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Burning Confessions: Tant de façons de rester impuni de crimes que l’on a commis
Burning Confessions: Tant de façons de rester impuni de crimes que l’on a commis
Burning Confessions: Tant de façons de rester impuni de crimes que l’on a commis
Livre électronique648 pages9 heures

Burning Confessions: Tant de façons de rester impuni de crimes que l’on a commis

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À propos de ce livre électronique

« Comme s’il s’agissait d’un petit train », jubilait l’amphitryon dans sa tête avant d’être pris d’un définitif étourdissement ; son ombre suit le convoi sur les talons de l’officier de police judiciaire, lui-même dans les pas de son collègue Fredo. Appliqué dans son avancée à touche-touche, à peine sent-il, appuyé sur sa nuque l’embout rond du canon d’un 357 SIG Parabellum armé d’un silencieux, qu’une balle calibre 9 mm cloque la peau de sa gorge, la traverse pour aller se ficher dans le haut d’une planche d’un bois épais posée, cinq mètres plus loin, sur le bahut de la salle à manger. À son tour, car le tireur n’est pas homme à s’embarrasser de discours, sans se voir intimer la moindre sommation, Leforestier, dit Fredo, n’a ni le temps de dire ouf ni d’émettre quelque signe de stupéfaction, amorce un geste de recul, tourne la tête quand dans l’instant, une seconde balle du même calibre lui gaufre le milieu du front.
Temps d’action : deux secondes six centièmes ?!
Le sang gicle en tous sens sitôt le troisième projectile, fait-il éclater le crâne en pleine rotation.
LangueFrançais
Date de sortie26 sept. 2019
ISBN9791029010026
Burning Confessions: Tant de façons de rester impuni de crimes que l’on a commis

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    Aperçu du livre

    Burning Confessions - Dan Ross Smague

    cover.jpg

    Burning Confessions

    Dan Ross Smague

    Burning Confessions

    Tant de façons de rester impuni de crimes que l’on a commis

    Thriller

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    © Les Éditions Chapitre.com, 2019

    ISBN : 979-10-290-1002-6

    Remerciements, à vous, monsieur le commissaire, vous, les commandant, capitaine, Officiers de police judiciaire et autres hauts gradés des départements de La Redoutable qui m’ont aidé à construire ce roman.

    Ils se reconnaîtront.

    Ce roman est avant tout une fiction du parcours de l’un des plus célèbres tueurs de ces derniers mois toujours en cavale.

    À l’instar des noms et prénoms exposés qui ne sont que des emprunts, certains faits relatés sont sortis de la pure imagination de l’auteur…

    Avant-propos

    Ce thriller se déroule dans les rues de votre ville, de nos jours où, par le fait du hasard, le meurtrier entre dans un institut de relaxation.

    Burning Confessions est avant tout l’affaire d’un tueur.

    Un tueur : un individu, violent dans le geste, qui aime découper, désosser, démembrer ses victimes, un monstre sans aucun scrupule, sans la moindre délicatesse.

    Ses méthodes sont brutales, audacieuses et d’une cruauté insoupçonnée.

    Son impunité est celle des très grands manipulateurs usant de leur double personnalité, de leur savoir-faire, de leur position sociale pour se livrer aux pires atrocités.

    Un psychopathe ne se classe ni parmi les psychotiques (réellement aliénés) ni parmi ceux qui souffrent de leurs troubles (les névrosés).

    Un psychopathe est un individu instable, impulsif et dangereux dont le comportement fait souffrir, essentiellement, son entourage.

    Serait-ce votre voisin, un de vos amis ou de vos collègues ?

    Mais au fait, connaît-on vraiment les gens qui nous entourent ?

    I. Une tête sur le lac gelé

    En ce froid et rigoureux dimanche 22 décembre au matin, dès huit heures pétantes, le futur célèbre coureur en finale des prochains Jeux olympiques qu’il est censé devenir, principalement dans ses rêves les plus extravagants, José-Luis, s’apprête à fouler les abords désertiques de l’allée de la Chaussée de l’Étang.

    Prêt à sortir de l’appartement familial, tête couverte d’un chaud bonnet jaune, mains gantées de vert fluo et bien emmitouflé dans un sweat runner rouge que sa femme lui a offert en cadeau trois jours avant Noël, José-Luis s’admire devant le miroir de la salle de bains.

    – Comment tu me trouves ? demande-t-il à Maria-Fernanda, laquelle s’impatiente.

    – Chouper ! sourit-elle, avec un violent accent portugais, pressée de voir déguerpir son mari afin qu’elle puisse se livrer au ménage de l’appartement avant de s’installer en cuisine.

    Après le tour de son frère Antonio, celui de sa sœur Maria-Térésa récemment mariée, c’est à leur tour de recevoir à déjeuner les parents, Roselita sa belle-sœur et femme d’Antonio, Carlos son beau-frère et mari de Maria-Térésa et toute la clique de neveux et nièces des deux couples.

    – Mes running ça va ?

    Ses très jolies chaussures noires de course à pied, spéciales longues distances floquées d’un sigle orange fluorescent, sont neuves et José-Luis compte bien les roder avant les courses sur route de fin d’année et du début de la prochaine.

    – Elles chont très belles mon chérri ! lui colle sa femme en même temps qu’un baiser sur l’oreille protégée sous la laine du bonnet en exhibant davantage encore l’accentuation déjà exagérée de son pays natal.

    Tandis que Maria-Fernanda pousse gentiment son José-Luis de mari vers la porte de sortie, elle ajoute qu’il lui rappelle les petites filles de sa ville natale de sortie le dimanche pour la messe en l’église de Tossa Senhora da Conceicao Velha.

    – Oh, t’exagères, ça n’a rien à voir, rétorque l’improbable futur champion, je suis bien dedans et celles-là au moins ne sentent pas la chèvre quand je me déchausse.

     Pou’l’inchtant, laisse chuinter Maria-Fernanda entre ses dents.

    – En plus, le rouge avec le jaune et le vert de mon sweat-shirt, ça fait super chouette, c’est cool, joyeux, ça pète, c’est la fête. Nan ?

    – Certo, certo vá !, acquiesce Maria-Fernanda en se tortillant comme le ferait un ver pour regagner le dessous de sa soie.

    Cinq étages et deux rues plus tard, après s’être élancé sur l’avenue de Bel Air, à quelques mètres du Chalet du Lac, José-Luis contourne la placette au milieu de laquelle le patron du manège de chevaux de bois passe paisiblement son balai scarificateur.

    Le sympathique coureur à moustache est parti pour s’adonner à son sport favori durant plus d’une heure. Le sol est gelé, la terre brille, elle craque sous ses foulées rythmées. Évitant les plaques verglacées, José-Luis descend avec précaution, mais sans ralentir, l’allée en pente douce avant de se retrouver face à l’étang. La nuit précédente, il a gelé à pierre fendre et la surface de l’eau, avec la luminosité du jour naissant, ressemble à un miroir écaillé. Le coureur de fond qu’il est, a pris pour habitude d’en faire une fois le tour pour échauffer ses muscles avant de filer au hasard des allées en direction de l’hippodrome de Vincennes. Il augmenterait l’allure autour de ce dernier, puis reviendrait en suivant le trajet inverse.

    Au bas de la pente, alors que son front commence à perler, qu’il se dit qu’il est trop couvert, son regard est attiré par une chose figée au beau milieu du lac ; un objet, une sorte de figure de gros poupon, entourée d’un sac-poubelle à moitié durci par le gel. La grosse figure émerge d’entre les lambeaux anthracite tourbillonnants par à-coups sous les griffes du vent. José-Luis rouspète : « Venir jeter ses gravats ici, tout de même… Je trouve incroyable. La bêtise des gens est vraiment sans limites », ronchonne-t-il sans arrêter de courir.

    Il ne fait pas plus de dix foulées, qu’intrigué, dérouté par une étincelle traversant son esprit, il diminue l’allure, marque un temps d’arrêt, fait demi-tour et retourne sur ses pas. Il hésite le temps de compter jusqu’à deux, puis ralentit nettement pour mieux poser son regard, observer et… là, foudroyé parce qu’il voit maintenant parfaitement, il s’arrête net. Stupéfait, il n’en revient pas. Il porte sa paume de main devant sa bouche fumante dans le même temps que ses yeux s’arrondissent, que des frissons parcourent son corps. À un coureur le croisant, muettement il fait signe de stopper, tend le bras au bout duquel, index pointé vers la chose, il lui indique de regarder.

    La curiosité lui bine le cerveau, une frayeur étouffée ratisse ses neurones, ses yeux ne peuvent se détacher du visage sur lequel repose, lui semble-t-il, un sourire. Le sourire d’un masque d’une pâleur cadavéreuse.

    – Putain, mais c’est pas possible !? C’est horrible ! lâche dans l’instant, l’autre coureur.

    – Tu vois ce que je vois ? C’est bien une tête !

    La quarantaine, dans un flot de vapeur sortant de sa bouche, une joggueuse les brusque.

    – Une tête de femme, dit-elle, essoufflée.

    Elle trotte sur place, se met à geindre puis implore sa mère et pour ne pas tomber, et se retient à une clôture. À ses pieds, une famille de canetons se jette et patine sur la mer gelée avant de trouver un courant d’eau.

    Un chien, observateur à son tour, aboie. Les palmipèdes inaccessibles, alors que son maître, n’en croyant pas ses yeux, lui taille le bout de gras, le cabot ne souhaite qu’une chose : se remettre à gambader.

    Telle une chute de pierres en pleine figure, l’abominable image percute la petite troupe de coureurs du dimanche. Saisi par l’horreur, sa ligne de vue ne pouvant dévier d’un centimètre, José-Luis demeure dans une position quasi monastique, jambes coupées. Le faciès, qu’il distingue, en lieu et place du nez, présente un trou ; une bouche sans lèvres, grande ouverte qui révèle, maintenant qu’il la distingue mieux, une moue noircie d’un sang coagulé sur un menton, certes délicat, mais tailladé.

    À présent, son tee-shirt trempé d’une sueur gelée ne fait qu’un avec son corps et il tremble de froid. Sans rien tenter d’autre que détacher son regard de ce cauchemar, José-Luis lutte. Il lutte pour s’en extraire. Dans le groupe de curieux frigorifiés et horrifiés qui grossit, certains bégayent en essayant d’expliquer l’inexplicable, d’autres, téléphone en main, essayent de joindre la police.

    Soudain, une bourrasque plus violente rase le lac gelé, un coin du prélart frémit, les yeux s’arrachent alors du regard cadavérique qui tient paralysé tant José-Luis que la petite troupe compacte de ces curieux agglutinés comme des larves autour d’un champignon pourri. Entre les souffles coupés, les respirations saccadées de ces coureurs blêmes, chancelants, à la limite de la nausée, quelques cris, brefs, aigus, spontanés, désarticulés, formés d’onomatopées : « Aïe ! Oh l’horreur ! Ah, pas possible ! Oh, mon Dieu ! ».

    Cris ou chuchotements – dont il est difficile d’en rapporter un sentiment autre que la désolation, face à la monstruosité, l’atrocité de la situation tant hachée, décousue – émergents de bouches durcies, violacées par ce froid de canard, lesquels étrangement, venaient tous de disparaître, et c’était bizarre, commentera plus tard José-Luis.

    Tel un fauve domestiqué, en devenir dans ses rêves les plus glorificateurs, le coureur vedette lâche prise pour se remettre à son sport favori. José-Luis rebrousse chemin aussi vite qu’il le peut. Tant bien que mal, sous l’effet du choc tant visuel qu’émotionnel, il fonce droit devant sans parvenir à chasser l’image. Soixante secondes d’une course à tambour battant, à bout de souffle, congestionné, visage éclatant comme une sauce ketchup de tomates vertes et il s’en remet au patron du manège de chevaux de bois, servant également de gardien en faction à l’entrée principale du parc. Tout d’abord, José-Luis prouve quelques difficultés pour sortir trois mots.

    Attentionné, celui qui en voit de toutes les couleurs au quotidien, le corps en appui sur son balai, attend. Ensuite, après les révélations, il dit qu’il ne peut pas le croire. Puis, nonchalamment, il se décide, sort son portable de sa poche et compose un numéro, tandis que José-Luis rebrousse définitivement chemin. Maria-Térésa ne sera pas des plus ravies, mais bon, se dit-il, quand je vais lui raconter, elle ne pourra que comprendre.

    ***

    Trois mois auparavant.

    Cet homme a pour patronyme Levaillant, son prénom : Jean-Bernard.

    Jean-Bernard Levaillant descend du bus. Avant de traverser la rue, il attend que ce dernier reparte. Dès que Jean-Bernard pose le pied sur le trottoir opposé, machinalement, il se retourne pour s’assurer que personne ne le suit. Il n’y a âme qui vive dans ce quartier de la banlieue est de Paris. Ni derrière ni devant lui.

    Un fin rideau d’une brouillasse de travers apporte un semblant de répit à la chaleur de cette presque fin d’été. Des orages ayant éclaté en fin d’après-midi l’avaient incité à retarder son départ du boulot ; il en avait profité pour terminer d’ordonner ses affaires et aussi préparer sa routine du lendemain.

    La chaleur était insupportable. Tout le monde s’en plaignait. Les gens disaient qu’une telle chaleur, ce n’était pas normal pour une fin de mois de septembre. « Les mêmes gens ne se souvenaient pas que l’année dernière, il faisait aussi chaud », lamentait Jean-Bernard, sans évidemment le leur dire. Sur le chemin du retour, après un premier changement de réseau ferré, puis de ligne, dans le métro plein à craquer, bouillonnant, Jean-Bernard s’est mis à suffoquer. N’y tenant plus, serré comme un poireau défraîchi dégoulinant de sueur dans une botte, il descend à la station Robespierre.

    Logiquement, il aurait dû attendre la rame suivante ou celle d’après en espérant que l’une ou l’autre soit occupée par moins d’usagers. Mais non, sans même se poser la question, suivant le troupeau, Jean-Bernard Levaillant, un mouton de plus, tête baissée, tête ailleurs, transhume le long du quai du métro. En bon dernier, derrière la longue file, il grimpe un premier escalier, longe un couloir, bifurque sur la droite pour à nouveau monter vingt nouvelles marches avant de se retrouver à l’air libre, mais pollué, sur le large trottoir bordant l’avenue Jacques Duclos.

    De cet endroit, précis, normalement, il lui fallait rejoindre la station Place de la Mairie située à un moins d’un demi-kilomètre pour attraper « mon 318 », comme il disait, lequel bus le déposera – après tout, deux heures et demie plus tard – à deux rues de son pavillon de banlieue.

    Jusqu’à ce jour Jean-Bernard n’était jamais descendu à cette station de métro.

    Jamais !

    D’ailleurs, de ce quartier « Jacques Duclos » excentré, il n’en connaissait rien. Il n’aurait pu ni su expliquer pourquoi, mais en cette soirée de fin septembre, poussé par une sensation de mal être – mal être qui sans être récurrent n’en était pas moins rare – et pour un tas d’autres raisons – raisons qu’il n’arrivait pas et n’arrivera jamais à s’expliquer – Jean-Bernard engage le pas en direction de l’arrêt de bus Place de la Mairie.

    Ce mal être était-il dû à la chaleur, à la foule, aux deux, à cette obsession constante, à ses images séquentielles dont il ne parvenait pas à se libérer ? Il ne pouvait rien en dire.

    Bien qu’il ne connaisse pas le secteur, l’homme déambule parmi des commerces en tous points semblables à ceux de son quartier. Même puanteur devant chez le boucher – l’odeur de la viande fraîche qui ne l’est plus l’a toujours rebuté –, constate-t-il, avant qu’une émanation de friture l’assaille alors qu’il croise un vendeur ambulant de beignets.

    D’autres nauséabondes vapeurs, en effluves poisseux mous et affadissants, lui giflent la figure. Dans cette nouvelle fournaise ambiante mêlée aux gaz d’échappement des véhicules bloqués en un long cortège stagnant ; ce salmigondis flottant dans l’air s’insinue dans tout son être le lardant d’une pulsion qu’il s’efforce de chasser en tournant les talons pour s’engager dans une rue perpendiculaire dont il n’a que faire du nom.

    Depuis six ans et huit mois, Jean-Bernard complète sa pension de retraité militaire par un boulot de responsable polyvalent (catégorie A, A comme agent de maîtrise), au sein d’une fabrique de cosmétiques. Lui, parce que son passé dans les rangs de l’armée de terre, puis au sein d’une cellule de la Direction générale des Services extérieurs ne s’efface pas en claquant des doigts, cette fabrique de cosmétiques, il l’appelle la caserne. Caserne dont le siège se trouve dans l’Ouest parisien à deux heures de son domicile. Deux heures à condition que le RER A, le B, puis le métro ne rencontrent pas de problèmes tels une panne technique, un incident caténaire, sachant très bien qu’un malaise voyageur ou cent autres péripéties comme une valise abandonnée, une descente de voyageurs sur la rame, etc., pouvaient compromettre et retarder le trajet d’un temps indéfinissable.

    Parfois, il se rendait à la caserne au volant de sa voiture.

    Ce jour de fin septembre, curieusement, si Jean-Bernard se référait au temps réalisé, bien qu’il lui restât un bon bout de marche et quatre stations à bord de son 318, le voyage retour du travail s’était correctement passé… « Malgré cette putain de chaleur épouvantable », avait-il râlé plus de cinquante fois.

    Dans cette rue, perpendiculaire à l’avenue Jacques Duclos, sans se presser, il avance en relevant la tête afin d’éviter celles et ceux qui marchent le nez dans leur portable ; façon de marcher qu’évidemment Jean-Bernard Levaillant exècre.

    Dans le quotidien de Jean-Bernard, nombreux sont les faits et gestes, les événements et autres aléas impromptus qu’il n’aime pas. À qui oserait le questionner : « Comme quoi, par exemple ? » Jean-Bernard Levaillant ne manquerait pas de rétorquer, entre autres, que se laisser surprendre dans les embouteillages l’horripile, de même que tourner en rond plus de cinq minutes pour trouver une place où stationner le rend hystérique. Jean-Bernard Levaillant déteste les gens qui traversent hors des passages réservés aux piétons. Il a aussi en horreur les chauffards changeant de file sans avertir, ceux qui conduisent avec le portable collé à l’oreille, sans parler des voyageurs du métro : « Tous des bœufs !, restant plantés face à la porte empêchant les autres : « les moutons !, d’en descendre. » Les jeunes qui voyagent dans le RER, dans le métro et même dans le bus en posant leurs pieds sur la banquette leur faisant face le répugnent, et quand il en parlera à ses petits-enfants – si son Jérôme de fils se décidait, un jour, à en avoir –, il n’hésiterait pas à leur dire que ces jeunes cons méritent ni plus ni moins une bonne paire de claques. Jean-Bernard ne supporte pas, non plus, sauter un repas ; ça le rend de mauvaise humeur comme manquer de cigarettes plus de sept minutes peut lui donner des convulsions. Il hait les amoureux s’embrassant en public, et aussi, et surtout la prétendue démocratie ; il confesse aisément qu’il n’y avait pas de place pour cette race dans le siècle actuel. Jean-Bernard déteste également ceux qui se font incinérer… plus encore, il ressentait une énorme frustration de ne pouvoir leur dire en face avant qu’ils ne meurent. Les hommes se faisant faire des implants lui hérissent le poil. Jean-Bernard, lui – depuis qu’il a quitté les rangs de l’armée – exhibe une tignasse se hérissant en mèches de travers sur sa tête. Il n’aime pas les coiffeurs « tous des pipelets », dit-il en postillonnant ; de fait, il ne se fait couper les cheveux, que trois ou quatre fois l’an.

    Les vieilles et les vieux ; « à commencer par ma mère », ajoute-t-il sans se l’interdire, le gonflent au point où, si cela ne tenait qu’à lui, il les ferait interner sans hésiter. « Tous, surtout les vieilles ; déjà que plus jeunes, les hommes ne peuvent les faire taire, alors que rendues à l’état de fossile, imaginez un peu… », lâchait-il sans plaisanter ajoutant qu’il ne pouvait pas se résoudre à les voir n’était-ce que haleter. Parce que pour lui, les vieux ne respirent pas, ils halètent. « Ils/elles sont tous à achever, en commençant par ma mère », ponctuait-il pour en faire de même avec le débat, avant de le reprendre :

    « C’est comme cette absurdité d’envisager de leur octroyer, à ces grabataires en devenir – si ce n’est déjà le cas –, le remboursement des prothèses dentaires, auditives et, ou autres. Au point avancé de leur décrépitude, où qu’ils se trouvent, ces vieux, même vingt, voire dix pour cent cela ne sert à rien. »

    D’ailleurs, n’en avait-il pas touché deux mots à Max, son référent de LREM pour qu’il avertisse urgemment le président. Mais c’était avant d’en avoir soupé de ce clan d’incompétents ; avant qu’il ne s’évade des rangs de ces nouveaux moutons galeux bêlants.

    Enfin et surtout, Jean-Bernard éprouve une saine et franche répulsion vis-à-vis des femmes siliconées, vieilles et moins vieilles, et il avoue qu’il n’en a, hélas, pas encore connu.

    Sous un ciel d’une noirceur inédite pour la saison, un gros orage menace Paris. Son corps ruisselle de sueur, sa chemise colle à la peau lorsque les premières gouttes claquent sur la chaussée.

    Inespéré, déroutant, brusque : l’orage éclate.

    À peine a-t-il parcouru cinquante mètres, pas plus, qu’il songe à faire demi-tour pour regagner la station de métro.

    Il se sent de plus en plus mal.

    Las, il se fait violence puis finit par gueuler. Il s’indigne, s’emporte, peste, jure à haute voix.

    Il hésite encore…

    Ceux que cet homme déteste dans la vie, vraiment, mais vraiment cet homme les déteste, ce sont les gens qui hésitent, tatillonnent, tergiversent. « Putain, argumente Jean-Bernard, imagine, t’as un flingue braqué face au tien… si tu hésites : t’es mort dans la seconde. »

    Une pluie drue, d’une rare violence, s’abat brusquement.

    Surpris, Jean-Bernard ne sait qu’entreprendre. Il ne voit rien, pas de bar, pas d’autre commerce pouvant l’accueillir. En tournant la tête vers une vitrine à l’intérieur de laquelle clignote une guirlande verte sur un fond carmin, son regard est aussitôt attiré par l’enseigne néon qui indique que le lieu est OUVERT.

    Avec cette chaleur, sous cette pluie torrentielle, il se sent, d’un seul coup d’un seul, épuisé. Les jambes n’arquent plus, le dos est lourd, la nuque également, les épaules pèsent une tonne. Tandis que l’orage ne permet plus de continuer sans être rincé de la tête aux pieds, véritablement rincé, Jean-Bernard, dont les yeux se sont attardés trois secondes sur la nature du commerce, sans temporiser une de plus, saisit la poignée de porte, l’abaisse, pousse, mais elle oppose une vraie résistance. Sous l’effet de l’ondée, il entre la tête dans les épaules, insiste, presque rageusement, quand, tout en faisant s’entrechoquer des tubes de laiton placés sur le haut du vantail, la porte s’ouvre en grand.

    – Bonjour, dit-il en avançant d’un pas déterminé, d’abord pour s’abriter, puis il s’enhardit.

    – Quel orage ! Vous avez déjà vu une pluie pareille ? continue-t-il comme s’il voulait justifier son entrée.

    – Bonjour. Massage ? lui répond une jeune femme dont il remarque d’emblée le sourire avant de la trouver bizarre, mais aimable.

    Il marque un temps d’hésitation ne pouvant affirmer si elle fait mine d’ignorer ce qu’il vient de dire ou si, simplement, elle n’a pas compris ou pas entendu. Toujours souriante, presque enjouée, la jeune femme d’origine asiatique offre un visage, une allure, un corps qui appâtent un soudainement ragaillardi Jean-Bernard.

    De taille moyenne, mince, vêtue d’une courte robe noire laissant entrevoir des épaules rondes et un cou lisse, la jeune femme se glisse derrière lui pour refermer et verrouiller la porte.

    – Massage ? propose-t-elle à nouveau en repassant devant Jean-Bernard, et elle lui tend une sorte de menu sous plastique qu’il saisit du bout des doigts.

    – Déconcerté, ne sachant pas de quoi il retourne, il lit sommairement avant de se lancer.

    – Ah… Désolé. Je vais vous faire une confidence, c’est la première fois que j’entre dans une boutique de massage, ose-t-il, avec une vraie réserve.

    – Ici, salon massage, pas boutique, corrige le petit bout de femme en souriant de plus belle.

    – À l’extérieur la pluie tombe à seaux.

    – Ah, mais comment ça se passe ?

    – Vous, choisir massage, payer et passer derrière. Massage faire du bien. Détente complète, et après : grand calme.

    – Vous parlez français ?

    – Oui, un tit peu. Moi Sinoise.

    – Ah, dit-il confondu sans lui poser ni se poser d’autres questions.

    La Chinoise ne se départit de son sourire. Elle a les bras tendus le long du corps, et les doigts pianotent sur le haut des cuisses.

    Jean-Bernard replonge dans le menu. Ses yeux vont des prestations proposées à la jeune femme qui n’a de cesse de l’observer. Son sourire, qu’il avait jugé inexpressif dans un premier temps, paraît s’animer dès lors qu’il fixe son regard dans les pupilles jais de cette petite perle. Il s’en veut d’avoir pu penser à un tel surnom. Surtout qu’actuellement avec cette vague, ce déferlement d’accusations, de harcèlements, il fallait surtout ne rien émettre, ne rien dire au risque de…

    Une conversation entre employés de son boulot à propos d’accusations entre gens du spectacle lui traverse l’esprit et se mêle à la situation qu’il vit dans l’instant. « Que des racontars à la con », avait-il dit avant de s’en écarter.

    Dans le doute, alors que de grasses cordes s’abattent sur la devanture du salon de massage, il demande qu’elle lui explique la différence entre les massages, chinois, thaïlandais, le japonais, à la plume et, temporise-t-il, le royal ?

    – Tous, c’est bon. Thaïlandais pas cher… 50 euros. Une heure, c’est mieux pour vous. Plus énergique. Royal… c’est tout nu, toi et moi.

    Pour le moins surpris par cette confession tranchée, directe, Jean-Bernard reste ébahi sans pouvoir mot dire.

    Bonne observatrice, et bien évidemment habituée à ce type de réaction, l’enjôleuse se rapproche de son espéré client pour pénétrer sa zone de confort. Bloquée contre le mur, sa proie ne peut lui échapper. Alors, avec dextérité, sans qu’il puisse réagir, elle pose une main sur le plastron de la veste humide, avant d’en faire glisser la paume sur la chemise à hauteur de la poitrine de sa prochaine capture.

    – Oui, je suis trempé, réagit-il.

    – Pas problème, sourit-elle de toutes ses dents blanches, et elle prend les devants en aidant Jean-Bernard à se défaire de sa veste.

    Décontenancé, devant l’assurance de la perle face à sa grande carcasse, il demeure sans réaction.

    Depuis des mois, depuis qu’il avait surpris cette fameuse conversation entre cadres, ouvriers et employés de tout âge, lesquels rigolaient et plaisantaient sur les pratiques, supposées douteuses, exercées dans ces instituts, devant leur nombre croissant, Jean-Bernard s’était posé la question, à savoir en quoi consistaient-ils exactement. Mais bon, il n’en avait aucune idée simplement parce qu’il n’avait jamais poussé, ni même pensé un jour pousser plus loin, ni sa curiosité, ni quelconque intérêt à de tels endroits. Là, il n’avait rien calculé, rien prémédité, rien prévu, surtout pas cette grosse averse et vlan, son regard s’était cogné contre cette enseigne, dans cette vitrine, et forcé par l’orage : il a poussé la porte.

    Il pose l’index sur : Thaïlandais… 1 heure… 50 €

    Heureuse de la décision, la Chinoise envoie ses instructions :

    – Vous prendre douche !, moi préparer tatami !, tient pour acquise la jeune masseuse dont les yeux bridés s’enflamment soudainement. Dans un rituel bien ordonné, elle accroche la veste sur une patère de bronze incrustée de figurines : des têtes de dragons.

    Depuis son entrée hasardeuse en ce lieu, cette sensation de mal-être l’avait bizarrement quitté pour l’assaillir et s’installer de nouveau. Durant un instant, il pense même s’enfuir. Sans rien dire, il demanderait pardon ou dit : « Excusez-moi » puis, sans donner la moindre explication, il prendrait la tangente et adieu le massage. Ce serait simple et facile à faire.

    De se laisser aller à ce genre de comportement, cela lui arrivait quelquefois, et il avait, bien sûr, en horreur d’agir de la sorte.

    Souvent, Jean-Bernard s’obstine à vouloir ou conquérir quelque chose, il se fixe des objectifs pratiquement hors de sa portée, des objectifs lui paraissant impossibles à atteindre, mais « qu’à cela ne tienne », se dit-il à chaque fois avant de se lancer à l’assaut. « C’est de la faute ou grâce à ce souvenir maudit qui est ancré en moi. Depuis ce jour, j’ai cette conviction qu’il ne m’arrivera rien de grave ! », s’incline-t-il toujours face à l’évidence.

    Alors, avec cette inébranlable conviction, il s’efforce, il y met tout son cœur, il bataille pour l’obtenir, et dès qu’il atteint son but, qu’il la possède cette chose : il regrette.

    « Là, non ! » se reprend-il.

    Il se secoue, déplace son regard de sur la gorge de la jeune asiate. À l’opposée de la pièce, une desserte, assez bonne réplique d’une Table impériale pour célébration de mariage, en laque rouge sculptée et ajourée d’un fond chamois ; accrochées aux murs, deux paires de fresques chinoises anciennes, plusieurs peintures sur soie représentant certainement quelque dignitaire illustre, apportent une touche couleur locale à l’endroit.

    « Pour ce quartier, pense-t-il, je ne sais pas si les clients font attention à ces détails. »

    Malgré tous les efforts consentis dans cette décoration surfaite, la chaleur émanant de cette attrayante jeune femme, un sentiment étrange de gêne, d’embarras le gagne de nouveau et en même temps s’éveille l’éréthisme nerveux que les yeux enjôleurs, le corps à peine voilé, les mains douces et fermes à la fois, laissent présager de doux moments.

    En deux phrases hachées et trois mots estropiés, la ravissante maîtresse des lieux l’affranchit et le libère de cinquante euros pour une heure de volupté… massage, douche et serviette inclus, comprend-il. Il demande s’il peut payer par carte bancaire. Elle ne répond pas, mais lui tend un petit terminal. Vite, très vite, par instinct et moins d’un quart d’une demi-seconde de réflexion plus tard, pensant qu’un autre moyen le soulagerait postérieurement – son passé d’ex-agent le faisant réagir – qui savait, de quelque explication à fournir, il se ravise et aligne deux billets de vingt et un de dix euros sur le comptoir de bois. Alors qu’il replie d’autres billets, puis remet son portefeuille au fond de sa poche de veste, l’astucieuse et aguerrie Chinoise informe Jean-Bernard qu’elle répond au nom de Lili.

    Ensuite, telle une anguille jaillissant de sous sa roche, elle se faufile pour s’assurer qu’elle avait déjà, par deux fois, tourné la clef dans la serrure de la porte d’entrée ; elle l’ôte, la pose sur le comptoir tire l’épais rideau rouge, obstruant de la sorte la vitrine, puis elle éteint l’enseigne. Après quoi, Lili empoche son argent, range le terminal et, sans jamais se départir de son ineffable sourire, elle invite son client à la suivre. Sans détour, avant d’aller plus loin, elle lui demande de se défaire de ses chaussures. Jean-Bernard, en vieil habitué aux ordres, s’exécute dans l’instant. Lili lui prend alors la main et, sur dix pas, ils empruntent un couloir au long duquel une lumière tamisée semble retenir de mystérieux secrets. La jeune femme s’arrête devant des casiers d’osier. Elle extirpe un épais et soyeux drap de bain avant de reprendre son chemin pour stopper net devant une porte qu’elle ouvre immédiatement. Bien que la lumière bleutée de la salle de bains séduise Jean-Bernard, une nouvelle appréhension l’assaille. Une stridente alarme lui titille le cerveau.

    – Ça va ? dit-elle reprenant et pressant la main de son invité. C’est du moins ce qu’elle lui fait croire.

    – Euh… Oui ! admet-il, penaud qu’il se sent vraiment, car ce pressant saisissement cause en lui une forte désagréable impression.

    – Toi prendre douche… mettre ça (elle lui tend un peignoir de coton) et, entrer ici après.

    Joignant le geste à la parole, Lili allonge le bras. De la main, elle écarte un rideau qu’elle fait glisser sur sa tringle. Jean-Bernard observe l’intérieur de la pièce, juste le temps de distinguer ce qu’elle appelait un tatami (lui ne voit qu’un matelas) posé à même le sol. Lili, avec habileté, l’attire gentiment à l’intérieur de la salle de bains.

    – Prochaine fois, douche tous les deux !

    Jean-Bernard reste muet.

    Jusqu’à ce jour, de toute sa vie, rarement, pour ne pas dire jamais, une femme (il n’en avait guère connu plus de trois y compris celle avec laquelle, un jour, il s’était marié) ne s’était montrée aussi audacieuse avec lui. Il en est aussi surpris que touché et même un tel ravissement tend à le submerger.

    Lili passe devant lui. Lorsqu’elle enjambe la baignoire, l’homme qu’il est ne peut s’empêcher de porter ses yeux sur le haut des cuisses de la jeune masseuse, observer le derrière rebondi, la taille si fine. Soudain, alors qu’elle l’aide pour déboutonner sa chemise puis ôter son pantalon avant de le faire glisser le long de ses jambes, le récupérer et le poser avec délicatesse sur un porte-manteau, le sang de Jean-Bernard se met à circuler avec ardeur et même, comme des vagues en pleine tempête, déferler contre ses tempes.

    – Douche tous les deux, prochaine fois. D’accord ?

    Il aimerait lui dire oui ! Lui crier qu’il est, qu’il sera toujours d’accord. Il a même envie de la prendre dans ses bras. Quelle pulsion doit-il contenir pour ne pas lui arracher ce simple tissu noir, étreindre ce corps souple et fragile de femme, bien en chair, ce corps si avenant contre le sien, d’homme, certes bien bâti pour son âge, mais tellement peu séduisant, si déroutant et aussi de la…

    Il gomme vite toute pensée effrontée de sa tête.

    Nu, recouvert d’un immense voile d’inconscience, replet d’une curiosité pure et douce d’amateur, Jean-Bernard reste béat, muet, bras ballants et se contente de sourire en bon naïf, tel qu’il se voit subitement, de pied, face à ce miroir installé là, précisément pour lui refléter sa propre image d’homme nu, d’homme tellement médiocre, limite pervers, diabolique pour se laisser aller à pareille onction.

    « On est toujours médiocre, voire diabolique, pour quelqu’un », lui avait dit un jour un colonel alors que Jean-Bernard confessait des actes qu’il avouait ne pas regretter, et c’était ces non-remords qui le chagrinaient au point de se considérer, insignifiant, limite misérable.

    Ce sentiment de médiocrité, il se l’était également pris en pleine figure quand sa femme, avant de le plaquer, l’avait enseveli d’un tombereau d’injurieuses vérités.

    Des paroles retentissantes, des actes percutants, voilà ce qui tournait à l’obsession dans la tête de Jean-Bernard.

    Lili ramène son client à elle lorsqu’elle décroche le pommeau de la douche, tempère l’eau, se retourne et lui fait signe, après qu’il a enlevé son caleçon, d’enjamber la baignoire à son tour. En experte, elle lui cale le pommeau en main, tapote une fesse, coulisse la porte et dit :

    – Prochaine fois, douche tous les deux !

    Tandis qu’elle lui échappe, il s’imagine l’étreindre fermement, mais avec douceur dans ses bras. Cela faisait longtemps (une éternité) qu’il n’avait connu pareil émoi.

    D’ailleurs, l’avait-il seulement connu ?

    II. Colbert et ses Indiens

    Paris. Quartier Gambetta – Brasserie de la place.

    Assis à peu près confortablement sur des chaises de bistrot, les trois fonctionnaires de police et néanmoins amis, y déjeunent à minima trois fois par semaine. Bien plus qu’une habitude, c’est un rituel. Le commissaire Colbert, en compagnie du commandant Archibal Chance et du capitaine Robert d’Averay, ce dernier répondant au surnom de La Galette pour ses origines bretonnes, s’attablent et font honneur à la cuisine de leur ami Paulo… Paulo l’étiolé.

    Paulo était affublé de ce sobriquet, non parce qu’il avait un teint ou une santé altérée, mais simplement parce que, plus jeune, il obtint une étoile dans un guide gastronomique connu et reconnu, en même temps qu’il laissa son autre étoile, sa femme Marguerite, s’échapper de son univers.

    À moins d’une affaire urgente – le commissaire Colbert entend par affaire urgente, une scène de crime à inspecter ou une convocation en haut lieu, encore que le grand patron aurait eu, lui, la délicatesse d’attendre le début d’après-midi – l’heure du déjeuner fait partie des droits et devoirs de la personne humaine.

    – Savez-vous que, resservait le commissaire Colbert pour le moins une fois par semaine, et je l’ai maintes fois constaté, la chose ou l’idée à quoi l’assassin, le meurtrier, le bandit suspend tout acte d’exécution ; ce qu’il ne se permet jamais, ce qu’il n’accepte de mettre en discussion ; ce qu’il ne renie ni ne trahit à aucun prix ?

    – C’est l’heure de la bouffe, répondaient en chœur La Galette et Chance.

    – Oui, l’heure du déjeuner ! continuait le commissaire. Cette heure, au même titre que chanter la Marseillaise sous le drapeau ; comme le sont le sol ou le devoir, d’ailleurs la galtouse en est un devoir, cette heure de la graille : elle est sacrée.

    Au menu, en ce jour de chaleur inédite : Petit salé aux lentilles. Et ça, ce menu, assorti d’un Gamay de derrière les fagots suivi de la crème brûlée maison, non d’une pipe en bois d’un petit bonhomme, aucun des trois poulets ne l’aurait manqué.

    – Il faut bien, comme dit sous le regard approbateur des deux autres, le premier nommé, que l’ivresse se passe… et comment qu’elle se passe l’ivresse ?

    – En tête à tête avec son assiette, répond à nouveau le duo préféré du commissaire.

    – C’est bien les Indiens, vous connaissez vos classiques.

    – Ainsi parlait le commissaire Colbert.

    – Chaous !, avec cette chaleur, on va passer l’après-midi un tantinet, incommodés. Croyez pas commissaire ?

    C’est parti pour une plus d’un tour de cadran de discussions, de quoi remettre le bleu de chauffe sur les vacances passées ; en Bretagne, les pieds dans l’eau froide, sous quelques gouttes tombées du ciel pour La Galette ; dans sa future maison de retraité du côté de Beaugency pour le commandant Archibal Chance, tandis que le commissaire Colbert, lui, n’avait pas quitté la capitale.

    Ses vacances, le commissaire les prendrait l’hiver prochain :

    – Quand les cons seront au charbon, les gangsters sous les verrous et les femmes divinement belles sous leur teint opaline, voudront se réchauffer, non pas au coin du feu avec leur bedonnant vieil homme de mari, mais dans la bonté et la puissance de l’homme… que je suis.

    – Tiens en attendant, coupe net le commandant Archibal Chance, la bonté du patron du 36 elle s’est manifestée. Il trouve qu’on tergiverse trop sur l’affaire Boisdonneau. D’aucuns des deux autres ne relèvent ce qu’ils considèrent comme un affront. Tout de même, le commissaire Colbert se demande comment Chance, peut savoir ce qui se passe aux 36, même si ce n’est plus le vrai 36, et pas lui.

    – Comment vous le trouvez ce p’tit Gamay ? Il se laisse boire tranquillou, n’est-ce pas, raccroche les wagons le capitaine La Galette.

    – Remarquable, claque sa langue contre son palais le commandant Chance, effectivement plus connu dans l’institution, depuis l’affaire KARDAPOVICH, tandis que le commissaire approuve en singeant son copain de toujours.

    – J’en ai rapporté deux caisses de Touraine l’an passé ; il ne m’en reste pas plus que trois ou quatre bouteilles, croit bon d’ajouter La Galette.

    – Mon salaud, t’as même pas eu l’idée de nous en faire don d’une petite lichette, rien que pour nous allécher.

    – Chance ?… Tu rigoles ou quoi ? s’offusque La Galette, tous les deux, vous m’en avez sifflé trois bouteilles avant les vacances quand on a fait tomber cette bande d’éclopés des Lilas.

    – Ah bon ? se contente Chance, en faisant rouler de gros yeux ronds jusqu’à Colbert.

    – Puis deux autres, ensemble, quand tu es venu me rendre visite le 15 août pour voir s’il avait conservé sa belle robe que tu as dit, en te marrant comme une baleine. En fait, continue dans la foulée La Galette, à propos…

    – En fait ou à propos ? le stoppe le commissaire Colbert lequel, dès lors qu’il lui semblait entendre la moindre erreur de langage, une phrase non conforme aux règles de la grammaire française, du bon usage des mots ou de la sémantique, se faisait un plaisir de relever le défi parce qu’il prétendait, le plus sérieusement du monde, être celui qui baragouinait le plus correct (il appuyait bien, sur le s de plus) dans le sein de l’institution. Et, ajoutait-il, c’est souvent sur une simple erreur de langage, une petite faute paraissant insignifiante au demeurant que, depuis près de quarante ans, j’arrive à coincer les malfrats. Tant les illustres escrocs en col blanc, que les violeurs et autres abonnés aux crimes. Avec vous, je ne fais que m’entraîner.

    Certes, il était vrai que Colbert menait de main de maître chaque enquête que sa division se voyait confiée, et aussi vrai que lorsqu’il présentait, preuves entre les dents, devant un juge un présumé coupable, ce dernier se retrouvait inévitablement dans la case prison. En termes de résultats, le bilan de son service forçait l’admiration… « Ouais, mais bon, quand même, et La Galette, se faisant l’écho des brigadiers et, pour généraliser, de l’ensemble du personnel policier du secteur, avouait qu’à force, avec tout le respect que son statut mérite, avec sa prétendue jactance bien comme il faut, le commissaire, il casse les bonbons à tout le monde.

    – On dit : « à propos », enchaîne Colbert, quand c’est ce qui vient au bon moment, tandis que : « en fait », tu peux, tu dois le remplacer par : « en réalité ». Maintenant si tu voulais dire : « au fait »… là oui, éventuellement tu peux remplacer ou ajouter : « à propos ». Tu vois ce que je veux dire ?

    Si le commandant Archibal Chance, à l’instar du capitaine d’Averay dit La Galette voyaient ou pas ; personne, vraiment aucune personne installée « Chez l’Étiolé » n’aurait pu se prononcer tellement la mine de ces deux-là ressemblait à la fois, au petit salé rose tendre, et au plat de lentilles figées qu’elles risquaient de devenir s’ils ne s’activaient pas à les engloutir.

    – Bon, ce n’est pas tout ça, tranche La Galette, j’ai un rapport à terminer pour quinze heures. Vraiment patron, il faut que j’y aille.

    – Ail et fines herbes, assaisonne Chance, pour semer un ridicule brin d’humour dans cette ambiance qu’il juge soudain trop sérieuse.

    – Oh, ça alors, c’est drôle, ne goûte pas le commissaire, en terminant par sourire parce qu’il ne peut plus se retenir. Donc La Galette, que voulais-tu dire avec ce : « à propos » ?

    – À propos de cette bande, les éclopés des Lilas, un pote du Central 13e, m’a fait part d’une indiscrétion.

    – Ah oui ? arque un sourcil Colbert.

    – Bien, comme je vous le dis, le gang des Chinois serait sur le point de changer de main.

    – De mains ou de baguettes, croit bon d’ajouter Chance dont l’humour, parfois, volait très en dessous, non pas de la ceinture, mais de la moyenne acceptable.

    – Tu ne t’améliores pas, le sèche Colbert.

    – Désolé mon cher, mais les chinetoques ils œuvrent comme un orchestre symphonique.

    – D’accord, tu te rattrapes comme tu peux.

    – Bon, ça vous intéresse ou pas, ce que je dis ?

    – Ne te fâche pas La Galette, nous t’écoutons.

    – Trois crèmes brûlées ! lance Chance, d’une voix autoritaire, à Louisette, la serveuse qui retirait les assiettes vides et attendait que ces messieurs se prononcent pour la suite.

    – Cafés après ? interroge-t-elle sur la même teneur.

    – Oui !, et serré pour moi, répond Chance.

    – Il en va de même pour La Galette tandis que le commissaire Colbert, sous le regard attendri de Louisette, commande une Verveine.

    – Tu sais que la serveuse a le même petit nom que ta femme, ose Chance qui peut tout se permettre avec son pote commissaire.

    – Ma femme, elle n’a pas son pareil, ni de copie… nulle part ! Ensuite, ma femme ne s’appelle pas Louisette, mais Louloute. C’est ma Louloute ! Point barre.

    – Alors soupire La Galette.

    – Bien sûr que ça nous intéresse ton gang de Chinois.

    – Ce que je sais sans trop entrer pour l’instant dans le détail c’est que le nouveau maître serait un type ayant élu domicile dans notre secteur, il logerait, là-haut sur les hauteurs, vous savez aux abords de la rue du capitaine Ferber.

    – Reprends ton souffle et ponctue tes phrases, sinon tu vas t’étouffer, ne peut s’empêcher le commissaire.

    – Non ?… Là où notre ex-président et sa belle avaient envisagé de douillettement se nicher ? se souvint Chance.

    – La campagne à Paris… Comme je vous le dis, précise La Galette.

    – En parlant de chinois, réagit un j’m’en fous comme de l’an 40 commissaire, puisqu’on mange des lentilles, la lentille, cousine du riz, c’est bien connu, bien je vais vous faire part d’une savante révélation. Écoutez bien, ça pourrait vous être utile.

    – Regard intrigué du capitaine comme du commandant.

    – Vous prenez, poursuit le commissaire, un paquet de lentilles ou de riz, mais je préfère les lentilles aux Chinois, ça a son importance vu que le riz il n’est presque pas de chez nous…

    – Regard très préoccupé, inquiet même, des deux autres.

    – Vous l’ouvrez le paquet de lentilles. Vous versez son contenu dans une casserole, avec de l’eau dans la casserole, évidemment. Ensuite, avant que l’eau ne soit en ébullition, avant même qu’elle ne frissonne, vous retirez une lentille… Une seule. Vous l’observez, vous la soupesez, la dévisagez cette lentille, enfin vous imaginez quoi… Ensuite vous la faites gentiment rouler entre vos doigts, vous la regardez une dernière fois et vous la replongez dans l’eau avec toutes ses autres copines lentilles… Vous remuez le tout et vous la recherchez. Vous immergez deux doigts dans la casserole, et si jamais vous repêchez la même lentille, vous entendez bien, la même lentille : vous avez gagné. C’est génial n’est-ce pas ?… Bien, sachez que pour le criminel que l’on recherche, c’est identique. Il est là, dans la foule comme la lentille dans la casserole. On doit l’attraper pour se l’empiffrer. Le souci avec la lentille, comme avec les Chinois, est que… on ne sait jamais si on a repêché la bonne parce qu’elles sont toutes pareilles. Quelles soient vertes, du Berry ou du Puy-en-Velay ou noires : elles sont identiques les lentilles.

    Chance et La Galette restent comme deux ronds de flan avant qu’ils ne se payent la tête de leur commissaire.

    – En plus, reprend le commissaire, eux… ils ne sont que jaunes alors, ça réduit la difficulté.

    – Les deux autres pouffent de rire.

    – Comme si on n’avait pas assez d’affaires à s’occuper. Il ne peut pas rester chez lui ton Chinois, abrège une première fois Colbert. Ma révélation est aussi ridicule que ton histoire La Galette. Tu veux que je te le dise ? Eh bien voilà, c’est dit !

    – À mon tour les gars ! Je vous en raconte une qui risque fort de vous intéresser ?

    – Vas-y Chance. On est là pour ça, pour que tu nous racontes des histoires. À condition que la tienne, elle dure moins de deux minutes. Nous sommes dans les arrêts de jeu, ne croupis pas en route mon pote.

    – Je la fais courte… C’est un de mes indics qui m’a raconté ça. Figurez-vous qu’il n’y a pas si longtemps, les faits remontent à une année environ. Dans un institut de beauté de la banlieue de Tokyo où se trouvait l’indic en question, une vingtaine de mecs font irruption, juste avant la fermeture, peu après minuit. Chaque mec porte un manteau de cuir noir, et tous brandissent un sabre. Lame de soixante centimètres, voyez le tableau. Apparemment, ça ne rigole pas. L’homme visé dans l’institut, celui pour qui ils font le déplacement, c’est un membre influent d’un clan local d’une société du crime japonais.

    – Un Yakuza ! dit Colbert.

    – Exact. À ce pontife de la crim, pour sa propre protection, l’établissement versait quelques centaines de milliers de yens chaque mois. Ce jour-là, l’homme visé était en train de se faire masser et dorloter. Le chef de la bande d’intrus fait irruption en hurlant à l’autre, au Yakuza, des mots, des menaces que l’autre, le Yakuza toujours entre les mains de la masseuse, ne comprend pas. Pour cause, l’intrus s’exprimait en mandarin. Il faut dire, pour justifier l’irruption de cette bande chez le Yakuza, que quelques jours auparavant, un client chinois s’était fait foutre hors d’un institut japonais du même genre. Œil pour œil, comme on dit là-bas. Le mec, le Chinois donc, était saoul et se livrait à quelques gestes déplacés, des propos irrévérencieux à l’encontre des masseuses. Évidemment, vous l’avez compris, il s’agissait ni plus ni moins de représailles. « Toi, qui es-tu ? » a continué dans un japonais aussi approximatif que méprisant celui qui fait irruption. « Qui je suis… un yakuza ! Toi, espèce de morveux, je t’ordonne de foutre le camp avant que je vous tue, toi et toute ta racaille de bande, avec ça ! » lui rétorque le Japonais en agitant, vous savez quoi ?… Une banale lime en carton qui se trouvait à portée de main. Les deux bandits se sont toisés un moment, puis le Chinois s’est radouci. « Tu es un homme courageux, bla-bla-bla. » Et il a terminé par lui dire qu’un homme de sa trempe devrait vite rejoindre sa bande, laquelle a foutu le camp sans rien toucher. Deux semaines plus tard, à peine…

    – Ce n’est pas fini, souffle Colbert.

    – Vingt secondes encore ; je te demande vingt secondes. Deux semaines plus tard donc, par crainte et aussi par force, parce qu’il n’avait pas le choix, le yakuza intégrait le clan des Chinois. Peu de temps après, dans une ville voisine, les membres de ce clan sont tombés comme des mouches. Lui, le Jap, s’en est sorti miraculeusement. Originaires de la province de Fujian, en Chine, les ressortissants chinois sont entrés massivement au Japon et vous vous en doutez, clandestinement. Constitués et super organisés en réseau, ils sont les rois du racket, commettent centaines de cambriolages, séquestrations en pagaille et toute la panoplie de crimes qui va avec. Le clan du yakuza contrôlait un vaste quartier animé de banlieue depuis longtemps. Les magasins qu’il protégeait n’étaient jamais attaqués par les Chinois, certes ça lui coûtait, mais lui rapportait bien plus, car il s’était associé avec les Chinois. Pour la mafia locale, les Chinois ne constituaient pas jusqu’à ce moment, une menace directe, c’est ensuite que les choses ont changé. Les yakuzas et les Chinois se sont livrés à une lutte sans merci. Aujourd’hui, la tendance diminue de semaine en semaine. Alors, où ça devient intéressant, enfin je veux dire, intéressant pour nous, policiers, c’est que, selon mon contact, les Chinois ont l’intention d’investir en masse dans le petit commerce du massage et du racket, et de la relaxation chez nous, en France.

    – Ce n’est pas nouveau. On connaît déjà tout ça mon pote, soupire Colbert.

    – Ouais, c’est plus que déjà bien parti, complète La Galette.

    – Dis, tu ne devais pas la faire courte ton histoire ? l’interrompt Colbert en se levant de sa chaise.

    – Si, mais c’est important monsieur le commissaire que

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