Le rendez-vous de Bethléem: Marginales - 246
Par Collectif
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À propos de ce livre électronique
Le scandale, durant les semaines d'affrontement autour de la Basilique de la Nativité, était partout. Et d'abord dans les coeurs et les mémoires. Quelque chose survenait qui ne pouvait pas se limiter à la banalité terne et révoltante des images d'actualité. On ne regardait pas les écrans broyeurs du quotidien sans une douloureuse incrédulité, on n'écoutait pas les commentaires vidés de tout sens sans une déprimante consternation. Mais qu'aurait-on dû montrer au lieu de ces plans insipides qui semblaient prélevés dans des stocks d'archives glanés n'importe où ? Que pouvait-on proférer d'autre que les propos nivelants qui ramenaient l'inconcevable au niveau du fait divers ordinaire ? Là, pour le coup, l'universel reportage avouait des carences, exhibait des insuffisances criantes. Il s'agissait d'autre chose que de manoeuvres de chars dans une ruelle de Bethléem, localité de Cisjordanie (24 000 habitants), occupée par Israël depuis le Guerre de Six Jours. Mais de quoi s'agissait-il exactement ? Tenter de le dire, c'était brasser des millénaires d'humanité, convoquer une kyrielle de légendes, passer en revue quelques visions du monde, invoquer Dieu dans tous ses états.
Des poèmes et nouvelles inspirés par la thématique d'Israël avec des écrivains comme Vincent Engel, Françoise Houdart ou encore Jean-Luc Outers.
À PROPOS DE LA REVUE
Marginales est une revue belge fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social, romancier (citons notamment Simon-la-Bonté paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche (1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que Marginales se soit dès l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social, la parole d’un esprit collectif qui est le fondement de toute revue littéraire, et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
Marginales, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance en 1998 avec le n°230, sorti en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule. Marginales reprit ainsi son chemin par une publication régulière de 4 numéros par an.
LES AUTEURS
Jacques De Decker, Jacques Sojcher, Vincent Engel, Tahar Bekri, Ha-Lekhem Ha-Adom, Jack Keguenne, Anne-Marie La Fère, Alain Suied, Daniel Simon, Alain Sancerni, Kenan Görgün, Françoise Houdart, Roger Foulon, Éric Brogniet, Huguette de Broqueville, Adolphe Nysenholc, Philippe Jones, Chantal Boedts, Jacques Lefèbvre, Mohamed Hmoudane, Véronique Bergen, Claude Javeau, Otto Ganz, Françoise Nice, Jalel El Gharbi, Yves Wellens, Jean-Luc Outers, Alain Berenboom, Jean Jauniaux et Herman Portocarero.
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Avis sur Le rendez-vous de Bethléem
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Aperçu du livre
Le rendez-vous de Bethléem - Collectif
Éditorial
Jacques De Decker
La pierre d’achoppement, c’est-à-dire le scandale, puisqu’il s’agit de la même chose. Pour intituler une de ses pièces, qui pourtant ne portait pas sur le thème de ce numéro, connu de lui cependant comme de personne, René Kalisky choisit « Skandalon », le mot grec qui désigne l’obstacle sur lequel l’homme trébuche et manque de s’effondrer. Peut-être avait-il en tête cette idée fixe qui ne le quitta jamais, et à laquelle il consacra ce livre inclassable qu’il appela « L’impossible royaume » : sous une forme qui tenait à la fois du roman et de l’essai, il posait la question de la légitimité de l’État d’Israël. En prenant le risque de l’immanence, ses fondateurs ne s’exposaient-ils pas surtout à la trahison de leurs idéaux ? Une terre promise se protège-t-elle de barbelés, s’arme-t-elle jusqu’aux dents, se refuse-t-elle au partage ? Vingt ans après sa mort, René Kalisky nous manque plus que jamais. Il aurait été, sans doute, le premier à vouloir être à bord de ce frêle esquif de textes face à l’histoire déferlante.
Le scandale, durant les semaines d’affrontement autour de la Basilique de la Nativité, était partout. Et d’abord dans les cœurs et les mémoires. Quelque chose survenait qui ne pouvait pas se limiter à la banalité terne et révoltante des images d’actualité. On ne regardait pas les écrans broyeurs du quotidien sans une douloureuse incrédulité, on n’écoutait pas les commentaires vidés de tout sens sans une déprimante consternation. Mais qu’aurait-on dû montrer au lieu de ces plans insipides qui semblaient prélevés dans des stocks d’archives glanés n’importe où ? Que pouvait-on proférer d’autre que les propos nivelants qui ramenaient l’inconcevable au niveau du fait divers ordinaire ? Là, pour le coup, l’universel reportage avouait des carences, exhibait des insuffisances criantes. Il s’agissait d’autre chose que de manœuvres de chars dans une ruelle de Bethléem, localité de Cisjordanie (24 000 habitants), occupée par Israël depuis le Guerre de Six Jours. Mais de quoi s’agissait-il exactement ? Tenter de le dire, c’était brasser des millénaires d’humanité, convoquer une kyrielle de légendes, passer en revue quelques visions du monde, invoquer Dieu dans tous ses états.
C’est sur ce point, évidemment que l’événement s’est le plus fracassé sur le mur non pas des lamentations, mais du non-dit. C’est que « l’idée de Dieu », comme l’écrit Daniel Sibony dans son remarquable « Nom de Dieu » (Seuil, 2000), « dans l’étroit monothéisme, est une bombe à retardement ». On ne peut que se dire, à l’énoncé de ce paradoxe, que Roland Breucker, dessinant notre vignette de couverture, tout provocateur qu’il soit, a de nouveau mis dans le mille en présentant des Rois Mages porteurs d’engins explosifs. Mais de quel retardement parle-t-on ? L’histoire est-elle vraiment ce vecteur univoque sur lequel chacun devrait s’aligner comme sur le méridien de Greenwich ? Si la mondialisation achoppe sur quelque chose, c’est bien sur l’impossible synchronisation des mentalités et des cultures. Tout serait simple si tout le monde pensait, rêvait, désirait, honorait, célébrait, vengeait selon le même calendrier.
Dans un essai qui fit lui aussi scandale lors de sa première parution dans le magazine Spiegel en 1993 et repris dans le volume « Le soulèvement contre le monde secondaire » (L’Arche, 1996), Bortho Strauss écrit : « Quelle que soit la valeur que nous lui accordons, il sera difficile de combattre le fait que les vieilles choses n’ont pas simplement fini leur vie, ne sont pas mortes ; l’être humain, aussi bien comme individu que comme ressortissant d’un peuple, ne date pas simplement d’aujourd’hui. » Il est inquiétant qu’une voix doive s’élever pour émettre une évidence pareille. Dans quel délire vivons-nous, où l’on doive rappeler que le temps n’est pas le même pour tous et que forcer son emploi à autrui est aussi grave que s’imposer sur son territoire ?
Le rendez-vous de Bethléem nous a bouleversés parce qu’il semblait passer outre à une série de tabous si tranquillement lovés en nous que nous n’imaginions même plus que nous les abritions. C’est ainsi que, à une époque de démystification générale, le sacré perdure : clandestinement.
Et puis, soudain, brutalement, comme le refoulé s’y entend, il remonte à la surface, et bouscule tant et plus. C’est ce qui s’est produit, durant ces semaines où tout était à craindre, même le pire. La voix de la raison a fini par l’emporter, mais on sait ce que valent les cessez-le-feu qui ne s’accompagnent pas d’un protocole crédible.
Les textes ici rassemblés n’en tiennent pas lieu. Mais ils osent poser les questions insupportables, ne font pas l’économie de la complexité et accordent leur place à la passion, à l’imaginaire, aux mythes, d’où qu’ils soient originaires. Ils rompent résolument avec la prudence du consensus, inatteignable en l’occurrence. Ils passent aussi par l’émotion, par l’intuition, par l’humour, vertus qui toutes ont tragiquement manqué durant ces journées. Marginales devait être à ce rendez-vous, même si le danger de s’y enliser était réel. Il ne semble pas que ce soit le cas. À première vue, du moins. La seule dont nous disposions. Mais au moins ne pourra-t-on pas nous reprocher de n’avoir pas pris un peu de hauteur. Et puis, de toute façon, le débat est ouvert. Si le verbe et ses échanges pouvaient l’emporter sur la meurtrissure des chairs, ce serait la seule bonne nouvelle qui vaille.
Le double si
Jacques Sojcher
Si tu ne croyais plus que les martyrs vont tout droit au paradis, où les attendent des vierges pour les récompenser, si tu ne te berçais plus d’illusion du retour de tous tes frères dans les villages et dans les villes de tes pères et de tes grands-pères de l’actuel Israël (le jour de son indépendance est pour toi encore le jour de la grande catastrophe), si tu ne vouais pas dans ton cœur l’état sioniste, impérialiste, colonialiste à la destruction, si l’antisémitisme (que tu apprends dans les écoles, dans les mosquées, dans la rue) n’était pas généré par ton ressentiment, par la haine (que je comprends si bien)…
Si de ton côté, toi qui es né en Israël, qui est ta patrie, tu ne pensais pas que le droit au retour, que ton pays accorde à tous les Juifs dans le monde, ne vaut que pour tes frères de la diaspora et pas pour tes cousins, les Palestiniens, qui ont été chassés par tes pères et grands-pères de leur terre et qui ont eux aussi le droit au retour (assorti sans doute de clauses réalistes, sans lesquelles ton pays deviendrait binational et cesserait bientôt d’exister), si tu cessais d’invoquer la Shoah, les six millions de Juifs anéantis, de t’octroyer le statut privilégié de victime, le droit inconditionnel de légitime défense contre l’agression des Palestiniens terroristes qui voudraient tous ta disparition (même si beaucoup le veulent), si tu abandonnais tes colonies de peuplement, la destruction systématique de l’Autorité palestinienne (justifiée au nom de la poursuite de terroristes nichés dans les bureaux mêmes d’Arafat ou dans l’église de la nativité à Bethléem), si tu n’oubliais pas que tu es l’occupant et que la vie à Gaia n’est pas la même que la vie à Tel-Aviv ou à Natanya…
Si vous proposiez l’un et l’autre l’abandon respectif de vos mythes, du refus de l’autre (si souvent proche du racisme ou de l’antisémitisme), si vous vous reconnaissiez l’un et l’autre comme citoyen d’un état légitime – double reconnaissance politique, juridique, symbolique et morale –, si vous vouliez enfin l’un et l’autre, sans arrière-pensées, la paix maintenant au lieu de la surenchère terroriste et guerrière, les kamikazes – les chars et les missiles avec leurs « dégâts collatéraux », si vous laissiez tomber tous les deux tous vos griefs (légitimes) d’hier et d’aujourd’hui, si vous vous essayiez de dire, malgré tout, maintenant, chalom shalam, si vous tendiez la main à nouveau comme à Oslo, comme à Washington, si Sharon devenait Rabin et Arafat le Sadate palestinien – eux ou d’autres, mais Israël et la Palestine, l’unique paix des braves, des Justes…
Ce serait là le rendez-vous de Bethléem, symbole d’espérance en l’Homme que l’on soit ou non chrétien, symbole d’amour entre tous les hommes quelle que soit leur ethnie, leur idéologie, et surtout leur contentieux, leur réserve de refus, de méfiance et de haine.
Ce rêve peut devenir réalité… à force de réalisme et de foi en les hommes – le Juif, le Palestinien et les autres, tous les autres…
Et Moshe se leva
Vincent Engel
Alors, au premier jour, Dieu retroussa les manches. Assez dormi. Il y aurait deux temps dans l’éternité : avant, et le sommeil divin aussi insondable que celui qui précède la naissance de nos semblables ; après, et sa sieste, bénie soit-elle, qui permit aux hommes d’explorer toutes les variations du bien et du mal. Entre les deux, quelques jours de travail. Le plafond, le plancher, les murs et leur décoration ; la valetaille, la cour (haute et basse), le garde-manger (pour végétariens et carnassiers), les loisirs (Eden-Park, centre de repos pour grabataires repus ; It’s-a-small-small-World et ses attractions « Survival on Planet Earth » et « Success Stories », les livres dont on n’est jamais le héros). Quand on pense que le responsable de ce bâclage a obtenu un tel triomphe, qu’il se fait encore aduler aujourd’hui, on reste perplexe. De deux choses l’une : ou tous les espoirs sont permis et les politiciens y trouvent la justification de toutes leurs dérives ; ou c’est le désespoir assuré pour les artisans et les amoureux de la belle ouvrage. D’ailleurs, je me trompe : ce n’est pas une alternative, les deux constats sont complémentaires. La bouteille à moitié pleine pourvoit à l’ivresse des ambitieux, le flacon à moitié vide noie le chagrin des autres. Amen.
Enfin, ce que je dis… Dieu, par exemple, s’en soucie fort peu. Voire pas du tout. C’est l’évidence. Quand je parle de sieste, il faudrait préciser : sommeil d’abruti aviné. Le gars serein : il a foutu le bordel de Sodome et après lui le déluge. Il n’a même pas été capable de s’occuper de l’après-vente. Un artiste, une kyrielle d’imprésarios et l’incessante tournée mondiale d’un one-God-show qui brille sous les sunlights de son absence.
Mais je m’emballe. Je dois me contrôler. Ça ne m’apporte que des ennuis, parler de la sorte. Qui suis-je, d’ailleurs ? Un moins que rien qui a mangé les mots de tous les livres et les régurgite n’importe comment. Dont les pensées divaguent. Je le sais, je suis lucide. On peut me faire des reproches, mais pas celui d’être aveugle sur mon compte. Moshe, tais-toi ; c’est ce que je me répète souvent. De toute manière, personne ne t’écoute, ni Dieu ni les prêtres, de quelque secte qu’ils soient. Je recommence : j’ai dit « secte ». Pas prudent. Les religions officielles n’entendent pas être mélangées avec les start-up de la foi et de l’abrutissement. Lorsqu’une imposture a réussi, elle devient une vérité. Et dans ce domaine, une vérité qui détient la seule vérité. Inch Allah. Prêtres de tous les dogmes, tendez-vous le poing. Ça suffit, Moshe. Bois un verre. Lachaïm. À la vie. La tienne. Qu’on la laisse tranquillement couler jusqu’à la mer morte. Jusqu’à l’amère mort. Vas-y, fais des jeux de mots. Pour autant que cela ne veuille rien signifier, personne ne te le reprochera. Un peu de poésie, pourquoi pas. Mais pas de théologie. Pas de politique.