Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Otherworlds - Tome 3: Sirlecques
Otherworlds - Tome 3: Sirlecques
Otherworlds - Tome 3: Sirlecques
Livre électronique605 pages8 heures

Otherworlds - Tome 3: Sirlecques

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Anthony Verdier, ancien agent d'une organisation secrète combattant les forces de l'Ombre, pensait couler des jours heureux avec sa famille recomposée ; hélas, en retrouvant ses pouvoirs de Visionnaire perdus à l'adolescence, il se voit de nouveau confronté à de fréquentes crises : lorsque dans l'une d'elle il aperçoit un jeune homme aux prises avec des créatures étranges, il comprend qu'une menace couve. Mais laquelle ?
Avec l'aide de sa fiancée Iris, médium, de son ami Valentin et des enfants aux pouvoirs psychiques qu'il a récemment adopté, il va se lancer dans une enquête afin de déterminer d'où vient ce danger. Et quand Iris prononce le prénom d'un jeune homme qui leur est inconnu, entraperçu lors d'un flash, ils font rapidement le lien : qui est cet Ignace qui semble être au cœur de l'affaire ? Faut-il le sauver, ou bien le combattre ? Car le jeune homme semble mêlé de près ou de loin aux portails qui s'ouvrent et libèrent des créatures venues d'univers parallèles.
Ensemble, accompagnés d'Owéa, l'alien Slith qui loge sous les toits de leur manoir, mais aussi de Sarah, qui aperçoit les signes surnaturels, de Jérémy, l'adolescent fougueux aux facultés de téléportation, et de Tiffany, qui contrôle les éléments liquides, ils vont se lancer dans l'enquête, en partant du seul prénom de ce jeune homme distingué aux travers des visions communes d'Anthony et d'Iris... À eux de découvrir qui est l'ennemi, et qui il faut aider, cette fois-ci encore...


À PROPOS DE L'AUTEUR


Ancien libraire, Tim Corey a commencé par écrire des romans pour enfants avant de se tourner vers la science-fiction et le fantastique.
Il a travaillé en tant que chroniqueur de séries télé pendant plusieurs années.
Il habite depuis quelques années en France, près de Paris.


LangueFrançais
ÉditeurOtherlands
Date de sortie4 mars 2022
ISBN9782797302246
Otherworlds - Tome 3: Sirlecques

En savoir plus sur Tim Corey

Auteurs associés

Lié à Otherworlds - Tome 3

Titres dans cette série (2)

Voir plus

Livres électroniques liés

La famille pour enfants pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Otherworlds - Tome 3

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Otherworlds - Tome 3 - Tim Corey

    1

    Cela faisait quelques mois désormais que la petite troupe s'était installée au manoir. L'immense demeure, abandonnée depuis longtemps, semblait reprendre vie grâce à l'arrivée de cette étrange famille recomposée. Anthony et Valentin n'avaient pas chômé, car il y avait énormément de travaux à faire pour remettre en état cette grande maison de maître. Le jardin à lui seul avait nécessité près de deux semaines de nettoyage, il avait fallu tondre, tailler, semer, et même abattre, à regrets, quelques arbres certainement centenaires, mais dont la santé fragile jouait sur leur stabilité dans le sol, et qui menaçaient à la fois le bâtiment et ses habitants. Le bois n'avait pas été perdu, il avait été entreposé dans la remise, et séchait lentement pour servir plus tard dans les nombreuses cheminées de la maison, quand l'hiver serait venu.

    L'intérieur, lui, n'avait pas nécessité de grosses rénovations : Anthony avait fait venir un électricien qui avait vérifié que le réseau électrique était bien aux normes actuelles. Et mis à part le changement des prises de courant et quelques petites réparations, cela n'avait pas pris trop de temps. La plomberie, quant à elle, était d'époque, beaucoup de tuyaux étaient encore en plomb ; l'ensemble avait dû être remplacé, et il avait bien fallu quelques semaines pour tout remettre en état. Anthony avait failli s'évanouir lorsque le maître de chantier lui avait communiqué le devis, même si celui-ci n'était pas si exagéré devant l'importance de la tâche. Simplement il n'avait jamais eu à débourser autant en une seule fois, et il lui avait fallu se souvenir que la mystérieuse femme qui lui avait fait cadeau de ce manoir lui avait aussi fourni un compte bancaire bien rempli pour faire face à de telles dépenses.

    Malgré cela, il n'avait pu prendre la décision d'engager de tels travaux sans la contacter auparavant. Il avait donc appuyé sur ce fameux bouton rouge, situé sur le téléphone raccordé au mur, et c'est le cœur battant qu'il avait laissé les sonneries s'égrener au bout du fil. Son interlocutrice lui avait répondu rapidement, elle semblait réellement heureuse d'avoir de ses nouvelles. Il lui raconta les petites réparations qu'ils avaient effectuées dans la demeure, et lui énonça le but de son appel. Surprise, elle lui rappela qu'elle lui avait cédé le manoir, et que l'argent qu'elle avait déposé sur ce compte devait servir à redonner un coup de neuf à l'habitation, trop longtemps délaissée. Anthony avait beau le savoir, il avait encore du mal à dépenser cette somme, dont il avait hérité sans rien vraiment faire pour la mériter. Rassuré, il la remercia une nouvelle fois, et, le cœur plus léger, il put lancer les travaux.

    La maison avait repris vie. Même s'il restait encore pas mal de travail, petit à petit l'équipe prenait possession des lieux. Les étages avaient été distribués dès le début, chacun y avait trouvé sa place. Au premier, dans le couloir de gauche, Anthony et Iris avaient choisi la plus grande pièce pour en faire leur chambre. A l'autre bout, du côté droit, Valentin avait fait de même. Les adultes se trouvaient donc tous au même niveau. Au-dessus d'eux, les trois adolescents s'étaient partagé le second étage. Sarah et Tiffany, sur la droite, s'étaient attribué deux chambres contiguës. Jérémy, le seul garçon, avait préféré s'éloigner un peu, mais il ne voulait pas, cependant, être installé à l'extrémité du corridor. Il venait d'avoir treize ans, en paraissait bien quinze désormais, mais gardait au plus profond de lui un côté petit garçon, et la présence de Sarah, son aînée de 4 ans, non loin, le rassurait. Enfin, au dernier étage, sous les combles, Owéa s'était installé dans une toute petite pièce qu'il avait sobrement aménagée. Toujours dans la retenue, le personnage avait transformé la chambre en y amenant le strict minimum. Un dénuement qui lui allait parfaitement.

    Anthony n'avait pas parlé du compte bancaire bien fourni aux enfants – seuls les adultes étaient au courant qu'ils disposaient d'une belle somme pour entretenir le domaine et y vivre sans problème – et il faisait très attention aux dépenses. Il n'arrivait pas à se dire que ce cadeau, même s'il l'appréciait énormément, leur avait été offert généreusement, sans réelle contrepartie.

    C'était aussi pour cela qu'il se donnait du mal, avec l'aide de ses amis, pour entretenir la demeure qu'on lui avait léguée. La maison était grande, bien trop grande pour eux. Même en prenant une chambre chacun, il restait à chaque étage un bon nombre de pièces encore non utilisées.

    Anthony et Valentin avaient entrepris, ces deux dernières semaines, de lui donner un coup de neuf en repeignant les façades de bois et les volets. Ils regrettaient parfois de s'être lancés dans de tels travaux et de ne pas avoir fait appel à des professionnels, car la tâche semblait sans fin. Mais comme ils n'avaient de travail ni l'un ni l'autre, ils trouvaient en cela de quoi occuper leurs journées. Et lentement la maison reprenait des couleurs. Sarah avait commencé, de son côté, à s'occuper des volets des chambres des enfants, même si la teinte sobre choisie ne lui avait pas plu au premier abord. Elle prenait son temps, mais c'était toujours ça que les garçons n'auraient pas à faire. Jérémy et Tiffany avaient tenté de s'y mettre aussi, mais au bout d'une demi-heure, ils avaient définitivement laissé tomber les pinceaux, l'activité leur semblant moins intéressante qu'ils ne le pensaient. Quant à Owéa, il était plus spirituel que manuel. Il s'était donc auto-attribué la remise en fleurs de l'immense jardin, et, nul ne savait comment, il avait réussi à créer des parterres colorés un peu partout en quelques semaines ; les plantes semblaient s'épanouir même dans les parties les plus ombragées du parc. Personne ne se posait la question de savoir comment il faisait. Il leur suffisait de regarder le grand individu filiforme à la peau bleutée, penché sur un arbuste décharné, et de l'observer faire ces gestes lents et doux que lui seul maîtrisait, pour se rendre compte que l'extra-terrestre possédait une patience et des facultés bien au-delà de la compréhension humaine. Et le résultat se vérifiait à chaque fois : en deux ou trois jours, la plantation, qui n'était qu'un fagot de bois secs, se parait d'une multitude de petites feuilles vertes, clairsemées de fleurs toutes plus belles les unes que les autres. Sans doute une faculté que les Sliths possédaient, une relation particulière avec le vivant, notamment avec le végétal.

    Iris, quant à elle, continuait à travailler à l’hôpital pour le moment. La petite amie d'Anthony avait préféré garder son emploi, car cela la rassurait. Son quotidien avait été chamboulé en peu de temps, elle avait besoin d'un peu de stabilité au milieu de cette tornade qui avait totalement transformé sa vie : en quelques semaines, elle s'était remise avec Anthony, bien décidée à redonner une chance à leur couple. Puis, peu de temps après, elle s'était retrouvée à aider son ami dans une quête dangereuse pour sauver Tiffany. C'est ainsi, après bien des rebondissements, qu'elle était devenue, avec Anthony,  la tutrice officielle des trois adolescents, qu'ils avaient recueillis bien malgré eux. Ceux-ci s'étaient très bien faits à la situation ; pour les deux jeunes filles, qui vivaient dans la rue, la situation était sans conteste vraiment plus agréable. Même si Sarah, lors de ses coups de gueule, regrettait sa liberté perdue, il était préférable pour les enfants d'avoir une situation plus stable pour grandir. Jérémy, lui, paraissait être le plus heureux. Libéré de sa tutrice qui le maltraitait, le gamin, qui n'avait jamais connu de parents aimants, se rattrapait avec Anthony et Iris. Il n'osait pas les appeler papa et maman, et il ne le ferait sûrement jamais, alors qu'il avait surpris tout le monde en nommant tonton, le plus naturellement du monde, le dernier adulte de la bande, Valentin. Qui avait accepté le rôle sans broncher, et même avec humour.

    Valentin, lui, avait bien fait d'accepter l'invitation d'Anthony à venir les rejoindre pour habiter dans cette immense demeure : il avait appris que, peu de temps après avoir délivré les enfants des laboratoires d'Impérium Industries où il s'était fait engager depuis plusieurs mois comme assistant de recherche, son appartement avait été visité et totalement saccagé. Il avait embarqué toutes ses affaires importantes, les cambrioleurs n'avaient donc rien pu trouver dans son ancien logement ; il ne faisait aucun doute pour lui que c'était Impérium qui avait envoyé ces hommes à sa recherche, il était donc bien heureux d'avoir disparu du jour au lendemain, et très rapidement. Parfois il doutait de pouvoir rester dans l'ombre, et se disait qu'un jour ils finiraient bien par le retrouver pour lui faire payer sa trahison, mais le temps qui passait éloignait petit à petit ses craintes à ce sujet.

    Voici donc quelle était la situation au manoir, quelques mois après l’installation de toute la petite troupe. Ah, non, pardon. Il ne fallait pas oublier Lucky, le chat qui s'était attaché à Jérémy dans le complexe d'Impérium, et qu'ils avaient ramené avec eux. Un chat particulier, puisqu'il avait grandi dans des proportions qui dépassaient tout ce qu'ils avaient vu jusqu'à présent chez un félin domestique. En quelques semaines, il avait atteint les 1 m 50, du bout de la queue au museau, et les deux canines qui dépassaient désormais de sa gueule ne laissaient aucun doute sur son origine : Lucky n'était pas un chat ordinaire, mais semblait plutôt s'apparenter à la famille des tigres à dents de sabre, sûrement tout droit sorti des mondes parallèles explorés par Impérium. Le plus gros point négatif à son sujet était le fait qu'il adorait se balader en dehors de la propriété. Mais la plupart du temps, il aimait dormir au soleil dans le jardin, lorsque Jérémy ne venait pas le taquiner juste pour s'amuser.

    Ainsi passait le temps pour le petit groupe des dissidents, comme les avait nommés la femme mystérieuse qui leur avait offert une nouvelle vie.

    2

    Iris avançait dans le couloir, croisant le regard de ses collègues affairés aux soins des patients de son service. Un bonjour discret, un sourire, parfois une bise à une amie, et elle reprenait son chemin. Comme chaque matin, elle faisait le tour des chambres qui lui étaient attribuées, pour vérifier l'état de santé des personnes dont elle avait la charge.

    En arrivant devant la porte 48 elle ralentit. Elle savait bien ce qu'elle allait trouver derrière, à chaque fois cela lui faisait un pincement au cœur. Elle appuya sur la clenche et pénétra dans la pièce, presque sur la pointe des pieds, comme si elle craignait de déranger la personne étendue sur le lit. Elle savait pourtant que cela ne risquait rien, mais elle avait toujours agi envers lui avec tact et douceur.

    Elle s'approcha du lit, regarda les machines qui bipaient tout autour. Le jeune homme étendu sous le drap bleu clair avait les yeux fermés. C'était comme cela depuis plus de dix-huit mois. Il ne dormait pas, bien que son visage reposé puisse donner l'impression du contraire.

    Triste histoire que celle de ce garçon, qui devait avoir à peu près le même âge qu'elle, entre vingt-cinq et trente ans. Elle ne pouvait en être sûre, car lorsqu'on l'avait retrouvé, inconscient, dans le parc de la ville, il n'avait sur lui aucun papier. Ni pièce d'identité, ni portefeuille qui aurait pu apporter une seule petite indication. Du coup ce patient était un mystère pour tout le monde. Au début elle avait pensé, comme tous ses collègues, que quelqu'un se présenterait pour le réclamer, sa famille, ses amis... Comme à chaque fois dans ce genre d'affaire, la police avait mené son enquête, mais cela n'avait abouti à rien.

    Il était arrivé inconscient, et n'avait jamais rouvert les yeux depuis. Il ne souffrait d'aucun traumatisme, n'avait aucune pathologie, qui aurait pu indiquer ce qui lui était arrivé. Iris s'était prise d'une certaine tendresse pour lui, elle passait régulièrement vérifier ses constantes, en espérant qu'un jour, un miracle aurait lieu. Hélas, jusqu'à présent, rien ne s'était passé.

    Elle s'avança vers lui, et après avoir vérifié les informations délivrées par les appareils, elle lui posa la main sur le bras. Elle espérait parfois que ses pouvoirs de médium lui donneraient quelques informations, qu'elle pourrait avoir un flash, à un moment, qui lui permettrait au moins de découvrir  son prénom, son nom, afin de redémarrer une enquête qui pourrait déboucher sur un lien familial ou amical. Car il devait obligatoirement avoir des gens dans son entourage, des personnes à qui il manquait !

    Elle le regarda tendrement pendant quelques secondes, se concentrant malgré elle sur son visage. Elle aurait tant aimé voir un mouvement, un soubresaut, un sourire... Mais encore une fois, il resta impassible. Elle soupira, le fixa une dernière fois, et reprit sa tournée, laissant ce mystérieux inconnu dans son silence.

    *

    — Tu as bientôt terminé avec les persiennes du bureau ? demanda Valentin à Anthony tandis qu'il décapsulait une bière et qu'il la tendait à son ami.

    — J'aurais bien aimé ! Moi qui pensais que j'allais en finir en deux jours... soupira ce dernier. Si je n'avais pas eu tant de mal à décaper l'ancienne couche de peinture !lui répondit le jeune homme en attrapant la bouteille.

    — Pourtant sur les autres volets, ça se détache facilement.

    — Oui, je sais. Mais là, ils ont dû passer quelque chose d'autre, je ne sais pas... En tout cas ça forme une sorte de pellicule plastifiée qui adhère au bois, et j'ai peur qu'en forçant je n'abîme encore plus l'encadrement. Je te laisse ma place, si tu as terminé de ton côté.

    — Ah non merci ! s’esclaffa le jeune homme en avalant une nouvelle goulée de bière bien fraîche.

    — Merci la solidarité, répondit Anthony en riant.

    — Mais promis, la prochaine fois, c'est moi qui m'y colle.

    — Je te revaudr...

    Anthony se figea au milieu de sa phrase. Les yeux dans le vide, il ne bougeait plus, laissant échapper la bouteille qui vint s'exploser sur le sol. Valentin posa la sienne sur la table et se précipita vers son pote, qui semblait totalement absent. Puis celui-ci se mit à trembler, et le jeune homme comprit ce qui se passait. Il vint se placer derrière lui, juste à temps pour le récupérer alors que son corps s'effondrait comme une poupée de chiffon. Il le traîna en douceur un peu à l'écart pour qu'il ne tombe pas au milieu des éclats de verre, et l'étendit au sol alors que les spasmes augmentaient. Quand d'autres auraient paniqué devant pareille situation, il se positionna, accroupi, à côté de son ami qui semblait convulser. La seule chose qu'il fit fut de lui prendre la main pour lui faire sentir qu'il était près de lui. Il regarda sa montre ; cela devait faire moins de trente secondes que le phénomène avait commencé. C'était la quatrième fois qu'il se trouvait confronté à tout cela, il savait maintenant comment réagir. Anthony le lui avait dit, et Iris lui avait donné quelques précieux conseils, au cas où cela devait se produire un jour où elle ne serait pas là. Un jour comme aujourd'hui, par exemple.

    Valentin ne s'alarma pas, il attendit que les mouvements saccadés de son ami se calment. Il espérait juste qu'aucun des trois adolescents n'allait débouler à cet instant, car malgré tout la vision d'Anthony en pleine convulsion pouvait être marquante.

    Les soubresauts se calmèrent. En quelques secondes le corps d'Anthony se détendit complètement, jusqu'à se retrouver inerte sur le carrelage de la cuisine. Lentement le jeune homme reprit connaissance et ouvrit doucement les yeux.

    — Salut, mon pote, chuchota Valentin en le voyant reprendre conscience.

    — Que s'est-il passé ? murmura Anthony.

    — Comme d'habitude, tu as fait ton cirque, balança Valentin en souriant et en lui tendant la main.

    Anthony la lui saisit et se remit doucement sur pied. Il tangua un peu et Valentin vint le soutenir en l'aidant à marcher jusqu'à une chaise.

    — Regarde-moi ce bordel, dit-il en désignant la bouteille de bière explosée au sol. Et c'est qui qui va devoir nettoyer tout ça ?

    — Et bien...

    — Bah c'est Iris, quand elle rentrera ! lança-t-il en éclatant de rire.

    Anthony ne put s'empêcher de suivre son ami et de pouffer lui aussi.

    — Sans déconner, comment tu te sens ? demanda-t-il en retrouvant son sérieux.

    — Ça va, ça va...

    Il fallait toujours quelques minutes pour se sortir de cet état lorsqu'il avait une crise. Des crises, d'ailleurs, qu'il avait fini par totalement oublier, car pour lui c'était une partie de sa vie qui avait disparu depuis près d'une dizaine d'années. En effet, Anthony avait eu, pendant son adolescence, des pouvoirs de Visionnaire, mais comme pour tous les enfants psys, il les avait perdus à l'âge adulte. Jusqu'à ce qu'une expérience traumatisante, lorsqu'il avait été enfermé puis torturé chez Impérium Industries, agisse de manière inattendue sur son organisme : il avait découvert avec étonnement que les pouvoirs psychiques qu'il pensait totalement disparus avaient, semble-t-il, été réactivés par ce mauvais traitement. Si la première fois avait été un peu surprenante, et que son entourage s'était affolé, il avait appris à ses amis comment réagir devant ce phénomène. Ce qu'avait parfaitement fait Valentin cette fois-ci.

    — Alors ? C'était quoi, aujourd’hui ? relança Valentin.

    — Hum... je ne sais pas bien. J'ai l'impression que c'est une image du passé.

    — Pourquoi dis-tu cela ?

    — Eh bien... dans ma vision j'ai revu un passage ouvert sur une autre dimension, comme avec le matériel utilisé par Impérium pour explorer d'autres mondes. Pourtant... tu as bien détruit l'appareil qui leur servait à débloquer ces portails ?

    — Oui, oui... du moins, celui que je connaissais. Après...

    — Après, quoi ?

    — Si jamais ils avaient développé la même structure dans leurs différents laboratoires de recherche, il se pourrait qu'ils disposent encore d'une machine qui leur permette d'ouvrir de nouvelles brèches.

    — Donc c'est possible qu'on ne les ait pas du tout stoppés dans leurs projets, mais juste retardés ?

    — Oui, ça se peut.

    Le visage d'Anthony se referma. Lui qui pensait qu'ils avaient mis un terme définitif aux exactions de cette multinationale.

    — Il y avait des enfants.

    — Encore ?

    — Oui.

    — Que faisaient-ils ?

    — Ils se battaient. Certains hurlaient.

    — Tu en as reconnu ?

    — Comment veux-tu que je les reconnaisse ?

    — Je veux dire... Sarah ? Tiffany ? Jérémy ?

    — Non.

    Sarah, Tiffany et Jérémy avaient participé au sauvetage d'Anthony, prisonnier dans les laboratoires d'Impérium. Ils avaient usé de leurs pouvoirs eux aussi, et s'étaient montrés vraiment courageux. Sarah, qui disposait d'une faculté qui lui permettait de distinguer les traces laissées par des êtres ou des phénomènes surnaturels, avait mené la troupe qui la suivait sans se poser de questions. Jérémy, lui, possédait la faculté de se téléporter. Si, il y avait quelques mois, il était encore hésitant et gaffeur avec celui-ci, l'entraînement que lui faisait subir Sarah avait porté ses fruits : le gamin contrôlait désormais ses sauts sans aucun problème, au grand dam de Lucky, qu'il poussait à bout en apparaissant et disparaissant constamment à ses côtés pour le provoquer. Quant à Tiffany, la plus jeune, elle pouvait transformer son corps en élément liquide, ce qui l'avait sauvée lorsqu'elle avait été faite prisonnière elle aussi chez Impérium.

    Mais aucun des trois n'était concerné par la vision d'Anthony, ce qui rassura Valentin.

    — Tu crois que c'est une vision du passé ? répéta-t-il alors.

    — Je n'en sais rien.

    — C'est possible, au moins, de voir le passé, pour un Visionnaire ?

    — Je pense. Ça doit être rare, c'est plutôt l'avenir proche que l'on distingue à chaque fois, mais pourquoi pas ? En tout cas les images me montraient quelque chose de très ressemblant avec un portail ouvert sur un monde parallèle.

    — Le fait que tu n'aies pas entrevu les trois ados est déjà un bon élément. Cela veut dire que nous ne sommes pas vraiment concernés.

    — Si j'ai une vision, c'est que, de près ou de loin, nous sommes ou nous serons concernés. Y avait-il d'autres enfants gardés prisonniers chez Impérium ? Ou chez Yaber, d'ailleurs.

    — Oui. J'ai passé plus de six mois, infiltré dans leurs laboratoires, à travailler sur ce projet. J'ai vu défiler quelques enfants psys. Mais comment savoir ? Tu te souviens d'un des gamins que tu as vus ?

    — Il y en avait des petits qui couraient. Pas vieux du tout, je dirais dans les dix, douze ans. Et un plus âgé. Mature. Pas adulte, mais presque.

    — Tu peux me le décrire ? Si c'est une vision du passé, peut-être que je l'ai connu chez Impérium.

    — Je ne l'ai pas vu en détail... Mais il me paraissait grand. Élancé. Brun.

    — Jonathan était brun.

    — Les cheveux courts, rasés sur le crâne.

    — Ah non. Jonathan avait les cheveux mi-longs.

    — Je me souviens qu'il est arrivé, dans ma vision, en face de moi. Ses yeux ! Il avait les yeux bleus. Bleu clair.

    — Je ne vois pas, désolé. Peut-être un enfant avant que j'arrive au labo...

    — Il a poussé les petits sur le côté, puis s'est élancé dans le couloir. En deux mouvements je l'ai vu sauter sur le dos d'une créature. Je n'en avais jamais vu de telle.

    — Quel était son pouvoir ?

    — Je ne l'ai pas vu activer de faculté psychique. A moins que ce ne soit sa force. Ou sa façon de se mouvoir. Mais rien qui ne soit remarquable à l’œil nu.

    — C'est un détail à prendre en compte. Impérium, pour mener à bien ses expériences, enlevait des enfants disposant de facultés particulières, pour lutter contre les créatures issues des mondes parallèles qu'ils visitaient. Si ton gamin ne semble pas en avoir, ce n'est peut-être pas en lien avec cette affaire-là.

    — Si seulement ça pouvait être vrai ! Je n'ai vraiment pas envie de me confronter à nouveau à eux !

    — Ta bienfaitrice...

    — Oui ?

    — Elle ne t'a pas précisé que tu devrais... comment dit-elle ?

    — Donner des coups de pieds dans la fourmilière.

    — Oui.

    — Si. Tu as raison.

    — Peut-être devrais-tu enfin la recontacter. Cela fait quatre fois que tu as des visions. Quatre fois que tu vois des enfants en danger. Et chaque fois, c'est un peu plus précis. Est-ce que ça ne veut pas dire que tout ceci se rapproche ?

    — C'est possible, oui. Mais je ne voulais pas la rappeler. Tout comme le Cercle. Tu vois, moins j'ai de contact avec ces gens-là, mieux je me porte.

    — Je comprends. Mais elle semble avoir des moyens qui pourraient nous être utiles.

    — Nous être utiles à quoi ?

    — Pour comprendre ce que tu as vu. Et tenter d'y remédier.

    — Mais je n'ai pas forcément envie de partir au combat encore une fois, dit-il en se levant soudainement. Pas envie du tout. Je veux vivre normalement, comme tout le monde.

    — Je sais. Mais tu ne t'es jamais dit que tu n'étais pas destiné à vivre comme tout le monde ? Ni toi, ni Iris, ni moi ? Même moi, qui n'ai jamais eu de pouvoirs comme toi ou les enfants, ni de don comme Iris, même moi je sais que ma vie est différente. Différente par ce que j'ai vécu. Parce que, tout comme toi qui étais un agent du Cercle, destiné à combattre les forces démoniaques de l'Ombre, j'ai été un Sécheur de Goules. Je sais, ça le fait moins que « Agent du Cercle », mais je me suis battu, moi aussi, contre des saletés de bestioles, pas toujours agréables à regarder. Ce qui fait que je ne pense pas qu'un jour je pourrai prétendre à une vie « normale ».

    Anthony baissa les yeux. Il aurait aimé que son ami ait tort. Mais ce n'était sûrement pas le cas.

    *

    Lorsqu'Iris rentra en fin d'après-midi, elle trouva les deux garçons affairés dans le jardin. Ils avaient décroché deux grands volets de bois et étaient en train de passer une dernière couche de peinture. Anthony lui avait téléphoné peu de temps après sa crise, et même si elle savait qu'il n'était pas seul à la maison, elle n'avait pu s'empêcher de s'en faire tout le reste de la journée.

    A peine sortie de sa voiture, elle se précipita dans les bras de son petit ami, l'embrassa et le serra fort contre elle.

    — Ça va, ne t'inquiète pas, se contenta-t-il de lui dire en lui caressant les cheveux.

    — Je sais bien, répondit-elle, la tête enfouie dans son cou.

    — Valentin était avec moi quand c'est arrivé. Nous étions en pleine pause avec une petite bière.

    — Les enfants t'ont vu ?

    — Non. Nous étions dans la cuisine, et ils étaient à l'étage. Je ne suis même pas certain qu'ils aient entendu la bouteille se briser sur le carrelage en tombant.

    — Mais tu aurais pu te blesser !

    — Super Val était avec moi, lança-t-il en faisant un clin d’œil en direction de son ami, qui continuait à peindre de son côté. Il a bondi comme un tigre pour me rattraper au moment où je m'effondrais.

    — Merci, dit alors simplement Iris en regardant le garçon, qui lui répondit d'un signe de la main.

    — Bon, allez, j'ai fini de mon côté. On peut les laisser sécher, il fait bon, ça devrait être terminé d'ici ce soir, affirma-t-il en reposant son pinceau. On rentre. Et toi, Valentin, tu en es où ?

    — Presque fini. Encore cinq minutes et ça ira.

    — Tu nous rejoins ?

    — Ok, pas de problème.

    Les deux amoureux prirent le chemin de la maison en se tenant par la main. Iris avait beau lui sourire, il savait que la jeune fille s'inquiétait énormément depuis qu'il avait retrouvé ses pouvoirs d'adolescent et que les crises étaient réapparues dans sa vie.

    Ils pénétrèrent dans le vestibule baigné de lumière, et se déchaussèrent avant de fouler le parquet du salon. Instinctivement ils vinrent se poser sur le canapé. Iris fixa longuement les yeux de son homme qui hésitait à engager la conversation.

    — Qu'est-ce que c'était, cette fois-ci ? Toujours les enfants ?

    — Oui, mais... ça n'avait rien à voir avec mes trois premières crises. C'est comme si... je ne sais pas, en fait... ça n'avait aucun rapport.

    — Les visions sont souvent ténébreuses, crois-en mon expérience. Même si je ne sais pas exactement comment t'arrivent les tiennes, je pense qu'elle ne te sont pas livrées avec l'explication qui va avec.

    — C'est clair. Mais parfois, on comprend rapidement de quoi elles parlent. Ici, non. Je ne sais même pas si, en fait, ce ne sont pas des images du passé.

    — Du passé ? Mais pourquoi ?

    — Je n'en sais rien. Nous nous sommes posé la question avec Valentin, en essayant de démêler tout cela. Personnellement, je ne comprends pas.

    — Qu'est-ce qui était différent, cette fois-ci ? demanda-t-elle en revenant sur la conversation.

    — Je ne sais pas. C'est un sentiment. Une sensation qui me fait dire cela.  Il y a toujours des enfants, mais dans cette vision, ils n'étaient pas prisonniers. Enfin, il ne me semblait pas. Ce qui me fait dire que c'est peut-être une vision du passé, c'est que j'ai vu pendant ma crise le même type de portail qu'Impérium ouvrait dans ses laboratoires grâce à l'appareil qu'ils avaient inventé.

    — Tu penses qu'ils continuent ailleurs ? Valentin n'avait pas dit qu'il avait détruit l'installation en partant ?

    — Oui, c'est bien ce qu'il m'a affirmé Mais qu'est-ce qui nous dit qu'Impérium n'avait pas plusieurs complexes du même type, et qu'ils ne continuent pas l'expérience avec d'autres enfants ? Nous avons eu vent de toute cette histoire totalement par hasard, grâce à Sarah, sans elle nous n'aurions jamais su ce qui se tramait. Qu'est-ce qui nous dit qu'ils ne disposent pas d'autres entrepôts où ils ouvrent encore des portails pour visiter des mondes parallèles, le tout accompagné d'enfants psys qu'ils enrôlent comme des soldats ?

    Iris ne savait pas quoi répondre. Au plus profond d'elle-même, elle espérait vraiment que cette explication n'était pas la bonne. Elle n'avait absolument pas envie de repartir en guerre contre Impérium, elle souhaitait juste se poser et profiter tranquillement du temps qui passe, avec sa famille d'adoption. La situation n'était déjà pas facile lorsque l'on vivait avec deux hommes qui avaient combattu des monstres pendant une bonne partie de leur vie, trois adolescents aux pouvoirs étranges et un extra-terrestre discret, mais extra-terrestre quand même ! Sans oublier Lucky, qui venait d'entrer dans le salon et qui vint immédiatement se frotter aux jambes de sa maîtresse.

    Celle-ci lui caressa l'encolure, fourrageant sa main dans l'épais poil du félin, qui ronronnait tel un moteur diesel. Si l'on ne prêtait pas attention à sa taille hors norme et aux deux poignards effilés qui sortaient de sa gueule, Lucky pouvait passer pour un chat comme les autres.

    — Tu sais, reprit-elle, je n'ai pas trop envie de retourner me battre. Mais je sais qu'au fond de toi tout ceci bouillonne.

    — Non, pas forcément.

    — Ne me mentez pas, monsieur Verdier, dit-elle en pointant deux yeux remplis de certitude. Je sais que tu es fait pour ça, je l'ai bien vu lorsque tu t'es attaqué à Yaber puis à Impérium. Tu ne travailles plus pour le Cercle, tu n'as plus à combattre les démons et autres créatures de l'Ombre, mais c'est en toi. Et ça le sera toujours.

    — A la retraite, j'espère bien me calmer !

    — Petit con, lui lança-t-elle en souriant. J'ai juste peur qu'il ne t'arrive quelque chose.

    — J'ai peur aussi pour toi.

    — Moi ? Je suis infirmière, tu sais. Donc je vis des aventures moins dangereuses que toi à l'hôpital, et si jama...

    Iris se figea soudainement, les yeux dans le vague. Anthony releva la tête, lui prit la main et murmura :

    — Iris ?

    La jeune femme attendit quelques secondes, puis elle se redressa.

    — Antho...

    Sa voix avait désormais une intonation beaucoup plus grave.

    — Marc ? C'est toi ?

    — Oui. Désolé d'arriver comme cela.

    — Oui, tu choisis mal ton moment.

    — Vous n'étiez pas sur le point de...

    — Noooooon ! Mais non, arrête ! Rien que de penser que tu puisses investir le corps de ma petite amie pendant que l'on fait l'amour, ça me...

    — Désolé.

    — Ce n'est rien. Je suis heureux de te voir, mon pote.

    — Voir est un bien grand mot.

    — Oui, enfin, heureux de te parler, c'est déjà ça.

    — Je voulais juste savoir comment tu allais. J'ai senti que tu avais eu une nouvelle crise.

    L'esprit de Marc, le meilleur ami d'Anthony, qui avait péri il y a maintenant un peu plus d'un an, était toujours présent parmi eux. Anthony l'avait découvert il y a quelques mois, quand son amie médium avait joué le rôle d'intermédiaire pour la première fois. Marc se servait du corps d'Iris pour correspondre avec son ami.

    — Ça va, le rassura-t-il.

    — Qu'est-ce que tu as vu ?

    — Des enfants. Et un portail ouvert.

    — Un portail ? Vers où ?

    Le vocabulaire utilisé était connu des deux hommes, ils ne se posaient donc pas de question. Marc avait été, lui aussi, Agent du Cercle, le surnaturel n'avait donc aucun secret pour lui, et il ne s'étonnait de rien.

    — Aucune idée. Mais ça ressemblait étrangement à ce qu'Impérium faisait dans ses laboratoires.

    — C'est mauvais, tout ça.

    — Ça y est, terminé, les coupa Valentin en pénétrant dans la pièce. Ah, désolé, je vous interromps ?

    — Non non, ne t'inquiète pas.

    Le jeune homme s'avança vers le couple, tandis qu'Anthony faisait les présentations :

    — Valentin, je te présente Marc, dit-il en désignant la jeune fille assise en face de lui.

    Valentin ne s'attendait pas à cela,  il se pinça machinalement les lèvres et bégaya :

    — Euh... Marc, enchanté, répondit-il en avançant la main comme s'il voulait la lui serrer, avant de se raviser de l'étrangeté de la situation.

    — Salut, Valentin, répondit Iris avec une intonation grave dans la voix.

    — Wow. Ça fait bizarre.

    — On s'y fait. Enfin, presque.

    — Je ne reste pas. Je ne voulais pas monopoliser votre temps.

    — Ça me fait plaisir d'avoir de tes nouvelles. Tu..

    Le jeune homme hésita, puis reprit :

    — Tu me manques.

    — Toi aussi, tu me manques.

    — Si tu as des infos qui pourraient éclairer mes visions... des idées...

    — Je reviendrai te le dire.

    — Merci.

    — Je t'en prie. Allez, bonne fin de journée, Antho. Salut, Valentin.

    — Euh... salut, répondit ce dernier en levant la main pour lui dire au revoir.

    Puis le silence se fit, et Iris vacilla légèrement avant de secouer la tête.

    — Qu'est-ce que... On en était où ? demanda-t-elle de sa voix douce habituelle.

    — Eh bien, à l’hôpital, non ? Tu me disais que tu ne vivais pas de choses extraordinaires à ton boulot, hésita Anthony avant de reprendre.

    — Ah... oui... J'ai un mal de tête affreux d'un seul coup, affirma-t-elle en se tenant le front.

    — Viens, dit-il en l'invitant de la main à se lever. Je vais te donner une aspirine, et tu vas aller te poser un peu, d'accord ?

    — Oui. La vache ! Ça m'est arrivé comme ça, d'un seul coup.

    Anthony lui sourit et la prit par la taille. Il ne voulait pas lui dire que Marc était encore passé à l'improviste pour emprunter son corps...

    *

    Le repas terminé, Sarah et les enfants débarrassèrent la table et firent la vaisselle. Ils en avaient pris l'habitude, et comme les adultes passaient leur temps à réparer l'immense demeure, ils s'étaient dit  que c'était la moindre des choses qu'ils en fassent un peu aussi.

    — Qu'est-ce que vous faites ce soir ? leur demanda Anthony en finissant son café.

    — Télé, répondit Tiffany.

    — Qu'est-ce que vous allez regarder ?

    — On n’en sait rien, lança Sarah. Ils veulent voir un Disney.

    — Encore ?

    — Oui, lâcha-t-elle en haussant les épaules. Je crains que je ne sois de corvée pour tous les regarder à la suite les uns des autres !

    — Ma pauvre, ironisa Valentin en souriant.

    Sarah lui envoya une pichenette d'eau savonneuse au visage pour se venger, et elle retourna à sa vaisselle. Les deux hommes quittèrent la cuisine et rejoignirent la petite pièce du fond, derrière l'immense escalier, qu'ils avaient aménagée en bibliothèque mais qui servait surtout de bureau.

    — Comment va Iris ? Elle n'avait vraiment pas faim ?

    — Non. Elle tenait à peine sur les jambes.

    — Peut-être que ça lui aurait fait du bien d'avaler quelque chose. Même juste une soupe..

    — Oui, sans doute, mais elle semble tellement faible. Et son mal de tête n'a pas disparu.

    — Tu... tu penses qu'elle est enceinte ? demanda soudainement Valentin d'un air paniqué.

    — Mais non ! Qu'est-ce que tu racontes ? sursauta-t-il.

    — C'est possible, non ?

    — Oui, enfin, non. Si, bien sûr que c'est possible, mais... non, ne parle pas de malheur !

    — Ce serait un malheur ? Tant que ça ?

    — On a déjà adopté trois enfants, à 27 ans ! Ok, ce ne sont pas nos gamins, mais nous sommes au regard de la loi désormais leurs tuteurs officiels. Je crois que ça me va pour le moment. Et puis... les symptômes qu'elle a ne correspondent pas à ceux d'une femme enceinte.

    — Mais alors ? Ça fait déjà deux fois depuis qu'on est arrivés ici qu'elle se sent très mal comme cela. Tu crois que c'est la maison ?

    — Non...

    Anthony se tut et baissa les yeux. Il avait bien son idée, mais cela ne lui plaisait pas plus que cela.

    — Je pense que... c'est Marc.

    — Marc ? Je croyais que c'était ton meilleur ami ? Pourquoi ferait-il cela ? Pour se venger d'être mort ?

    — Non, je n'ai jamais dit cela, argua-t-il en levant les yeux et en observant chaque coin de la pièce, comme si l'esprit de son ami pouvait se trouver n'importe où autour d'eux en ce moment. Puis il reprit, d'une voix basse : la dernière fois, elle est tombée malade juste après que Marc eut investi son corps. Souviens-toi, ça avait duré des heures. Mêmes symptômes : mal de tête affreux, faiblesse générale. Je crois juste que son corps, ou son esprit, ne supporte pas que Marc s'impose en elle.

    — Elle le rejetterait ?

    — Non, je ne pense pas que cela soit conscient, elle sait à quel point Marc compte pour moi. Mais va savoir ce que cela fait d'être possédé par quelqu'un d'autre. Même si... je n'aime pas ce mot de possession. Ça fait démoniaque, et Marc n'est pas ce genre de personne, c'est un amour, ce mec.

    — Est-ce que... tu lui en as parlé ?

    — A qui ? A Iris ?

    — Oui. Et à Marc aussi.

    — Non. Tu vois, ce soir je n'ai même pas osé lui dire que Marc s'était invité en elle.

    — Tu devrais lui avouer.

    — Oui, je sais, d'autant plus que si je commence à lui cacher des choses, c'est mauvais pour notre couple. Et si en plus ma théorie s'avère exacte, cela veut dire que je risque de perdre l'un ou l'autre, Iris ou Marc... qui ne pourront plus cohabiter ensemble.

    — C'est pas cool.

    — Non.

    — Il n'y a pas un autre moyen de parler avec Marc ? Je ne sais pas, moi... de la transcommunication ?

    — On n’a jamais tenté le coup. C'est vrai, on aurait pu. Essayer de le capter avec une télé ou une radio.

    — Ou l'écriture automatique ?

    — Là encore il faut un sujet...

    — Oui, c'est vrai.

    — Et même si on arrivait à l'entendre grâce aux ondes radios, ce n'est pas la même chose que d'avoir quelqu'un en face qui te parle réellement, avec qui tu peux interagir, que tu peux serrer dans tes bras. Il me manque tellement, tu sais.

    — J'imagine, répondit alors Valentin en lui posant la main sur l'épaule.

    — Mais il va falloir faire un choix.... Si c'est bien cela, je devrai dire au revoir à mon ami. 

    — Je suis désolé.

    — Tu n'y es pour rien.

    Anthony soupira et se prit la tête entre les mains. La situation semblait inextricable, et il espérait bien que Marc ne soit pas la cause de l'état d'Iris. Il aurait presque préféré, à ce moment-là, que son amie soit véritablement enceinte.

    *

    A l'étage, Iris, au lit, tentait de se reposer. Elle se sentait tellement faible. Elle avait réussi à s'endormir, mais son esprit semblait perdu, elle divaguait. La dernière fois qu'Anthony était venu la voir, elle avait un peu de fièvre, et cela ne s'était pas calmé. Son sommeil était agité, elle ne pouvait s'empêcher de sursauter sous les draps. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pouvait avoir, d'autant plus que cela lui était tombé dessus soudainement. Au travail elle allait bien. Mais en rentrant, alors qu'elle discutait tranquillement avec son petit ami, elle s'était d'un seul coup sentie tellement lasse … Et ce mal de tête qui l'avait assailli en un instant !

    Son esprit embrumé accentuait son mal-être, elle s'entortillait dans les draps, tandis que son corps se couvrait de gouttelettes de transpiration.

    Lorsqu'Anthony monta se coucher, il la trouva endormie, mais son front était encore brûlant. Il remonta les draps sur son corps, ne voulant pas qu'elle prenne froid durant la nuit. Il passa dans la salle de bain, se brossa les dents et se déshabilla, puis il vint se poser délicatement à ses côtés dans le grand lit. Il ne s'endormit pas tout de suite, il la regarda longuement, avant de sombrer, tout en ouvrant les yeux chaque fois qu'elle gémissait. Il espérait juste que demain elle irait mieux.

    3

    Toute la maisonnée s'était réveillée, elle avait vite été remplie de cris, comme tous les matins. Anthony et Iris n'avaient pas souhaité inscrire Tiffany et Jérémy au collège pour le moment, puisqu'il ne restait que deux mois de classe avant les grandes vacances, ils avaient préféré reporter le retour à l'école à la rentrée de septembre. Ce qui faisait le bonheur des gamins, qui se sentaient en congé depuis plusieurs mois, et qui avaient donc eu tout le temps de s'approprier leur nouvelle demeure. Jérémy, toujours plus fougueux que les autres, ne pouvait s'empêcher d'utiliser son pouvoir de téléportation, préférant ce système de déplacement à l'utilisation normale de ses jambes. Sarah l'avait bien entraîné, il maîtrisait parfaitement ses sauts. Comme il l’avait répondu à Anthony un jour, il préférait utiliser ses facultés maintenant, puisqu'il savait qu'il les perdrait une fois devenu adulte. Sur ce point, il n'avait pas tort, mais il en abusait au quotidien.

    Le gamin apparut soudainement dans le salon, son bol de chocolat entre les mains, tandis que Valentin se levait pour débarrasser les restes de son petit déjeuner. C'était le seul point qu'il ne pouvait contrôler, le fait qu'un humain, ou même un simple objet en mouvement, pouvait se trouver à l'instant de sa réapparition sur son trajet. Surpris, Valentin recula, se prit les pieds dans le tapis et, voulant retrouver son équilibre, tenta de se rattraper au bord de la table. Il lâcha sa tasse et partit en avant, tandis que Jérémy s'effondrait au sol de son côté. Valentin hurla en tombant, alors qu'il tenait encore les couverts, et donc son couteau, entre ses mains. La pointe se rapprocha à toute vitesse de son abdomen,  il ne put rien faire avant que celle-ci ne s'enfonce dans ses entrailles. Puis il s'étala sur le sol.

    Ce fut Owéa qui réagit le premier. L'extra-terrestre, qui était en train de terminer d'avaler une mixture d'algues qu'il appréciait particulièrement, se leva immédiatement et en deux pas il fut près du jeune homme. Une large tache rougeâtre se répandait sous lui, imprégnant les fibres du tapis. Le Slith se positionna à un mètre de la scène, ferma les yeux et entonna un chant grave et profond, qui ressemblait à un Ooooooom qui n'en finissait pas. La scène se déroula alors au ralenti, comme lorsque l'on remonte un film : la tache se résorba et disparut du tapis, alors que Valentin se remettait debout comme s'il était projeté en arrière. Le couteau ressortit de son estomac, puis le jeune homme fit un pas arrière, sembla trébucher sur le tapis tandis que les morceaux de sa tasse se ré-assemblaient par magie et que cette dernière rejoignait sa main.  Il repartit à reculons pour se rasseoir, tandis que Jérémy disparaissait subitement de la scène pour se retrouver dans la cuisine. Owéa remonta encore quelques instants dans le temps, avant d'arrêter sa litanie. Immédiatement le grand bonhomme bleuté se dirigea vers la cuisine et se planta devant le gamin, qui sortait son bol de chocolat du micro-onde et se retournait, prêt à sauter dans l'autre pièce.

    — Non, fit seulement Owéa de sa voix posée. Non. Il y a eu assez de catastrophes aujourd'hui à cause de vos sauts, jeune homme.

    Jérémy fronça les sourcils. Il ne comprenait pas de quoi parlait l'extra-terrestre, mais il connaissait assez bien ses pouvoirs de maîtrise du temps pour savoir qu'il n'agissait qu'en dernier recours, lorsque la situation était d'une telle gravité qu'il devait jouer sur la ligne temporelle. Après tout, il l'avait déjà sauvé lui-même une fois, lorsqu'il avait été renversé par une voiture et était décédé sur le coup. Jérémy baissa les yeux et, d'une voix timide, lui dit :

    — Désolé. J'ai encore fait une connerie ?

    — On peut dire cela.

    Le gamin partit, penaud, son bol à la main, et rejoignit le salon en marchant. Owéa le suivit, mais ne dit rien de ce qui s'était passé à l'instant. Il ne voulait pas qu'Anthony tombe sur le dos du petit, et le fait que celui-ci sache qu'il venait de faire une ânerie l'aiderait peut-être à se responsabiliser. Comme tous ceux de sa race, Owéa était plein de sagesse. Il croisa Valentin qui sortait du salon, et qui rapportait les restes

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1