Contes nouveaux ou les fées à la mode (Tome 1)
Par Madame d'Aulnoy
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À propos de ce livre électronique
Ce recueil de contes saura vous faire rêver et voyager dans des univers féeriques. Ne vous détrompez pas, même si ce recueil peut convenir aux enfants, il reste aussi et surtout un incontournable du folklore français pour adulte.
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Contes nouveaux ou les fées à la mode (Tome 1) - Madame d'Aulnoy
Madame d’Aulnoy
Contes nouveaux ou les fées à la mode
SAGA Egmont
Contes nouveaux ou les fées à la mode
Image de couverture : Shutterstock
Copyright © 1698, 2021 SAGA Egmont
Tous droits réservés
ISBN : 9788726828962
1ère edition ebook
Format : EPUB 3.0
Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l’accord écrit préalable de l’éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu’une condition similaire ne soit imposée à l’acheteur ultérieur.
Cet ouvrage est republié en tant que document historique. Il contient une utilisation contemporaine de la langue.
www.sagaegmont.com
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Les fe’es a la mode.
La princesse carpillon.
Conte.
I L eftoit une fois un vieux Roy, qui pour fe confoler d’un long veuvage, époufa une belle Princeffe qu’il aimoit fort ; il avoit un fils de fa premiere femme, boffu & louche, qui reffentit beaucoup de chagrin, des fecondes noces de fon pere. La qualité de fils unique, difoitil, me faifoit craindre & aimer, mais fi la jeune Reine a des enfans, mon pere qui peut difpofcr de fon Royaume, ne confiderera pas que je fuis Faifné, il me desheritera en leur faveur. Il eftoit ambitieux, plein de malice & de diffimu-Jation ; de forte que fans témoigner fon inquietude, il fut fecrettement confulter une Fée, qui paffoit pour la plus habile qu’il y eût au monde
Dés qu’il parut elle devina fon nom, fa qualité, & ce qu’il luy vouloit. Prince boffu, luy dit-elle ( c’eft ainfi qu’on le nommoit ) vous eftes venu trop tard, la Reine eft groffe d’un fils, je ne veux point luy faire de mal : mais s’il meurt ou qu’il luy arrive quelque chofe, je vous promets que je l’empefcheray d’en avoir d’autres. Cette promeffe confola un peu le Boffu, il conjura la Fée de s’en fouvenir, &prit la refolution de joüer un mauvais tour à fon petit frere dés qu’il feroit né.
Au bout des neuf mois la Reine eut un fils le plus beau du monde, & l’on remarqua comme une chofe fort extraordinaire, qu’il avoit la figure d’une fleche empreinte fur le bras. La Reine aimoit à tel point fon enfant, qu’elle voulut le nourrir, dont le Prince Boffu eftoit tres-fache ; car la vigilance d’une mere eft plus grande que celle d’une nourrice, & il eft bien plus aifé de tromper l’une que l’autre.
Cependant le Boffu qui ne fongeoit qu’à faire fon coup, témoignoit un attachement pour la Reine, & une tendreffe pour le petit Prince dont le Roy eftoit charmé. Je n’aurois jamais crû, difoit-il, que mon fils eût efté capable d’un fi bon naturel, & s’il continue je luy laifferay une partie de mon Royaume. Ces promeffes ne fuffifoient pas au Boffu, il vouloit tout ou rien ; de forte qu’un foir il prefenta quelques Confitures à la Reine, qui étojent confites à l’Opium, elle s’endormit, & auffi-tôt le Prince qui s’eftoit caché derriere la tapifferie, prit tout doucement le petit Prince, & mit à la place un gros chat bien emmaillotté, afin que les bcrfeufes ne s’aperceuffent pas de fon vol ; le chat crioit, les berfeufes berfoient, enfin il faifoit un fi étrange fabat, qu’elles crurent qu’il vouloit teter, elles réveillèrent la Reine, qui eftant encore toute endormie, & penfant tenir fon cher Poupar, luy donna fon fein : Mais le mechant chat la mordit, elle pouffa un grand cry, & le regardant ; que devint-elle, lors qu’elle apperçut une telle de chat au lieu de celle de fon fils ? fa douleur fut fi vive qu’elle penfa expirer fur le champ, le bruit des femmes de la Reine éveilla tout le Palais ; le Roy prit fa robe de chambre, il accourut dans fon Appartement. La premiere chofc qu’il vit ce fut le char emmaillotté des langes de drap d’or qu’avoit ordinairement fon fils on l’avoit jette par terre, où il faifoit des cris étonnants. Le Roy demeura bien alarmé, il demande ce que cela fignifie, on luy dit que l’on n’y comprcnoit rien, mais que le petit Prince ne paroiffoit point, qu’on le cherchoit inutilement, & que la Reine éroit fort bleffée. Le Roy entra dans fa chambre, il la trouva dans une affliction fans pareille, & ne voulant pas l’augmenter par la fienne, il fe fit violence pour confoler cette pauvre Princeffe.
Cependant le Boffu avoit donné fon petit frere-à un homme qui eftoit tout à luy : portez-le dans une foreft éloignée, luy dit-il, & le mettez toutnud au lieu le plus expofé aux beftes feroces, afin qu’elles le dévorent, que l’on n’entende plus parler de luy ; je l’y porterois moy-mefme, tant j’ay peur que vous ne faffiez pas bien ma commiffion : Mais il faut que je paroiffe devant le Roy, allez donc, & foyez feur que fi je regne je ne feray pas un ingrat. Il mit luy-même le pauvre enfant dans une corbeille couverte, & comme il ravoit accoutumé à le caeffer, il le connoiffoit déjà & luy fourioit ; mais le Boffu impitoyable en fut moins émû qu’une roche, il alla promptement dans la chambre de la Reine prefque déshabillé, à force, difoit-il, de s’eftre prcffé ; il fe frotoit les yeux comme un homme encore endormy, & lorfqu’il apprit les méchantes nouvelles de la bleffure de fa belle-mere, du vol qu’on avoit fait du Prince, & qu’il vit le chat emmaillotté, il jetta des cris fi douloureux, que l’on eftoit auffi occupé à le confoler, que fi en effet il eût efté fort affligé. Il prit le chat & luy tordit le col avec une férocité qui luy eftoit tresnaturelle ; il faifoit pourtant entendre que ce n’eftoit qu’à caufe de la morfure qu’il avoit faite à la Reine.
Qui que ce foit ne le foupçonna, quoy qu’il fuft affez méchant pour devoir l’eftre ; ainfi fon crime fe cachoit fous fes larmes feintes. Le Roy & la Reine en fçurent gré à cet ingrat, & le chargèrent d’envoyer chez toutes les Fées s’informer de ce que leur enfant pouvoit eftre devenu. Dans l’impatience de faire ceffer la perquifition, il vint leur dire plufieurs réponces differentes & tres-énigmatiques, qui fe raportoient toutes fur ce point que le Prince n’étoit pas mort, qu’on l’avoit enlevé pour quelque temps, par des raifons impénétrables, qu’on le rameneroit partait en routes chofes, qu’il ne faloit plus le chercher, parce que c’eftoit prendre des peines inutiles. Il jugea par-là que l’on fe tranquiliferoit, & ce qu’il avoit jugé arriva. Le Roy & la Reine fe flaterent de revoir un jour leur fils ; cependant la morfure que le chat avoit faite au fein de la Reine, s’envenima fi fort qu’elle en mourut, & le Royaccablé de douleur, demeura un an entier dans fon Palais : il attendoit toujours des nouvelles de fon fils, & les attendoit inutilement.
Celuy qui l’emportoit marcha toute la nuit fans s’arreter lorfque l’aurore commença de paroiftre, il ouvrit la corbeille ; & cet aimable enfant luy fourit, comme il avoit accoûtumé de faire à la Reine quand elle le prenoit entre fes bras. O pauvre petit Prince, dit-il, que ta dcftinée eft malheureufe : helas ! tu ferviras de pafture, comme un tendre agneau à quelque lyon affamé : pourquoy le Boffu m’a-t’il choifi pour aider à te perdre ? Il referma la corbeille, afin de ne plus voir un objet fi digne de pitié ; mais l’enfant qui avoitpaffé la nuit fans teter, fe prit à crier de toute fa force ; celuy qui le tenoit cueillit des figues & luy en mit dans la bouche. La douceur de ce fruit l appaifa un peu, ainfi il le porta tout le jour jufqu’à la nuit fuivante, qu’il entra dans une vafte & fombre foreft : il ne voulut pas s’y engager crainte d’eftre dévoré luy-mefme, & le lendemain il s’avança avec la corbeille qu’il tenoit toûjours.
La foreft eftoit fi grande, que de quelque cofté qu’il regardaft il n’en pouvoir voir le bout : mais il apperçut dans un lieu tout couvert d’arbres, un Rocher qui s’élevoit en plufieurs pointes differentes : voicy fans doute, difoit-il, la retraite des beftes les plus cruelles, il y faut laiffer l’enfant puis que je ne fuis point en eftat de le fauver. Il s’approcha du Rocher, auffi-tôt une Aigle d’une grandeur prodigieufe, fortit voltigeant autour comme fi elle y avoit laiffé quelque chofe de cher : en effet, c’cftoit fes petits qu’elle nourriffoit au fonds d’une efpece de grotte : tu ferviras de proye à ces oifeaux, qui font les Rois des autres, pauvre enfant, dit cet homme. Auffi-tôt il le démaillotta, & le coucha au milieu de trois aiglons. Leur nid eftoit fort grand, à l’abry des injures de l’air, il eut beaucoup de peine à y mettre le Prince, parce que le cofté par où on pouvoit l’aborder eftoit fort efcarpé, & penchant vers un précipice affreux. Il s’éloigna en foûpirant, vit l’Aigle qui revenoit à tire-d’aifles dans fon nid : Ah ! s’en eft fait, dit-il, l’enfant va perdre la vie ; il s’éloigna en diligence comme pour ne pas entendre fes derniers cris, il revint auprès du Boffu, & l’affura qu’il n’avoit plus de frere.
A ces nouvelles, le barbare Prince embraffa fon fidele miniftre & luy donna une bague de diamans, en l’affurant que lorfqu’il feroit Roy, il le feroit Capitaine de fes Gardes. L’Aigle eftantrevenuë dans fon nid, demeura peut-eftre furprife d’y trouver ce nouvel hofte : foit qu’elle fût furprife ou qu’elle ne le fût pas, elle exerça mieux le droit d’hofpitalité que bien des gens ne le fçavent faire. Elle fe mit proche de fon nourriffon, elle étendit fes aifles & le rechauffa, il fembloit que tous fes foins n’eftoient plus que pourluy ; un inftinct particulier l’engagea d’aller chercher des fruits, de les becqueter, & d’en verfer le jus dans la bouche vermeille du petit Prince : enfin elle le nourrit fi bien que la Reine fa mere n’auroit fçû le nourrir mieux.
Lorfque les Aiglons furent un peu forts, l’Aigle les prit tour à tour, tantoft fur fes aifles, tantoft dans fes ferres, & les accoutuma ainfi à regarder le Soleil fans fermer la paupiere. Les Aiglons quittoient quelquefois leur mere, & voltigeoient un peu autour d’elle ; mais pour le petit Prince il ne faifoit rien de tout cela, & lors qu’elle l’élevoit en l’air, il couroit grand rifque de tomber & de fe tuer. La fortune s’en mefloit, c’eftoit elle qui luy avoit fourny une nourrice fi extraordinaire, c’étoit-elle qui le garantiffoit qu’elle ne le laiffât tomber.
Quatre années fe pafferent ainfi, l’Aigle perdoit tous fes Aiglons, ils s’envoloient lorfqu’ils eftoient affez grands, ils ne revenoient plus revoir leur mere ny leur nid ; pour le Prince qui n’avoit pas la force d’aller loin, il reftoit fur le Rocher ; car l’Aigle prévoyante, & craintive apprehendant qu’il ne tombât dans le precipice, le porta de l’autre cofté, dans un lieu fi haut & fi droit que les beftes fauvages n’y pouvoient aller.
L’Amour que l’on dépeint tout parfait, l’eftoit moins que le jeune Prince ; les ardeurs du Soleil ne pouvoient ternir les lys & les rofes de fon teint ; tous fes traits avoient quelque chofe de fi regulier, que les plus excellens Peintres n’auroient pu en imaginer de pareils : fes cheveux eftoient déjà affez longs pour couvrir fes épaules, & fa mine fi relevée, que l’on n’a jamais vû dans un enfant rien de plus noble & de plus grand. L’Aigle l’aimoit avec une paffion furprenante, elle ne luy apportoit que des fruits pour fa nourriture, faifant cette efpece de difference entre luy & fes Aiglons, à qui elle ne donnoit que de la chair cruë. Elle défoloit tous les Bergers des environs, enlevant leurs agneaux fans mifericorde ; il n’eftoit bruit que des rapines de l’Aigle : enfin fatiguez de la nourrir aux dépens de leurs troupeaux, ils reforefolurent entr’eux de chercher