Lourdes, 71 ans, touche 8 euros par mois de retraite. Elle ne se souvient plus de la dernière fois où elle a mangé de la viande
De notre envoyé spécial à Cuba Loïc Grasset
C’est un filet de liquide flave, presque translucide, qui s’écoule, tranquille, d’un siphon fatigué. De rares gouttelettes perlent sur le bitume, s’irisent puis dessinent un arc-en-ciel de lumière décomposée. Une odeur entêtante de gingembre bleu, de bois de santal et de lavande chatouille les narines de Julio, 34 ans, taxi clandestin à La Havane, dans le quartier de San Isidro. « Regarde-moi cette belle couleur d’ambre. C’est mon or, mon eau précieuse », s’extasie-t-il en transférant dans un jerrican le contenu du réservoir de sa Moskvitch 412 édition 1981, d’un garance délavé et moucheté de taches de rouille noirâtres. « Toutes les pièces sont d’origine, avec l’estampille CCCP. Ça, c’est de la voiture ! » conclut-il. Si Julio voue un culte aux effluves d’alcane, c’est que depuis un mois l’essence manque. Une pénurie qui, de La Havane à Varadero, de Trinidad à Pinar del Rio, provoque le chaos. « Je travaille un jour, puis je fais la queue trois jours et trois nuits, sans rentrée d’argent, maudit, à la clarté mourante du crépuscule, Reiner, 71 ans, qui campe dans son taxi chinois bouton d’or dans le quartier de Luyano. Pour le commun des Cubains, il faut patienter dans la voiture jusqu’à une semaine pour arracher 40 litres de SP95. » Vendu 25 pesos (0,2 euro) à la pompe, le litre d’essence s’échange 5 euros au marché noir. Six mois de salaire le plein !
Les raisons de cette crise énergétique inédite sont multiples. D’aucuns d’avancer les soucis de production de l’Algérie, du Venezuela et de la Russie, les fournisseurs d’or noir de l’île. D’autres d’évoquer la disparition mystérieuse, en pleine mer, de pétroliers pour des questions d’incurie et de corruption. Beaucoup d’insister sur