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Un pour taper sur l'autre: Vegas Paranormal / Mona Harker, #1
Un pour taper sur l'autre: Vegas Paranormal / Mona Harker, #1
Un pour taper sur l'autre: Vegas Paranormal / Mona Harker, #1
Livre électronique272 pages3 heures

Un pour taper sur l'autre: Vegas Paranormal / Mona Harker, #1

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À propos de ce livre électronique

Seule contre les monstres. Seule ? 

 

Mona Harker, 20 ans, est une chasseuse de créatures surnaturelles autodidacte avec un style bien à elle. Elle s'est fixé pour mission de nettoyer Las Vegas de tout ce qui tente d'y dévorer les humains, et elle ne laissera rien passer. Elle vit dans un bunker, crève les zombis comme des baudruches et dissout les goules dans l'acide. Le reste du temps, elle travaille dans une entreprise locale de matériels pour casinos. 


Quand le grand patron de son groupe visite la succursale de Vegas, Mona découvre que son big boss est un monstre qui projette de vampiriser la ville. Yep, en toute simplicité. Est-elle assez forte pour lui tenir tête seule ? Doit-elle s'allier avec le seul type qui la croit, son collègue Sebastian ? Coursier le jour, prestidigitateur la nuit et embrouilleur H24, il exaspère Mona d'autant plus qu'elle n'est pas insensible à son charme. Mais Sebastian cache son jeu, et Mona aurait peut-être tort de lui faire confiance. 

 

Un pour taper sur l'autre est le premier épisode de la série d'urban fantasy Mona Harker, qui se déroule dans l'univers Vegas Paranormal.

LangueFrançais
Date de sortie14 déc. 2020
ISBN9791096438129
Un pour taper sur l'autre: Vegas Paranormal / Mona Harker, #1

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    Aperçu du livre

    Un pour taper sur l'autre - Charlotte Munich

    1

    Treize heures. La clim de CHANCE OF YOUR LIFE crache à fond sur le hall d’accueil de la boîte. Comme c’est l’heure du dej et que mon poste est calme, je suis en train de préparer ma nuit de chasse sur Google maps. Au passage j’en profite pour effectuer quelques achats de base sur mon téléphone : des cordes, des piquets de bois massif que je vais retailler en pointe, un petit kit de serrurerie qui a l’air pas mal, des nouvelles chaussettes. Sur un des sites survivalistes que je suis religieusement, quelqu’un a aussi parlé d’un surplus de l’armée dans le quartier où je compte me rendre ce soir. J’ai remarqué que les goules et les rares zombis en ville étaient assez excités en ce moment, et ça me rend nerveuse. Quand je suis nerveuse, je commande du nouveau matériel.

    Je suis tellement concentrée sur mes plans que je sursaute quand une voix murmure à mon oreille :

    — Bouh !

    Je réagis au quart de tour. Je donne une ferme poussée sur ma chaise de bureau et je fonce dans l’intrus, afin de le déséquilibrer pour qu’il tombe sur la moquette.

    Mon fauteuil part en arrière et je roule comme ça jusqu’au mur sous le regard perplexe de Sebastian Persson, le coursier.

    — Ça va, Mona ?

    Non seulement il s’est débrouillé pour passer derrière ma banque d’accueil sans que je m’en rende compte, mais il a esquivé ma riposte les doigts dans le nez. Par tous les djinns des mille-et-une nuits, je suis à l’ouest. Encore un coup de la clim qui me congèle les réflexes.

    Seb s’est approché de mon bureau, longue silhouette souple en vêtements sombres, toujours habillé pareil, noir et noir et encore du noir. Je suis prête à jurer qu’il n’y a pas un atome de couleur dans sa garde-robe. OK, comme moi, mais sûrement pas pour les mêmes raisons. Et ça ne s’arrête pas à sa garde-robe. Ses yeux sont noirs. Ses cheveux aussi, d’un noir d’encre, brillants comme du satin.

    — Je me doutais bien que tu avais un hobby fascinant, dit-il en se penchant pour regarder l’écran de mon téléphone.

    Je m’appuie sur le mur pour regagner mon poste sur mon fauteuil à roulettes et retourne aussitôt mon téléphone pour le poser face contre la plaque de verre. Peine perdue : Seb passe sous la table et continue de contempler mon écran en toute indiscrétion à travers la vitre. Quel cave. J’ai négligé de bloquer l’appareil et je rectifie immédiatement cette erreur tandis qu’il s’extrait de mes pattes avec un sourire suave.

    — Alors, c’est donc ça qui occupe tes soirées ? La spéléologie ? La sorcellerie ? Tu construis de tes mains une maison à énergie positive au milieu du désert ?

    — Je pourrais te faire flinguer pour harcèlement, grincé-je.

    J’ai furieusement envie de me lever pour remettre de la distance entre nous, mais je ne céderai pas un pouce de terrain.

    — Je suis pas mal sûr qu’on ne flingue pas encore les gens pour harcèlement, dit-il, et tu ne portes même pas de jupe de toute façon. J’ai rien vu.

    Joignant le geste à la parole, il passe théâtralement en revue mes pantalons des surplus de l’armée et les combat boots qui complètent mon uniforme au quotidien.

    — À ce propos, tu n’as jamais de remarque des RH sur ta tenue vestimentaire ? s’enquiert-il avec curiosité. Parce que c’est plutôt moyen, comme déguisement, pour une minette d’accueil.

    Mais qu’est-ce qu’il me veut aujourd’hui ?

    Seb, c’est le genre de type qui vous file entre les doigts. Impossible de savoir ce qu’il pense. Ce mec est comme du slime ou de la barbe à papa, comme un truc de fête foraine. Impossible de savoir ce qu’on a dans les mains ou dans la bouche, et quand on croit avoir compris, on se rend compte que c’était du vent. Tout ce que je déteste. Je suis 100 % certaine qu’il n’y a rien, rien du tout sous la surface cool et séduisante qu’il traîne partout sur ses semelles de crêpe.

    — Lâche-moi, Sebastian. Si t’en as fini avec les compliments, fiche-moi la paix.

    — J’avais juste une info à vérifier auprès de toi. Il paraît que le big boss est de passage ? Tu es au courant ?

    Du fait de son taf de coursier/homme à tout faire, Seb est un électron libre dans la boîte. Autant dire qu’il est à la fois le premier et le dernier à avoir les infos. Et qu’il a tendance à me considérer comme sa banque de renseignement personnelle. Même quand je ne sais rien.

    Bien sûr, je me ferais découper en rondelles plutôt que de l’admettre devant lui.

    Au même moment, Alessia et Sophie rentrent de leur pause déjeuner.

    — Salut, Seb !

    — SALUT, Seb !

    Juré, on dirait presque des siamoises, greffées comme elles sont à la hanche. À part que Sophie est une rousse poil de carotte et Alessia, une brune pulpeuse qui ne loupe jamais une occasion de vous rappeler ses racines italiennes. Elles s’expriment l’une comme l’autre de façon si outrée qu’on entend des lettres capitales tous les trois ou quatre mots. Moi, par bonheur, elles ne me parlent plus. Ça m’a pris des mois pour arriver à ce résultat, j’ai presque cru désespérer, jusqu’au jour où j’ai trouvé ce manuel sur l’éducation des lapins nains : « Le lapin nain est capable d’apprendre, c’est juste qu’il faut savoir faire preuve de patience et lui répéter ses instructions encore et encore et encore ». Et de fait, j’ai découvert que le cerveau et la psychologie des pestes étaient assez proches de ceux du lapin nain.

    Elles s’asseyent sur ma table, une de chaque côté de Seb. C’est tout juste si Alessia ne cale pas son imposant postérieur à la Kardashian direct sur mes genoux. J’ouvre mon premier tiroir pour en sortir mon compas. Elle ne perd rien pour attendre.

    — Seb, attaque Alessia, ton SPECTACLE — je ne m’en REMETS pas. C’était EXTRAORDINAIRE, j’ai ADORÉ. Si POÉTIQUE.

    En dehors des heures de bureau, Seb est prestidigitateur. Vrai. D’ailleurs ça explique en partie pourquoi je ne peux pas l’encadrer. À mon humble avis, les prestidigitateurs forment la pire engeance. Quand je passe ma vie à m’escrimer pour dissiper ombres et illusions, eux n’aspirent qu’à en créer davantage.

    — Tu es allée voir son spectacle ? demande Sophie à Alessia, une pointe de jalousie dans la voix.

    Cela me surprend aussi, car Seb ne semble pas être du genre à vouloir recruter pour sa salle. Il ne la ramène jamais, ce qui est plutôt étrange pour un type dans le show-business, mais s’explique probablement par le fait que son spectacle est miteux.

    — Mais OUI, se gargarise Alessia. C’était GÉNIAL !

    Alessia est en train d’overdoser sur les capitales, au point que sa voix disparaît dans les suraigus. Dans deux secondes elle va se faire un claquage de la glotte, et nous aurons enfin, ENFIN, la paix.

    Mais on n’y est pas encore tout à fait.

    — Et ton ASSISTANTE, Seb, quelle BOMBE ! Pour un peu, je me laisserais convaincre de CHANGER d’orientation sexuelle.

    — Je suis content que tu aies apprécié, dit Seb du bout des lèvres. Mais ne me fais pas trop de pub, s’il te plaît. Tu sais que ce n’est pas vraiment un spectacle de niveau professionnel.

    — Mais NON, Seb, tu EXAGÈRES ! C’était vraiment SUPER ! Toutes ces métamorphoses, et ces trucages absolument BLUFFANTS !

    Seb rougit, baisse la tête, se met à tousser.

    — Bon, je vois que ça te met mal à l’aise, mais je T’ASSURE que ça vaut le coup.

    Et voilà que Sophie n’en peut plus. Elle décide de passer à l’action à son tour.

    — Tu as ENTENDU la nouvelle, Seb chéri ? s’enquiert-elle en lui tripotant l’avant-bras, profitant de ce que les manches de sa chemise noire sont retroussées. Big Boss BLACK va nous rendre VISITE !

    — J’espérais justement en apprendre un peu plus auprès de Mona, répond-il.

    — Oh ! fait Sophie. Mona ne sait RIEN. C’est à nous qu’il faut demander des infos. Et en plus tu le sais, on est beaucoup, BEAUCOUP plus accueillantes que Mona.

    Ce n’est pas moi qui dirai le contraire.

    Elle lui colle quasiment la main aux fesses et il ne proteste même pas. Je ne veux pas savoir ce qui se passe là-haut à la compta et à la direction. Elles sont vraiment lourdingues et si je n’avais pas moi aussi cette soif d’information qui me tenaille, j’aurais déjà piqué mon compas dans un endroit stratégique, à savoir le postérieur d’Alessia. Je me demande si elle utilise un accessoire pneumatique pour le booster, ou bien si tout ça est réellement de la fesse authentique.

    — Tout est vrai, susurre-t-elle justement de sa voix de velours à la pointe d’accent ultra-travaillée. Le big boss inspecte la succursale. Il arrive incessamment. C’est Spikey lui-même qui me l’a dit.

    Spikey est notre general manager. Son vrai nom c’est Watson, mais on l’appelle comme ça à cause de l’épi phénoménal qu’il arbore comme une antenne à l’arrière de la tête. Alessia est sa secrétaire et se comporte fréquemment comme s’il était un dieu sur terre, une sorte d’oracle du business, un génie qui ne se confie qu’à elle. Alors qu’en fait c’est un gnome puant avec un QI de 80.

    — Big Boss Black va vouloir consulter TOUS les livres, exagère Sophie, qui bosse à la compta. Le département est sens dessus dessous.

    — Surtout qu’il paraît qu’il est CARRÉMENT canon, ajoute Alessia. En plus d’être HYPER riche et d’avoir un charisme à PEINE soutenable.

    N’en jetez plus. On attend Christian Grey et les secrétaires sont en émoi. Je remets facilement la physionomie de Big Boss Black (B3 pour les initiés), vu qu’il est dans toutes nos pubs : un sourire blancheur impitoyable et un visage parfait sans la moindre expression. Je ricane, d’autant plus mal à l’aise que j’ai l’impression d’être la seule à garder la tête froide. Comme d’hab.

    — Mais pourquoi est-ce qu’il vient nous inspecter ? demande Seb. J’avais lu quelque part qu’il était assez hands off comme patron, plutôt du genre partenaire silencieux, à se retirer dans les hautes tours de la stratégie.

    Voilà qui est étonnant. Rectifions donc : apparemment, il n’y a que moi et Seb pour garder la tête froide. Et on dirait qu’on lit les mêmes journaux.

    Les deux cruches échangent un regard entendu puis baissent la voix. Leurs glapissements se font roucoulants.

    — Il a un super projet du futur, confie Alessia. Vegas est l’établissement pilote.

    À l’écouter, on jurerait que B3 va lancer une mission exploratoire sur Mars ou un truc du genre. Alors qu’il ne s’agit vraisemblablement que d’une nouvelle ligne de tables de black jack à son effigie.

    C’est ce que fait ma boîte. Nous produisons des matériels divers pour les casinos et les jeux en général. Cela va des cartes — plusieurs gammes dont des modèles super-luxe ou personnalisés — aux roulettes, aux tables et aux machines à sous. Tout ce que vous trouvez dans un casino, depuis les jetons jusqu’aux gobelets de popcorn, tout à part les mamies droguées au jeu, est fabriqué et commercialisé par CHANCE OF YOUR LIFE. Quand j’ai cherché un boulot alimentaire, c’est tout ce qu’il y avait sur le marché, alors, j’ai dû ravaler ma haine des jeux d’argent et de hasard, et m’auto-persuader que ça me rendrait plus forte de passer mes journées au contact d’un milieu que je méprise.

    Je sais, vu ma détestation des casinos, j’aurais aussi pu quitter Vegas, mais j’ai une bonne raison pour traîner dans le coin.

    — Un SUPER projet ? relance Seb, qui semble parler couramment le Sophie-Alessia.

    — On ne sait pas encore QUOI, avoue Alessia, mais je compte bien le découvrir.

    Moi, ce que j’ai entendu sur Big Boss Black, c’est surtout qu’il n’hésite pas à adopter un comportement de banquier d’investissement, et que l’humanité n’a pas d’importance pour lui. Partout où il passe, soit les bonus explosent, soit les têtes roulent.

    De toute évidence, les deux cruches ne savent rien. Je les ai assez tolérées et je décide qu’elles doivent dégager immédiatement. Je pique mon compas dans la partie charnue de la plus encombrante des deux.

    — AÏE !! s’exclame Alessia en se relevant d’un bond. Mais qu’est-ce qui t’a pris, Mona ? Elle est DINGUE !

    — Quoi ? De quoi tu parles ? Oh, non, regarde, ma pauvre chérie, tu t’étais assise sur mon compas.

    — Mais d’où t’as besoin d’un COMPAS pour répondre au téléphone et pour aller chercher des CAFÉS ?

    Je ne prête plus la moindre attention aux deux gourdes, pour moi ce qu’elles émettent, c’est du bruit blanc maintenant, parce que mon cerveau s’est branché sans prévenir sur la fréquence désert.

    Je suis prise d’une soudaine envie d’aller marcher en plein cagnard, dans le Mojave aride. Loin de tout ça.

    Je croise le regard de Seb et j’anticipe un coup d’œil amusé, du genre, ha-ha-ha, t’es vraiment dingue, Mona Harker, qu’est-ce que tu nous fais marrer avec tes excentricités.

    Mais non. Son expression est pensive, presque renfermée.

    Puis le moment passe et je sais, sans le moindre doute, que ça n’a aucune importance, parce que Seb c’est du vent. Et j’ai beaucoup plus important à penser : le big boss arrive et dans l’immédiat, Spikey est en train de me biper pour que j’aille le voir dans son bureau.

    Alors, ignorant le regard incendiaire d’Alessia, je repousse ma table pour faire rouler ma chaise, je me lève, et, à l’aise dans mes tactical pants et mes combat boots, je lance :

    — Spikey a besoin de moi !

    Le bureau de Spikey est un vrai foutoir. Il en interdit l’entrée au personnel de ménage et j’ai longtemps cru qu’il était un genre de créature que je n’avais pas encore rencontré auparavant, comme un troll bien dégueulasse.

    Mais non. Spikey est 100 % humain, et si l’on ne peut pas non plus affirmer qu’il soit un modèle d’équilibre mental, vu le temps qu’il passe ici et la façon dont il traite ses subordonnés, il n’est pas non plus fou à lier.

    C’est juste une énorme souillon.

    Je pousse la porte et hume l’air avec précaution. Ça sent le bouc mais ça va. Parfois, Alessia organise des interventions quand il part en voyage d’affaires, au moins pour aérer, et là, il a été absent deux jours en fin de semaine dernière, donc c’est à peu près respirable, à condition de ne pas avoir l’odorat trop délicat.

    Il me fait signe de prendre place face à lui et j’admire, comme toujours, l’épi qui se dresse à l’arrière de son crâne. Sa chemise est plus ou moins blanche aujourd’hui, c’est parce qu’on est lundi.

    Je me pose au bord du fauteuil et j’attends patiemment qu’il m’explique ce qu’il me veut.

    — Comment ça va, petite Mona ? demande-t-il.

    Petite Mona ?

    Je me retiens de l’envoyer dans ses foyers, parce que je tiens à mon travail alimentaire tout de même. Mais j’espère qu’il ne va pas pousser trop fort, parce que je ne suis pas d’humeur.

    — Ça va très bien, dis-je avec un sourire faux-cul digne d’un Oscar.

    — Tu es toujours contente de ton job ?

    J’ai jamais été contente de mon job. Ayant épuisé mon capital diplomatie pour la journée avec mon précédent sourire, je lui renvoie un regard impassible.

    — Bien, bien, dit Spikey, très bien. Je vais t’offrir une opportunité incroyable, petite Mona.

    Je ne réponds pas. Je respire par le nez.

    — Je pense que tu as beaucoup de potentiel, ajoute-t-il sur un ton docte en lorgnant direct vers mon décolleté.

    Certains mecs font ça. Une connexion neuronale préhistorique s’est établie dans leur cerveau entre « potentiel » et « nichons », et ils ne peuvent pas s’en empêcher. Je me penche en avant :

    — Regarde-moi dans les yeux, chef, ou j’appelle les RH groupe.

    Ça lui fait l’effet d’un électrochoc. Évidemment, ça ne doit pas lui arriver souvent, de se faire rappeler à l’ordre par ses employés. Je devrais m’abstenir, mais c’est plus fort que moi. Il n’est pas bête au point de demander ce que j’insinue par là, et se contente d’enchaîner après un temps d’hésitation :

    — Tu as dû entendre que nous attendions la visite de Mr Black ?

    Là, je fais un gros effort sur moi-même pour ne pas lui rétorquer que son management est pire que nul s’il compte sérieusement sur les bruits de couloir pour nous annoncer des choses aussi importantes.

    — Mr Black va nous honorer de sa présence pendant plusieurs jours, et il va avoir besoin d’une assistante dédiée pour répondre à ses différents besoins, dit Spikey.

    — Différents besoins ?

    Spikey fait un sourire mielleux, tellement sucré que j’en ai instantanément la nausée.

    — J’ai pensé qu’avec ta débrouillardise, et ton, euh, potentiel, tu serais la personne la plus… qualifiée pour cette tâche.

    Je retiens la grimace qui veut crisper mes traits et je demande d’une voix neutre :

    — Mais ça correspond à quoi précisément ? Parce que comme sténodactylo, je suis pas terrible. Je suis dyslexique.

    — Oh, je ne pense pas que Mr Black produise beaucoup de documents. Il aura plutôt besoin d’une sorte de concierge pour ses différentes courses. Tu as ton permis de conduire, au cas où ?

    — Oui, mais je serais vraiment gênée qu’il monte dans ma voiture. En terme de standing, elle n’est pas tout à fait adaptée.

    Ma Jeep biche sacrément, elle est beaucoup trop belle pour les nazes de CHANCE OF YOUR LIFE, fussent-ils les plus hauts gradés de l’organigramme. Et de toute façon, je la réserve à l’autre partie de ma vie, celle qui se déroule la nuit.

    — Pas de problème, Mona, ne t’inquiète pas, je ne te le demanderais pas si c’était au-delà de tes compétences.

    — Ça t’embêterait d’être clair sur les contours de la mission ?

    Et là, ça y est. Lui aussi est arrivé au bout de sa politesse, du coup il montre son vrai visage.

    — Si tu penses que tu n’es pas capable de t’acquitter de ce service somme toute très simple, je vais avoir un souci, Mona. Je croyais que tu étais partante pour gravir les échelons de la boîte. Comme tu sais, chez Black Group, nous avons une politique de développement de carrière très progressiste. Up or out.

    « Up or out », traduction : soit tu prends la « promotion » qu’on te donne, soit tu prends la porte.

    Et je dois dire que ça me démange vraiment très fort. Il ne peut pas avoir idée à quel point. Et un jour viendra où je pourrai enfin répondre à ses allusions et à ses regards visqueux en claquant la porte à tout jamais. Seulement, pour le moment, je n’en ai pas les moyens.

    — Bien sûr que je la prends, ta mission. J’ai juste besoin de précisions sur ce que vous attendez de moi.

    — Super, dit Spikey. Mr Black arrive ce soir et veut que son assistant pour le séjour le retrouve à son hôtel à vingt-deux heures. C’est bon pour toi ?

    Il me donne l’adresse. Ce n’est pas du tout le quartier que j’avais l’intention de visiter cette nuit. La soirée que j’avais planifiée est foutue.

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