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Visions: Recueil de nouvelles dystopiques
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Visions: Recueil de nouvelles dystopiques
Livre électronique164 pages2 heures

Visions: Recueil de nouvelles dystopiques

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À propos de ce livre électronique

Huit nouvelles, huit pays, huit obsessions qui racontent notre rapport à l'autre, au pouvoir, à nous-mêmes.

La vie telle que vous la connaissez n'existe plus. Il y a plusieurs décennies, une série de catastrophes écologiques et économiques a ouvert la porte à des mouvements de population sans précédent, confrontant brutalement le monde à de violents combats, à des conflits culturels sans fin et à la chute des structures politiques et sociales ancestrales.

Privés de leurs patries, les citoyens de la planète s'unissent dorénavant autour d'idéologies communes et rassurantes, dessinant des frontières plus imperméables que jamais. Embarquez pour un voyage dans un univers tout juste sorti du chaos... armé de slogans passionnels et d'indignations narcissiques.
LangueFrançais
Date de sortie9 juin 2023
ISBN9782322509102
Visions: Recueil de nouvelles dystopiques
Auteur

Virginie Dubois

L'auteure, autrice, auteur ou ce qu'il vous plaira, mais aussi traductrice, rédactrice et prof à ses heures perdues, aime jouer avec les mots, les sons, les situations. L'imagination chevillée au corps, elle livre des textes singuliers, terriblement ancrés dans la réalité.

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    Aperçu du livre

    Visions - Virginie Dubois

    Toute l'histoire du contrôle sur le

    peuple se résume à cela : isoler les

    gens les uns des autres, parce que si

    on peut les maintenir isolés assez

    longtemps, on peut leur faire croire

    n'importe quoi.

    Noam Chomsky

    (Comprendre le pouvoir)

    Contrairement aux apparences, ce

    ne sont pas les croyances qui

    justifient les rites, ce sont les rites qui

    font naître les croyances.

    Guillaume Erner

    (La société des victimes)

    Lorsque tout le monde s'agglutine

    autour d'une même opinion, je

    m'enfuis : la vérité est sûrement

    ailleurs.

    Ami Maalouf

    (Léon l’Africain)

    Sommaire

    Préface

    Agora

    sirÉ

    Calypso

    Déméos

    Hestia

    Gaya

    Vétaris

    Éra

    Préface

    Les textes du présent recueil témoignent des idéologies prédominantes au cours de la première période communautaire, qui fait suite à un évènement appelé Grand Effondrement, survenu de manière brutale environ quatre siècles avant notre ère. Pour remettre les éléments dans leur contexte, il semblerait que la réunion de facteurs météorologiques et culturels, associés à une très forte surpopulation et à une surutilisation des ressources, ait conduit à d’importants mouvements démographiques, bouleversant totalement l’équilibre géopolitique. Les famines et les conflits culturels qui s’en sont suivis ont déclenché une guerre généralisée ne pouvant trouver de résolution dans l’idéologie nationaliste qui prédominait au cours de l’ère précédente, notamment en raison de la disparition de ce que l’on appelait communément « frontières ».

    Près de 40 % de la population mondiale a disparu pendant cette période trouble, et le traumatisme social a profondément modifié l’organisation de l’ensemble de la planète. C’est ainsi que l’idéologie nationaliste a fait subitement place à l’idéologie communautariste : les populations, privées de leurs repères frontaliers, ont décidé de se réorganiser en communautés d’idées afin de mettre fin aux conflits.

    Le Comité de recherches historiques a sélectionné un ensemble de récits permettant de mieux cerner les principales cultures de cette ère. Il a toutefois été décidé de conserver un texte supplémentaire datant sans aucun doute possible de la première période communautaire, mais n’ayant pu être attribué avec certitude à aucun des territoires connus. Si certains éléments peuvent faire penser que le rédacteur était un citoyen d’Era, d’Agora ou encore de Calypso, en raison des critères physiques prédominants dans ces régions, certains historiens veulent y voir le signe de l’existence d’une contrée mythique pouvant rappeler la célèbre Atlantis de la précédente civilisation. Aucun fait tangible ne confirmant l’existence de cette légende, le Comité de recherches historiques préfère ne pas commenter plus avant ces conjectures et livrer le texte tel qu’il a été découvert. Quelle que soit son origine, il semble en effet refléter avec un recul inhabituel l’enfermement identitaire qui prévalait à cette époque et contre lequel quelques voix encore timides et étouffées se faisaient déjà entendre.

    Je ne suis pas une femme blanche de petite taille. Ces mots perçus au premier regard ne valent pas mieux qu’une étiquette de supermarché prétendant décrire toute l’étendue des gouts, des textures et des mille et une manières de les savourer. N’en déplaise aux égos de la société d’antan et d’aujourd’hui, je suis peut-être née femme, mais je ne le suis jamais devenu. Je suis un être humain, au même titre que n’importe qui d’autre, je me suis toujours sentie Homme, quel que soit le nom qu’on lui donne.

    Je ne suis pas une femme blanche de petite taille. Si mes traits rougis ont pu être enviés, ils ont aussi été raillés, méprisés, jugés, évalués. Certainement moins que beaucoup d’autres, mais tout de même plus que ce que quiconque devrait avoir à accepter sans ciller. Ils ne m’ont pas rendue aveugle, cupide ou assoiffée de pouvoir. Ils ne m’ont privée ni du désir ni du besoin, pas plus que n’importe qui d’autre dans cette contrée florissante.

    Je ne suis pas une femme blanche de petite taille. Malgré les efforts que l’on a pu y mettre, je n’ai jamais eu à courber la tête. Aux artifices, j’ai préféré les mots, à la peur, le temps. Je n’ai pas laissé ce monde de miroirs m’envahir de son reflet, ou peut-être juste un peu moins que d’autres.

    Je ne suis pas une femme blanche de petite taille. Je suis ce que j’ai fait de moi à la force du temps, et non ce que les yeux me voient en l’espace d’un instant. Je suis ma persévérance, mon gout de l’aventure, ma solidarité et ma soif de l’autre. Je suis mon envie de faire plus, de faire mieux, et la force que j’y consacre chaque jour. Je suis aussi mes peurs, mes angoisses, mes cris et mes milliers de mots pour les faire taire.

    En dépit de tout le bien que l’on se donne à s’abréger un peu plus à chaque instant, à se contorsionner dans de petites boites parfaitement monochromes, pièces mécaniques d’un jeu dont on ne veut rien voir, comme n’importe qui d’autre, je reste un monde qui ne peut se résumer à quelques mots.

    Ce texte, à l’instar des récits qui vont suivre, peut être difficile à comprendre aujourd’hui tant notre civilisation est éloignée des évènements et des coutumes de cette époque. Pour mieux vous aider à vous représenter la réalité socioculturelle de la première période communautaire, parfois appelée « Nouvelle Ère », imaginez donc qu’en un instant, dans un contexte instable, d’une violence inouïe, où la loi de la jungle semblait régner en tout lieu, on vous demande subitement de choisir votre camp. Femmes, hommes, protecteurs de la nature, croyants, idolâtres de la beauté ou de la morale populaire, tous se sont tournés vers les valeurs ou les personnes qui les rassuraient, qui leur ressemblaient, avec le même élan irrationnel que leurs ancêtres pour la terre sur laquelle ils étaient nés.

    Quelques décennies après le Grand Effondrement, date à laquelle sont estimés appartenir les textes de cette collection, la peur semble apporter une certaine stabilité au nouveau système mondial, et les différentes communautés, luttant pour maintenir la paix et l’équilibre au sein de leurs frontières, ont encore peu de relations entre elles. La répartition des pouvoirs ainsi que les relations de domination et d’exploitation semblent quant à elles largement héritées des structures sociales de la période ayant directement précédé le Grand Effondrement.

    Agora

    1

    À mon pote de toujours, à ton fils, pour que ton

    histoire ne tombe pas dans l’oubli avec tout le reste.

    Ethan était du genre discret. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais vraiment content… ni vraiment triste non plus. C’était aussi le type le plus routinier que j’ai jamais connu. Un mardi, alors qu’il se rendait comme d’habitude à la Mediagora pour lire le journal et faire Dieu sait quoi qu’Ethan pouvait faire pendant des heures à regarder dans le vide, il a aperçu une femme qui ne collait pas du tout dans le paysage. Ça a tout de suite attiré son attention. Il connaissait les rouages du pays comme personne, et une déplacée, sur un banc, en plein milieu de la Mediagora, en pleine journée, un mardi, c’était assez inhabituel pour le sortir de sa torpeur quotidienne.

    Je suppose que tu as déjà remarqué comme les gens peuvent éviter un problème tout entier, et le monde peut-être avec, en détournant simplement les yeux vers ce qu’ils maitrisent. Mais pas Ethan. Il regardait tout et, en quelque sorte, il ne voyait rien. Il ne se doutait même pas de l’existence des cachettes secrètes avant de la rencontrer. Franchement ! Qui n’est jamais allé dans une remise sordide pour s’envoyer en l’air ou se faire un petit trip ? J’avoue que je n’ai jamais compris comment il arrivait à faire ça, tout regarder sans jamais rien avoir l’air de voir, mais au moins, Jessica, il ne l’a pas loupée.

    Elle lisait tranquillement sur un banc. Une belle jeune femme à la peau trop sombre pour ne pas surprendre au milieu de la Mediagora blanche. Bien sûr, on voyait parfois des déplacés, mais ils étaient déjà rares à l’époque et concernaient des inadéquations bien plus faciles à cacher. Même si l’Agora préfère généralement l’éducation ou la chirurgie au déplacement, en cherchant bien, je suis sûr qu’on peut encore trouver des femmes-nées non opérées dans notre Gendagora masculine, mais personne ne les remarque. L’invisible ne choque pas les communautés, et s’il n’y a pas de conflit, il n’y a pas de problème.

    Pour Jessica, c’était différent. Avec son teint mat et ses cheveux crépus, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle passait difficilement inaperçue. En plus, elle était belle ! Je crois qu’Ethan est tombé amoureux sur-le-champ. En tout cas, sa vie n’a plus jamais été la même.

    La lettre s’arrêtait là. Machinalement, il tourna la dernière page et y découvrit un dessin. Une urne qu’il connaissait bien, c’était celle que Rye avait lui-même choisie pour y « enterrer ses cendres » comme il disait. Elles devaient y être déposées deux jours plus tard. S’il ne se dépêchait pas, quelqu’un trouverait certainement la suite de cette histoire avant lui, enfin, si ce n’était pas juste une blague de mauvais gout.

    Il enfila son manteau par-dessus son pyjama et parcourut les quelques pâtés de maisons qui le séparaient de l’appartement de Rye. Il avait encore les clés. C’est là qu’il s’était installé à sa sortie du Centre éducatif, le temps de faire sa place dans l’Agora. Il connaissait parfaitement les lieux. Il se faufila dans le salon plongé dans la pénombre, glissa sa main à l’intérieur de l’urne qui brillait sur le haut de la massive cheminée de pierre et en retira une enveloppe, identique à celle qu’il avait trouvée le matin même dans la poche du costume qu’il porterait pour les funérailles. Il la récupéra et fila dans la petite chambre du fond, celle qui n’avait pas de fenêtre et dans laquelle il avait passé près d’un an avant de déménager à quelques rues de là. Il crut presque entendre les éternelles pitreries de Rye qui tentait sans relâche de pimenter de joie la grisaille quotidienne et le caractère taciturne de l’adolescent. Il alluma la lampe de chevet. La pièce était vide. La poussière emplissait l’espace et dansait autour du vieil abat-jour orangé à franges ; cela devait faire bien longtemps que personne n’y avait mis les pieds. Ici, nul ne le remarquerait. Il ouvrit l’enveloppe.

    2

    Je me souviens encore m’être écorché la paume de la main sur les pierres de la cheminée pour m’assurer que je ne rêvais pas. Ethan était entré en trombe, sans prévenir, et tournait comme un lion en cage dans le salon. J’étais persuadé qu’il était arrivé un drame. Tu ne te rappelles peut-être pas très bien, mais Ethan ne s’énervait jamais, il était toujours si calme. Quand j’ai compris que tout ce cirque était pour une femme qui lui avait tapé dans l’œil, j’ai éclaté de rire. Tu aurais dû voir sa tête, je ne l’avais jamais vu aussi rouge. Il l’a tellement mal pris que j’ai cru qu’il allait jeter le vase de mon oncle par terre, et ses cendres avec ! Il l’avait entre les mains, il m’a regardé, et il s’est mis à rire lui aussi. Après ça, il m’a tout raconté. Enfin, le peu qu’il savait de son étrange Dulcinée.

    Ethan l’avait aperçue au printemps, en tout cas, c’est à ce moment-là qu’il avait débarqué chez moi. Le connaissant, ça faisait peut-être des mois qu’il se torturait les méninges pour trouver une manière de l’aborder. Déjà qu’il s’y prenait comme un manche ou qu’il ne s’y prenait pas du tout quand elles avaient leur diode de socialisation allumée… Même avec les rencontres arrangées par une application, c’était une catastrophe ! Ethan, il était plutôt du genre à laisser les autres s’approcher, et c’était mieux comme ça, crois-moi ! Mais Jessica, il ne la croisait sur aucune appli, aucun forum. Un vrai brin d’herbe dans une botte de foin. Il avait besoin d’un plan. Le mien n’allait pas beaucoup plus loin qu’un simple « Salut, tu lis quoi ? », mais il allait falloir une stratégie avec au moins dix coups d’avance pour Ethan.

    La semaine suivante, il passait tous les soirs chez moi après le travail. Il ne faisait que des conneries au Centre d’attribution des ressources. J’essayais de rattraper ce que je pouvais, mais j’aurais bien aimé voir la tête de certains destinataires des colis qu’on a envoyés à cette époque-là. Un jour, je lui ai évité de justesse de livrer un sextoy à un religieux à la place d’un jouet pour son chien. Pas sûr que le vieux aurait fait la différence, peut-être même qu’il aurait apprécié. Qui sait ? Mais ça aurait aussi pu sérieusement limiter nos opportunités de carrière et tout ce qui va avec.

    Au niveau hiérarchique où on se trouvait dans nos jeunes années, ce genre de bourdes pouvaient passer inaperçues. Les huiles n’avaient pas que ça à foutre d’analyser les erreurs d’allocation des biens de catégorie D. En tout cas, personne n’a eu l’air de les remarquer à part moi. Cela dit, je n’avais pas l’intention de stagner à cet échelon toute ma vie !

    Ethan, lui, il ne pensait qu’à la scène qu’il aurait à jouer le mardi suivant, lorsqu’il devrait interrompre sa Dulcinée dans sa lecture. Il essayait d’anticiper tout ce qu’elle pourrait dire, et on répétait les

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