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Dioulabaoulébétékro: Recueil
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Livre électronique137 pages2 heures

Dioulabaoulébétékro: Recueil

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À propos de ce livre électronique

Dioulabaoulébétékro est un recueil de dix nouvelles qui vous fera remonter le temps (1990-2009). Il s’agit de l’histoire d’un pays où l’auteur, lassé et sans état d’âme mais sur un ton à la fois grave, caustique et désopilant épingle dirigeants et acteurs politiques, et fustige les turpitudes morales d’un peuple. Tout y passe : « pouvoirisme », tribalisme, cupidité, laxisme, frasque, rébellion mais aussi l’espoir d’un renouveau politique, d’une reconversion des mentalités.

À PROPOS DE L'AUTEUR

D’origine ivoirienne, Masséké Oponou a débuté sa carrière d’enseignant de philosophie au lycée classique d’Abidjan. Depuis 2011, il exerce au lycée Sainte Marie d’Abidjan. Il fait partie de la première génération des étudiants diplômés de l’université de Bouaké.
LangueFrançais
Date de sortie22 juin 2020
ISBN9791037709622
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    Aperçu du livre

    Dioulabaoulébétékro - Masséké Oponou

    2008.

    Attentat à la… plume

    Une pluie de papiers rebelles déchiquette le voile brumeux de l’aurore et recouvre la capitale de la République des Dioulabaoulébétékro. Des filets de vent sec soulèvent et agitent les monceaux de feuilles qui s’envolent pour joncher l’espace des abribus, des marchés et les carrefours des rues passantes. Des affiches placardées le long des voies, des bouts de textes appliqués contre les murs, des phrases et des mots séditieux aux pieds des immeubles. Toute la ville est envahie par des tracts et des nouvelles révolutionnaires. Les chants du coq et les roucoulements des oisillons dans les cimes invitent le peuple endormi au réveil. Nos femmes, nos mères et grand-mères se tiennent debout et leurs voix, portées par la clameur des pilons, appellent bravement les hommes à la naissance d’un jour nouveau.

    Une fillette se tenait courbée au sol et décrassait la terre de ses immondices quand un bout de ces feuilles courut s’empêtrer dans les brindilles de son balai. Elle appela son frère aîné qui tenait sa sacoche sous le bras et qui s’apprêtait alors à prendre le sentier de l’école. Le jeune homme déplia le morceau de papier et lut :

    « Cher camarade

    Où vas-tu de si bonne heure ?

    Et à quel sort serais-tu suspendu

    Toi et nos milliers frères de sang

    Qui tâtonnez sur le chemin escarpé

    Du savoir et qui comme des alpinistes

    Ne songez qu’au sommet ?

    Vos désillusions ne seraient-elles pas plus vertigineuses ?

    Hier, encore, nos parents ont eu quelques sous

    Pour nous porter dans les cimes,

    Auront-ils assez de reins

    Pour tenir vos benjamins ?

    JAMAIS ! »

    Un mât télégraphique a réuni des travailleurs au terminus de la cité de la paix et leur a communiqué quelques informations outrageusement révoltantes. Les lecteurs se tiennent au pied du poteau, l’air estomaqué, l’esprit désemparé.

    — Ils ont rempli les banques suisses de nos lingots d’or, ont érigé des murailles de pierres, des châteaux en Europe avec nos pierres précieuses… ils nous ont bouffés.

    — Et nous n’avons jamais su.

    — Dioula-Baoulé-Bété ! Tous bernés !

    — Regardez, regardez ! accourut un autre, en agitant un ruban de papiers à la foule. Savez-vous à qui appartiennent les huit cents logements de la cité de la paix ? Vous ne le savez pas ? Eh bien, ouvrez vos oreilles ! Ils sont tous à la belle-mère de notre président. Oh, Dieu ! Que nous avons été crédules !

    La nouvelle courut, fila, galopa et alla se faufiler au milieu d’un fatras d’injures, de paroles et de gestes menaçants. Elle ralluma la colère, s’élança rageusement dans les airs et grogna comme une houle dévastatrice sur la cité. Hommes, femmes et enfants avaient déferlé dans les rues, les cailloux dans les mains. Mais, déjà, notre estafette avait déployé ses hélices, pétaradé des obus sur la capitale puis avait amarré sur les vagues tumultueuses des campus. Une foule compacte d’étudiants vient d’apprendre la nouvelle et les braves gens se sont tassés en centaines de groupuscules autour de quelques harangueurs hissés sur des tables bancs.

    « Camarades, chers amis étudiants !

    Ce qui nous réunit ici, et vous le savez, autant que nous qui sommes vos porte-parole, c’est l’angoisse, le désespoir, le mécontentement, le sentiment d’avoir été trahi, berné, croqué par des loups. »

    Ovations, grognes, insultes, tohu-bohu général.

    « Une seule université pour tant de jeunes. Des résidences universitaires en quantité insuffisante ! Des bourses qu’on ne nous débourse plus ! Des licenciés, des centaines de licenciés amèrement réduits au silence ! Et que nous conte-t-on quand nous leur demandons des comptes ? Le cours du pétrole a chuté sur le marché mondial ; le café et le cacao nous sont achetés à des prix dérisoires.

    Vous voulez la vérité ? La voulez-vous ? Eh bien ! Elle se trouve dans la bouche de ceux qui ont grillé les arachides ! »

    Vacarmes, coups de sifflet, tempêtes de mots injurieux. La foule est excitée, l’atmosphère s’échauffe.

    « Camarades, étudiants, frères de sang !

    Nous ne parlerons pas le langage soutenu aux vulgaires ; nous irons chercher les mots dans les poubelles où nos autorités nous ont jetés. Nous leur sortirons le langage rouge ! Je lève ma main, je serre le poing et vous appelle à descendre dans les rues. Nous paralyserons le commerce, boycotterons le fonctionnement des institutions, ferons tomber ces tours d’ivoire où les malfrats se vautrent et s’il se trouve des garde-chiourmes assez heureux pour nous brandir encore leurs cravaches, nous les leur arracherons des mains et ferons pendre nos bourreaux… »

    « Camarades ! Camarades !

    La locomotive de la liberté est dans l’entrain. Elle brame, elle vibre, elle chante sur les quais de l’univers de la cité. Elle nous attend, elle m’envoie vous dire par le courrier de la brise que les chaînes de l’oppression, de l’esclavage et du larbinisme seront défaites ! Oui ! Ôtées de nos pieds, de nos mains et de nos cous ! Libérons-nous ! Libérons-nous ! Libérons notre pays du pandémonium où nos autorités l’ont précipité. »

    Cris d’acclamation, cris de révolte, la clameur des jeunes gens coule en ondes sismiques sur la capitale. La ville est prise d’effroi ; le pays est en état de siège. Cocktail Molotov, explosion de gaz lacrymogène, intifada ! Des projectiles de bois et de pierres, le sifflement infernal des sirènes, des autobus et automobiles renversés, des édifices publics saccagés, des tourbillons de fumée au-dessus de la mêlée…

    Le vent du changement avait soufflé du nord au sud et avait mêlé peuple de l’est et d’ouest dans le même ouragan. On le traqua dans les savanes du centre mais rien n’égala l’impertinence de la chose ; le vent avait battu ses ailes, volé à ras de sol, dribblé les raids des bouches à feu et s’était cavalièrement posé sur les murailles de la radio-diffusion-télévision des Dioulabaoulébétékro ! Un régiment de fantassins accourut et lâcha les obus ; mais par un avatar de maître, le vent du changement se vaporisa dans les murs de l’édifice puis se métamorphosa en milliers de tracts éparpillés dans la cour et les couloirs de l’établissement. Dehors, partout dans les rues et sur les immenses boulevards de la capitale, des jeunes gens, des milliers de contestataires s’étaient ceint la tête de banderoles et scandaient des propos jamais entendus de vive voix.

    Une véritable expédition de chasse à l’homme est en train d’être menée dans la ville. Des commandos blindés patrouillent les rues et les agglomérations de la cité ; les voies sont rouges de bérets rouges. Coups de bottes, de cravaches et de ceinturons. On gaze, on matraque et on embarque. Un tourbillon de vent s’élève tumultueusement dans les nues, l’écho de la clameur roule en typhon diluvien sur la cité administrative. La foule se galvanisa et barricada les passages des chars à canon. Les protestataires poussèrent un hourra et un grand hourvari ébranla la terre. Les mitrailleuses sifflaient, les bombes lacrymogènes tonnaient, les manifestants pillaient, renversaient, saccageaient automobiles et magasins dans leur débandade. Les chasseurs poursuivaient et traquaient les contestataires quand l’air du changement recouvrit les manifestants de ses ailes protectrices. Un bataillon accourut en renfort vers le palais de justice. Un obus rempli de balles explosives fracassa l’entrée du bâtiment. Des bruits de bottes, du gaz toxique, une fumée torride qui déclenche des toux et des pleurs ; coups de crosse, défenestration ; la salle d’audience assiste impuissante aux barbaries des troufions. Mais un vent coulis perça la coupole du palais de justice et courut précipitamment se calfeutrer dans les murs de la cathédrale de la Paix. Un hélicoptère tournoyait autour de la cathédrale quand l’air du changement s’enroba de sa toile gazeuse et alla sans que personne ne le vît prendre siège dans le salon des Dioulabaoulébétékro-au-jabot-d’arachides.

    — Ah, ça ! C’est un tremblement de terre que notre république est en train de vivre.

    — J’ai manqué de sommeil depuis les premières grognes des manifestants.

    — Et comment pourrais-tu souhaiter dormir ? Garde les yeux ouverts et veille comme les sauriens de notre cher président.

    — Toute ma famille s’est envolée.

    — Et c’est bien la précaution qu’il faut prendre en attendant…

    — Tous ! Femme, père, mère et enfants nuitamment partis dans mon château de Strasbourg.

    — Veillons cher ami, et attendons. La famille partie, il y aura toujours un dernier vol pour les dépositaires du régime. Jamais après, jamais avant, de peur qu’on nous couvre de railleries antipatriotiques ou que nos meurtriers ne recouvrent nos corps d’un linceul lacéré.

    *

    * *

    La brise avait glissé ses oreilles dans les murs et écoutait cette autre conversation.

    — Comment se peut-il que ce peuple ait eu subitement vent des pages intimes de nos vies ?

    — Mes transactions financières, mes affaires personnelles, ma vie privée ont été étalées sur ces feuilles de chou.

    — Mais où ont-ils glané toutes ces informations ?

    — Partout et nulle part !

    — Comme le vent qui furète, soulève révèle, divulgue sans qu’une main, sans qu’aucune main ne l’abatte ! C’est épouvantable.

    — Il y a des souffleurs en dessous !

    — Mais qui évidemment ? Nos secrétaires ? Nos collaborateurs ? Nos associés éparpillés aux quatre vents ? Pas un fait, pas un événement circonscrit aux murs de mon appartement n’a manqué d’être rapporté au peuple ! Les domestiques n’ont-ils jamais cessé d’écouter aux portes ?

    — En effet ! Et cela m’a amené à faire le grand nettoyage chez moi. Toute la valetaille a été congédiée. Je m’abstiens de goûter à tout autre repas que ceux préparés par mon épouse. On ne peut faire confiance à personne. Qui sait d’où le coup viendra ?

    — Abasourdissantes, étranges et inattendues, toutes ces lettres injurieuses que nous recevons par la poste, ces appels anonymes qui installent la psychose dans la maisonnée. Ces menaces de mort, ces mots incendiaires placardés sur nos murs et nos portails.

    — Une sale affaire de surfacturation de carburant étouffée en 1973 au ministère que je dirige encore est retombée hier matin sur ma table. J’ai piqué un infarctus et je me suis effondré sur la moquette de mon bureau. C’est à ma secrétaire que je dois la vie sauve.

    — La populace a fait main basse sur mes plantations ; elle a accaparé mes hectares d’hévéa, mes six mille hectares d’hévéa et m’interdit d’y mettre les pieds si je ne veux pas passer de vie à trépas.

    — Notre cher ami du sénat, vétéran des vétérans, député-maire depuis trente-cinq ans, milliardaire connu et reconnu n’a pas trouvé utile dans cette épouvantable atmosphère d’épargner ses forces. Le vieil homme n’a pas cru opportun de sceller les dernières recommandations testamentaires des descendants de ses petits-fils. Il a

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