Kenya : Les séismes du Rift: L'Âme des Peuples
Par Bruno Meyerfeld
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À propos de ce livre électronique
D’abord les paysages. Puis l’envoûtement. Du Kenya, le visiteur garde irrévocablement l’image de cette fracture géologique du Rift, assénée telle un coup de poing. Le Kenya ou l’Afrique en miroir. Toute l’Afrique, résumée dans l’histoire d’un pays et dans ses convulsions depuis l’indépendance.
Le Kenya est indissociable de son mythe, entretenu par le cinéma et les récits de voyages. Ses parcs nationaux, sa mosaïque ethnique, son histoire coloniale en ont fait un terreau propice aux meilleures légendes. Mais dans ses soutes, la fureur n’a jamais été contenue. Les rages ethniques, politiquement exploitées, sont toujours à eur d’actualité. La mémoire des massacres coloniaux y reste vive. L’ambiance rétro des clubs so British de Nairobi est une façade aussi délicieuse que trompeuse.
Ce petit livre n’est pas un guide. C’est une odyssée africaine. Une plongée dans l’âme du peuple kenyan, porteur des épopées et des tourments d’un continent. Un grand récit suivi d’entretiens avec Caroline Elkins (Jomo Kenyatta ne voulait pas renverser l'ordre colonial, mais y avoir accès), Yvonne Adhiambo Owuor (Être Kenyan, c'est être multiple) et Nanjala Nyabola (Les grandes familles jouent sur les peurs, la misère et les tribus).
Un voyage au gré de personnages forts et de lieux marquants, pour mieux connaître les passions kenyanes. Et donc mieux les comprendre.
EXTRAIT
On appelle ça « se prendre le Rift ». Une bretelle d’autoroute, une banlieue, un pont, un virage. Et la terre, soudain, s’ouvre sous les roues. Jusqu’à l’horizon, des centaines de mètres plus bas, ce ne sont plus que des lacs alcalins, aux eaux argentées, des volcans cuivrés, à simple ou double cratères, enflammés par l’aube, émergeant au milieu d’un océan de savanes, de labours, de figuiers d’émeraudes et d’acacias à l’écorce dorée. On épie l’envol des flamants et celui des vautours. On guette le babouin, le zèbre, la girafe, l’éléphant qui se seraient par trop approchés de la route.
Est-ce la lumière ou la splendeur des lieux ? Est-ce l’altitude ? La tête tourne. L’aube kenyane est un spectacle. Une tragédie, un opéra qu’on contemple depuis la corniche comme on le ferait depuis le balcon d’un théâtre. Archéologues, aventuriers, explorateurs, simples voyageurs : nul n’a échappé à la beauté de ces terres. Dans ce pays à peine grand comme la France, où se retrouvent tous les paysages d’Afrique (glaciers, déserts, forêts primaires, savanes, lagunes, sable fin, mangrove, récifs coralliens…), chacun trouve ici sa mélopée propre.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
- "(...) Belle et utile collection petit format chez Nevicata, dont chaque opuscule est dédié à un pays en particulier. Non pas un guide de voyage classique, mais, comme le dit le père de la collection, un «décodeur» des mentalités profondes et de la culture. Des journalistes, excellents connaisseurs des lieux, ont été sollicités (...). A chaque fois, un récit personnel et cultivé du pays suivi de trois entretiens avec des experts locaux. - Le Temps
- "Comment se familiariser avec "l'âme" d'un pays pour dépasser les clichés et déceler ce qu'il y a de juste dans les images, l'héritage historique, les traditions ? Une démarche d'enquête journalistique au service d'un authentique récit de voyage : le livre-compagnon idéal des guides factuels, le roman-vrai des pays et des villes que l'on s'apprête à découvrir." - Librairie Sciences Po
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bruno Meyerfeld, journaliste, a été correspondant du Monde en Afrique de l’Est. Au Kenya, l’âme de l’Afrique l’a définitivement happé.
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Aperçu du livre
Kenya - Bruno Meyerfeld
AVANT-PROPOS
Pourquoi le Kenya ?
On appelle ça « se prendre le Rift ». Une bretelle d’autoroute, une banlieue, un pont, un virage. Et la terre, soudain, s’ouvre sous les roues. Jusqu’à l’horizon, des centaines de mètres plus bas, ce ne sont plus que des lacs alcalins, aux eaux argentées, des volcans cuivrés, à simple ou double cratères, enflammés par l’aube, émergeant au milieu d’un océan de savanes, de labours, de figuiers d’émeraudes et d’acacias à l’écorce dorée. On épie l’envol des flamants et celui des vautours. On guette le babouin, le zèbre, la girafe, l’éléphant qui se seraient par trop approchés de la route.
Est-ce la lumière ou la splendeur des lieux ? Est-ce l’altitude ? La tête tourne. L’aube kenyane est un spectacle. Une tragédie, un opéra qu’on contemple depuis la corniche comme on le ferait depuis le balcon d’un théâtre. Archéologues, aventuriers, explorateurs, simples voyageurs : nul n’a échappé à la beauté de ces terres. Dans ce pays à peine grand comme la France, où se retrouvent tous les paysages d’Afrique (glaciers, déserts, forêts primaires, savanes, lagunes, sable fin, mangrove, récifs coralliens…), chacun trouve ici sa mélopée propre.
Beauté envoûtante. Beauté trompeuse. Car le Kenya n’est pas un paysage, ou un lever de soleil – aussi grandioses soient-ils. Il n’est pas ce « paradis de safari », ce pays du hakuna matata (il n’y a pas de problème) triomphant, entonné jusqu’à la nausée, cette terre sans homme, (sinon sillonnée par des Massaï anachroniques et des marathoniens en sueur), survendue par des générations d’opérateurs touristiques, de diplomates et de journalistes paresseux ou duplices. Les Kényans eux-mêmes sont passés maîtres en illusionnisme, manipulant et exportant à l’excès les clichés qui les arrangent. Abrité derrière les poncifs, après tout, on est bien à l’abri. Le drapeau national ne représente-t-il pas un bouclier frappé de deux lances, derrière lequel se protéger, dissimuler ses angoisses et cacher ses pleurs ?
Mais à nouveau, en 2017, le vernis a craqué. Les élections générales, parties pour être une promenade de santé, se sont transformées en une interminable course d’obstacles, un soap opera sanglant et pathétique, s’achevant par des semaines d’émeutes et entraînant la mort de dizaines de victimes. Dix ans après les grands massacres ethniques de 2007, les haines ont été réveillées. Les vieux démons ont resurgi à la surface.
Le Kenya a tangué. Mais il a tenu bon. La première puissance est-africaine, avec sa constitution remarquable, sa justice en voie d’émancipation, sa société civile hyperactive et ultra-vigilante, reste l’une des plus grandes démocraties du continent. Ce pays a de la ressource. Il est plus solide qu’on ne le croit.
Le Kenya ne s’arrêtera pas en marche. Le surplace, les barrières, les frontières ? Plutôt mourir ! Dans ce pays – je l’ai vu – on ne laisse jamais une voiture en panne. Après tout, il n’y a rien de cassé qu’on ne puisse réparer. Tout doit bouger, tout le temps, très vite et le plus loin possible. On retape, on rafistole, on roule sans porte, sans fenêtre, sans jauge, sans indicateur de vitesse. On bouche les tuyaux avec des tronçons de bois, on scotche du chewing-gum sur les roues, on pousse, on tire s’il le faut. Un bon coup d’harambee (tous ensemble) ! Et ça repart !
Mieux : le Kenya est, au fond, le miroir de l’Afrique. Par la diversité de ses paysages et de ses peuples, d’abord, mais surtout par son histoire qui, depuis un siècle et demi, a anticipé, embrassé ou exagéré chacune des étapes de l’aventure africaine – colonisation effroyable, cycle de dictature, ajustements structurels, retour à la démocratie, violences ethniques. Aujourd’hui encore, le Kenya est à l’avant-garde de toutes les batailles continentales : sida, terrorisme, start-ups, urbanisation, électrification, démographie. La liste n’est pas exhaustive.
Voilà donc un pays essentiel, dont tout reste à raconter. Sacré défi ! C’est ce qu’avait tenté en son temps, avec son increvable sourire, la première Africaine prix Nobel de la paix, Wangari Maathai, disparue, bien trop tôt. Militante écologiste de la première heure, opposante à la dictature, féministe révolutionnaire, la « mère des arbres » (elle en a planté plus de 50 millions !), qui a tant souffert, tout enduré, a gardé une foi inébranlable en son pays. Jusqu’au bout, dans son autobiographie, elle a cru à ce « grand rayon de soleil, qui finira forcément par percer et par balayer les gros nuages pour laisser briller sur le Kenya un soleil éclatant ». Cette magique lumière. Celle des matins du Rift.
Les séismes du Rift
Deux cris. Un couple de milans huit à ma fenêtre. Je me réveille et jette un coup d’œil : tout est gris. Le soleil est bien levé, mais refuse de descendre de son lit de nuages.
La brouillasse blanchit tout. Badigeonne à la chaux jusqu’à l’horizon, jusqu’aux autoroutes, jusqu’à la canopée métallique des bidonvilles, jusqu’aux savanes du parc national, au loin. Nairobi s’éveille. C’est dimanche matin.
Devant le stade de Kasarani, plusieurs milliers de Kényans font la queue. La foule est joyeuse. Elle rit, s’impatiente. Vient-elle écouter le prêche dominical d’un nouveau pape ? Admirer les performances d’un sportif de talent ? Un peu de tout ça, finalement. Car ce 26 juillet 2015 n’est pas un jour comme les autres. Aujourd’hui, on vient écouter Barack Obama.
« L’enfant chéri », devenu président des États-Unis, est de retour au pays. Alors, on est fier. Un peu anxieux aussi. « Barack » n’est pas revenu au pays depuis près de dix ans. Aurait-il oublié d’où il vient ? Aurait-il oublié son père, sa grand-mère, ses cousins ? Aurait-il oublié son nyumba¹ ? Aurait-il oublié l’origine de ces trois syllabes, « o-ba-ma », toutes kényanes, nées sur les bords du lac Victoria ?
« On n’aurait jamais imaginé être tous là ! C’est incroyable n’est-ce pas ? » Face à la foule, Auma Obama, la demi-sœur, a la voix tremblante de bonheur. Elle se rappelle : il y a près de 30 ans, « Barry », ce grand gaillard un peu raide, un peu