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La flamme d’Araltar
La flamme d’Araltar
La flamme d’Araltar
Livre électronique570 pages7 heures

La flamme d’Araltar

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À propos de ce livre électronique

Deux destins à sauver. Une armée à combattre. Telle est la mission des troupes d’Ilandar marchant vers la cité d’Ulthès, auxquelles se joint Kiam dès son arrivée sur Fumervar.

Si le plan d’action semble simple, le déploiement des troupes ennemies en direction de la vallée de Darzark complique la situation. Une seule chose d’intérêt peut justifier ce soudain déplacement au travers des territoires hostiles du nord. La flamme d’Araltar, disparue depuis plusieurs années, a été retrouvée. Sa magie, combinée à celle de la pierre d’Elzyrion, pourrait avoir des conséquences dévastatrices.

C’est éprouvés et épuisés par leur constante lutte contre les éléments et créatures malodorantes que Kiam et ses comparses parviennent à la vallée de Darzark. Conscients du temps jouant contre eux, ils devront affronter les troupes ennemies et tenter d’empêcher que la funèbre vision de l’oracle d’Eodès ne se concrétise.
LangueFrançais
Date de sortie18 janv. 2021
ISBN9782898084256
La flamme d’Araltar
Auteur

Nadine Bertholet

Native de Laval, Nadine Bertholet a joué la globe-trotteuse pendant sa jeune vingtaine avant de s’atteler à l’écriture de son premier roman. Inspirée par l’interaction avec les jeunes étudiants sous sa responsabilité lors de son travail en tant que technicienne en travaux pratiques dans des écoles, elle transpose dans ses textes l’attitude parfois cocasse, souvent attachante, de ces jeunes gens qui découvrent tranquillement ce que sera la vie adulte.

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    Aperçu du livre

    La flamme d’Araltar - Nadine Bertholet

    passions.

    1

    LES CAVERNES D’ARGOR

    Un cri perçant déchira le silence de la lande aride. Au loin, un énorme volatile décrivait des cercles dans le ciel, son piège se refermant graduellement sur une proie que Kiam ne pouvait voir. L’oiseau plongea enfin vers le sol puis, en quelques battements d’ailes, reprit de l’altitude, emportant dans ses serres son festin du soir.

    Le dos appuyé contre le tronc d’un arbre mort, Kiam le regarda s’éloigner vers la chaîne de montagnes qui découpait l’horizon, massif rocheux d’où pointaient plusieurs volcans. Des volutes de fumée s’échappaient de leur sommet, alors qu’un seul d’entre eux crachait de façon discontinue des gerbes de liquide incandescent.

    Jamais Kiam n’avait vu de paysage aussi désolé. S’étirant au pied de l’escarpement rocheux sur lequel il se tenait, la plaine asséchée n’était autre qu’un vaste territoire sillonné de profondes crevasses. Le manque flagrant d’eau rendait l’endroit peu propice à l’épanouissement de la vie. Seuls quelques animaux adaptés à des conditions aussi difficiles pouvaient y survivre, et encore là, ces derniers n’abondaient pas.

    Son départ d’Oméros remontait à près de quarante-huit heures déjà. Le paysage qu’il contemplait depuis son arrivée sur le royaume du feu ne le rassurait guère. Il espérait que le reste du territoire de Fumervar se révélerait plus hospitalier, sans quoi leur mission serait franchement pénible. Encore faudrait-il qu’ils se mettent en branle…

    Leur inaction l’exaspérait. Cinq jours s’étaient écoulés depuis l’enlèvement de Flarente. Une éternité aux yeux de Kiam. Compte tenu du climat instable régnant sur Fumervar, la menace d’une guerre imminente s’avérant plus réelle que jamais, il importait de ne pas agir spontanément. Serbert et Urkiel avaient donc insisté pour prendre le temps d’élaborer une stratégie visant à secourir la demoiselle.

    Même s’il comprenait les raisons poussant les deux mages à ne pas intervenir de façon irréfléchie, Kiam sentait l’urgence de la situation, conscient de l’importance de chaque minute qui passait. S’ils tardaient trop, il n’y aurait peut-être plus personne à sauver…

    D’après les paroles entendues par Pottam lors de l’affrontement au pied des falaises du col d’Aralvone, Keltor et Izarath auraient emmené Flarente à Ulthès, bourgade située à flanc de montagne dans le sud des territoires de Fumervar. Toutefois, rien ne confirmait qu’ils s’y trouvaient encore. S’ils avaient quitté l’endroit, comment parviendraient-ils à les retrouver ?

    Pendant que, cloîtrés dans le bureau d’Urkiel, les deux mages planifiaient le départ pour Fumervar, l’arrivée d’Abélone et de Darius avait à la fois réconforté et troublé Kiam. Quand il avait vu sa tutrice, un mélange de soulagement, de rancœur et d’appréhension l’avait assailli. L’ambivalence de ses sentiments l’avait laissé de glace lorsque cette dernière l’avait serré fortement contre elle.

    Étonnamment, Abélone n’avait pas manifesté la colère à laquelle il s’était attendu. Au contraire, elle lui avait semblé plus pénitente que courroucée, malgré l’audacieux périple de Kiam sur Oméros.

    La déconcertante attitude d’Abélone ne lui avait laissé aucun doute : elle savait qu’il connaissait désormais la vérité sur son frère jumeau. Confirmant ses doutes, Abélone l’avait abordé en s’excusant qu’il ait eu à apprendre cette troublante vérité d’une façon si pénible. Darwen lui avait fait promettre de ne jamais lui révéler l’existence d’Ulik, et ce, peu importe ce qu’il adviendrait.

    La culpabilité dans les yeux d’Abélone avait touché Kiam. Toutes ces années, elle avait été déchirée de ne pouvoir répondre à ses légitimes questions, en raison du serment fait à Darwen, promesse devant être respectée même après la mort de ce dernier.

    Grâce aux explications apportées par sa tutrice à son arrivée sur Oméros, Kiam avait enfin compris les raisons de sa vive réticence à le voir visiter les autres royaumes. Elle avait craint qu’il en vienne à découvrir la vérité au sujet de sa naissance en tombant sur une personne qui reconnaîtrait en lui son frère jumeau, si ce dernier était toujours en vie.

    N’eût été la permission de Serbert, jamais Kiam n’aurait quitté Airazeth. Le mage n’avait pas cru dangereux qu’il visite Kildaroc, ne voyant aucun élément sur Terzirus lié au passé de Kiam. Il aura toutefois fallu qu’un conseiller corrompu de Fumervar l’entraîne de façon bien involontaire dans une mésaventure au terme de laquelle, en Kiam, il avait cru reconnaître Ulik, le protégé de Rothgar. Personne n’aurait pu deviner que ce voyage serait l’élément déclencheur d’une spirale d’évènements toujours plus terrifiants.

    Kiam en avait voulu à Abélone et à Serbert de lui avoir caché la vérité. Il s’était senti trahi, et pour cause. Pour quiconque vivant pendant douze années dans le mensonge, la pilule serait difficile à avaler. Or, malgré le ressentiment qui l’avait d’abord assailli en apprenant la nouvelle, il avait fini par comprendre les raisons de leur silence et leur pardonner.

    Le soir de leurs retrouvailles sur Oméros, Abélone et lui avaient longuement discuté. Pour la toute première fois, sa tutrice répondait à chacune des questions qu’il lui posait, sans détour ni mensonge. Il n’avait pas nécessairement appris davantage de détails sur son passé, mais de pouvoir parler librement, sans essuyer le moindre refus, l’avait apaisé.

    Bien entendu, lorsqu’était venu le temps de quitter le confort du magistère d’Elséos pour les contrées hostiles de Fumervar, la jawobe s’était farouchement opposée à ce que Kiam joigne l’armada rassemblée par Urkiel. Conscient du danger de la mission, Serbert avait néanmoins insisté pour que Kiam les accompagne. S’ils parvenaient à retrouver Ulik, Kiam serait peut-être le seul à pouvoir le sauver des griffes du mal. À force de persuasion, Serbert avait convaincu Abélone du bien-fondé de la présence de Kiam.

    Dès le lendemain matin, un branle-bas de combat avait agité les ruelles de la citadelle d’Elséos, de nombreux citoyens désirant rejoindre les rangs de l’armée d’Oméros, constituée majoritairement de lycopriens.

    Voyageant par groupes de six, les membres de la troupe avaient utilisé un tupafier pour se rendre sur le mont Argor qui s’élevait au cœur des territoires ouest de Fumervar. Kiam trouvait étrange que l’endroit porte un tel nom, puisqu’il ne s’agissait que d’une large colline. Formée d’un côté d’une falaise rocailleuse, elle s’étirait en pente douce sur plusieurs kilomètres dans la direction opposée. À son sommet, une butte herbeuse se dressait, percée d’une entrée donnant sur un réseau de cavernes dans lequel s’étaient installés les combattants.

    Deux jours après leur arrivée, ils n’avaient toujours pas bougé. Inquiet du sort de Flarente, Kiam s’irritait de leur immobilité. Trois hommes étaient partis en mission vers les terres d’Ulthès dans le but de découvrir ce qui s’y tramait, et surtout de vérifier la présence ou non de Flarente en ces lieux. Serbert et Urkiel attendaient le retour des éclaireurs avant de prendre la moindre décision. Tous deux refusaient de dévoiler la stratégie pour sauver Flarente. Était-ce par prudence ou parce qu’en vérité, ils ignoraient comment procéder ? Kiam espérait que les éclaireurs reviendraient sous peu. Jamais il n’aurait la force d’attendre deux jours de plus sans lever le petit doigt.

    Flarente… Pourquoi Keltor l’avait-il enlevée ? Où se trouvai t-elle ? Était-elle seulement encore en vie ? À cette seule pensée, l’estomac de Kiam se nouait. Non, elle ne pouvait pas être morte, se répétait-il constamment, tâchant de garder espoir.

    Flarente n’était pas la seule dont le sort inquiétait Kiam. Il avait quitté Oméros sans avoir reçu de nouvelles de Démérick. Il ignorait si Urkiel avait fini par entendre raison et venir en aide à l’adolescent, ou si, au contraire, il l’avait abandonné à son triste sort, le forçant à vivre sous l’apparence d’une répugnante mésurgne dans un monde aquatique, sans possibilité de contact avec les siens.

    La découverte de l’existence de son frère jumeau le déstabilisait toujours autant. Ne s’y habituerait-il jamais ? Curieusement, ce qui le troublait davantage était de savoir que seule une poignée de gens connaissait la vérité. Le reste du monde ignorait que Darwen et Mériziel avaient donné naissance à un second fils.

    Caché dès les toutes premières minutes de sa vie, aux yeux de la majorité des gens, Kiam était… « inexistant ». Le mot résonna dans sa tête comme une terrible malédiction. Bouleversé par cette choquante vérité, Kiam éprouva une sensation de nausée. Réprimant un haut-le-cœur, il ferma les yeux jusqu’à ce que le malaise se dissipe.

    La lettre de sa mère en main, il la relut pour la énième fois avant de se décider à la replier. La conservant précieusement dans la poche de sa tunique, il la consultait aussi souvent que le besoin s’en faisait ressentir.

    Lorsqu’il posa à nouveau son regard sur l’horizon, une tache mouvante capta son attention. Forçant sa vision, il reconnut ceux qui venaient vers le mont Argor. D’un bond, Kiam se leva et réintégra le campement au pas de course.

    Curieux d’entendre ce que les éclaireurs rapportaient comme nouvelles, Kiam attendit leur arrivée avec impatience. Comme il se doutait que Serbert ne le laisserait pas assister à leur rencontre, Kiam décida de se rendre en catimini dans la caverne où les mages tenaient des réunions privées depuis leur arrivée sur le royaume du feu. Ils s’y croyaient à l’abri des oreilles indiscrètes, mais après s’y être promené la veille, Kiam avait remarqué un mince orifice à la base de la paroi rocheuse dans lequel il comptait se dissimuler.

    Avant de s’y rendre, il hésita à inviter Jolick et Pottam. Sachant que leur présence risquerait de compromettre son plan, il décida d’agir en solitaire. Sans compter que la cachette ne permettrait pas aux trois amis de s’y camoufler.

    Jetant des regards furtifs autour de lui, il se rendit en douce dans l’impasse, inoccupée pour le moment, avant que l’arrivée des éclaireurs ne soit annoncée. Avec précaution, il glissa d’abord ses jambes dans l’étroit conduit, puis s’y enfonça jusqu’à ce qu’il soit entièrement enveloppé d’ombre. Sa cachette lui offrait une vue limitée de la petite caverne située en retrait du couloir principal, mais il n’aurait aucun mal à entendre les paroles échangées.

    L’attente lui parut si interminable qu’il en vint à douter du lieu du rendez-vous. Il se motiva cependant à rester encore une quinzaine de minutes, le délai pouvant s’expliquer par le fait que les éclaireurs se trouvaient encore loin lorsqu’il les avait aperçus.

    Alors qu’il commençait sérieusement à désespérer, il entendit des éclats de voix. Il vit alors apparaître le bas de la toge cendrée du mage de l’air, effleurant le sol comme si ce dernier flottait plutôt qu’il ne marchait. Le cœur battant la chamade, Kiam se plaqua contre le fond de sa tanière, priant pour que personne ne détecte sa présence.

    Vinrent derrière Serbert six autres paires de jambes, ce que, de sa cachette, Kiam ne parvenait qu’à voir. L’une, facilement reconnaissable en raison des écailles aux nuances bleutées, appartenait sans conteste au lycoprien accompagnant Urkiel. Celui-ci, vêtu de sa robe d’une blancheur immaculée, marchait d’ailleurs aux côtés de son garde.

    L’état lamentable des pantalons revêtus par trois d’entre elles ne laissait aucun doute quant à l’identité de leur possesseur : les éclaireurs revenus de leur périple à Ulthès. La dernière personne à pénétrer dans la caverne devait forcément être Tseb, homme rabougri qui ne lâchait pas Serbert d’une semelle depuis leur arrivée sur le royaume du feu. Kiam n’avait aucune idée d’où il venait ni de la raison pour laquelle le mage d’Airazeth exigeait qu’il soit en permanence à ses côtés.

    — Je me doute bien qu’il vous tarde de rassasier votre faim et de vous reposer. Nous ne prendrons donc que quelques minutes de votre temps. Avez-vous des nouvelles de ce qui se passe à Ulthès ? s’informa Serbert.

    Les trois hommes demeurèrent silencieux. En dépit du fait qu’il ne pouvait voir leur visage, Kiam devina que quelque chose clochait. Leur mutisme tendait à suggérer qu’ils hésitaient à décider qui annoncerait la mauvaise nouvelle.

    — Nous n’avons pas pu nous rendre à Ulthès, avoua un éclaireur à la voix rauque.

    — Pour quelle raison ? s’enquit le dirigeant d’Airazeth, ne dissimulant pas sa déception.

    — Les routes sont gardées par des disciples de Rothgar. Aucun moyen de franchir les points de contrôle si nous n’y sommes pas autorisés. Seuls quelques voyageurs ont pu poursuivre leur route, expliqua le même individu.

    — Probablement des alliés de Rothgar, supposa Urkiel.

    — Nous avons pensé contourner les routes principales, mais nous ne connaissons pas suffisamment le territoire pour risquer de nous aventurer à l’aveuglette, dit un des éclaireurs, qui, par les inflexions aiguës de sa voix, ne semblait pas très âgé.

    Des soupirs de mécontentement retentirent dans la caverne. Tous ces jours de perdus pour ne pas être plus avancés.

    — Nous avons cependant pu recueillir quelques informations d’un marchand qui revenait de la citadelle d’Ulthès, annonça le même jeune homme. Il s’y était rendu afin de livrer une cargaison de fustors pour nourrir l’armée de Rothgar. Il n’a cependant pas pu nous en dire davantage sur ses projets.

    — Il ne l’a d’ailleurs pas rencontré, déclara l’homme à la voix éraillée. Il a livré son chargement dans une caverne, sous la surveillance scrupuleuse des sbires de Rothgar, puis est reparti avec les quelques bristocs promis en échange de sa cargaison.

    — C’est déjà beau qu’ils lui aient versé une compensation ! s’indigna un des éclaireurs. Il est le seul producteur de fustors de tout Fumervar. Les hommes de Rothgar l’ont approché il y a quelques semaines. Sous la menace de voir sa famille persécutée, il n’a pas eu d’autre choix que d’accepter de leur fournir toute sa production. Le pauvre est maintenant ruiné. Les maigres bristocs reçus en compensation ne seront pas suffisants pour couvrir les frais de la récolte.

    — A-t-il pu au moins vous renseigner sur l’ambiance qui règne dans la cité d’Ulthès ? A-t-il vu quelque chose qui pourrait nous être utile ? s’informa le mage d’Oméros.

    Tapi dans son abri, Kiam aurait souhaité poser la seule question qui lui importait : « Le marchand avait-il fait mention d’une jeune fille tenue captive ? »

    — L’agitation est palpable là-bas, mentionna un éclaireur. Selon le marchand, Rothgar ne tardera pas à lancer de nouveau son armée sur les territoires avoisinant Ulthès. L’attaque serait imminente… et fatale. Le peuple se remet à peine de la dernière attaque. Un bon nombre d’habitants ont tout perdu, même la vie pour certains. Les ravages causés aux rares terres fertiles et aux villages sont terribles, ce qui a forcé plusieurs à quitter leur demeure et à s’entasser dans les rues de la cité la plus près. Ils n’ont plus la force de combattre. Une autre attaque de l’armée de Rothgar s’avérerait funeste pour notre royaume.

    — Sans compter que l’ampleur de ce nouvel assaut risque d’être encore plus importante, affirma Serbert d’un ton de découragement. Je ne peux que m’imaginer le pire pour les peuples de Fumervar.

    — Pour ceux des autres royaumes également, ajouta Urkiel. Personne n’est sans savoir que le danger plane aussi bien sur Airazeth que Terzirus et Oméros. Les rumeurs d’invasion de Rothgar circulent sur les autres lunes depuis un moment déjà.

    Un lourd silence pesa sur les sept individus, que Serbert brisa au bout d’un court instant.

    — Le marchand vous a-t-il fourni d’autres renseignements qui pourraient nous être utiles ?

    — Non, si ce n’est que les sbires de Rothgar rassemblent de nombreuses provisions et des armements sur le flanc ouest de la montagne d’Ulthès, répondit l’éclaireur qui ne s’était pas prononcé jusque-là.

    — Ce qui confirme nos présomptions, affirma le dirigeant d’Airazeth. Son armée attaquera les villages situés à l’ouest d’Ulthès. Nous pourrons mettre notre plan à exécution.

    — Le départ sera donc pour aujourd’hui ? demanda l’éclaireur à la voix rauque, déçu de ne pouvoir se reposer plus longuement.

    — Ce n’est pas encore certain, rétorqua Serbert au grand dam de Kiam, qui jura en silence dans sa cachette. Messieurs, merci pour votre précieuse collaboration. Vous pouvez disposer. Un repas chaud vous attend dans la galerie principale.

    Recroquevillé au fond de l’étroite cavité, Kiam observa la silhouette des hommes disparaître au détour du couloir. La mission des éclaireurs ne s’était pas soldée comme il l’espérait. Non seulement il n’avait toujours aucune nouvelle de Flarente, mais Serbert ne comptait pas nécessairement partir à sa recherche dans la journée. Combien de temps devraient-ils encore attendre ?

    Rageant intérieurement, Kiam décida d’aviser ses camarades. Le retour des éclaireurs étant sûrement maintenant connu de tous, Jolick et Pottam devaient se morfondre d’impatience de savoir s’ils rapportaient des nouvelles de Flarente.

    Il retrouva ses amis dans la galerie centrale, là où bon nombre de personnes s’attroupaient devant les éclaireurs occupés à se remplir la panse.

    — Les éclaireurs sont de retour ! annonça l’apprenti druide dès que Kiam fut à ses côtés.

    — Je sais, admit ce dernier.

    — Ils viennent jushte de revenir d’Ulthèsh. Ils n’ont encore rien annonché, dit Pottam, cherchant à voir les éclaireurs au travers des curieux les encerclant.

    Se penchant à l’oreille de Jolick, Kiam murmura :

    — Ils n’ont peut-être encore rien annoncé publiquement, mais je connais déjà les détails de leur mission…

    L’apprenti druide le dévisagea avec perplexité.

    — Comment ça ?

    — Suivez-moi, fut la seule réponse de Kiam.

    Il se dirigea d’abord vers la grotte leur tenant lieu de dortoir, mais craignant les oreilles indiscrètes de ceux avec qui ils partageaient l’endroit, il songea à se rendre sur le promontoire. Personne ne s’y promenait, par crainte de révéler leur présence aux disciples de Rothgar si l’un d’eux passait par là. Si lui-même visitait l’endroit malgré l’interdiction imposée par Serbert, prenant soin de rester accroupi de façon à ce que sa silhouette soit indiscernable de loin, il ne souhaitait pas mettre ses amis inutilement dans le pétrin si on venait à les surprendre sur le promontoire.

    Puisqu’il leur était cependant permis de se promener sur le plateau que formait le mont Argor, tout près de l’entrée des cavernes, il proposa à ses compagnons d’y faire une petite marche, question de profiter des derniers rayons de soleil avant la tombée de la nuit.

    — Alors, c’est quoi, tout ce mystère ? demanda Jolick une fois à l’extérieur, impatient de savoir ce que leur cachait Kiam.

    — Dès leur retour, les éclaireurs ont rencontré Serbert. J’ai tout entendu parce que j’y étais…

    — Sherbert t’a laishé les rencontrer ? Et pourquoi pas nous ? Che n’est pas jushte, cha ! se plaignit Pottam d’un ton mi-boudeur, mi-offusqué.

    Kiam remua la tête.

    — Ils ignorent que j’ai espionné la conversation, avoua Kiam. Disons que j’étais bien caché.

    — Pourquoi tu ne nous as pas avertis ? demanda Jolick, déçu d’avoir été laissé pour compte.

    — Parce que le temps de venir vous chercher, il aurait été trop tard. Nous n’aurions pas pu nous rendre au point de rencontre avant leur arrivée. D’autant plus que l’espace qui m’a servi de cachette aurait été bien trop étroit pour nous trois.

    — Il a raishon, approuva Pottam. Mieux valait qu’au moins un sheul d’entre nous y shoit. Qu’as-tu pu apprendre shur leur mishion ?

    — Elle ne s’est pas déroulée comme prévu. Ils n’ont pas pu se rendre à Ulthès, révéla Kiam.

    — Et Flarente ? Tu as eu des nouvelles d’elle, au moins ? s’enquit Jolick, plein d’espoir.

    La mine penaude, Kiam secoua la tête. La déception qu’il lut dans les yeux de ses camarades lui déchira le cœur. Sentant ses propres défenses s’affaiblir, Kiam se ressaisit avant que son angoisse ne prenne le dessus.

    — J’ai bon espoir qu’elle est toujours en vie, dit-il afin de se calmer.

    — Moi aussi, mais ce n’est pas seulement notre espoir qui la sauvera. Il faut agir, et vite ! rétorqua l’apprenti druide. Serbert a-t-il au moins dit quand nous partirions ? Dans la journée, je suppose ?

    — Il n’en est pas certain…

    — Pas certain ? Comment peut-on se permettre d’attendre encore ? La vie de Flarente est menacée ! se révolta Jolick.

    — Ch’est inshenshé ! Nous allons la perdre pour de bon, shi cha continue ! renchérit Pottam, troublé par la nouvelle.

    Le commentaire de la beloute suscita une vive douleur dans la poitrine de Kiam, comme si une poigne glacée lui serrait le cœur. Perdre Flarente pour de bon. Non, ce n’était pas une option envisageable. Jamais il ne pourrait vivre en ayant sur la conscience la mort de son amie. Il se savait l’unique responsable de son enlèvement. S’il n’avait pas entraîné ses amis dans sa folle aventure sur Oméros, Flarente serait encore parmi eux.

    Jamais il ne se le pardonnerait si un malheur lui arrivait. Même si elle s’en sortait vivante, d’être tenue captive par des hommes tels que Keltor et Izarath était déjà une épreuve fort traumatisante, dont Flarente ne se remettrait peut-être jamais complètement. Peu importe le dénouement de cette tragédie, Kiam devra apprendre à vivre avec l’immense culpabilité qui le rongera jusqu’à la fin de ses jours.

    — Serbert et les autres ne sont pas stupides. Ils sont conscients que plus le temps avance, plus les chances de la retrouver diminuent. Nous ne devrions donc pas tarder avant de nous mettre en route, allégua Kiam, espérant qu’il disait vrai.

    Des éclats de voix résonnèrent derrière eux, annonçant le service pour le repas du soir. Affamés, les trois amis retournèrent dans les cavernes du mont Argor.

    La nuit tombée, Kiam et ses compagnons se couchèrent sans qu’aucune nouvelle rapportée par les éclaireurs soit transmise au reste du groupe.

    Depuis leur arrivée sur Fumervar, Kiam partageait une paillasse avec Jolick et Pottam. Aussi petit pût être ce dernier, ses gémissements gênaient le sommeil de Kiam. S’il parvenait à faire taire la beloute d’un coup de coude, ses geignements reprenaient de plus belle après une dizaine de minutes.

    Pottam n’avait pas l’habitude de faire un tel tapage en dormant. Kiam soupçonnait la disparition de Flarente d’en être la cause, son inquiétude hantant jusqu’à ses rêves. Il ne pouvait lui en vouloir. Lui-même voyait son comportement changer en raison de l’angoisse qui le taraudait davantage chaque jour. Il devenait plus impatient, plus irritable, depuis l’enlèvement de Flarente.

    Afin de l’aider à mieux dormir, Jolick lui avait offert un élixir relaxant, qu’avait refusé la beloute. Kiam s’était donc résolu à passer des nuits agitées.

    Au beau milieu de leur troisième nuit dans les cavernes du mont Argor, son sommeil troublé par les plaintes de Pottam, Kiam entendit des murmures en provenance du passage menant à l’extérieur.

    Il se tourna sur la paillasse, prenant soin de ne pas réveiller Jolick, qui dormait à poings fermés. Kiam ne put s’empêcher de ressentir une pointe de jalousie envers son ami qui, contrairement à lui, ne semblait pas le moins du monde importuné par les jérémiades de la beloute.

    Dans la galerie principale, une torche prodiguait une lumière vacillante, néanmoins insuffisante pour que Kiam puisse discerner qui s’y promenait. Il ne vit que quelques ombres s’y glisser, après quoi les voix s’estompèrent. Quelques instants plus tard, les chuchotements se firent entendre une fois de plus dans le passage.

    Malgré les brumes du sommeil qui engourdissaient son esprit, Kiam eut conscience du va-et-vient qui lui sembla durer un bon moment. Il sombra dans un profond sommeil avant que le calme ne soit revenu dans le réseau de grottes creusant le mont rocheux.

    À l’aube, réveillé par l’agitation des gens partageant la même caverne, Kiam accompagna ses amis à l’extérieur. Ni dans le passage principal ni ailleurs dans les cavernes il ne trouva d’indices pouvant expliquer l’activité nocturne dont il avait été témoin.

    Les arômes alléchants du déjeuner chatouillant ses narines chassèrent d’emblée ses questionnements. À moins de quatre mètres de la sortie du tunnel, un groupe de femmes s’occupaient à la préparation du déjeuner. Un énorme chaudron reposait sur les braises d’un feu et il contenait une mixture beigeâtre qu’Abélone remuait à l’aide d’une longue cuillère de bois.

    — Vous avez eu des idées de grandeur ! la taquina Kiam. Vous avez peur qu’on manque de nourriture ou quoi ? Ah non, je sais. Ça doit être parce que tu as une faim de jawobe ce matin !

    — Très drôle, jeune homme, rétorqua sa tutrice.

    — Peut-être qu’elle te trouve trop maigre et qu’elle eshpère te gaver avec toute chette nourriture ! plaisanta Pottam. Cha shent rudement bon, che truc ! J’ai shi faim que je mangerais bien la moitié du chaudron à moi sheul !

    — Ça ne serait pas très digeste, blagua Kiam.

    — Hirk ?

    — Manger la moitié d’un chaudron… ça doit être dur sur l’estomac, expliqua Kiam en riant.

    Pottam secoua la tête.

    — Je voulais dire la moitié de che que contient le chaudron, bien shûr !

    — Eh bien, tu peux oublier ça, mon cher ! Nous sommes justes dans nos quantités et risquerions d’en manquer, les avertit Abélone en récupérant trois bols parmi ceux s’entassant sur le sol. Quand vous aurez terminé, rincez votre bol et vos ustensiles. Vous devrez les conserver avec vous pour les prochains repas.

    — Risquer d’en manquer ? Qui donc comptez-vous nourrir avec cette quantité astronomique de céréales ? demanda Kiam.

    Abélone vida une louche pleine dans un bol qu’elle remit à Kiam. Indiquant d’un mouvement de menton la falaise devant elle, elle répondit :

    — Eux…

    Intrigué, Kiam pivota vers la droite. Le choc fut si intense que le bol lui échappa des mains, son contenu se répandant sur le sol.

    Inoccupé la veille, le terrain adjacent au flanc nord du mont Argor accueillait désormais pas loin d’un millier d’individus agglutinés les uns contre les autres dans un silence quasi irréel.

    2

    LES TROUPES D’ILANDAR

    La bouche grande ouverte de stupéfaction, Kiam balaya des yeux la plaine où s’entassaient un nombre inimaginable de combattants.

    — Saperloche ! s’exclama-t-il, titubant sous le coup de la surprise.

    Son pied heurta le bol, qui roula sur un mètre de distance avant de s’immobiliser. Kiam n’en eut pas conscience, trop estomaqué par la vision quasi surnaturelle de l’armada.

    — Comment tout che monde a fait pour apparaître comme cha, en une sheule nuit ? s’interrogea Pottam, décontenancé.

    La lumière fut alors dans l’esprit de Kiam. Il comprenait enfin la nature du va-et-vient nocturne qui l’avait intrigué. Ces gens étaient arrivés au compte-gouttes, par petits groupes, en utilisant le tupafier secret situé au cœur des galeries du mont Argor. La logistique requise pour assurer une opération aussi importante médusait Kiam. Et dire que pendant qu’ils dormaient, la plupart d’entre eux n’avaient pas eu conscience qu’une véritable armée se déployait sous leur nez.

    Souhaitant partager avec ses compagnons l’explication de l’arrivée soudaine de l’armée de combattants, Kiam ouvrit la bouche. C’est toutefois un cri de surprise qui s’en échappa, puisqu’au même instant, un homme de forte prestance, que reconnut Kiam, se détacha de l’attroupement et vint dans sa direction.

    — Lorton Drick ? s’écria-t-il en frottant ses yeux, comme s’il ne parvenait pas à croire possible la présence du chevalier en ces lieux si éloignés.

    Un miroitement lumineux attira l’attention de Kiam. Parmi l’escadron rassemblé au pied de la falaise, il avisa de nombreux hommes, à pied ou à dos de charbir, portant une armure rutilante frappée du blason de Kildaroc.

    — Tu ne rêves pas, lui confirma Jolick. Il est même accompagné de sa fille.

    — Sa… sa fille ! s’étrangla Kiam.

    Derrière Lorton apparut une frêle silhouette féminine. Un sourire éclaira le visage de Naliopée lorsqu’elle reconnut les trois amis.

    — Bonjour ! les salua-t-elle, heureuse de les revoir.

    Encore sous le choc, aucun d’eux ne lui retourna sa politesse. Perplexe, Naliopée fronça les sourcils.

    — Vous ne vous souvenez pas de moi ? demanda-t-elle, le teint rosissant de gêne.

    — Bien sûr, Falopée ! s’empressa de répondre Kiam.

    Un rire étouffé, que la jeune fille tenta de retenir, la secoua.

    — Naliopée, le reprit-elle.

    Ce fut au tour de Kiam de prendre des couleurs au visage. Le rouge de la honte.

    — Moi et ma mémoire de pois. Désolé, s’excusa Kiam, maudissant intérieurement sa fâcheuse manie de déformer les noms.

    — Ne le prends pas mal, Naliopée. Une fois sur deux, Kiam prononce incorrectement son propre nom. Faut le faire ! la rassura Jolick avec humour.

    Son commentaire suscita le rire de la fille de Lorton, mettant d’emblée fin au malaise.

    — Nous t’avons reconnue shur-le-champ, souligna Pottam. Ch’est jushte que de voir tous ches gens rashemblés ichi che matin, alors que che terrain était déshert hier, a de quoi déshtabilisher le plus valeureux des hommes.

    — J’avoue que ça doit surprendre, admit Lorton en offrant une solide poignée de main à Kiam, puis à l’apprenti druide.

    D’un hochement de tête, il salua les dames responsables de la préparation des repas. Celles-ci lui répondirent par de petits gloussements timides, visiblement impressionnées par l’homme de belle apparence.

    Ne se souciant pas de leur réaction, Lorton poursuivit sa conversation avec les deux garçons et la beloute.

    — Nous sommes arrivés au cours de la nuit, par le tupafier du mont Argor. Mes troupes se préparaient à affronter l’armée de Rothgar depuis un moment déjà. Nous n’attendions que le signal de nos dirigeants. Ce n’est qu’hier que nous avons été avertis qu’il était maintenant temps pour nous de venir fouler les terres de Fumervar.

    — Il ne doit plus rester un seul chevalier à Kildaroc, blagua Kiam en promenant son regard ébahi sur la foule assemblée au bas de la falaise.

    — Ces gens-là ne sont pas tous des chevaliers de Kildaroc, rétorqua Lorton. D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls en provenance de Terzirus. J’imagine que d’autres doivent venir d’Airazeth et d’Oméros. Puisque nous sommes arrivés de nuit, par petits groupes, nous n’avons découvert l’ampleur du regroupement qu’à l’aurore.

    — Je crois bien avoir aperçu une meute de jawobes, tout au fond, là-bas, déclara Naliopée.

    — Des jawobes ! s’exclama Kiam. Tu as entendu, Abélone ?

    Une lueur d’excitation éclaira le visage de sa tutrice alors qu’elle balayait la foule des yeux à la recherche de ses semblables.

    — Les cröms sont-ils venus avec vous ? s’informa Jolick.

    — Nous avons pensé les inviter à se joindre à nos rangs. Cependant, le risque qu’ils se battent entre eux plutôt que contre l’ennemi nous a convaincus de laisser tomber l’idée, plaisanta Lorton en adressant un clin d’œil à Kiam.

    — Vous avez bien fait, répondit ce dernier. Je ne crois pas que Serbert et Urkiel auraient aimé s’encombrer du fardeau de gérer les prises de bec incessantes des cröms.

    — Exactement ! approuva Lorton.

    — Vous avez tous voyagé de nuit afin d’éviter d’éveiller les soupçons de l’ennemi, mais cet énorme rassemblement aura tôt fait d’attirer son attention. Un millier d’individus ne passe pas inaperçu, souligna l’apprenti druide.

    — À ce qu’on m’a dit, Serbert nous protège grâce à un gigantesque dôme d’invisibilité, révéla Lorton. Il ne pourra cependant pas le conserver indéfiniment, sinon la magie nécessaire à l’exécution de ce sort viendra à bout de ses forces. Je dois d’ailleurs rencontrer Serbert. Nous aurons certainement l’occasion de nous reparler très bientôt.

    Le chef des chevaliers les salua, puis offrit un sourire aimable aux dames, qui gloussèrent de plaisir. L’une d’elles émit un commentaire grivois, que Lorton ne releva pas. Il pivota plutôt sur ses talons pour disparaître, accompagné de sa fille, dans la gueule obscure de la caverne. L’indifférence de Lorton ne sembla guère insulter la dame. Au contraire, puisque Kiam l’entendit se lancer le défi de parvenir à séduire le beau chevalier.

    Lui jetant un regard en biais, Kiam dut se mordre la lèvre pour ne pas éclater de rire. La femme en question ne possédait aucun attribut séduisant. Son visage, en rien délicat, présentait davantage des traits masculins. Un nez épaté, des sourcils broussailleux ainsi qu’un épais duvet recouvrant sa lèvre supérieure et son double menton.

    — Je crois qu’une vargoth aurait plus de chances de séduire Lorton, rigola Kiam à voix basse.

    — Qu’est-che que tu as dit ? demanda Pottam.

    — Je t’expliquerai plus tard…

    Une pensée s’imposa soudain à l’esprit de Kiam. Si Flarente avait été parmi eux, elle aurait pris plaisir à le gronder pour avoir utilisé comme exemple de laideur les pauvres vargoths, injustement enfermées pendant de nombreuses années. Il est vrai que ces créatures ne possédaient rien de particulièrement charmant, mais depuis leur libération, ils s’efforçaient de ne plus les ridiculiser, par respect pour l’enfer qu’elles avaient enduré par la faute de Fugus.

    Penser à Flarente transforma la bonne humeur de Kiam en mélancolie. C’était dans des moments comme celui-ci qu’il comprenait à quel point elle lui manquait. Inconsciemment, il évoquait la demoiselle dès que l’occasion se présentait : Flarente aurait réagi ainsi, Flarente se serait fait un honneur de rouspéter, ou bien encore Flarente, dans sa légendaire maladresse, aurait trébuché à cet endroit.

    Il gardait cependant ce genre de commentaires pour lui-même, sachant fort bien que si Jolick les entendait, il n’aurait de cesse de le taquiner sur ses sentiments envers Flarente. Elle n’était qu’une bonne amie pour lui, même si Jolick semblait partager un autre avis sur la question. Comment deux personnes aussi caractérielles pourraient-elles être heureuses ensemble ? Voyons ! Des plans pour que l’un finisse par étrangler l’autre.

    La main que posa Abélone sur l’épaule de Kiam le fit sursauter.

    — Tâche de ne pas l’échapper cette fois-ci, dit-elle en lui tendant un nouveau bol de céréales chaudes.

    Le temps que Jolick et Pottam reçoivent le leur, des dizaines de gens avaient commencé à affluer autour du chaudron, attendant qu’on leur serve leur ration. Préférant s’éloigner de la foule, les trois amis s’isolèrent sur un monticule rocheux, d’où ils pouvaient observer les nouveaux arrivants tout en mangeant sans être importunés par leur branle-bas de combat.

    — Si Rothgar ignore toujours que nous sommes à ses trousses, il le découvrira très bientôt, déclara Jolick entre deux bouchées.

    — Qu’est-che qui te fait dire cha ? s’enquit Pottam, le nez dans son bol de céréales.

    — Comment voulez-vous qu’on passe inaperçus avec une telle armée ? rétorqua Jolick, soulignant ses propos en embrassant d’un bras le terrain occupé par les combattants.

    — Effectivement, il sera à présent difficile de déjouer la vigilance des hommes de Rothgar. Avec un aussi grand nombre de personnes, même divisé par petits groupes, ça tiendra pratiquement du miracle si nos déplacements ne sont pas repérés, souligna Kiam, avant d’enfourner sa dernière cuillérée de céréales.

    Sa faim que partiellement rassasiée, Kiam lorgna le chaudron près duquel une foule de gens s’étaient attroupés, tels des vautours affamés rôdant autour de leur proie. Avec toutes ces bouches à nourrir, pouvait-il espérer obtenir une deuxième portion de céréales ? S’il le lui demandait poliment, Kiam était convaincu que sa tutrice ne lui refuserait pas une ration supplémentaire, le trouvant elle-même trop maigre. Il fallait bien qu’il y ait des points positifs à ce qu’elle les accompagne, songea Kiam avec amusement.

    Parmi l’attroupement de gens, Kiam reconnut son oncle. Ce dernier cherchait à se frayer un chemin jusqu’à Abélone, souhaitant probablement lui aussi bénéficier de la générosité de la jawobe. Lorsqu’elle avisa Darius au cœur de l’attroupement, son visage s’illumina d’un sourire ravi.

    — J’ai bien l’impression que ces deux-là ne se détestent pas, commenta Jolick, les yeux rieurs.

    — De qui parles-tu ? voulut savoir Kiam, la bouche encore pleine de céréales.

    — D’Abélone et Darius, évidemment ! Je crois qu’il y a de l’amour dans l’air !

    Surpris par les allégations de l’apprenti druide, Kiam cessa de mastiquer. Il se força à avaler sa bouchée, puis demanda :

    — Qu’est-ce que tu inventes là ?

    — Je n’invente rien ! Tu n’as qu’à regarder toi-même ! Ils se courtisent, c’est évident ! rétorqua Jolick en pointant du doigt les deux individus concernés.

    Il est vrai que son oncle et Abélone s’entendaient bien, mais de là à tomber amoureux ? Pris d’un doute, Kiam les observa pendant un court moment durant lequel Darius murmura quelques mots à l’oreille de sa tutrice, qui gloussa.

    — Tu vois ! s’exclama Jolick. Il doit venir de lui chanter la pomme parce qu’elle a un petit air timide que je ne lui connais pas.

    — Que connais-tu aux réactions féminines d’abord ? Te voilà maintenant un expert en la matière ? railla Kiam, de mauvaise foi. Abélone et Darius. Franchement ! Ils seraient bien trop dépareillés. Enlève-toi cette idée de la tête, mon pauvre !

    — Tu sauras me le dire, répondit Jolick d’un air suffisant qui agaça Kiam.

    L’approche de Darius l’empêcha cependant d’exprimer sa façon de penser.

    — C’est ici que vous vous cachiez ! les taquina ce dernier, après s’être extirpé de la marée de gens.

    — Bonjour, mon oncle ! le salua Kiam. On ne se cachait pas. On voulait simplement échapper à cette horde de combattants affamés.

    — Impressionnant n’est-ce pas, la rapidité avec laquelle ils ont réussi à réunir tous ces gens ? commenta Darius d’un ton se rapprochant davantage d’une constatation que d’une question.

    Les trois amis hochèrent la tête simultanément.

    — Tu étais au courant de leur venue ? demanda l’apprenti druide.

    — Je savais que Serbert, Urkiel et Lhyrmus préparaient leurs troupes à un éventuel départ pour Fumervar, et ce, depuis la rencontre à Kildaroc des quatre grands conseils. Je suis cependant surpris de constater que nous sommes si nombreux, avoua Darius, le regard perdu vers l’étendue de gens entassés près du rocher.

    Discrètement, Kiam détailla le visage de son oncle, comme s’il cherchait à y voir une preuve de ce que Jolick avançait. Considérant l’idée comme trop farfelue, il la chassa de sa tête en riant intérieurement.

    — Je suis venu vous chercher pour une raison bien particulière, annonça Darius, un sourire énigmatique aux lèvres.

    — Ah oui ? s’exclama Pottam, mordant à l’hameçon.

    Darius conserva un moment de silence dans le but d’accroître leur attention. Voyant leur mine interrogatrice rivée sur lui, il dit enfin :

    — J’ai quelque chose à vous montrer. Suivez-moi.

    Sans fournir plus d’explications à son neveu et ses deux amis, Darius tourna les talons et se dirigea vers la foule qui ne cessait de s’agglutiner autour du poste de préparation du repas. Dans un soupir de déception, Kiam conclut qu’il n’en resterait jamais assez pour une deuxième portion.

    Darius les conduisit à l’intérieur du rocher, empruntant la galerie principale, puis d’étroits passages jusqu’à ce qu’ils débouchent dans une caverne de dimension réduite. Tout au fond, un homme leur tournait le dos et discutait avec une personne qu’ils ne pouvaient voir. Darius annonça leur présence d’un toussotement. L’individu se retourna, révélant à Kiam ses traits familiers. Toutefois, avant qu’il ne puisse lui adresser la parole apparut derrière lui une jeune fille au visage angélique encadré par une chevelure d’un brun foncé.

    — Bonjour ! les saluèrent d’une même voix Lémyna et son père.

    — Ça alors ! Qu’est-ce que…

    Kiam ne termina pas sa question. Dans un coin de la caverne, un jeune homme venait de se redresser d’un siège taillé dans la pierre.

    — Démérick ! ? s’exclamèrent Kiam, Jolick et Pottam d’une même voix incrédule.

    Les trois amis avancèrent jusqu’à lui, heureux de le voir en vie, et surtout, dans un état plus que normal.

    — Je suis tellement content de savoir que tu n’as pas succombé au venin des mésurgnes, lui avoua Kiam en toute sincérité.

    — Si Mog’rei s’était présenté une heure plus tard, la métamorphose aurait été complétée. Même les pouvoirs du guérisseur d’Urkiel n’auraient pu le sauver, raconta Leodan en s’approchant d’eux.

    Kiam le salua timidement, éprouvant encore de la honte en pensant à la façon dont il avait agi avec le père des jumeaux.

    — Tu as eu de la chance alors, dit Jolick.

    — Si on veut, oui. Disons que je m’en suis sorti de justesse, répondit Démérick en se tournant vers Leodan.

    L’échange ne dura qu’une fraction de seconde, mais l’œil aiguisé de Kiam perçut le sourire navré que le père et le fils s’adressèrent, avant que ce dernier ne détourne le regard. Si Démérick ne conservait aucune séquelle physique de sa mésaventure avec les mésurgnes, il n’en restait pas moins que l’expérience devait l’avoir fortement ébranlé.

    — Quoiqu’il en shoit, nous shommes shoulagés de voir que tu te portes bien. Pershonne n’a voulu nous rensheigner à ton shujet. Nous ignorions avant d’entrer ichi shi tu t’en étais tiré… ou non, mentionna Pottam.

    — Nous redoutions le pire, puisqu’Urkiel ne fut pas très coopératif ce jour-là. J’ai eu beau essayer de lui faire comprendre l’urgence de la situation, ton cas semblait être le moindre de ses soucis, admit Kiam.

    — Peu importe ce que tu lui as dit, ce fut assez convaincant, puisqu’il a envoyé Mog’rei au chevet de mon frère, répondit Lémyna, reconnaissante de l’aide reçue grâce à l’insistance de Kiam.

    Celui-ci repensa à cette journée où, pour une deuxième fois en moins d’un an, le monde avait basculé sous ses pieds. Si d’apprendre l’existence d’un frère jumeau l’avait scié en deux, le choc devait avoir été aussi intense pour Urkiel. De

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