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Rien de trop beau pour mes 18 ans !
Rien de trop beau pour mes 18 ans !
Rien de trop beau pour mes 18 ans !
Livre électronique389 pages4 heures

Rien de trop beau pour mes 18 ans !

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À propos de ce livre électronique

Dans mon ancienne vie, j'étais pétillante et constamment de bonne humeur. J'avais une famille unie et heureuse, une meilleure amie hors pair et un premier amour à faire rêver n'importe quelle fille. Jusqu'au jour où mon bonheur a volé en éclats, me poussant à suivre ma mère dans une autre ville pour fuir cette nouvelle réalité que je refusais d'accepter.

Nous étions enfin bien, toutes les deux, solidaires et complices comme jamais. Mais voilà que la maladie vient d'emporter mon unique alliée, me laissant seule derrière. Et, comme si le karma s'acharnait sur moi, mon « père », le roi du silence ces dernières années, m'a invitée chez lui pour les vacances d'été. A quoi ai-je pensé en acceptant ? J'imagine déjà tout ce qui m'attend si je retourne là-bas... Tous ceux qui m'attendent...

Mais si je m'étais trompée ? Si cette nouvelle existence qui s'offre à moi, maintenant que je suis majeure, était mieux que ce que j'avais supposé ? Mon père semble faire des efforts pour qu'on se rapproche. Will, mon ami d'enfance, s'assure que je m'amuse. Et un emploi pas trop mal tombe du ciel... Je pourrais être étonnée par ce que la vie me réserve encore, qui sait ?

Et tu n'es pas au bout de tes surprises, ma chère Violet !
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie5 avr. 2017
ISBN9782896626830
Rien de trop beau pour mes 18 ans !
Auteur

Joannie Touchette

Joannie Touchette invente des histoires depuis son plus jeune âge. Toutefois, ce n’est qu’en 2015 (précisément douze mois après sa découverte inespérée (maladive ?) de la littérature pour jeunes adultes) qu’elle transpose ses idées à l’ordinateur et cesse (enfin !) de perdre du temps à modifier la fin de chaque livre qui lui tombe sous la main. Après Rien de trop beau pour mes 18 ans!, son premier roman, l’auteure nous revient avec Victime collatérale, publié dans la populaire collection Tabou.

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    Aperçu du livre

    Rien de trop beau pour mes 18 ans ! - Joannie Touchette

    possible.

    Chapitre 1

    Une… deux… trois… quatre. Il y a bel et bien quatre gommes collées au plafond de ma chambre de résidence. Une bleue, deux roses, et une d’un vert moisi. Beurk ! Probablement l’œuvre d’étudiantes en manque d’inspiration. Bref, je les fixe de mon lit depuis une heure déjà et rien n’y fait : plutôt que de fêter l’arrivée du mois de juin comme toutes les collégiennes normalement constituées, j’appréhende les vacances. Impossible de me sortir de la tête que, demain, c’est le grand départ. La suite du cauchemar, le prolongement de mon malheur. Et ça m’angoisse.

    Qu’est-ce que je dis là ? Ça me terrifie !

    Je mets mon iPod sur pause sans retirer mes écouteurs.

    Incroyable ! Je vais passer les vacances chez mon père. MON PÈRE ! Celui qui a demandé le divorce sans que je sache pourquoi. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui raconter ? Que dire à un parent qu’on n’a pas vu et à qui on n’a pas parlé depuis deux ans, et à qui on voue une haine profonde ? Hé ! Papa, qu’as-tu fait de bon ces vingt-quatre derniers mois ? Non, pas vraiment…

    Aucune carte postale, aucun message, rien. Le silence total. Mes yeux louchent vers mon bureau. Oh ! J’oubliais, ce n’est pas complètement vrai. J’ai bien reçu un paquet de sa part, il y a tout juste une semaine. Une note et une clé. Ou plutôt : une invitation rédigée à l’ordinateur pour les vacances et LA clé, celle de mon ancienne maison. Elle trône sur mon bureau et me nargue depuis la seconde où je l’ai déballée. Je l’entends me murmurer : « Tu retournes là-bas, Violet, tu y retournes vraiment. »

    Eh merde !

    J’aurais pu appeler mon père et lui dire d’aller se faire voir, lui, son petit mot impersonnel et sa clé, mais quel autre choix avais-je devant moi ? Aucun. Et ça me rend malade de me l’avouer. En laissant tout derrière moi cet été-là, je m’étais juré de ne jamais remettre les pieds là-bas. JAMAIS ! L’air de la pièce devient soudain pesant.

    — Sérieusement, Aly, c’est une mauvaise idée… C’est décidé, je vais l’appeler tout de suite pour annuler !

    — Tu restes où tu es ! m’intime Alyssa tandis que je me laisse choir sur le matelas. Tu pars demain, il est trop tard pour reculer. Alors, arrête avec ça et ne bouge plus.

    À plat ventre sur son lit, aussi minuscule que le mien, ma colocataire et amie me jauge de ses jolis yeux bridés couleur chocolat. Son éternel appareil photo en main, elle s’amuse à me mitrailler sous tous les angles. J’arrache mes écouteurs et balance mon iPod au pied de mon lit.

    — Cette musique de détente ne vaut absolument rien !

    Aly cesse son jeu de paparazzi et me lance ce fameux regard. Désolation et indulgence ; un cocktail toxique, dans mon état.

    — Respire, ma belle, tout va bien aller, m’assure-t-elle. Fais les exercices qu’on a répétés ensemble. Inspiration, expiration.

    Je prends exemple sur elle, même si j’ai l’air d’une débile. Eh oui ! En plus de tout le reste, j’ai hérité récemment de crises de panique et de cauchemars récurrents. Le gros lot, quoi ! Avant, je m’endormais en une poignée de secondes, pour ne me réveiller que le lendemain. Aujourd’hui, c’est loin d’être le cas. Jour et nuit, son souvenir me hante. Est-ce qu’un jour ça s’arrêtera ? Parce que je ne donne pas cher de ma peau une fois rendue là-bas, demain soir… Revoir toutes ces personnes…

    Inspiration. Expiration.

    Une plage du Sud, apaisante et paradisiaque, voilà ce qui permet à ma gorge de se détendre et de laisser l’air s’infiltrer dans mes poumons. Je fais le vide dans mon esprit.

    — Bien, dit Alyssa, satisfaite, en s’étendant sur le dos. Cette chambre va me manquer.

    Tu vas me manquer, voudrais-je lui dire.

    — Tu parles, ouais, râlé-je entre deux profondes respirations.

    Mes yeux balaient la petite pièce. Je mentirais si je disais que les affiches de mes groupes musicaux préférés et les projets photo de la session dernière qui tapissent le mur vont me manquer. En vérité, j’ai la ferme intention de les léguer aux futures détentrices de cet espace. J’avise la ribambelle d’images de nous deux sur le côté d’Alyssa. Cette fille se passionne pour la photo autant que moi, et sait comment égayer une pièce. Justement, peut-on me dire en quoi le beige hideux – que j’aime qualifier de « sable mouillé » – qui recouvre les murs de notre chambre est la couleur de prédilection des espaces communs ou publics ? Parce que je vais vous le dire, moi : c’est moche, terne, triste et certainement pas une chose dont je vais m’ennuyer cet été.

    Déjà un an que j’ai commencé ce programme de photographie. Comment oublier mon premier jour ? Loin de chez moi, sans ma mère pour m’accompagner – professeure, elle ne pouvait pas rater la rentrée –, je suis débarquée ici avec mes deux sacs ridicules. Alyssa composait mon comité d’accueil à elle seule. Déjà installée, c’est avec joie qu’elle m’a offert son aide pour déballer mes maigres affaires. La première impression nous trompe rarement.

    Je l’ai aimée sur-le-champ.

    — Tu habites trop loin, aussi ! Il faudra s’appeler souvent. J’ai téléchargé FaceTime sur ton cellulaire. On ne se verra pas de tout l’été. T’en rends-tu compte ? Dix semaines, c’est énorme !

    Les miennes seront mille fois plus longues. À l’inverse de moi, Alyssa retrouvera sa famille avec un immense bonheur. Ses parents sont géniaux… et toujours en vie et unis. Comme je l’envie.

    — Je ne le réalise pas vraiment, en fait.

    Un mensonge colossal.

    — Hé ! s’écrie-t-elle en me lançant son oreiller par la tête.

    Je ne prends même pas la peine de me déplacer. Sans grande surprise, le coussin atterrit juste au pied de mon lit.

    — Tu as d’autres talents, ma pauvre.

    Elle éclate de rire. J’étire mes lèvres en un misérable sourire ; le cœur n’y est pas. Une tempête fait rage en moi. J’ai fêté mes dix-huit ans en avril dernier, une semaine et demie après l’enterrement… Disons que pleurer ma majorité sans ma mère à mes côtés serait plus juste. L’obtenir n’a rien changé au fait que j’avais déjà pris mes responsabilités depuis longtemps. Deux mois que je me sens comme une enfant égarée dans un centre commercial : terrifiée et sans repères. C’est simple, je perds complètement la raison depuis sa mort. Maman était devenue mon port d’attache, mon guide de vie, à la seconde où j’étais montée à bord de sa Honda pour quitter cette ville de malheur.

    — Comment est-ce que je vais faire sans ton sarcasme quotidien ? rigole mon amie.

    — Aucune idée.

    Nos discussions nocturnes, ses histoires délirantes et sa force tranquille vont terriblement me manquer… C’est officiel, je ne m’en sortirai pas, là-bas, sans elle. Après un an au collège, ma liste d’amies ne se réduit qu’à Alyssa. Trop populaire !

    — Violet, tu m’écoutes ? Je te parle !

    — Hum.

    Les mains repliées sous ma tête et le regard braqué au plafond, je n’entends qu’à moitié son babillage.

    — Tu crois qu’on nous assignera la même chambre pour notre deuxième année ?

    — Peu importe.

    Je connais ce plafond par cœur, chaque tache, chaque fissure. Demandez-moi de le dessiner les yeux fermés et je le ferai sans problème. Une autre chambre, un autre plafond, c’est du pareil au même. Tout ce qui compte, c’est de la garder, elle, comme colocataire, mais surtout comme amie. Il en va de ma survie sociale et émotionnelle ! Pétillante, patiente et loyale, c’est la complice rêvée. Notre amitié survivra-t-elle aux vacances ? Comment dit-on, déjà ? Loin des yeux, loin du cœur. Je suis une pure égoïste, mais je n’ai aucune envie de me retrouver seule à la prochaine rentrée ! Sympathiser n’est pas ma tasse de thé.

    — Demain, c’est le grand jour, dit-elle en louchant vers mon bureau et ma penderie. Tu devrais commencer à préparer tes affaires.

    — Ouais, je m’en occuperai ce soir.

    Ou juste avant de partir, en fait. Je compte quitter cet endroit comme je suis arrivée en début d’année, avec mes deux petits sacs. Tous les autres trucs resteront ici. Ai-je vraiment besoin de cette vieille plante qui meurt à petit feu sur le rebord de ma fenêtre ou encore de cet épouvantable kangourou couleur bordeaux au logo de mon collège ? Plutôt mourir… Je ne chéris que trois objets : mon iPod, mon appareil photo et mon pendentif, que je n’enlève jamais. Pour rien au monde je ne m’en départirais.

    — Hé ! Tu ne m’as jamais décrit ton père… À quoi est-ce qu’il ressemble ?

    — À un avocat, soufflé-je, perdue dans mes souvenirs.

    — Je le sais, ça, Violet. Ce n’est pas son métier qui m’intéresse. Je l’imagine blond comme toi, avec les yeux…

    Je ne l’entends plus. Mon esprit dérive hors de la pièce. Loin, très loin.

    Chapitre 2

    Deux mois plus tôt

    — Mademoiselle Jonas, êtes-vous prête ?

    Je reviens sur terre, parmi les vivants. Au milieu de tous ces morts. J’ai horreur des cimetières, encore mille fois plus aujourd’hui.

    — Vous pouvez commencer, monsieur le révérend, acquiescé-je.

    Ce n’est pas vrai, je ne suis pas prête !

    Sans reconnaître ma voix blanche, dénuée de toutes les émotions que je combats intérieurement, je me faufile au deuxième rang, incapable de contempler cette gigantesque boîte noire d’aussi près. Je préfère me concentrer sur autre chose. Le ciel gris orageux qui, tout comme moi, est sur le point de fondre en larmes. L’herbe d’un brun terne qui rêve d’un été hâtif. Les arbres dépouillés, exposés, vulnérables.

    Triste à mourir…

    — Merci à tous d’être venus. Aujourd’hui, nous soulignons l’existence de madame Katherine Denis…

    Katherine ?

    La gorge nouée, je croasse :

    — Kate… Appelez-la Kate. C’est ce qu’elle aurait voulu.

    Mon oncle et ma tante, des amis de la famille et quelques collègues ; tous se retournent vers moi, les yeux emplis de pitié. Gardez-la, je n’en ai pas besoin ! Les mains agrippées à ma robe noire, je pique du nez et fixe mes chaussures tout aussi sombres. Le bout est très usé, je devrai bientôt m’en acheter une autre paire… Une pensée débile, une de plus qui s’ajoute à la liste. Suis-je toujours saine d’esprit ? Parce que j’ai l’impression que mon cerveau s’est éteint avec elle…

    Le révérend prend mon silence pour un assentiment.

    — Alors, je vous remercie toutes et tous d’être venus aujourd’hui. Au nom de Kate, j’aimerais…

    Je me déconnecte, mon esprit dérive et fuit ce cimetière. Le discours du prêtre sonne creux, appris par cœur. Je frissonne. Où est la personnalisation dans tout ça, dites-moi ? Chaque mort est différente, chaque décès engendre des répercussions différentes.

    Ma mère était unique.

    Un combat se livre en moi, un mélange d’amour et de haine. Je n’aime personne comme j’aime ma mère, mais je la déteste d’avoir perdu sa bataille contre la maladie. Est-ce une réflexion légitime ? Probablement pas… Je mériterais une bonne gifle. Et si elle m’entendait de là-haut, que penserait-elle de sa pauvre fille ? Comme je souhaiterais disparaître, là, tout de suite. Voilà ce qui se produit quand on croit que quelqu’un est invincible. Ma mère n’était pas qu’un simple individu à mes yeux, mais mon héroïne.

    La vie est si dure sans elle à mes côtés…

    — Si quelqu’un désire raconter un souvenir ou dire quelques mots, c’est le moment.

    Sur le coup, personne ne bouge. Je retiens mon souffle et croise les doigts pour qu’aucun d’entre eux n’émette un son.

    S’il vous plaît !

    La seule chose que je désire depuis le commencement de cette pénible cérémonie, c’est qu’elle s’achève au plus vite. Que personne n’ouvre la bouche ! J’ai des fourmillements dans les jambes, prête à lever le camp.

    — J’aimerais dire un mot.

    Mon cœur manque un battement. Un homme bien habillé, aux cheveux noirs lissés, que je ne reconnais que trop bien, s’avance aux côtés du révérend. Mon père, Tom Jonas, se positionne, vêtu d’un costume trois pièces qui vaut probablement une fortune, et scrute la foule. Je me recroqueville derrière mon oncle Bernard. Eh oui ! À dix-sept ans, je joue à cache-cache avec mon papa. Complètement pathétique… À mon grand soulagement, il abandonne les recherches.

    D’une voix puissante et grave, il s’adresse à l’assemblée :

    — Malgré nos différends, Kate était une personne généreuse qui aurait tout fait pour sa famille. Vraiment tout, ajoute-t-il en affichant un air mélancolique. Je la remercie d’être entrée dans ma vie et d’avoir mis au monde nos enfants. Je lui souhaite de trouver la paix. Amen.

    Tous répètent après lui, mes lèvres demeurent scellées. Une brusque envie de le chasser me prend au ventre. De quel droit ose-t-il parler d’enfants et de famille ? Ce n’est qu’un imposteur ! Il lève la tête dans ma direction, mes yeux lui crient de dégager.

    Je te déteste.

    — Laissons nos prières la rejoindre, en ce jour de deuil.

    Je jette un ultime coup d’œil au cercueil, à ma mère. Prise de violents sanglots, je recule. C’est urgent, je dois m’écarter ! Me tenir le plus loin possible, pour ne pas sauter dans ce trou avec elle. Dans mon empressement, je piétine quelques orteils et heurte une femme qui m’est inconnue. Une parente éloignée, peut-être.

    — Désolée. Excusez-moi.

    C’est trop, appelez une ambulance, mon cœur va lâcher…

    Le reflet de mon humeur s’abat sur nous. L’averse est puissante, glacée et libératrice. Le tonnerre gronde au-dessus de ma tête. Je me dépêche, mais mes chaussures à talons hauts me ralentissent. Une des pires inventions ! Au milieu de l’herbe, je les retire et poursuis en collants sur le sol humide et froid. Ils seront ruinés, mais c’est le dernier de mes soucis. J’enterre ma mère, merde ! Je n’arrive pas à y croire…

    Les gouttes de pluie se mélangent à mes larmes, et je ne sais plus les différencier. Hors d’haleine, je trouve refuge sous un vieux chêne. Trempée jusqu’aux os, jusqu’au cœur, je grelotte sous mon léger manteau de printemps. Au loin, le rassemblement prend fin et les invités se dispersent. Le cercueil entre en terre, avec le révérend et les centaines de pierres tombales pour uniques accompagnateurs. On naît seul, on meurt seul…

    Maman.

    Lorsque la première pelletée de terre est lancée, je comprends que c’est officiellement la fin. La fin de la

    cérémonie, la fin de sa vie…

    Le début de la mienne sans elle.

    Le vent emporte mon douloureux murmure :

    — Je t’aime, maman. Tu me manques tellement, sangloté-je en avalant péniblement. Donne-moi la force de continuer…

    Chapitre 3

    — Madame, votre billet, entends-je.

    La femme au guichet, Glenda, ressemble dangereusement au clown de mon cinquième anniversaire. Avec ses cheveux frisés orange, son maquillage extravagant et ses lèvres rouge sang, le mélange est effrayant ! Comment peut-elle croire que ce style lui va bien ? Sans compter sa gomme qui m’hypnotise. Elle mastique, souffle une bulle et la fait éclater. Ainsi de suite, encore et encore… et encore.

    — Vous le prenez ? D’autres personnes attendent, me dit-elle avec impatience, entre deux bulles.

    — Oh ! Oui, merci.

    Je grimace à la vue de ses longs ongles peints en rose vif.

    — Vous devriez opter pour un maquillage plus léger.

    Ses yeux soulignés d’un trait mauve trop épais me transpercent.

    — Suivant !

    Je saisis le message et fais de l’air. Moi qui voulais simplement l’aider !

    — De rien, marmonné-je dans ma barbe en me dirigeant vers le quai où Alyssa et Justin m’attendent.

    — Prête ?

    — Euh…

    Aly ne me laisse pas en placer une et m’étouffe d’un câlin. Une bouffée d’émotions me prend par surprise. Je lui rends brièvement son étreinte et un énorme soupir m’échappe ; le poids du monde repose sur mes épaules. Quand elle s’acharne, la vie ne fait pas les choses à moitié…

    — Plus le choix. Aucune chance que Glenda veuille me rembourser.

    Pas maintenant que je l’ai gentiment conseillée…

    — Ne fais pas la tête, Violet. Dix semaines, c’est vite passé.

    Appuyé sur un pilier avec nonchalance, Justin me sert son fameux rictus, mi-sérieux, mi-sarcastique. Je souris. Ami de longue date d’Alyssa et désormais petit copain officiel, ironique et désabusé de la vie, il m’a plu sur-le-champ, lui aussi. Calme, drôle et peu bavard, il équilibre le taux d’hormones près de moi.

    — Pas de danger que je m’ennuie de toi, monsieur

    sarcasme, lancé-je en lui tirant la langue. Tu rentres au bercail ?

    — Je…

    — Violet, dépêche-toi, tu vas être en retard ! nous interrompt Aly en se plantant devant moi.

    J’échange un sourire complice avec Justin. Dans le dos de son amoureuse qui me sermonne, il articule en silence, les yeux ramenés vers son nez :

    — Je m’appelle Alyssa et je parle toujours trop.

    Je lutte pour ne pas pouffer. Mon amie le remarque et lui donne un coup de coude dans le ventre sans se détourner.

    — Ne l’écoute pas, il dit n’importe quoi. Regarde-moi !

    C’est déjà le cas. Mes joues aplaties sous ses mains et mon visage très près du sien, je ne sais pas comment je pourrais me dérober. De sa voix de maman canard, elle me répète pour la centième fois :

    — Sois gentille avec ton père. Donne-lui le droit de s’expliquer, et je suis certaine que tu t’amuseras. Avec de la chance, tu retrouveras des amis d’enfance, non ?

    Je me tortille, mal à l’aise. Mon père n’est pas le seul que je désire éviter… Mon mécanisme de défense s’enclenche.

    — Youpi !

    Je dégouline d’ironie et Justin se délecte de mon malaise. Comme je suis prise dans les filets de sa petite amie, lui décocher une œillade noire n’est pas une option.

    — Violet Jonas !

    J’arrête de remuer et fais un doigt d’honneur discret à Justin pour que lui seul le remarque. Son rire redouble.

    — Imbécile !

    Alyssa le réduit au silence d’un regard assassin. Malgré son petit mètre cinquante, cette fille est une vraie caporale, et j’en suis ravie.

    — C’est bon, Aly. Je vais bien me tenir. Je peux y aller, maintenant ?

    Elle consent à me libérer. Enfin !

    — Go ! Ton autobus, c’est le 105 ! Et toi, poursuit-elle en s’adressant à son amoureux, rends-toi utile et porte ses bagages.

    — Ouais, c’est vrai, Justin. Montre-nous que tes nombreuses séances à la salle de sport ont porté leurs fruits, blagué-je avant qu’il fasse mine de me frapper. Hé ! On ne touche pas à la pauvre Violet, voyons.

    — Avance, avant qu’elle exige que je te traîne par le fond de culotte.

    Je ne ris plus. Elle le ferait sans hésiter. J’accélère le pas et la rejoins en vitesse, même si mon instinct me hurle de fuir dans le sens inverse. Devant la porte, Aly me fait doucement la bise et me chuchote à l’oreille :

    — Appelle-moi n’importe quand, et je viens te chercher. À n’importe quelle heure, Violet, je suis sérieuse, ajoute-t-elle en appuyant ses propos d’un air solennel.

    Sa sincérité me va droit au cœur. Comment ne pas aimer cette charmante Asiatique en robe à motif zébré ? Une véritable amie. Machinalement, je porte la main à mon pendentif.

    — Promis.

    Maladroit, Justin manque de me renverser en m’étreignant.

    — Waouh !

    Je me retiens à son t-shirt et blottis mon visage contre son torse. Son odeur masculine et familière flotte entre nous. Un mélange de déodorant et d’eau de Cologne. Voilà comment je décrirais le parfum du seul garçon avec qui j’ai eu de vraies discussions cette année. Je l’aime comme un frère.

    Le menton appuyé sur ma tête, il déclare :

    — Prends soin de toi et ne fais confiance à personne durant le trajet.

    Il me relâche aussitôt. C’est quoi, cette mise en garde ridicule ? Devant son air sérieux, la plaisanterie que je m’apprêtais à dire meurt sur mes lèvres.

    — Merci bien. Maintenant, j’ai la trouille !

    Il m’adresse un clin d’œil.

    — Pas de quoi. Bon été, Violet.

    — Bon été.

    À reculons dans les marches, j’embrasse les environs du regard. La vieille gare défraîchie, sa musique d’ambiance pourrie, le collège tout près, et finalement ces deux merveilleux et étranges individus. Ils constituent mon univers. Dès son départ, ils ont comblé une certaine partie du vide que ma mère a laissé. Je me suis attachée à eux. Je les aime d’amour, comme ma famille. Nous formons un beau trio.

    — Tu vas me manquer, ma chérie !

    Vous aussi.

    — À plus, Aly !

    Ils me font signe et reprennent le chemin du collège. Je les observe, émue. Mon amie est si petite et Justin, si grand, qu’on jurerait un père et sa fille. Cette image me fait sourire. Dans un grincement horrible, les portes de l’autobus se referment sous mon nez. À seulement dix heures de mon passé, reculer n’est plus une option.

    Eh merde !

    La chauffeuse, âgée mais sympathique, vérifie mon billet. Je la remercie et fonce tête baissée dans l’allée, sans loucher vers les autres passagers. Pas moyen de savoir s’ils me dévisagent ou pas, je n’ai qu’un but, me rendre à l’arrière. Mes deux sacs sur les épaules, j’avance difficilement. Si le couloir était plus large, aussi ! Avec maladresse, je heurte une vieille dame.

    Mortifiée, je me confonds en excuses :

    — Je suis désolée. Vous allez bien ?

    Elle me dévisage sévèrement et me tourne le dos. Fin de la discussion.

    — Euh… OK.

    Deux pas plus loin, je l’entends se plaindre à son mari :

    — Ah, les jeunes d’aujourd’hui, tous des impolis !

    Pardon ?

    J’ignore son commentaire et jette mon dévolu sur la banquette libre tout au fond. Le tissu bleu semble propre et rien ne traîne au sol ; ça fera l’affaire. Je m’y affale lourdement. Des images de prédateurs plein la tête, j’ose enfin regarder discrètement les autres voyageurs. Une dizaine de personnes tout au plus. Le couple de vieux rabat-joie à l’avant, bien sûr, une mère et un père avec leurs petites jumelles et trois adolescentes au centre, plus la chauffeuse.

    Pas de quoi m’inquiéter.

    Une goutte de sueur perle dans mon dos. J’ai chaud. Faites que le bus démarre au plus vite. Vive l’air conditionné ! Mes sacs disposés sur le siège voisin et ma sacoche sur les genoux, je cherche mon iPod. Pendant cinq interminables secondes, je suis convaincue de l’avoir égaré quelque part. Quand mes doigts se referment sur l’objet, mon soulagement est indescriptible. Je m’empresse d’enfiler mes écouteurs et de me caler le plus confortablement possible dans mon siège au rembourrage aplati.

    Dans un boucan d’enfer, le bus prend la route.

    J’oublie où je me trouve, où je vais, et me laisse dériver au son de Black Eyed Peas.

    Chapitre 4

    Ballottée par une énorme bosse, j’ouvre les yeux d’un coup et panique un bref moment. Où suis-je ? Ah, oui. Dans l’autobus, direction : l’enfer sur terre. Ce n’était pas un mauvais rêve… La joue écrasée contre la vitre, je me dégage et réalise que je suis en sueur. Même mes derrières de genoux sont moites ! Comme le veut mon immense chance des derniers temps, l’air conditionné ne fonctionne pas. Résultat ? Mon t-shirt et mon short en jeans me moulent comme une seconde peau. Un vrai four, c’est dégoûtant ! Au moins, je n’ai pas encore mal au cœur. Mince réconfort…

    Je redresse ma sacoche sur mes genoux et étire mon dos courbaturé. J’allonge les bras et mes doigts rencontrent un corps étranger.

    — Oh mon Dieu !

    Sous l’effet de la surprise, mes fesses quittent le banc un millième de seconde. Un de mes écouteurs se déloge et rebondit contre ma poitrine. J’étrangle mon sac comme une folle, sans dire un mot. Un garçon est installé à mes côtés et m’observe. Mon cœur bat la chamade, mais ça ne m’empêche pas de le dévisager ouvertement.

    — Quoi ? Tu avais l’air si paisible, je ne voulais pas te réveiller.

    Une voix grave et assurée. J’en oublie ma timidité, mon visage humide et probablement rougi, et je plisse les yeux avec méfiance. De toutes les places disponibles, il ne pouvait pas en prendre une autre que celle-là ?

    — Qu’est-ce que tu fais assis là ? Et où sont mes sacs ?

    Plutôt hostile de ma part, mais je veille à ne pas oublier la mise en garde de Justin. Ce garçon à l’allure sympathique pourrait être en réalité un fou furieux. Un très joli fou furieux, mais un malade quand même. L’inconnu ignore mes questions et me tend sa main, probablement aussi humide que la mienne. Beurk. Je croise les bras, l’air de dire : tu te fous de moi ?

    — Kevin.

    — Tu n’as pas répondu. Où sont mes sacs ?

    Il pige le message et repose sa paume sur sa cuisse.

    — En haut, dans le porte-bagages, avec les autres. Sinon, tu as un nom ?

    Il patiente sagement. L’orage dans ses yeux crée un contraste énorme avec son sourire étincelant.

    — Violet, lâché-je froidement.

    — Eh bien ! Ravi de te rencontrer. Nous sommes désormais compagnons de voyage ! Alors, instaurons des règles.

    Je réprime une grimace.

    — Des règles ? J’ai mon siège, tu as le tien, quoi d’autre ?

    Il se prend pour qui ?

    Au-dessus de l’appui-tête, je remarque que l’autobus est bondé, plus aucune place de libre ! Où sommes-nous rendus ? Aucun panneau en vue par la fenêtre. Zut ! Si je me fie aux raideurs dans mon cou, j’ai probablement dormi

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