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Une CIVILISATION DE FEU
Une CIVILISATION DE FEU
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Livre électronique174 pages1 heure

Une CIVILISATION DE FEU

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À propos de ce livre électronique

Face à l’urgence climatique, à la montée des extrêmes, au mythe du pétrole et aux crispations identitaires, Dalie Giroux dit la faillite d’un ordre mondial déconnecté et les luttes qui esquissent des voix de résistance pour demain. Écrit magistralement, à la manière d'un pamphlet, ce livre incendiaire fait entendre les voix et les colères. l'autrice y va librement, par fragments, d'un bout à l'autre, peut-être qu'il a fallu un langage nouveau pour nommer et rendre compte des crises que vit le monde.
LangueFrançais
Date de sortie31 mai 2023
ISBN9782897129095
Une CIVILISATION DE FEU
Auteur

Dalie Giroux

Dalie Giroux est essayiste. Elle renouvelle la tradition pamphlétaire québécoise. Elle enseigne les théories politiques et féministes à l’Université d’Ottawa. Elle a remporté de les prix Victor-Barbeau 2021, Spirale Eva Le-Grand 2020-2021. Elle a publié chez Mémoire d’encrier Parler en Amérique. Oralité, colonialisme, territoire (2019), L’œil du maître. Figures de l’imaginaire colonial québécois (2020) et Une civilisation de feu (2023).

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    Une CIVILISATION DE FEU - Dalie Giroux

    Une civilisation de feu

    Pour ma part, je pense que cela commence par un parc et que cela se termine en parking – ils finissent toujours par réussir, d’une façon ou d’une autre, à entasser des voitures².

    Ma première job était une job de pompiste dans un gaz bar sur la Rive-Sud de Québec. C’est en mettant du pétrole dans des chars à raison de 40 heures par semaine (mes parents étaient ravis, ils trouvaient que j’avais une bonne situation) que j’ai pu acheter mon premier bazou à l’âge tendre de 16 ans. Je suis une personne de « la région » (selon les lignes de la géographie coloniale), et exception faite de mes années métropolitaines, je me suis toujours déplacée à l’aide d’un moteur à explosion : une Mazda, une Suzuki, une Toyota, une Nissan, une autre Mazda, une Volks au diesel trafiquée et une Volks au gaz gagnée à la loterie de la fraude environnementale, et à travers tout ça deux pick-up japonais. Quand je vais acheter une pinte de lait bio au village (toujours disponible en plusieurs marques), je brûle deux pots Mason de belle gazoline claire. J’y pense à chaque fois : je roule en cocktail Molotov.

    Je suis comme mon ami Étienne qui a pleuré en voyant les images des animaux abandonnés dans les bâtiments de ferme pendant les inondations dans la vallée de la Fraser, et qui a aussi initié l’été dernier son fils de six ans aux joies du motocross, comme son père l’avait fait pour lui. Et je suis comme cet humoriste radio-canadien qui raconte s’être commandé par internet une boîte d’Oreo à saveur de gâteau aux carottes pour le kick. On sait que notre manière de vivre est une organisation explicite de l’autodestruction.

    La manière d’habiter la Terre définie par le moteur à explosion résume tout ce qui s’appelle dans cette civilisation fossile plaisir, gâterie, luxe, relaxation, aventure, esthétique : des quads qui se baladent entre les cabanes à patates dans l’arrière-pays québécois jusqu’aux superyachts qui mouillent dans les ports les plus prestigieux de la Méditerranée, en passant par les après-midis de ski nautique à 200 $ de gaz à l’heure sur les lacs du Nord ; des mythiques virées sur les autoroutes interurbaines du continent aux vacances en motorisé de Terre-Neuve jusqu’à Las Vegas ; des sauts de puce à Philadelphie ou à Boston pour s’assoir quelques heures à la table d’un grand chef, jusqu’aux excursions en famille en Asie du Sud-Est, aux croisières sur le Danube, au tourisme dans l’espace et au souffleur à feuilles mortes. Le divin explosif est, comme les armes à feu dans les Walmart américains, en vente libre à la pompe. Comme on le scande ces temps-ci devant les parlements capitalistes : liberté !

    Notre territoire est foncièrement, intégralement et irrémédiablement un territoire fossile.

    Que l’on se balade en char électrique, en vélo partagé, en autobus de ville ou en monster truck, que nous mangions bio ou au Costco, que nous habitions au fond d’un rang avec vue sur la trail de skidoo qui passe derrière une ferme de données, dans une banlieue bercée par le va-et-vient des camions qui sortent au compte-goutte de la carrière de sable, à la croisée de deux autoroutes d’où on entend le grondement continu des voitures, dans un trois et demi périurbain survolé par des avions commerciaux qui décollent et atterrissent jour et nuit, ou au sommet d’une tour en plein centre-ville prise d’assaut par le bruit des marteaux piqueurs qui défont l’asphalte pour mieux le refaire, nous opérons, qui que nous soyons, dans une topographie automobile, forgée par le charbon, le pétrole, les métaux rares et les relais électriques et nucléaires qui soutiennent et prolongent ce cadre et cette structure. Notre forme de vie est définie par une vitesse spécifique, c’est-à-dire un rapport espace-temps, qui est celui de la mobilité apocalyptique.

    Cette vitesse fossile est celle de notre survie et en même temps celle par laquelle on périt : toute la structure d’approvisionnement en biens essentiels et en biens de luxe, et une grande part de la capacité de chacun à capter des capitaux pour assurer l’accès à ces biens essentiels ou de luxe, repose sur la capacité individuelle et collective d’opérer ce paysage, sera-t-il prolongé par sa conversion électrique et nucléaire et par l’économie numérique.

    Pour tout dire : nous mangeons, nous nous logeons, nous nous habillons en mettant le feu, et les enfants sniffent du gaz et de la poussière de charbon, les avions de chasse de l’Otan font du rase-motte au-dessus de glaciers qui fondent, et le Congo, un des cœurs stratégiques de la transition écologique mondiale et « laboratoire qui rassemble toutes les barbaries que l’homme et l’impérialisme sont capables de produire à des fins capitalistes³ », compte plus de 5 millions de morts.

    Si certains peuples peuvent dire qu’ils sont le peuple du caribou, ou le peuple du poisson blanc, parce qu’ils vivent de ces animaux, nous, les industrialisés de tout acabit, nous sommes le peuple des explosifs. Et on est en train de se faire sauter.

    Fascisme fossile

    Pendant les inondations qui ont touché la Colombie-Britannique en novembre 2021, alors que cédait une digue retenant les eaux de la rivière Fraser, un incendie s’est déclaré dans le stationnement d’un concessionnaire de véhicules récréatifs de la ville d’Abbotsford, BC. Sur les images diffusées, on pouvait voir entre les bras d’eau inondant la Sumas Prairie une colonne de fumée noire s’élevant au-dessus de la centaine de mastodontes d’acier enflammés, qui menaçaient de réduire en cendre les lignes à haute tension situées à proximité du site. Nous sommes ici chez nous.

    La même semaine, la presse rapportait l’acquittement de Kyle Rittenhouse prononcé par une cour de justice du Wisconsin. L’adolescent a tué deux personnes par balle pendant une manifestation du mouvement Black Lives Matter. Selon la loi en vigueur, il est légal de se promener dans les rues de Kenosha avec une arme d’assaut en bandoulière. Et Rittenhouse, a selon les juges qui se sont penchés sur l’affaire, bel et bien exercé son droit à la légitime défense en ouvrant le feu sur des manifestants qui ont tenté de le désarmer et qui, ce faisant, lui ont fait « peur ». Inspiré par les mouvements d’autodéfense suprémacistes blancs, le jeune homme s’était rendu sur les lieux pour protéger un concessionnaire automobile contre les possibles attaques des manifestants. « Quand et comment être blanc est-il devenu synonyme de brûler des énergies fossiles ?⁴ », demande le collectif Zetkin.

    Ces événements ont eu lieu juste après la fin du sommet de la COP26 à Glasgow, où l’accord signé évoque une timide sortie progressive du charbon et des subventions aux combustibles fossiles, reconnaissant par là, pour la première fois, que les énergies fossiles sont la cause de la très grande part des émissions de CO2 et de gaz à effet de serre. Le Devoir a écrit à cette occasion qu’on « sait maintenant que la planète se dirige vers un réchauffement qui dépassera selon toute vraisemblance les 2,7 °C, si aucune action politique draconienne n’est imposée incessamment. Chez nous, ce sera encore davantage : de 2 à 4 °C d’ici 2050 ; de 4 à 7 °C au sud du Québec et de 5 à 10 °C d’ici 2100. Ces réchauffements entraîneront des phénomènes météorologiques extrêmes…⁵ ».

    En marge du sommet écossais, le premier ministre britannique de l’époque Boris Johnson a expliqué ceci aux journalistes : « When the Roman empire fell, it was largely as a result of uncontrolled immigration – the empire could no longer control its borders, people came in from the east and all over the place⁶. » La « civilisation » peut progresser, mais elle peut aussi subir des reculs, a dit Johnson, et cela devrait servir selon lui d’avertissement devant les conséquences indésirables des mouvements migratoires liées aux changements climatiques, si ceux-ci ne sont pas pris en charge.

    Le populisme de droite délaisse ainsi graduellement le négationnisme climatique pour proposer une défense « verte » de la nation : contrôler les hausses de température pour limiter les flux migratoires, et limiter les flux migratoires pour protéger le terroir national de la pollution que constitue l’immigration. Plusieurs analystes s’attendent à ce que cette tonalité nationaliste-verte devienne dominante dans les pays occidentaux, à l’heure où les États-Unis apparaissent sur une liste des pays du monde où les reculs démocratiques sont préoccupants⁷.

    La concrétisation des effets massifs de la poursuite d’une civilisation fossile est inscrite dans le destin de l’impérialisme européen dont tous.tes les terrien.ne.s héritent, qu’ils et elles le veulent ou non. Nous nous trouvons en conséquence, à l’échelle du monde, confronté.e.s à une reconfiguration des forces politiques où des luttes s’inaugurent au nom d’une identité pétrolifère et automobile, mais aussi pour ce qu’on pourrait appeler la défense du privilège de la vitesse fossile. En 2016, on a répertorié « 832 véhicules automobiles – voitures et camions – pour 1000 habitants aux États-Unis, contre 36 en Inde, 39 en Afrique et 606 en Europe de l’Ouest⁸ ».

    La proposition d’une taxe carbone directement à la pompe a incidemment été l’élément déclencheur de la mobilisation des Gilets jaunes en 2018 en France, pendant laquelle les classes populaires ont occupé, de manière éloquente, les ronds-points. On y revendique l’accès abordable au pétrole, qui permet de travailler, de nourrir sa famille, de payer le loyer. Les gens ordinaires, protestant contre la vie chère, veulent du pétrole, leur vie en dépend – et ils ont bien raison : toute la vie telle que nous l’avons toujours connue repose sur la vitesse fossile inaugurée par les pratiques industrielles de combustion.

    En Pologne, le gouvernement résiste vigoureusement aux injonctions pressantes de l’Union européenne de se plier aux règles environnementales en vigueur et de fermer ses mines de charbon. On en fait une question de souveraineté et d’autonomie, tout comme les tenants du Wexit en Alberta, qui considèrent l’option de se séparer du reste du Canada pour protéger l’industrie des sables bitumineux de la province : « notre »

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