Ange gardien du Samouraï L'
Par Boyer Annabelle
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Avis sur Ange gardien du Samouraï L'
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Aperçu du livre
Ange gardien du Samouraï L' - Boyer Annabelle
enrichissante !
MATE
Abandon
Ce qui doit être sera.
– GABRIEL SYLLA
Olivier appuie ses avant-bras contre la balustrade en bois de la galerie, croise ses doigts et desserre sa mâchoire inférieure avant de laisser échapper un long soupir. Alors que les convives s’amusent à l’intérieur du chalet de son associé, le jeune entrepreneur ressasse dans sa tête les problèmes des derniers jours. Avec lenteur, il redresse son long corps fin et se délie les jambes. Sa minceur le fait paraitre plus grand que son mètre quatre-vingt-dix. Les cheveux noirs, coupés courts, les yeux brun foncé et la peau très blanche lui donnent un teint plutôt terne. Perdu au fond de nulle part à essayer de savourer une soirée festive de septembre, il prend conscience de l’envahissement des responsabilités professionnelles dans toutes les sphères de sa vie. Son regard s’égare dans la dense forêt qui se trouve devant lui. Un vent frais transporte les odeurs algacées du lac des Îles situé en contrebas de la colline. Ses épaules crispées le font souffrir. Machinalement, il appuie une main sur sa nuque et la masse tant bien que mal. Trop de tension s’y trouve encore pour que le geste porte fruit. C’est à croire que ses muscles ont été remplacés par des câbles d’acier.
Derrière les portes closes, les invités rient à gorge déployée et trinquent à cet important contrat obtenu, mais aussi pour se libérer des préoccupations de la semaine.
Le chalet a des allures de manoir victorien avec ses frises, ses colonnes, sa grande galerie blanche, ses volets bleus aux fenêtres et ses plafonds hauts. Il est tout en prestance et en majesté. Agrémenté d’une multitude de variétés de fleurs et d’arbustes, le terrain offre un spectacle éclatant, haut en couleur. Un saule pleureur abrite un petit étang japonais tout près d’un pavillon encerclé de rosiers rustiques. Une odeur pralinée vient titiller ses narines.
– Alors, mon associé préféré, tu relaxes ? lance une voix à quelques pas de lui.
En se retournant, Olivier aperçoit son partenaire d’affaires qui s’avance en se dandinant, deux verres à la main et un sac d’amandes entre les doigts. Du haut de son mètre quatre-vingt, ce comptable semble toujours un peu gauche dans ses déplacements. Son bermuda bleu trop étroit porté sous son ventre proéminent trahit une certaine incapacité à accepter la charge adipeuse qui s’est accumulée au fil des ans. Le polo aux couleurs de l’entreprise rappelle qu’il ne vit que pour son travail.
– Salut, Claude. Disons que j’essaie d’arrêter de penser au bureau ! marmonne l’interpellé. Ton associé préféré… Tu n’en as pas d’autres !
– Bah ! c’est pour te faire rire, le jeune. Tu en as besoin, je crois, déclare Claude en s’esclaffant. Tiens, prends un verre, ça va te faire du bien.
– Hum ! du Cinzano. Tu sais qu’il n’y a qu’avec toi que je bois ça ?
– Je sais. Moi, j’aime tellement ça, susurre-t-il en humectant ses lèvres. J’avais préparé les glaçons la fin de semaine dernière et j’avais acheté une nouvelle bouteille toute fraiche. . J’étais prêt ! ajoute-t-il tout sourire.
De savoureux arômes boisés de pruneau se dégagent de l’apéritif. Les glaçons s’entrechoquent dans la robe rougeâtre. Hypnotisé par les effluves, Olivier porte son verre à sa bouche avec avidité et ferme les yeux pour mieux en apprécier le goût. ou est-ce pour oublier sa vie ? Le liquide est frais, apaisant même.
– Quelle semaine, lance le jeune homme avec une pointe de sarcasme. J’ai reçu deux plaintes de clients, et trois des employés sont insatisfaits de leur évaluation de rendement et…
– Tu sais, ça fait partie du travail, lui rappelle le comptable tout en croquant une amande.
– Je suis entrepreneur en informatique, moi, pas spécialiste en administration. Si quelqu’un m’avait dit un jour que ce serait si difficile de gérer du personnel, je ne me serais jamais lancé dans une telle aventure. Oui, je sais, ils sont tous très compétents, mais côté attitude…
Olivier pince les lèvres pour retenir les propos qui lui viennent en tête en repensant à ses six employés. Guillaume, son programmeur, est moitié Québécois moitié Japonais. Il ne laisse jamais rien paraitre de ses émotions ni même de ses pensées, ce qui laisse planer une impression louche. France est une solide adjointe administrative, tellement robuste qu’elle en oublie toute flexibilité avec les clients. Manon incarne en tous points l’inquiétude et la timidité. André a dû réorienter sa carrière à la suite d’un grave accident. Sa détermination est impressionnante, tout comme son regard d’une intense froideur. Jérôme, un vieil ami, est toujours là mais n’est guère le plus productif des techniciens. Sophie est certainement la plus discrète du groupe. Spécialisée en gestion, elle s’occupe du volet administratif avec Claude. En y repensant, Olivier réalise qu’il connait bien peu de choses d’elle, comme de tous les autres d’ailleurs ! Puis, il y a son cher comptable et partenaire sans qui il serait totalement perdu. Ses allures de Perry Mason, le célèbre avocat, personnage de télé américain qui a marqué l’adolescence de l’entrepreneur, lui donnent un air de vieux sage, de patriarche à qui on ne peut rien cacher.
– Relaxe, Olivier. Il serait temps que tu apprennes à lâcher prise, sinon tes cheveux noirs seront bientôt tout gris et, au lieu de te donner 35 ans, on va t’en donner 60 !
– Et c’est toi qui me dis ça ? ricane l’informaticien.
Détournant les yeux, Olivier porte son attention sur les légers craquements dans les bois, devant eux, tout près du saule. Une petite brise fait danser les branches des érables et des peupliers. Quelques feuilles mortes s’envolent. Les ombres s’allongent. La pénombre enveloppe doucement chaque recoin. Une douce odeur de roses titille ses narines, suivie d’une autre, plus âcre, qu’il ne parvient pas à identifier. Un frisson parcourt sa colonne vertébrale. Bien que son regard soit perçant, il ne parvient plus à distinguer les frênes des chênes tant la noirceur envahit la forêt. Seul le lac offre encore un peu de clarté. D’un seul trait, il vide son verre et le dépose sur la balustrade. Les glaçons font entendre un tintement à l’impact.
– Ce matin, commence Olivier, le réveille-matin s’est pris pour la Castafiore à vingt centimètres de mes tympans. Et ensuite, tout a été de mal en pis.
– Tant que ça ? rigole Claude.
– Le grille-pain a fait une grève du zèle, alors les rôties ont pris une apparence cancérigène, et le détecteur de fumée a bruyamment manifesté sa présence tandis que le café a fait un atterrissage en catastrophe sur mon pantalon. Évidemment, Julie n’a pas manqué de me faire remarquer qu’elle me trouve un air ordinaire avec mon lainage bleu alors qu’elle-même ne parvient plus à boutonner sa blouse tant elle a pris du poids. Bref, une matinée à oublier ! Comme le dernier mois, d’ailleurs… Je me ronge tellement les ongles que je suis sur le point de ne plus distinguer mon index de mon pouce !
– Bon, bon, bon. Tu ne dramatises pas un peu, là ?
Aucune réponse ne vient. Renfrogné, Olivier regarde son partenaire comme s’il venait d’affirmer une bêtise. Il ouvre la bouche, mais aucune parole n’en sort, comme si la colère effaçait tout vocabulaire de son esprit.
– On réagit toujours plus quand on sait, au fond de soi, qu’on est dans le tort, chuchote le comptable avec un sourire en coin. Mais encore faut-il se l’admettre à soi-même. Respire, le jeune.
Le clou est planté. Pantois, incapable de trouver une réplique intelligente, Olivier baisse les yeux et ravale sa honte. Au fond de lui, là où justement il n’ose pas regarder de peur d’y trouver quelque chose de laid, d’insupportablement lâche, d’inapte et sans valeur.
– Tu te souviens de mon dossier jaune ? lance Claude pour faire diversion.
– Ouais. Le diagnostic que t’as fait chez…
– Je crois que j’approche du but. Mon mandat s’achève. Je suis assez fier de moi. Je…, s’arrête-t-il abruptement.
– Quoi ?
– T’as pas entendu ? chuchote le quinquagénaire, soudainement inquiet.
– Entendu quoi ?
Mais le comptable ne l’écoute plus. Immobile, les yeux rivés vers le boisé, il plisse les paupières pour tenter de discerner quelque chose à travers les arbres. Il scrute chaque ombrage.
– Hum ! c’est bizarre, murmure l’associé au bout de quelques secondes, en prenant une autre lampée avec nervosité. J’ai cru entendre marcher. Je pensais qu’on n’était pas tout seuls.
– C’est sûr qu’on n’est pas tout seuls, le gros. On est huit à ton chalet au milieu de nulle part ! ironise Olivier.
– Eh, oh ! Premièrement, jeune effronté, on n’est pas nulle part. On est dans les Laurentides. Deuxièmement, tu ferais bien de surveiller ton langage, mon petit. Et puis, change d’air, conclut-il en croquant une autre amande.
– Je n’ai pas le cœur à rire. On a une montagne de problèmes à régler au bureau.
– J’ai l’impression qu’il n’y a pas que ça. D’ailleurs, elle est où ta blonde ?
– Julie est restée à la maison. On s’est disputés.
– Encore ? Tu sais, je suis conscient que ma nièce n’a pas un caractère facile. Elle a perdu ses parents trop jeune et je ne suis pas très présent, même s’il ne me reste qu’elle. Cela étant dit, tu n’as aucune obligation envers elle ou envers moi. Si tu n’es pas bien, tu peux faire un autre choix.
– Je sais tout ça.
Olivier détourne le regard et oriente son attention vers le lac, sur sa droite. Comme pour lui donner le change, le ciel s’harmonise à son humeur : grisâtre ! La lune se reflète sur l’eau et confère à celle-ci un effet argenté. Un étrange pressentiment fait frissonner le jeune entrepreneur. Ses pensées s’égarent. Des images de discussions houleuses avec sa conjointe lui reviennent à l’esprit, suivies de celles avec France, l’une de ses employés. Il lui semblait que tout allait de travers. Où s’était-il perdu en cours de route ? Comment avait-il pu en arriver à une vie si morne ? Était-il donc quelqu’un de commun, d’ordinaire ? La vie de couple était-elle aussi rude pour les autres, sans but, sans passion ? Était-ce vraiment ce qu’il voulait comme existence ?
– Je comprends ce que tu ressens, affirme le quinquagénaire.
– Je me sens perdu.
– La vie est courte, Olivier, et on n’en a qu’une seule. C’est important de la savourer pleinement, de vivre et non pas seulement de survivre. Tu sais, j’ai fait des choix importants récemment pour le bien de tous. J’ai même changé mon testament hier. C’est important pour moi d’agir pour le mieux-être des autres. J’ai l’impression d’avoir enfin trouvé mon rôle ici-bas.
Le regard du comptable s’assombrit. Les plis sur son front s’accentuent et lui confèrent un air sévère. De sa main gauche, il gratte son dos, caresse ses flancs puis ferme les yeux quelques secondes. Il prend une autre gorgée, comme pour se donner du courage, croque un glaçon, l’esprit ailleurs.
– Il y a un truc dont je voulais te parler…, lance-t-il.
– Bon, qu’est-ce qui se passe encore ? demande Olivier.
– C’est un détail, mais c’est tellement inhabituel que ça ne peut pas être dû au hasard.
– Quoi ?
Marquant une pause, l’associé frissonne et passe une main sous son œil gauche avec agitation. Un évident trouble l’envahit. Son regard s’embue. Olivier ne peut s’empêcher de remarquer les rides se formant sur le visage du comptable, juste entre les sourcils, tant l’effort de concentration est intense. L’éclairage de la lune fait ressortir l’éclat blanchâtre de sa chevelure. Manifestement, l’associé cherche ses mots pour éclaircir son propos. D’un geste lent, il frotte sa barbe grise hirsute puis caresse sa lèvre supérieure avec son index. Olivier l’a vu faire ce geste tant de fois et il ne peut s’empêcher de penser au célèbre personnage de Colombo. Comme à l’habitude, l’entrepreneur attend la conclusion de cette réflexion probablement fort intelligente, comme toujours, mais ce qui allait suivre dépassait tout entendement…
– Je crois que rien n’arrive pour rien, entame Claude.
– Où veux-tu en venir ? demande l’entrepreneur, un peu interloqué.
– Je crois que j’ai attiré à moi cette situation. Le passé revient.
– Mais de quoi tu parles ? demande le jeune homme avec appréhension.
L’inquiétude du comptable commence à le contaminer. Les bras croisés, Olivier enfonce ses ongles dans ses biceps et sent un léger vertige l’envahir. Devant lui, son associé appuie son verre contre son front et prend sa nuque dans sa main. Les cernes sous ses yeux témoignent de l’insomnie qui l’assaille depuis un certain temps. Il pose son sac d’amandes sur la balustrade. Sortant un flacon de sa poche, il en retire un cachet qu’il avale avec les dernières gouttes de Cinzano. Autour d’eux, le vent se calme et les oiseaux se retirent pour la nuit. Un raton-laveur fouille dans une poubelle non loin.
– Qu’est-ce que tu as vu, Claude ? demande Olivier, désormais totalement captivé.
– Ça m’a donné froid dans le dos.
Une ombre, juste derrière eux… un frottement, un pas léger… Olivier le sait, il le sent. Ils ne sont plus seuls. Il regarde ses avant-bras. Il a la chair de poule sans trop savoir pourquoi. Des éclats de rire en provenance du chalet attirent son attention.
– Il commence à faire vraiment noir, on devrait retourner à l’intérieur, Claude, dit-il d’une voix mal assurée.
Une autre brise vient jouer dans leurs cheveux. Cette fois, Olivier en est convaincu, quelque chose rôde dehors, probablement un renard, peut-être un coyote. Le boisé semble bien sombre tout à coup. Levant les yeux vers le ciel, il constate que des nuages noirs couvrent déjà l’horizon et se déversent dans le lac un peu plus loin. Le fracas du verre qui se brise au contact du sol le fait sursauter, suivi des cris d’effroi de France qu’il aperçoit à travers la moustiquaire. Suivant le regard de France, il se retourne.
– Mon Dieu ! gémit Olivier devant le spectacle terrifiant qui s’offre devant lui.
À ses pieds, Claude s’est affaissé subitement, le visage convulsé de douleur et la main portée à son bras gauche qu’il serre avec force. Un horrible râle s’échappe de sa bouche. Paralysé par la peur, incapable de réagir, Olivier reste hypnotisé devant la scène saisissante qui se déroule sous ses yeux. En quelques secondes, France, son employée, ouvre la porte à la volée, s’agenouille auprès du comptable et cherche frénétiquement les médicaments dans la poche de la veste pendant que Guillaume, son informaticien, appelle les secours. Sur le sol, Claude tremble de tout son être. Son regard trahit la peur qui s’empare de lui.
Incapable de retenir ses larmes plus longtemps, Manon s’affale sur un canapé et pleure sans réserve. Sophie tente de la réconforter. Les autres invités s’attroupent dans l’embrasure de la porte. Pour Olivier, tout semble s’enchainer au ralenti. Le temps lui parait interminable. Les gémissements lui sont insupportables. Recroquevillé, son associé et ami souffre. Jérôme, son employé de longue date, s’approche de lui et pose sa main sur son épaule, en silence.
HANGETSU
Avertissement
Vous n’avez pas besoin de plus
de temps. Il vous faut simplement
habiter davantage celui dont
vous disposez pour ce qui
importe vraiment.
– RÉMI TREMBLAY
Deux mois plus tard… L’arôme de café frais moulu envahit doucement les narines d’Olivier. Calé dans un large fauteuil de cuir brun, il observe les derniers rayons du soleil qui pénètrent par les vitres et viennent éclairer les plantes suspendues ici et là. Une douce musique baroque confère au lieu une chaleureuse ambiance. Alors qu’il allonge ses longues jambes sous la table basse, il admire la céramique aux allures toscanes qui recouvre le sol et le lambris qui longe les murs. Un comptoir vitré propose diverses pâtisseries. L’endroit est vraiment magnifique et attire une clientèle diversifiée. La salle se remplit. Bientôt, il n’y aura plus une place de libre. Son journal sur les genoux, il déguste son café au lait avec lenteur et profite de la luminosité que lui offre la fenêtre juste à côté de lui.
Maintenant qu’il est revenu d’un camp d’entrainement de karaté d’une fin de semaine, ses muscles manifestent leur présence. Endoloris par l’effort physique fourni deux heures plus tôt, ils refusent de bouger de nouveau. Les cours avaient été exigeants mais bienfaiteurs. Olivier adorait participer à ces activités réunissant plusieurs centaines de participants. Ces derniers mois, l’ambiance du dojo¹ avait été salutaire par son effet