que si on abuse de la sécu elle va se casser la gueule et bonjour les dégâts… Mais surtout n’en rien montrer, archi-poli, à peine glacial, j’enverrai le document de reprise par recommandé, j’en serai quitte pour un tribunal du travail, encore une heure de paperasses, et même si le juge me donne raison la mutuelle payera la procédure… Elle sort en prenant la salle d’attente à témoin. Bon, relax, un verre d’eau avant le suivant. Nordine, le suivant, qui disjoncte après une banale collision, pas de choc violent, quelques jours de repos et il ne devrait plus y paraître, mais voilà ça dérape, la tête qui chauffe et tourne, examens bien sûr négatifs, à l’hôpital on lui dit qu’il n’a rien, pour le rassurer croit-on mais il prend ça pour une insulte, rien quand il ne se reconnaît plus, comme si un autre avait pris possession de son corps,

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