Les gens ça fait toujours des histoires
Par Dan Ross Smague
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Les gens ça fait toujours des histoires - Dan Ross Smague
Les gens ça fait toujours des histoires
Dan Ross Smague
Les gens ça fait toujours des histoires
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2019
ISBN : 979-10-290-0944-0
Avant-propos
Avant que je n’oublie, il me faut remercier les personnages (tous les personnages) qui m’ont incité à écrire ce roman. Même si je les ai parfois – souvent – affublés de sobriquets, par le fait de les avoir couchés noir sur blanc, j’ai souhaité leur rendre hommage.
Délirantes, surréalistes ou vertigineuses les situations abracadabrantesques dans lesquelles je les ai plongés ne sont qu’un témoignage de respect, de reconnaissance et d’amour. Amour que je n’ai su leur exprimer par pure bêtise, me dissimulant derrière ce mur hypocrite du temps qui passe et voit partir les êtres chers trop tôt.
Je me souviens de la soirée du jour des funérailles de ma merveilleuse grand-mère, soirée durant laquelle nous nous remémorâmes avec joyeuseté cent anecdotes vécues en sa compagnie, laissant baba l’assistance et faisant pisser de rire celles et ceux qui venaient de l’accompagner à sa dernière demeure.
Je regrette de n’avoir eu le courage, la hardiesse, l’héroïsme de lui dire de son vivant combien je l’aimais.
3 juillet
I. GEORGES ? NON, WILSON !
– Georges ?
– Non, Wilson !
– Avant tout, est-ce que vous êtes bien installé mon cher Georges ?
– Appelez-moi Wilson, surtout si vous devez écrire un livre.
– Wilson ?
– Oui, c’est mieux n’est-ce pas ? Moi, je trouve que ça sonne bien en tout cas.
– … Mon cher Wilson.
– Ah… Vous voyez ?
– Ne commencez pas à m’interrompre à tout bout de champ, souffle Jean-Claude, qui, bien qu’agacé face à l’attitude recroquevillée de son copain, laisse tout de même paraître un sourire à la commissure de ses lèvres.
– D’accord ? se radoucit Wilson. Inclinant la tête, il pose l’index droit sur sa bouche fermée en même temps qu’il écarquille les yeux. Il hoche la tête, remonte les épaules, s’apprête à parler.
– Hmm, racle-t-il du plus profond de sa gorge.
– Chut, chut, chut ! Ne dites rien… Geor… Je vous en prie, ne dites rien. Merci. Donc… Geor, euh pardon, je veux dire Wilson. Wilson : Croyez-vous au destin ?
– Hmm, hmm.
– Oh, je vous en prie, continue Jean-Claude, agacé par le comportement de Wilson. C’est une question, alors bien évidemment, vous pouvez retirer votre doigt de sur vos lèvres et me répondre. Ne faites pas l’enfant ; vous et moi avons passé l’âge !
– Le destin, il n’y a pas à y croire ou pas y croire ! Le destin est ! du verbe être, au présent. Un point c’est tout.
Jean-Claude, surpris par la réaction qu’il juge virulente, marque une pause, le temps d’une courte réflexion puis reprend en prenant soin de bien détacher chaque syllabe.
– D’accord ! Alors, écoutez bien l’histoire. Elle ne souffre d’aucune interruption, d’aucune coupure. Mon cher… Wilson, cette histoire va vous enchanter.
– Hé ! tire puis rengaine Wilson en se trémoussant pour mieux enfoncer son corps dans le moelleux des coussins du lit. Tel un gamin de huit ans dans l’espoir d’un conte merveilleux, l’homme au visage émacié affiche soudain des yeux pétillants au-dessus de joues fardées d’un rose orangé.
– Avant d’entrer au cœur de l’histoire, une question mon cher Wilson. Une question et ensuite je vous raconte. Bien sûr, je reste à votre écoute, mais seulement pour une information, un détail, au cas où je serais imprécis ou bien si je venais à écorcher, oublier, préciser un point qui pourrait vous échapper. À part ça : pas de commentaire ! D’accord ?
– D’accord !
– Tout d’abord Wilson, connaissez-vous Henri ?
– Henri… IV ou celui de la 114 ?
– De la chambre 114, voulez-vous dire ?
Wilson opine de la tête.
– Je ne connais pas le numéro de la chambre qu’il occupait.
– Henri, le grand qui jouait les Alzheimer ?
– Vous croyez vraiment qu’il en jouait ?
– Bah, bah, bah, bah… Pas qu’un peu, le gueux. Je l’ai toujours su. Fallait le voir prêter l’oreille ce péteux quand quelque chose l’intéressait.
– Bref. Curieux tout de même ? semble tomber des nues un Jean-Claude interrogateur. Curieux, ajoute-t-il tandis que sa tête, comme le font si bien les habitantes de nos poulaillers, émet un brusque mouvement vers l’arrière, curieux, car depuis dix ans qu’il est suivi par les médecins, ceux-ci auraient dû se rendre compte de la situation.
– Bah, bah, bah, bah… Les médecins, ici vous savez, ils viennent, font mine de… Voyez ce que je veux dire, précise Wilson en chuchotant, et puis ils s’en retournent après avoir empoché le petit paquet.
Perplexe, Jean-Claude, dont le cerveau commande à ses doigts de se gratter la nuque, finit par sourire et se ressaisit.
– Bon, ne nous laissons pas distraire. Je crois qu’il est préférable que je ne vous pose plus aucune question. Non Georges, les questions, c’est fini ! On arrête là, d’accord ?
– Wilson ! Appelez-moi Wilson ! hausse le ton Georges, alias Wilson. Ce n’est pas compliqué tout de même ! Cela fait dix minutes que je vous le demande. Alors c’est toujours la même moutarde, celle qui me monte au nez. Il faut que je vous obéisse ; j’y suis prêt et vous… vous ne faites aucun effort.
– Pardon !… Non, Wilson, ce n’est pas une question ! Je vous demande pardon, car je ne veux plus que vous m’interrompiez. Sinon on ne va jamais y arriver. Non, mais enfin, quoi. OK ?… OK Wilson ?
– OK ! capitule Wilson.
– Alors, mon cher… écoutez bien.
Wilson remonte le bord de la mince couverture jusque sous son nez et, tel cet enfant curieux, joyeux à l’idée d’une belle histoire, frétille dans son lit puis laisse son corps se détendre.
– Il était une fois, il y a quelque temps de cela, dans un pays, non loin de celui-ci…
– Lequel ? tente Wilson.
– Chut ! rétorque un Jean-Claude bien décidé à ne plus s’en laisser compter. Il continue :
– C’était en juillet, tout au début du mois de juillet…
II. 3 JUILLET – LES DENFER
En ce jour d’été,
dès l’aube,
la famille Denfer s’était levée, plus ou moins joyeuse. « Ben, y a pas de quoi éclater de joie non plus », grommelle Sergent Garcia, la grand-mère Denfer, quand son fils vient l’extirper de sous ses draps.
Plus ou moins joyeuse, pourtant, les vacances étaient là !
Dehors, il faisait bon. D’un commun accord, « Sauf qu’à moi, personne ne m’a rien demandé », s’insurge la vieille dame après s’être péniblement mise sur pied. « Ben oui, quand j’ai pas envie, j’ai pas envie et tout devient pénible ! », argumente-t-elle.
Alors, à l’unanimité de quatre voix sur cinq, la veille au soir, une fois le dîner avalé la vaisselle lavée, rangée ; le ménage terminé, il avait été convenu de partir tôt le lendemain matin, et en tout cas, « Avant que le soleil ne sévisse », avait imposé Jenny Bigoud, la mère de la famille Denfer. « C’est déjà pénible avec un chauffeur qui roule à deux à l’heure, alors s’il faut, en plus, supporter la chaleur… Je rends mon tablier, même si j’ai rien en dessous ! », avait-elle asséné en guise d’ultime revendication.
3 juillet, 5 h 37
Quelques chants ou plutôt quelques cris d’oiseaux nocturnes accompagnaient le père employé à caler dans la malle arrière les bagages que sa femme avait vérifiés et posés sur le gravier, au cul de l’auto. Jenny, l’épouse Denfer, était l’unique membre de la famille à présenter des gestes de nervosité « Pour changer », soupire longuement une sarcastique grand-mère Sergent Garcia.
Sitôt levés, les adultes s’étaient contentés d’une tasse de café, les enfants d’un bol de chocolat et d’une banane puis, le temps de (re) contrôler si le gaz était fermé, l’eau, l’électricité coupées, ils se retrouvèrent tous fin prêts pour le long voyage, à l’exception de la grand-mère qui, pour manifester son ras-le-bol, n’en finit pas de traîner les pieds ou plutôt ses savates.
3 juillet, 6 h 05
Le père, merle siffleur, au volant de son monospace « Moteur 220 chevaux, à 5000 tours minute, j’vous dis pas comme on décolle ; châssis sport, incroyable d’efficacité, ferme et confortable à la fois », s’enthousiasme Sergent Garcia ; l’épouse, Jenny Bigoud, avec son constant sourire crispé ; les enfants, Lucrèce et Titus, « Charmants petits monstres » au dire de leur grand-mère, partent pour ce village niché au fin fond de la route Cyprès-des-Pets.
Sergent Garcia, petite vieille, d’apparence délicieuse, grassette de corps, sèche d’esprit, sectaire, vindicative, dynamique « Mais tellement sympathique », ne manque-t-elle pas d’ajouter, a bien essayé de faire capoter ces forcées, donc fatalement désagréables, vacances, car elle n’aime pas la chaleur, déteste la campagne, sans parler de celles et ceux qui ne pensent qu’à se la couler douce, rêvasser sur le sable ou dans un transat, les mêmes qui l’exaspèrent.
Dès les premiers hectomètres parcourus, Sergent Garcia ne se gêne pas pour provoquer et faire toutes les misères possibles à ses petits-enfants.
– Mais non, pas du tout, c’est pour détendre l’atmosphère, se justifie-t-elle.
D’abord, mine de rien, elle planque les gâteaux secs, chipe et les prive de bonbons et après avoir été découverte par les petits monstres, elle marmonne que si elle pouvait les réduire au silence durant ce voyage… Elle ne s’en priverait pas.
– Mamaann… T’as entendu ce qu’elle dit Mémé ?
– Ben alors, si on peut même plus blaguer, où va-t-on ? toussote la grand-mère en claquant fort une paume de main sur la cuisse froide de son petit-fils.
– Aïe ! réagit Titus dont le cri est étouffé par la même Sergent Garcia qui, main derrière la nuque de l’enfant, entraîne et plonge le petit visage dans le moelleux d’un coussin dont elle ne se sépare jamais.
– Toi qui avais froid, tu vois, ça réchauffe, lui dit-elle, laissant redoubler une toux ma foi bienvenue.
Jenny Bigoud se retourne et envoie un regard noir vers sa belle-mère que cette dernière, avec toute la force qu’elle mettrait dans un Fer 7, si elle en avait un entre les mains, lui expédie espérant faire d’une balle, dix-huit petits trous dans le Green décérébré de sa belle-fille, comme elle le clame si souvent.
« Sergent Garcia, c’est simple, depuis que j’ai épousé son fils, elle ne m’a trouvé que des défauts… Tous les défauts. En plus, elle ne se gêne pas pour crier à qui ne veut plus l’entendre, que son fils, en épousant cette… Oh, je ne sais même plus comment elle m’appelle d’ailleurs tellement elle m’a affublée de surnoms, qu’en m’épousant donc, son fils a commis la plus grosse bourde de sa vie. Vous rendez-vous compte la façon dont elle me traite ? »
– Là, je suis d’accord. Je confirme. Je sais de quoi je parle. Depuis qu’il est né, j’en ai tellement rattrapé de ses bourdes à mon cornichon de fils. Vous pouvez pas vous imaginer. Avec cette… cette gourde, mon fils a décroché le pompon du super cornichon et grâce à cette alliance qui coince le vinaigre, il peut mariner dans son bocal mon moutard. D’ailleurs, et depuis belle lurette, je laisse faire. Qu’il ne compte pas sur moi, pour l’en sortir. Non mais…
Dans cette ambiance joyeuse, pleine de vie, si conviviale, tous s’apprêtent à vivre un voyage digne de la famille Denfer.
Le ralentisseur de l’ultime faubourg franchi et c’est déjà une splendeur ondulant sous une brise légère dans l’aube naissante. Les verts chatoyants, l’or des blés, les champs de tournesols s’étalent à perte de vue. Un paysage nouveau défile devant les yeux des enfants « qui ne pensent qu’à bouffer », rumine entre ses dents leur grand-mère.
Tous sont absorbés. Les gamins par leur boustifaille, Jenny Bigoud par l’angoisse qui la tenaille, son mari par la route et ses constantes embûches, « Mais qu’importe, au péril de sa vie, il nous conduira jusqu’au bout de cette foutue route Ya k p t », en remet une couche Sergent Garcia. La famille Denfer semble ravie sauf la même grand-mère qui ne cesse de geindre : « C’est quand qu’on arrive ? »
Jusqu’au dernier moment elle avait espéré un coup du sort. Sans trop forcer sa fertile imagination, elle aurait bien vu le moteur exploser, la voiture prendre feu avant de se réduire en fumée ou le châssis s’effondrer et finir par traîner par terre. L’auto immobilisée, tout le monde serait rentré à pied avant même le premier kilomètre franchi.
Le second quart d’heure passé, non sans prétendre qu’elle trouverait bien, plus tard, un moyen pour épancher sa soif de revanche, Sergent Garcia se rend à l’évidence. Le monospace conduit par son cornichon de fils vient de s’extirper du traquenard de l’ultime faubourg malfamé de la ville et l’auto file maintenant vers ce que tous « Sauf moi ! », coupe-t-elle sans pouvoir se retenir, espèrent ; ce charmant village entre terre, mer et ciel « Horrible, ce trou d’un autre siècle paumé en pleine cambrousse ! », pète sèchement la même grand-mère.
À l’instar de Lucrèce, Titus et Jenny Bigoud, l’odieuse belle fille, Sergent Garcia observe le paysage défiler. Puis, sans même se consulter, sous l’impulsion de son cornichon de fils, petits et grands commencent à chanter. Bien que la vieille femme soude aussitôt ses mâchoires, ses dents s’aiguisent en silence.
« Si je pouvais les mordre pour les faire taire, je n’hésiterais pas une seule seconde », fulmine-t-elle.
N’y tenant plus, elle a beau pincer sournoisement les fesses de Titus, distraire Lucrèce par de macabres histoires pas du tout enfantines, engager quelque effrayante conversation avec Jenny Bigoud, poser les plus idiotes questions à son cornichon chauffeur de fils, rien ne les arrête : ils chantent.
Plus Sergent Garcia bougonne, plus le reste de la famille semble joyeux et spontané. Forte de ses soixante-dix années d’expérience de vie, de son passé d’intransigeante surveillante accomplie d’honnête pénitencier, Sergent Garcia décide de passer par la case sommeil « Du moins quitter provisoirement cette gargote de valetaille roulante ! », grince-t-elle des dents.
Évidemment qu’elle aurait pu crier qu’elle se sentait mal, que le café avalé à la hâte ne passait pas. Pire, qu’elle allait vomir et en mettre partout, mais elle avait déjà cent fois utilisé la quasi-totalité de sa panoplie de pantalonnades. Elle abandonne donc cette première bataille privilégiant un petit roupillon et, décide-t-elle, ne se réveillerait que lorsque son cornichon de fils engagerait l’auto sur la première, rit-elle d’avance « Aire de sévices » de l’autoproute.
– D’ici là, j’aurai repris suffisamment d’énergie pour, à mon tour, les faire caguer, sourit-elle entre ses lèvres pincées.
Sur place, elle se vengera en dévalisant la cafétéria ou trouvera – elle se frotta les mains par jouissance anticipée – d’autres idées dérangeantes et obligatoirement irritantes pour les autres. Sourire aux lèvres, elle se fond dans les bras de Morphée.
***
– Wilson ? Wilson, vous me suivez ?
– Euh… Où ça ?
– Parfait Wilson. Je voulais simplement être sûr que vous étiez toujours avec moi. L’histoire, vous la suivez n’est-ce pas ?
– Je trouve totalement absurde que vous puissiez en douter mon cher Jean-Claude.
– Très bien. Alors je continue.
– Je vous ferais remarquer, Jean-Claude, que cette interruption n’est pas de mon fait, bien au contraire. Poursuivez Jean-Claude, poursuivez.
III. 3 JUILLET – TROUILLE & TRAC
3 juillet, 6 h 40
Parmi le flot continu d’autos quittant le chef-lieu de région, les quatre roues motrices du Dodge 8 cylindres des frères Trouille & Trac roulent et usent leur gomme sur la même route Ya k p t. Les deux hommes, lunettes noires bien calées sur le nez, affichent un physique, des attitudes et un langage dignes de preux bandits.
Sans prêter une quelconque attention au paysage, sur un ton d’un rare héroïsme, sans équivoque, Trouille & Trac discutent à ratons mordus comme dit Trac. Malgré les différends qui les rapprochent depuis leur fragile et éternelle enfance, les jumeaux semblent en accord sur la décision finale à adopter.
– Moi, j’te le dis comme j’le pense Trouille. Une fois pour toutes, faut en finir avec cet aristo de mes deux !
– T’as raison Trac. Faut en finir avec ce bélître.
– T’es trop bon Trouille. Moi, je dirais deux litres et demi. Avec ce loquedu, faut pas de demi-mesure.
– Tu plaisantes Trac. C’est tout, sauf un loquedu.
– Quoi ? Tu veux que j’te dise Trouille ? Ben, j’attends même pas qu’tu baves en guise de réponse, j’te le dis comme tu le penses ! Ce dab, il est tout sournois et pire que dangereux que comme le sont les faux-soigneurs de cimetière et même que dans le langage de l’Auguste{1}, qu’on m’les coupe si je suis dans la gourance, et ben c’est l’prolotype même du loquedu, en chair et dans l’os.
– Ouais, ouais ! Maint’nant qu’tu le dis Trac, c’est pas faux, mais, dis-moi, c’est p’t’être pas trop abuser de la virilité.
– De la vérité, tu veux dire ?
– Ouais, aussi ! Ouais, ouais… Un loquedu qui serait en façade bien sous tous rapports, comme qui dirait.
– Enfin, quand tu dis bien en façade, moi j’dirais en apparence. Question d’état d’esprit, frérot.
– Ekzack toly brother.
– Tu causes rosbeef