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Imely: tome 1 : La malédiction des Karapots.
Imely: tome 1 : La malédiction des Karapots.
Imely: tome 1 : La malédiction des Karapots.
Livre électronique749 pages11 heures

Imely: tome 1 : La malédiction des Karapots.

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À propos de ce livre électronique

Imely, "la perle des dragons", dans la langue des anciens. Ces bêtes ailées fendaient les cieux bien avant l'arrivée des si nombreux peuples en ce monde qui ont vécu, jusque-là, plus ou moins en paix. Une malédiction se répand et sème cependant la terreur parmi ceux-ci depuis des siècles : les karapots carnivores, créatures préhistoriques, deviennent fous et attaquent à vue sans raison. Une prophétie millénaire notoire raconterait que des élus pourront libérer le monde de ses tourments. Mais a-t-elle seulement été correctement transmise avec le temps?
LangueFrançais
Date de sortie20 mars 2023
ISBN9782322507894
Imely: tome 1 : La malédiction des Karapots.
Auteur

Lucyko Ydnoguav

Je me présente, je suis Lucyko. J'ai parcouru beaucoup de chemin et je vais en avoir encore beaucoup à arpenter, mais je suis heureusement bien entourée pour cela. J'espère que mes créations parviendront à vous faire rêver et passer un bon moment.

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    Aperçu du livre

    Imely - Lucyko Ydnoguav

    Chapitre 1

    Le soleil brillait sur les herbes ondulantes des prairies partiellement occupées par les bêtes d’élevage. Si elles n’appartenaient pas à des particuliers sans grandes exploitations agricoles, les maisons étaient éloignées les unes des autres. Un chemin creusé par des sabots traversait toute la campagne et menait à l’orée d’une forêt sauvage. Le bruit éloigné des machines travaillant dans les champs ainsi que les voix de la ferme s’alliaient à cette image d’Épinal.

    Même si la chaleur de ce début septembre ne pouvait rivaliser avec celle d’août, les habitants appréciaient le fait d’être en tee-shirt. Deux jeunes filles parfaitement identiques marchaient le long d’un vieux muret en pierre, un sobre sac d’école sur le dos. Blondes à la peau diaphane, leurs yeux turquoise dégageaient un charme marin naturel. Seul leur style vestimentaire simple permettait de les différencier.

    Toutes deux avançaient d’une démarche particulière, presque chaloupée. La plus farouche sauta sur le muret à pieds joints et atterrit en position accroupie. Un bras entre ses jambes, ses doigts touchèrent la pierre recouverte d’un peu de mousse. Elle se releva pour continuer à marcher, son attitude désintéressée agaçant un peu sa sœur. Cette dernière adoptait une allure plus éduquée et lui lançait un regard lourd de reproches.

    Elle regarda à nouveau devant elle en soupirant, les mains dans les poches avant de son jean abîmé aux genoux et aux talons. Elle se déplaça au rythme d’une musique douce et mystérieuse qu’elle se mit à chantonner, très vite suivie par sa comparse qui retrouva le sourire. Puis, elles rirent en cœur, dévoilant quatre paires de canines plus longues que la normale.

    Après quelques minutes, elles arrivèrent à une maison de campagne sur deux étages. L’entrée était proprement décorée par des buissons et des fleurs odorantes bordées de bois. L’ensemble témoignait des nombreuses années de travail de la famille qui y résidait. À plusieurs centaines de mètres de la maison, un lac entouré de verdure s’étendait vers la plaine. Depuis leur position, elles pouvaient entendre les clapotis de l’eau et les piaillements des oiseaux.

    Le muret continuant de suivre un autre chemin, la jeune fille sauta au sol et courut jusqu’au point d’eau avec un large sourire plaqué aux lèvres. D’un lancer habile, elle jeta son sac sur la balancelle placée sous le porche. Sa sœur monta les petites marches qui y menaient et posa plus doucement le sien sur le sol avant de rentrer dans la maison.

    Le carillon annonça son retour. Elle traversa le vestibule en replaçant un peu ses longs cheveux blonds réunis négligemment en une natte. Son regard balaya rapidement la pièce de vie commune. La décoration rustique était chaleureuse et accueillante, les senteurs de bois verni et de gâteau la mettaient à l’aise.

    La jeune fille se dirigea vers la cuisine ouverte dans laquelle s’affairait une femme en tablier. Ses lèvres s’étirèrent, tandis que ses yeux brillaient de gourmandise devant les ingrédients éparpillés sur le comptoir.

    La cuisinière se retourna en repoussant du dos de sa main couverte de farine quelques mèches qui s’étaient échappées de son chignon. Son visage ne portait pas le poids de l’âge malgré sa cinquantaine et démontrait une grande bonté. Elle arborait derrière la nuque la même cicatrice que son mari, celle d’un petit carré causé par une brûlure volontaire.

    Le couple Adamiez refusait toujours d’en parler et préférait jouer d’humour et de taquinerie pour se défiler. Les sœurs étaient de plus en plus curieuses à ce sujet, en partie dû à l’étrange appréhension qu’elles avaient. Elles pouvaient ressentir le parfum amer d’un lourd secret. Ce n’était pas la première fois qu’elles soupçonnaient leurs parents adoptifs de leur dissimuler quelque chose, mais elles préféraient accepter leur silence plutôt que de tout bousculer.

    Les yeux de la mère adoptive, Trisha, se portèrent sur la nouvelle arrivante avec bienveillance, avant qu'elle se mette à sourire doucement.

    — Vous êtes déjà de retour ? demanda-t-elle suspicieusement avant de regarder à côté de la jeune fille. Tout va bien ? Ramilla* est au lac ?

    — Oui, on va bien. Elle est encore partie sans d’abord dire bonjour, désolée...

    — L’odeur des cookies la ramènera sûrement.

    — Thomas est dehors ?

    — Oui, il refait la clôture. Les moutons de Venier ont été affolés par un animal. D’après lui, ce serait un loup.

    — Il y a encore des loups dans le coin ? Je croyais qu’ils avaient tous été chassés depuis un bail.

    — Normalement oui, et gare aux pauvres malheureux qui osent passer nos frontières, ironisa la femme. Je pense que c’était de nouveau un chien errant. C’est fou le nombre de bêtes abandonnées qu’on retrouve dans les bois et les campagnes...

    — On sort de l’été, ça ne me surprend pas. On fera le tour avec Milli ce week-end pour les récupérer.

    — Vous êtes la terreur des refuges animaliers, plaisanta-t-elle, ce qui la fit sourire.

    — Je vais lui donner un coup de main, sinon tous les animaux du coin vont venir dévorer nos récoltes. Je n’ai pas envie que des gens malintentionnés viennent chasser dans notre jardin...

    — C’est très gentil de ta part, Isil.

    La jeune fille contourna la table à laquelle elle tournait le dos et passa par la porte-fenêtre ouverte pour se diriger vers le jardin. Elle dépassa la véranda qui chauffait naturellement la maison et traversa les premières cultures de légumes. Plus loin, d’autres végétaux et herbes aromatiques accompagnaient la forêt comestible verdoyante. Elle pouvait également entendre l’éolienne fabriquée de leurs mains tourner au gré du vent, remplissant les batteries avec les panneaux solaires. Le clapotis de l’eau des bassins de phytoépuration occupés par quelques grenouilles et crapauds parvenait également à ses oreilles.

    Un quinquagénaire en tee-shirt délavé couleur chair, tout aussi abîmé et sale que son jean, travaillait au loin. Le voir peiner à planter correctement les piquets de bois la fit rire. Elle retira ses chaussures pour traverser le jardin pieds nus, accompagnée par le chant mélodieux des oiseaux. Elle savoura la tendre verdure sous ses pas et attrapa quelques baies au passage pour les manger avec gourmandise.

    Elle se rapprocha lentement de l’homme bâti comme un charpentier avant de s’arrêter. Cet amas de bois deviendrait une clôture après quelques clous et coups de marteau. Les moutons avaient dévoré tout ce qui était à leur portée et piétiné le reste. Ces bêtes futées savaient parfaitement comment trouver le chemin de leurs cultures lorsqu’ils parvenaient à s’échapper.

    L’adulte abandonna l’idée de se battre plus longtemps avec le piquet en bois qui refusait de tenir droit. Il jura en polonais et finit par se retourner, inconscient de la présence de la jeune fille. Une fois qu’il eut remis ses gants usés en place, il sursauta en levant son regard. Satisfaite de sa manœuvre silencieuse, elle se mit à rire.

    — Bon sang, Isil ! Préviens-moi lorsque tu arrives !

    — Tu commences à te faire vieux, Thomas ?

    — Le jour où j’aurais une crise cardiaque, tu riras moins ! Par contre, j’ai vu ta sœur courir vers le lac. Comment ça se fait que vous soyez revenues si tôt ? Il ne doit pas être plus de quinze heures.

    Son visage peint d’une expression maussade, elle lui lança un regard coupable empli d’excuses. Thomas soupira en comprenant la situation. Il retira ses gants avant de sauter par-dessus le tas de bois pour aller se laver les mains au récupérateur d’eau. Ensuite, il accompagna Isil à l’intérieur de la maison.

    Il lui posa les quelques questions habituelles : avaient-elles été suivies par une personne louche ? Pas d’ennuis avec qui que ce soit sur le chemin ? Pas de démarcheur trop insistant ? Isil répondit calmement par la négative, habituée à l’incurable paranoïa exacerbée du couple.

    Les deux adultes échangèrent un chaste et rapide baiser, avant de s’asseoir à table avec la lycéenne. Ils savaient que le retour précipité des jumelles un jour de rentrée scolaire n’était pas anodin. L’établissement se trouvait à une trentaine de kilomètres et le bus qui y menait passait uniquement le matin et le soir. Leur présence en milieu d’après-midi ne signifiait qu’une chose.

    — Vous avez fait du stop ? demanda Trisha en la fixant, raide d’angoisse.

    — Oui, mais on a fait attention ! tenta de se défendre Isil.

    — Vous savez pourtant à quel point c’est...

    Elle se tut alors qu’elle commençait à hausser le ton, sa voix devenant tremblante. Elle ferma les yeux et son époux attrapa sa main, autant pour la soutenir que pour l’apaiser.

    — Pardon, on sait que vous n’aimez pas ça, mais on a vraiment fait très attention...

    — On en parlera plus tard, décida Trisha. Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé ?

    — Tu me promets de ne pas disputer Ramilla ?

    — Je ne pense pas.

    — Trisha, s’il te plaît, l’implora Thomas. Elle a beaucoup de mal à s’intégrer, il faut plus l’aider que la disputer.

    — Elle sait à quel point les règles sont importantes, elle doit s’y tenir pour son bien. Ça ne me fait pas plus plaisir qu’à toi, mais elle doit comprendre, d’une manière ou d’une autre. Bien, raconte-nous, soupira-t-elle, se doutant de la suite.

    — Un groupe d’élèves la cherchait, ils l’ont trouvée.

    — Développe.

    — On était assises dans un coin au fond de la classe quand ils sont arrivés. Ramilla s’est réellement contrôlée ! Ils ont eu le temps de faire une réflexion sur le fait qu’elle ne parle pas, avant qu’elle...

    — Qu’elle ? répéta Trisha pour l’inciter à continuer en croisant les bras et fronçant les sourcils avec appréhension.

    — Par pitié, commença Thomas en fermant les yeux et joignant ses mains en prière devant son visage. Dis-moi qu’elle ne les a pas mordus...

    — Pas au cou, hésita à avouer la jeune fille, qui triturait ses doigts nerveusement en voûtant son dos.

    Les adultes soupirèrent et passèrent leurs mains sur leur visage, exaspérés. Ils échangèrent un regard angoissé, ce qui intrigua la lycéenne. Elle humecta nerveusement ses lèvres en se rappelant du carnage dans la salle de classe.

    Les jeunes gens avaient tenté d’imposer cette hiérarchie adolescente à laquelle les sœurs ne comprenaient rien. Ils n’avaient eu aucune chance face à Ramilla qui était bien plus rapide et brutale qu’eux. La situation était devenue hors de contrôle en moins d’une minute.

    Le sang avait recouvert le sol et les échos des hurlements avaient résonné dans tout le lycée. Conscientes qu’elles allaient avoir des ennuis, elles avaient pris la fuite en jetant la veste tâchée pour ne pas effrayer les conducteurs.

    Elles avaient eu un bon lot d’histoires avec des bagarreurs et des petites frappes. Ramilla n’hésitait pas à mordre plus gravement ceux qui osaient l’attaquer sans raison. Elle commençait toujours en grondant dangereusement comme un animal. Ces harceleurs faisaient la sourde oreille et ne comprenaient leur erreur que trop tard.

    Fort heureusement, les parents du premier jeune homme hospitalisé n’avaient pas fait de procès. Le garçon aurait eu trop peur pour identifier le coupable. L’affaire classée comme la banale attaque d’un animal sauvage, la victime avait changé de REP et plus personne n’en avait entendu parler depuis.

    Tant que les coups de sa jumelle ne risquaient pas d’être fatals, Isil restait de marbre. À ses yeux, ces égoïstes sadiques ne méritaient pas sa compassion. Elle savait que la violence n’était guère une solution, surtout avec des personnes qui refusaient toute évolution. Cependant, aussi horrible que cela soit, elle appréciait les voir récolter la monnaie de leur pièce.

    En se soulevant contre les tyrans, Ramilla avait vu sa popularité auprès des élèves persécutés augmenter et tous souhaitaient la fréquenter. Mais tel un fleuve sauvage et indomptable, elle était impossible à approcher. Même sa sœur peinait à la faire fléchir. Elle n’avait pu soutirer qu’un signe de tête de sa part pour répondre à la salutation d’un professeur. Malgré son regard assassin, ce premier pas restait encourageant. Elle pouvait comprendre sa réticence à se sociabiliser. Après tout, elle aussi supportait difficilement ces individus incompréhensibles. Cependant, elle se faisait violence pour réprimer son propre comportement animal.

    Isil soupira de concert avec le couple, également agacée par la violence de sa sœur. Bien qu’elle-même ne se sentait pas à sa place en ce monde, elle voulait tout faire pour parvenir à s’intégrer un minimum. Peu importait le temps que cela prendrait et les réprimandes, elle espérait que sa jumelle finisse par suivre le mouvement. Elle supposait qu’elles pourraient enfin être heureuses si elles parvenaient à rentrer dans une de ces cases choisies par la société.

    — Bon, c’est quoi les dégâts cette fois ? osa demander Thomas d’un ton inquiet en se mordant la lèvre de nervosité.

    — Personne n’est mort ou amputé, je dirais... Presque...

    Les époux restèrent silencieux. Néanmoins, ils devaient avouer que Ramilla s’était retenue. Si elle avait voulu les tuer, elle aurait très bien pu le faire. Arracher un membre entier, comme elle l’avait fait avec son tout premier professeur à domicile, était facile pour elle. Elle se calmait avec le temps, mais ses réactions restaient très dangereuses et leur attiraient des problèmes. Pour toutes ces raisons, les jeunes filles possédaient déjà un casier judiciaire. Elles étaient passées entre les mains de différentes REP avant d’être inscrites dans un lycée en zone sensible. Ces épreuves n’avaient en rien aidé à améliorer leur sociabilisation.

    Trisha se leva pour faire quelques pas hésitants, avant d’aller prendre une feuille qui traînait sur le comptoir. Isil se tourna vers elle avec appréhension. L’angoisse naissante lui serrait tant la gorge qu’elle eut du mal à déglutir et son estomac se noua jusqu’à lui donner des haut-le-cœur.

    — Tu ne vas pas...

    — Je n’ai pas le choix, Isil, la coupa l’adulte d’une voix chevrotante. Elle n’a pas respecté les termes du contrat ! C’était pourtant clair ! Encore une attaque, même pour se défendre, et elle devrait entrer dans un camp de redressement avant d’intégrer l’armée. Le tribunal l’a décidé ainsi ! Elle est déjà préinscrite, je n’ai qu’à appeler.

    — Envoyez-moi avec elle ! cria l’adolescente en se levant, claquant ses paumes contre la table, les larmes aux yeux.

    — Cette décision est déjà difficile à prendre ! Et ne pense pas à faire l’école à la maison ! rétorqua Trisha, tout aussi ébranlée. Tu continueras d’aller en cours. Quant à ta sœur, elle sera peut-être en sécurité...

    — Peut-être qu’on pourrait apprendre à cultiver la terre avec les paysans d’ici ! tenta Isil en tremblant. Milli les connaît et les aime bien, elle ne les attaquerait pas et elle pourrait avoir un travail.

    — Comment comptez-vous avoir une vie sociale ? Non, vous devez mener une vie qui n’est pas celle d’un hermite. Sans compter que vous devez penser à votre logement, vos factures...

    — Les travaux agricoles peuvent être trouvés partout ! Dans les petites provinces comme la nôtre, les paysans recherchent des apprentis pour avoir plus de main d’œuvre. On doit pouvoir demander à être logées chez la personne chez qui on travaillera.

    — C’est un très mauvais plan, Isil, souffla tristement Thomas. Comprends-nous, nous faisons ça pour votre bien, votre sécurité. Nous avons fait tout notre possible pour ta sœur : parler, négocier, comprendre, disputer et punir. Pourtant, même après six ans, rien ne marche. Je suis vraiment désolé, Isil.

    La jeune fille explosa en larmes et partit en courant dans le jardin. Avec une agilité déconcertante, elle passa au travers des arbres afin de traverser tout le terrain le plus vite possible. Elle alla au lac où elle retrouva sa sœur qui jouait nerveusement avec la surface de l’eau du bout du pied.

    Inquiète, celle-ci l’attendait et la réceptionna entre ses bras pour l’étreindre. Elle essaya de l’apaiser doucement en ressentant son ébranlement au plus profond de son âme. Le lien incroyable qu’elles partageaient créait une connexion entre leurs esprits et leur permettait de ressentir les émotions puissantes de l’autre. Leur empathie jouait un rôle majeur dans ce don particulier.

    Même sans y avoir recours, Isil n’eut guère besoin d’ouvrir la bouche pour que Ramilla sache de quoi il en retournait. Sa violence avait déjà conduit plusieurs fois leur famille en justice. Isil avouait toujours sa complicité dans les faits, ce qui était très souvent le cas. Ainsi elle était certaine de pouvoir rester auprès de sa sœur.

    Les procédures avaient été longues et complexes, leur imposant des travaux d’intérêt général à plusieurs reprises. Des psychiatres, de nombreux médecins, ainsi que des policiers étaient venus les voir régulièrement. Le couple avait dû payer plusieurs amendes salées qui l’avaient financièrement mis en mauvaise posture. Ils faisaient au mieux pour s’en sortir, essayant de vivre des fruits de leurs récoltes par exemple. Être dans la permaculture avait permis aux adultes de ne pas perdre les filles sous prétexte qu’elles risquaient la famine. Le tribunal cherchait constamment une faille pour leur retirer la garde, plutôt que de se concentrer sur d’autres familles dont la situation était pourtant inadmissible.

    Le véritable problème de Ramilla provenait de son incompréhension envers le monde. Le choc culturel et la barrière de la langue étaient de véritables freins à leur intégration. Elles avaient tenté de se conformer, en vain. La désagréable sensation de devoir rentrer dans un siège bien trop petit les torturait au quotidien, les faisant s’agiter d’inconfort. Elles en avaient assez de se débattre dans le vide, à produire des efforts unilatéraux. Les gens les avaient déjà silencieusement jugées et condamnées à l’exil, elles ne voyaient donc pas l’intérêt de faire un effort pour eux. C’était une cause perdue d’avance, elles étaient bien trop différentes pour faire partie de cette société qui désirait une certaine homogénéité.

    Bien qu’elle s’intégrait plus facilement comparée à sa jumelle, Isil peinait à ne pas avoir d’ennuis, surtout avec les jeunes de son âge. Elle restait impulsive et n’hésitait pas à montrer les crocs. Les jumelles ne voyaient pas le problème de leur peau diaphane ou encore de leur visage exotique. Malheureusement pour elles, elles croisaient bien trop souvent des êtres qui prenaient plaisir à attaquer verbalement, voire physiquement, ceux qui ne leur ressemblaient pas. Tout comme ce mystérieux effet de groupe qui pousse même les plus adorables à commettre des actes infâmes pour devenir populaires.

    S’adapter à cette envie de pouvoir et de puissance sociale était au-dessus de leurs forces. L’égoïsme et l’avarice les révulsaient tout autant que le parfum vomitif de l’argent et du népotisme politique omniprésent. Tous ces concepts restaient éternellement flous à leurs yeux malgré les nombreuses tentatives d’explication. Leur incompatibilité avec ce monde avait toujours été inexorable.

    Après quelques minutes, Isil sécha ses larmes pour s’asseoir au bord de l’eau avec sa sœur. La plus douce laissa ses tibias s’immerger, mais la seconde resta accroupie, accoudée sur ses genoux tandis que son menton reposait dans ses paumes. Toutes deux plongées dans leurs pensées, elles laissèrent le bruit aquatique calmer leur cœur.

    — Pardon, souffla finalement Ramilla.

    — Tu as été stupide.

    — Je sais.

    — Impulsive.

    — Je sais.

    — Brute.

    — On est jumelles.

    Elles se foudroyèrent du regard avant de pousser un long soupir. Ramilla détourna les yeux avec un visage fermé par une pointe de culpabilité.

    — Je suis désolée de les avoir blessées.

    — Ce n’est pas à moi qu’il faut dire ça. Tu as sûrement rendu l’une de ces pauvres filles borgne ! Elles sont aussi jeunes et stupides que nous, Milli. Tout comme nous, elles doivent apprendre de leurs erreurs, mais pas de cette façon. Quant à toi, il serait grand temps que tu commences à apprendre des tiennes. Qu’est-ce que je te dis toujours ?

    — Que les mots font plus mal que des coups...

    — Qui a eu raison lorsque le chef de classe a voulu nous accuser ?

    — Toi.

    — Qui a voulu le mordre ?

    — Toi aussi au début, oh.

    — Milli...

    Ramilla leva les yeux au ciel et soupira avant de répondre.

    — Moi...

    — Donc ?

    — Je dois parler et non frapper.

    — Tu es très forte en théorie, mais ta pratique est inexistante.

    La coupable grommela dans sa barbe, agacée par ce discours répétitif qu’elle savait juste. Trisha et Thomas atteignaient les limites de leur patience. Toutes les solutions avaient été exploitées pour lui éviter le camp de redressement. Désormais, ils ne pouvaient plus y échapper. S’ils ne l’emmenaient pas de leur plein gré, c’est la police elle-même qui se déplacerait.

    Trisha avait pu commencer leur éducation dès les premières années de leur adoption. Malheureusement, elle n’avait pas été autorisée à enseigner les matières du collège et l’État leur avait imposé des enseignants officiels. Tous ces nouveaux professeurs avaient vécu un tragique accident avec les jeunes filles, plus particulièrement avec Ramilla.

    Tentant le tout pour le tout, les parents adoptifs avaient décidé de les inscrire dans une école. Ils pensaient qu’un exemple général à suivre les aiderait à s’adapter et s’intégrer. Cependant, seules les REP pouvaient accepter les filles au vue de leur dossier. Dès lors, les problèmes s’étaient enchaînés de façon magistrale.

    Trisha et Thomas auraient préféré qu’elles soient bien encadrées dans un institut spécialisé. Malheureusement, beaucoup trop de portes étaient fermées. Quant aux autres, elles n’existaient tout simplement pas. Sans compter qu’ils voulaient impérativement éviter les écoles militaires.

    Les adolescents n’étaient pas tendres entre eux. Les nouveaux devenaient très souvent l’objet de toutes les attentions, bonnes comme mauvaises. Principalement, ils les évitaient à cause de la réputation de Ramilla. Elle avait essayé de fissurer cette barrière invisible qui la coupait des autres, mais les élèves préféraient la critiquer au lieu de la comprendre. Son pas vers eux se résuma à creuser plus encore la distance, et de ce fait, sa méfiance.

    — Les gens ne m’apprécient pas, souffla Ramilla, agacée mais pas blessée.

    — Certains sont obstinés, c’est pour cette raison qu’il ne faut pas faire attention s’ils t’insultent. Je sais que, pour toi, c’est dur de ne pas réagir, car tu te sens comme obligée de te défendre. Je sais également que, malgré toutes ces années, tu ne t’es pas habituée à la langue. Mais hiya, nous devons faire un effort. Tu crois que ce n’est pas difficile pour moi de te voir malmenée de la sorte ? Trisha est obligée de t’envoyer en camp.

    — Peut-être que c’est ce qu’il me faut.

    Hiya...

    Ce surnom provenant de la langue étrange qu’elles seules connaissaient symbolisait leur relation sororale. Lorsqu’elles souhaitaient privatiser leur conversation, elles utilisaient ce dialecte. Cependant, elles s’étaient mises d’accord pour parler majoritairement en français afin de s’y familiariser.

    Apprendre la langue de ce pays avait rendu la tâche plus difficile en ce qui concernait les autres enseignées à l’école. C'était l'une des raisons pour laquelle ce monde leur paraissait si compliqué. C’est pourquoi seuls les animaux parvenaient à les mettre à l'aise.

    — Je ne te laisserai pas y aller, refusa Isil.

    — Si tu interviens, ça va compliquer les choses, non ? Toi qui respectes toujours les règles.

    — Tu vas faire ta valise en mettant le nécessaire. Quant à moi, je mettrai un peu de nourriture dans mon sac de cours et je te suivrai jusqu’au bus qui t’emmènera au camp. Lorsque Trisha et Thomas seront partis, on s’enfuira toutes les deux.

    — Où ? Je te ferais remarquer qu’on est nulles en géographie et qu’on n’a pas d’argent, petit génie !

    — Ce que je veux qu’on fasse est déjà assez stupide, je sais ! On n’a qu’à disparaître quelques jours et on trouvera un moyen de les appeler. On devrait pouvoir frapper chez quelqu’un pour passer un rapide coup de fil. Si on dit que c’est pour nos parents, personne ne refusera.

    — J’aime quand tu es aussi diabolique et pragmatique.

    — Pas moi.

    Ramilla rit en dévoilant ses longues canines, avant de s’asseoir en dénudant ses pieds qu’elle plongea dans l’eau. Son maigre sourire se fana à cause de l’étrange sensation qui l’envahissait.

    Tout comme sa sœur, elle possédait un don de clairvoyance. Depuis peu, elle pressentait l’arrivée d’un événement à l’importance capitale qui changerait sa vie de façon radicale. Le parfum du danger alertait également ses sens, mais elle ne le releva pas, craignant d’être simplement paranoïaque.

    De par leur conception particulière de la normalité, elles ne se choquaient pas des faits que d’autres considéreraient étranges. Leurs dons jouaient un rôle clé dans leur problème d’intégration et les poussaient à s’isoler. Elles préféraient être seules plutôt que de prendre le risque que quelqu’un ne découvre leurs secrets.

    Isil remonta ses pieds à la surface de l’eau et se leva, se tenant debout sur le lac. Elle avança d’un pas gracieux sous les yeux pétillants de sa sœur qui devina ses prochaines actions. Ramilla afficha un large sourire, détendant son visage par une douce innocence.

    Elle fredonnèrent la même chanson en cœur avant d’entonner les paroles. Cet air doux, et rythmé par les mains de Ramilla frappant le sol, provenait de leur enfance. Malheureusement, elles n’avaient pu en trouver l’origine malgré leurs nombreuses tentatives et rétrospections. Ces souvenirs anciens étaient particulièrement vagues, un étrange blocage les empêchait de retrouver complètement la mémoire.

    En fermant les yeux, elles pouvaient revoir des voilages emportés par des gestes tribaux. Elles se souvenaient du parfum des feux de bois, des chants joviaux et de la chaleur qu’il faisait depuis les buissons qui les avaient dissimulées. Ces bribes d’images provenant du passé les faisaient souffrir comme elles les réconfortaient. Elles préféraient chasser la possibilité atroce de ne jamais pouvoir retrouver cet endroit, et pourtant elles ne pouvaient s’empêcher d’en rêver. Elles perpétuaient donc ces souvenirs de leur terre natale, à la fois par nostalgie et par peur de l’oublier. Elles n’étaient pas seules lorsqu’elles fredonnaient ces airs car l’eau répondait à leur appel.

    De minces filets aqueux se soulevèrent pour les rejoindre. Ils se déployèrent avec élégance et raffinement autour d’elles, une énergie particulière se dégageait de l’instant de communion.

    Elles ne contrôlaient pas cet élément. Cette incroyable relation ne pouvait en rien être comparable à une horrible question de domination. Afin d’interagir avec elle, les sœurs l’appelaient mentalement. Il n’y avait pas d’ordre hiérarchique, juste une entente mutuelle et parfois des disputes suivies de réconciliations.

    Si l’eau ne répondait pas, les jumelles sentaient une barrière qui les empêchait de se connecter à elle. Il leur était déjà arrivé d’être incapables de communiquer avec elle. Elles avaient beau réfléchir sur le sujet, elles ne parvenaient pas à comprendre la raison de cette coupure spirituelle. Elles trouvaient néanmoins une ressemblance avec une mauvaise connexion internet. L’origine de celle-ci restait encore mystérieuse.

    Leur communion ne s’arrêtait pas qu’à cet élément. Dans leur conception, même les végétaux et les roches vibraient d’une énergie avec laquelle il était possible d’échanger. Malheureusement, le revers de cette sensibilité était difficile à supporter. Elles ne pouvaient pas ignorer la souffrance de cette planète meurtrie hurler dans leurs oreilles.

    Ni l’une ni l’autre ne voulaient faire attention à leurs pensées parasites qui pourraient leur porter malheur. Elles aspiraient à cultiver une réflexion positive pour se porter chance et écarter les ombres.

    En ce moment, elles se laissèrent porter par l’instant et en appréciaient chaque seconde. Ce n’était qu’une courte pause avant l’élaboration de leur plan.

    Deux semaines après l’incident à l’école, Ramilla dut faire sa valise pour aller en camp de redressement. Comme elle allait bientôt être majeure, ce ne serait qu’un passage rapide et exceptionnel pour l’affecter plus tard dans une unité de l’armée.

    Cette proposition, parmi tant d’autres lors de son dernier passage au tribunal, était la plus acceptable à ses yeux : l’armée pendant quatre ans, ou passer entre quinze et vingt ans en prison. Elle s’était déjà psychologiquement préparée à ce dénouement inéluctable.

    De son côté, sa jumelle avait perfectionné leur plan. Lors de leurs exclusions scolaires, elles avaient récolté un peu d’argent en donnant un coup de main aux fermes avoisinantes. Ainsi, elles seraient en mesure de se payer à manger une fois leurs provisions terminées.

    Elles avaient également imprimé leur futur trajet et écrit les tâches à effectuer pendant les quelques jours où elles partiraient. Isil devait faire des adieux déchirants à sa sœur devant le couple qui emmènerait Ramilla dans l’après-midi jusqu’au bus du camp. Entretemps, elle aurait séché les cours pour se rendre au même endroit avec son sac rempli de vivres. Elle rejoindrait ensuite sa jumelle en lui disant qu’elle avait attendu son retour pour sous-entendre qu’elle s’était juste perdue. Enfin, elles s’enfuiraient toutes les deux.

    Cependant, leur plan n’était pas infaillible, car Trisha et Thomas pouvaient décider d’accompagner leur fille jusqu’au bus et attendre qu’il parte, comme de nombreux parents. Isil, qui serait déjà sur place, appellerait sa sœur avant qu’elles ne se mettent à courir au travers de la ville.

    — Tu es prête ?

    Ramilla, aux côtés de Trisha, leva la tête de sa petite valise dans laquelle se trouvait un sac à dos contenant le strict nécessaire. Elles prévoyaient de voyager léger et de revendre, si possible, la valise pour avoir un peu plus d’argent.

    Elle arborait une mine affreuse à cause du cauchemar récurrent qu’elle faisait. Dans celui-ci, elle se sentait sombrer dans un gouffre, avant d’être brutalement transpercée dans le dos.

    Elle fit un signe de tête pour répondre à sa sœur avec un air sérieux et un regard déterminé. Après ça, elle refusa doucement que la femme au foyer vérifie le contenu de sa valise pour voir si elle n’avait rien oublié.

    Les jumelles se tournèrent l’une vers l’autre et s’étreignirent avec ferveur. Elles ne pouvaient s’empêcher de verser quelques larmes en pensant qu’elles pourraient être séparées malgré tout. Le danger qu’elles ressentaient depuis la veille croissait d’heure en heure, et planait au-dessus de leurs têtes telle une épée de Damoclès. La peur et l’angoisse nouaient solidement leur estomac, si bien qu’elles n’avaient rien pu avaler.

    Ramilla resserra la queue de cheval de sa sœur avant de la laisser quitter la maison.

    Hiya !

    Isil se retourna, à quelques mètres du porche. Sa sœur leva son poing pour poser son pouce sur son front, puis déplia son auriculaire dans sa direction. Ce geste, destiné aux proches, symbolisait la promesse de se revoir et de toujours être aux côtés de l’autre.

    Elle prit le temps de rendre le signe d’une main tremblante. Puis, les adieux l’ayant mise en retard, elle courut pour arriver rapidement à l’arrêt de bus. Si elle le ratait, Thomas l’emmènerait à l’école et elle ne pourrait pas sécher les cours comme prévu. La moindre minute comptait si elle voulait respecter le plan.

    Interrompant ses sombres pensées, le véhicule s’arrêta devant la petite aubette en bois sous laquelle elle attendait. Elle s’empressa de monter à l’intérieur en montrant sa carte d’abonnement avant de s’asseoir.

    Ses yeux bleu turquoise se teintèrent d’une couleur tranchante, assombrissant son regard déjà sérieux. Le paysage auquel elle ne porta aucune attention défilait doucement sous ses pupilles en croix. Après une heure de trajet, elle se leva pour descendre. L’endroit où elle se trouvait était encore dans la phase de transition entre le village et la ville. Les gens y passaient surtout pour la petite gare routière derrière l’église où serait le car du camp.

    Isil dut demander à plusieurs personnes comment se rendre à la paroisse. Lorsqu’elle y arriva enfin, elle vit un car massif, garé de tout son long au milieu du parking. Une nausée la prit lorsqu’elle vit des militaires qui discutaient entre eux. Ils adoptaient une attitude désenchantée pour se montrer nonchalants, mais elle pouvait sentir leur tension en observant leur visage aux traits figés. Ils la suivirent d’un regard trop insistant à son goût. Elle frissonna en se sentant comme une proie sous les yeux emplis de convoitise d’un prédateur. Pour les fuir, elle alla vite s’asseoir dans le petit bâtiment d’accueil.

    Plusieurs carnets dépliants étaient à disposition pour connaître les horaires des différents transports en commun. Elle rechercha celui du car militaire, mais elle dut demander aux employés pour parvenir à ses fins. Il partait dans une heure et des jeunes commençaient déjà à arriver. Quant à Trisha et Thomas, ils devraient bientôt déposer sa sœur.

    Elle observait les personnes présentes à l'extérieur. Les adolescents n’avaient pas l’air commodes et se montraient désinvoltes, mais ce n’était sûrement qu’une façade jusqu’à ce qu’ils puissent repartir chez eux. Près du car se tenait même un jeune garçon d’une quinzaine d’années, l’âge sans doute minimum pour intégrer le cursus. Elle se rendit alors compte que le couple qui les avait adoptées s’était battu pour Ramilla. S’ils l’avaient voulu, ils auraient pu la placer très jeune en camp de redressement pour s’en débarrasser.

    Fatiguée, elle laissa ses pensées dériver, les yeux dans le vide. Pendant cet instant calme, elle se rappela des hommes qui étaient intervenus lorsque sa sœur avait agressé leur premier professeur.

    Soudain, quelque chose lui parut étrange. Elle se demanda comment Ramilla avait pu s’en sortir après avoir amputé le bras de cet homme. Quand elle y repensa, une telle agression ne se réglait pas juste avec quelques billets colorés.

    Son regard, empli de méfiance, se porta sur les militaires à l’extérieur. Elle vit que l’un d’eux la surveillait, une arme à feu dans le dos. Elle n’était pas stupide. Elle savait que des militaires ainsi armés ne seraient pas envoyés pour chercher de simples délinquants précoces. Les jeunes avec qui sa jumelle irait avaient commis des délits mineurs, il n’y avait nullement besoin de fusils d’assaut pour les escorter. Tous ces détails ne collaient pas.

    Un jeune homme encapuchonné entra dans le bâtiment, la sortant de ses réflexions. Son intrusion ne l’interpella pas au contraire de son énergie rayonnante.

    Le garçon avait un certain charme. Il était grand et avait de courts cheveux bruns ondulés. Lorsqu’il replaça sa capuche, elle put distinguer rapidement des oreilles pointues. À ce doux faciès, elle associa le mot sylvestre.

    Une aura pure et claire l’entourait, mais elle possédait un voile de tristesse et de solitude qui l’accablait. Elle se sentait si affectée que les larmes montèrent à ses yeux. Elle frotta ses paupières en jurant contre son empathie.

    Il paya un ticket à l’accueil et, lorsqu’il se retourna, croisa instantanément son regard exotique. Isil sentit la Terre s’arrêter de tourner. Elle entendit comme un écho retentir dans un vaste espace étoilé et chaleureux. La sensation de le connaître l’envahit tandis qu’elle se perdait dans ses prunelles vert malachite.

    Par ce maigre échange visuel, elle ne put s’empêcher de remarquer la lueur grave dans ses yeux. Qu’importe qui il était, son passé ne devait pas être parsemé de roses.

    Elle finit par baisser les yeux et glissa nerveusement une mèche de ses cheveux derrière son oreille aux doubles hélix pointus. Il la dévisagea un petit instant, sans qu’elle ne ressente la moindre animosité, puis sortit pour attendre dehors.

    La jeune fille cacha honteusement son visage dans ses mains car elle ne comprenait pas l’étrange sensation de familiarité qu’elle avait ressentie. L’intrigue la submergea tandis qu’elle respirait le plus profondément possible pour se ressaisir. Pendant son attente, elle essaya de ne pas trop se retourner pour observer ce jeune homme qui piquait sa curiosité.

    Ramilla sortait tout juste de la voiture, sa petite valise à la main. Elle jeta un dernier regard à Trisha qui l’avait emmenée seule. Thomas aurait dû être présent, mais il n’était toujours pas rentré de la ferme voisine. Elles supposaient que la mise à bas de la génisse s’était compliquée, alors elles ne l’avaient pas attendu.

    Sa mère adoptive semblait agitée et lui demanda de rester près de la voiture le temps qu’elle passe un appel important. La jeune fille ne répondit pas, satisfaite qu’elle s’absente. La fuite avec sa jumelle n’en serait que plus facile.

    Ramilla s’avança vers le parking où le car monopolisait tant l’espace qu’il lui bouchait la vue. Lorsqu’elle le contourna elle percuta quelqu’un et se sentit comme projetée dans une voûte céleste incandescente chauffant son âme à blanc. Elle leva les yeux pour découvrir un jeune homme musclé qui la dépassait presque d’une tête. Elle dévisagea ses prunelles ambrées aux pupilles verticales. Ses yeux en amande donnaient à son regard une profondeur exquise. Couverts par un bonnet sombre, ses cheveux déteints en un blond peu esthétique les dissimulaient partiellement derrière une frange trop longue.

    Pendant un bref instant, elle se demanda pourquoi il se cachait autant. Rapidement, elle se souvint que les différences, surtout aussi flagrantes que celles-ci, étaient mal accueillies dans leur société.

    Le garçon s’égara un instant dans ses iris turquoise avant de se reprendre. Il fronça les sourcils, son visage altier se figeant dans un air dur. Elle sentit pourtant la difficulté que son âme avait à se fermer à la sienne, comme liées par un fil épais.

    L’aura du garçon était telles des flammes dansant avec l’énergie qui l’entourait et qui claquait dans l’air sous son agacement. Elle tenta de lire en lui, mais pour une raison inconnue, elle se heurta à un brasier particulièrement dense. L’impression surréaliste de se trouver face à un dragon divin la démangea.

    — Regarde où tu mets les pieds ! cracha-t-il d’une voix rauque et sombre, un accent familier s’échappant de ses mots.

    Ŕutcha, grommela Ramilla avec un air bestial, roulant la première lettre du mot qui vibra sur l’avant de son palais.

    À sa grande surprise, il comprit l’insulte. Stupéfaits et courroucés, ils se dévisagèrent avant que la jeune fille ne passe son chemin. Elle entendit alors son rire moqueur, mais elle ne se retourna pas.

    — J’ai connu des petits chiens plus polis ! critiqua-t-il amèrement dans la même langue qu’elle.

    Elle s’arrêta, tourna à peine la tête pour le foudroyer du regard et lui offrir un doigt d’honneur. Tout en elle se bouleversa lorsqu’elle se rendit compte que d’autres personnes connaissaient ce dialecte qui n’existait pas en ce monde.

    Bien qu’elle voulait rester indifférente, son esprit s’emballa étrangement. Elle refusa cependant la moindre émotion pour cet être qui ne ferait pas long feu sous ses mâchoires et continua son chemin. Le bâtiment de vente de tickets enfin en vue, elle put découvrir avec soulagement Isil qui s'avança vers elle. Plusieurs personnes se retournèrent, surprises de ne pas pouvoir physiquement les différencier.

    Isil lança gaiement qu’elle avait failli l’attendre et l’étreignit. Elles se séparèrent en sentant un danger se rapprocher et tournèrent la tête dans la direction du trentenaire qui les accosta avec un carnet sous les yeux. Il leva la tête vers les filles pour les observer d’un air perdu. Toutes deux pouvaient sentir la convoitise engloutir son âme.

    — Laquelle d’entre vous est Ramilla ?

    — En voilà un autre qui nous confond, soupira Isil dans leur langue natale.

    — Il ne nous connaît pas, on devrait en profiter, répondit sa jumelle de la même façon.

    L’homme paraissait dépassé et appela son collègue. C’est à cet instant que Ramilla vit sa photo dans la liste des jeunes. Ses yeux s’écarquillèrent et l’envie de fuir lui poignarda les entrailles.

    Les notes sur le carnet ne contenaient pas que des renseignements sur les crimes et leur apparence. Il y avait des détails inquiétants sur ses capacités physiques et dans quel état elle devait être capturée.

    Le blond qu’elle avait percuté tout à l’heure les observait, l’air grave et prêt à bondir. Le second militaire menaça de les emmener toutes les deux si la bonne ne se dénonçait pas. Leur prescience les avertit qu’il souhaitait justement réaliser cette option.

    La réaction de Ramilla ne se fit pas attendre face à la menace. Un grondement sourd retentit dans sa cage thoracique tandis qu’elle lui lança un regard lourd de menaces.

    Calmes et détendues, leurs pupilles pouvaient presque paraître équines. À l’inverse, en cas d’alerte, elles s’affinaient pour leur conférer une apparence féline et prédatrice. Plus la colère était grande et plus elles disparaissaient. Actuellement, celles de Ramilla devenaient si fines que ses yeux semblaient en être dépourvus.

    Le militaire attrapa le bras de la sauvageonne qui le mordit sans la moindre hésitation. Ses crocs s’enfoncèrent dans sa chair, au travers du gant épais. Elle put sentir les veines et les tendons se sectionner, le faisant crier de douleur.

    Son collègue tenta de l’aider, mais Isil le poussa vers l’arrière, en même temps que sa jumelle lâchait l’autre. Le blessé s’écroula rudement au sol, foudroyé par un mal étrange. Il fut pris de spasmes post-mortem, ses yeux, son nez et sa bouche débordant de sang. Ses veines devenues noires ainsi que sa peau crayeuse et craquelée s’ajoutaient également au tableau macabre.

    Les adolescents présents étaient tant choqués de la bouche ensanglantée de Ramilla qu’ils remarquèrent à peine sa ressemblance avec une bête. Ils profitèrent néanmoins de cette distraction pour attaquer à leur tour les gardiens et créer le chaos afin de s’enfuir.

    Trisha se précipita vers les jumelles qu'elle appelait avec autant d'inquiétude que d'urgence. Les jeunes filles hésitèrent un instant à la suivre, méfiantes. La femme n’avait pas l’air surprise de ce qui se passait, au contraire. Des hommes cherchèrent à l’immobiliser, mais elle sut parfaitement se défendre. Ses techniques de combat, typiquement militaires, témoignaient d’un long et rude entraînement. Malheureusement, elle se fit submerger par le nombre. Un coup de crosse contre sa tempe la sonna et la fit s’écrouler au sol.

    — Courez ! cria-t-elle vers les sœurs, avant de recevoir un autre coup qui l’assomma pour de bon.

    À contre-cœur, elles obéirent. Ramilla tourna les talons et attrapa le poignet du garçon aux cheveux déteints. Elle essaya de l’emporter avec elle, mais il résista. Ils n’avaient que peu de temps, elle pouvait entendre l’un des hommes appeler des renforts depuis le bus. S’ils voulaient s’enfuir, ils devaient se presser avant que cette ville ne soit complètement cernée.

    — Mais qu’est-ce que tu fais ? tempêta le jeune homme d’un air farouche, nullement impressionné par l’hémoglobine qui teintait sa peau.

    — Tu parles notre langue ! Je veux savoir pourquoi !

    — Lâche-moi !

    — Hors de question !

    Hiya, il faut partir ! appela Isil au loin.

    Ramilla eut à peine le temps de se retourner qu’elle vit un gardien s’apprêter à abattre sa matraque sur le crâne de sa jumelle. Avant qu’elle ne puisse agir, un brun aux oreilles pointues bouscula cet homme. D’abord surprise de son apparence, elle se renfrogna en le voyant approcher sa sœur reconnaissante.

    Deux hommes s’élancèrent vers les trois jeunes qui se mirent à courir à la suite d’Isil. Cette dernière avait appris ses plans par cœur, ce qui lui permit de savoir par où passer. Elle leur fit traverser le parking avant de bifurquer entre deux bâtiments. Ainsi, ils purent se faufiler sans risque d’être suivis par une voiture.

    Une conduite d’eau brisée attira l’attention de Ramilla. Elle tourna sur elle-même dans une pirouette gracieuse en déployant ses bras vers l’entrée de la ruelle. L’eau répondit instantanément à son appel de détresse et l’entrée se boucha grâce à un mur aqueux sous les yeux écarquillés des deux garçons.

    — On doit se dépêcher, ça ne les retiendra pas longtemps ! avertit Isil qui reprenait sa course.

    Tous les trois ne virent pas d’autre solution sur le moment que la suivre. Ils passèrent par une multitude de rues et de grillages plus ou moins hauts, déchirant un peu leurs vêtements simples.

    Après que Ramilla eut essuyé le sang de sa bouche, ils trouvèrent un petit temps de répit dans un bus touristique. Tout le monde s’assit dans le fond avant qu’Isil ne distribue des bouteilles d’eau.

    Fŕadan, tu l’as mordu ! reprocha le jeune homme aux prunelles d’ambre à Ramilla, la mettant sur ses gardes.

    — Je ne vois pas ce qui te choque !

    — Il est mort !

    — Dommage, fit-elle d’un ton neutre.

    — Aie au moins l’air compatissante ! rétorqua le garçon aux oreilles pointues, effaré, avant de se tasser sur lui-même, las.

    — C’est ce que je viens de faire.

    — Bien, nous sommes actuellement recherchés par la police. Je voulais juste acheter du lait à la ferme voisine...

    — Je pense qu’on ferait mieux de se présenter. On va sans doute passer un peu de temps ensemble, suggéra Isil.

    — Mon nom est trop compliqué pour vous, jeunes mortels ! se vanta le garçon blond, les bras croisés et un air hautain au visage.

    — Moi c’est Isil et voici ma jumelle, Ramilla, dit-elle sous l’œil désapprobateur de sa sœur.

    — Oh, vous aussi, votre nom ne se trouve pas sur les bols souvenirs ? plaisanta l’autre garçon. Je m’appelle Finnaë.

    — Tu es le seul à ne pas t’être présenté, critiqua Isil vers le plus réticent d’entre eux.

    — J’ai pas envie ! Je ne suis pas quelqu’un qu’on aime connaître.

    — Seuls les gens qui ont trop honte d’eux-mêmes préfèrent ne pas être connus, intervint finalement Ramilla. À toi de choisir...

    Le jeune homme se tourna vers elle alors qu’il était assis dans une rangée vide et la foudroya du regard. Un mélange de vexation et de culpabilité brillait dans ses iris. Après un instant, il se détendit un peu, mais il resta distant et froid.

    Tous le regardèrent avec attention, curieux de connaître son nom qu’il qualifiait de trop complexe. Il se rassit correctement, son aura enflammée claquait autour de lui.

    — Torrarh...

    À la suite de cette brève réponse, plus aucun commentaire ne se fit dans cette atmosphère pesante. Quelques personnes montèrent également dans le bus, mais elles restèrent vers l’avant. Personne ne désirait voyager à côté d’eux.

    Le groupe se laissa bercer par les doux mouvements du véhicule pendant quatre heures. Heureusement pour eux, aucun policier n’arrêta le bus sur les petits chemins qu’il empruntait. Ils descendirent près d’une forêt en pensant que personne ne les trouverait à l’intérieur et commencèrent à avancer parmi la sylve. La marche dans le calme et l’air pur acheva de les apaiser.

    Finnaë se sentait plus à l’aise dans la nature qui l’embellissait. Alors qu’il passait au travers des feuillages, les rayons du soleil faisaient jouer de magnifiques reflets sur ses cheveux bruns. Il se tenait plus droit et observait tranquillement les feuillus.

    Épuisés, ils s’arrêtèrent près d’un ruisseau dont le clapotis de l’eau les réconfortait. Ils se rafraîchirent sans boire de peur de tomber malades. Puis, ils s’assirent en cercle pour partager un peu de pain et des fruits emportés par les jumelles.

    Ces dernières étaient inquiètes pour Trisha, mais elles préférèrent ne pas l’exprimer à voix haute. Tous s’enfermèrent dans leur mutisme en se méfiant les uns des autres. Le maigre repas qu’ils partagèrent pendant quelques minutes se passa néanmoins dans une ambiance apaisante. Les jeunes gens reprirent ensuite la route en silence et espéraient de tout leur cœur ne croiser personne afin de rester en sécurité.

    Finnaë se stoppa soudainement dans sa marche et siffla de douleur en empoignant sa tête. Ses compagnons d'infortune se tournèrent alors pour s'enquérir silencieusement de son état. La douleur vive à l’intérieur de son crâne disparut aussitôt, mais ce n’est pas ce qui attira leur attention.

    Une grotte se trouvait non loin d’eux, son entrée entourée de mousse et de lierre. Quelques lianes retombaient devant le large passage et le camouflaient partiellement. Un léger vent s’engouffrait à l’intérieur et leur soufflait à l’oreille, tel un chant mélodieux et envoûtant.

    Les jumelles sentirent l’énergie incroyable des arbres sauvages qui les entouraient, un air inhabituel résidait en ce lieu à l’apparence magique et indomptée.

    — Qu’est-ce que c’est ? demanda Torrarh qui fixait l’intérieur de ses yeux plissés pour tenter de voir par-delà l’obscurité.

    Tous regardèrent dans la même direction que lui et virent un point lumineux voleter dans l’ombre. Ramilla sauta sur une pierre au centre du ruisseau qui les séparait de la cavité rocheuse. Elle resta accroupie, ses mains entre ses chevilles et analysa en détail le phénomène. Sa position intrigua temporairement Torrarh, mais il reporta finalement son attention sur la douce lumière. Inexorablement attirés, ils s’avancèrent vers elle.

    Une fois à l’intérieur de la grotte, leurs pas résonnaient légèrement entre les parois rocheuses. L’endroit sombre et humide ne les rassurait guère, mais ils étaient trop curieux pour faire demi-tour. Plus ils s’approchaient, plus la lumière s’éloignait, les poussant à courir de peur qu’elle leur échappe. Ils escaladèrent précipitamment les roches qui leur barraient la route, sans se soucier des contusions et autres petites blessures qu’ils se faisaient. Ils atteignirent rapidement l’autre côté et montèrent une paroi granuleuse avec plus ou moins de difficulté pour s’en sortir.

    La magnifique clairière entourée d’arbres qu'ils découvrirent les époustoufla. Au centre de cette étrange disposition végétale se dressait un cercle de bois formé par des milliers de brindilles et de branchages. Il était relié par son sommet aux arbres avoisinants dont les branches formaient un plafond. Ainsi donc, les jeunes gens ne voyaient que du bois enchevêtré à la place du ciel. Les quelques rayons de soleil qui réussissaient à passer diffusaient une lumière tamisée qui apportait une ambiance surnaturelle.

    Finnaë s’approcha un peu sans quitter l’étrange cercle naturel du regard, aussi suspicieux que les autres. Ramilla s’accroupit au sol par réflexe, près de sa jumelle. Torrarh ne prêta plus aucune attention à son attitude animale et se méfia de l’étrangeté à laquelle ils faisaient face. Le groupe pouvait aisément ressentir jusque dans leurs os l’énergie aspirée à l’intérieur.

    Finnaë fit quelques pas dans la mousse et l’herbe tendre, le corps légèrement penché en avant pour observer ce qui les intriguait tant. Finalement, un long soupir agacé s’échappa de ses lèvres fines lorsqu’il se redressa et il tourna les talons. Il trouvait cette escapade stupide et préférait rentrer chez lui au plus vite.

    — Qu’est-ce que...

    Tous se retournèrent en entendant la stupéfaction de leur compagnon. Ils suivirent son regard, avant de perdre leur souffle. Le passage qu’ils venaient d’emprunter avait disparu, comme si l’endroit était resté inchangé depuis des siècles. Seule de la mousse couverte de petites fleurs sauvages recouvrait le sol. Finnaë courut pour enlever des végétaux, mais ne trouva que de la terre de bruyère. Il donna un coup et écouta attentivement, mais le son était mat.

    — C’est pas possible, on vient de passer par là ! s’exclama-t-il, paniqué.

    — Une seconde ! intervint Isil d’une voix légèrement tremblante tandis qu’elle s’approchait de lui. Tu regardes peut-être au mauvais endroit.

    — Tu vois une autre entrée de grotte peut-être ? demanda Torrarh d’une voix sarcastique, les bras ouverts. Nous sommes encerclés par des arbres !

    — Les troncs sont trop serrés pour passer entre eux... ou même pardessus.

    — Tu m’écoutes ?

    Parmi toute cette agitation, Ramilla restait immobile. Elle fixait avec insistance le cercle de branchages alors que des souvenirs remontaient à la surface. Elle faisait des petits cercles similaires avec sa sœur depuis leur plus tendre enfance. Seulement, celui-là lui donnait une impression de déjà-vu. Cet endroit lourd d’un souvenir particulier et extrêmement intense ne la laissait pas indifférente.

    — Isil.

    La concernée arrêta ses paroles rassurantes envers Finnaë et, inquiète, se tourna vers sa jumelle. Elle l’appelait par son prénom uniquement dans des situations graves ou délicates.

    Elle revint auprès d’elle en regardant sérieusement ce qui dominait l’espace. Lorsqu'elle saisit sa pensée, sa gorge se noua et elle ressentit un profond malaise.

    — Vous aussi, commença fébrilement Finnaë, il vous rappelle quelque chose ?

    — Vaguement, répondit l’autre garçon sous l’étonnement de tous.

    Isil trouva une légère ressemblance avec un portail. Comme ceux qu’elle imaginait à l’époque avec sa sœur lors de leurs jeux d’enfants. Elle fit part de sa réflexion à ses compagnons dans leur langue natale.

    — On dirait... un Touràn.

    — On s’en tape ! soupira Torrarh, à bout de nerfs. Je veux juste quitter cet endroit et rentrer chez moi !

    L’énergie arrêta d’être aspirée à l’intérieur du cercle pour se mettre à tournoyer. Inquiets, ils le fixèrent et attendirent la suite sans savoir comment réagir.

    Le vent se leva dans le bosquet sans qu’ils ne sachent d’où il provenait et prit progressivement de la force. Il frappa le dos du groupe pour les pousser vers le portail. Une lueur bleutée et dorée colora l’intérieur du cercle de bois, puis tourna de plus en plus rapidement. Les bourrasques de vent se firent ensuite progressivement plus violentes. Le sifflement de l’air cria dans leurs tympans tandis qu’ils se rappelaient avoir déjà vécu cet événement il y a fort longtemps. Quelques images leur revinrent même à l’esprit.

    Aspirés vers le puissant vortex, leurs pieds commencèrent à glisser sur la verdure. Les jumelles s’attrapèrent l’avant-bras, puis celui des deux garçons. Ils tentèrent par tous les moyens d’oublier les étranges murmures qui s’élevaient dans les airs et résistèrent à l’attraction qui les amenait vers le Touràn.

    Une véritable tempête s’acharnait sur eux jusqu’à leur faire mal. Ils craignaient que l’énergie ne les électrocute ou ne les découpe en morceaux. L’intensité de leur peur équivalait à celle de la lumière éclatante à l’intérieur des branches.

    Une fois à quelques mètres du phénomène, ils se firent soulever par le vent en criant de panique. Ils restèrent solidement accrochés les uns aux autres, plus par réflexe que par volonté. Puis, l’énergie les happa avant que le portail ne se referme.

    Chapitre 2

    Ramilla se réveilla lentement, allongée sur le ventre et son esprit plus embrouillé que jamais. Son corps était lourd et une migraine martelait son crâne. Une nausée la prit tandis qu’elle ne trouvait pas la force de se redresser, ni même de se mettre sur le dos.

    Le son familier du fracas des vagues caressait doucement ses tympans. Enivrée par le parfum salin, elle sentit l’énergie marine la revigorer. Le sable marquait ses paumes et sa joue, rentrant presque dans sa peau fine. Elle avait un peu froid à cause de l'air frais du Nord, même si la chaleur du soleil l'enveloppait.

    À peine eut-elle ouvert les yeux qu’elle les referma aussitôt, agressée par la luminosité. Face à la mer, elle se redressa prudemment sur les coudes. Respirer était difficile. L’oxygène pur entrait violemment dans ses poumons et apportait une désagréable sensation glacée étourdissante. Elle tenta d’oublier ses courbatures douloureuses pour prendre connaissance de son environnement.

    Une colline s’élevait à sa droite pour devenir une falaise élevée, suivie par des montagnes. Lorsqu’elle tourna la tête de l’autre côté, elle découvrit sa sœur et les deux garçons avant de voir la plage s’étendre à perte de vue. En plissant les yeux, elle put voir l’arabesque côtière donner naissance à une autre falaise. Le brouillard la couvrait et montrait brièvement quelques montagnes.

    L’endroit calme apaisait ses sens en alerte. Elle était certaine que personne ne viendrait les poursuivre en ces lieux.

    Isil et Torrarh montrèrent les premiers signes de réveil, ce qui attira son attention. Les cheveux du garçon dépourvus du bonnet que ce dernier avait porté, elle remarqua une teinte rouge aux racines. Soucieuse, elle les toucha avant de regarder ses doigts, mais ne vit rien sur sa peau. Il se redressa difficilement en poussant un râle d’inconfort et croisa le regard interloqué de Ramilla.

    — Tes cheveux sont rouges ? demanda-t-elle dans leur langue natale.

    Torrarh, d’abord surpris par le choix du langage, la foudroya ensuite du regard. Il n’appréciait pas qu’elle relève sa différence insolite, bien trop souvent source de moquerie, aussi préféra-t- il ne pas répondre. De toute façon, sa migraine ne lui donnait pas la force d’ouvrir une nouvelle joute verbale.

    Isil se réveilla à son tour. Dès qu’elle le put, elle aida Finnaë à revenir à lui. Tout le monde s’assit sur le sable un moment, attendant que ses nausées passent. Puis, Isil alla chercher son sac quelques mètres plus loin pour distribuer de l’eau.

    Ils prirent le temps de boire un peu et de retrouver complètement leurs esprits. Fin prêts, ils se mirent en tête de trouver de l’aide. De par le son des oiseaux à la mélodie discutable, ils soupçonnèrent la présence d'un pêcheur non loin. Ils étaient motivés à l'idée de se sortir de ce calvaire et se dépêchèrent de monter la dune de sable un à un, tout en veillant à ce que personne ne glisse.

    Parti en tête, Finnaë se pétrifia lorsqu’il parvint au sommet. Ses compagnons virent son visage, déjà pâle par nature, devenir livide. Curieux, ils se pressèrent et découvrirent un spectacle d’un autre âge. Le petit troupeau, d'une espèce différente de celles qu'ils voyaient habituellement, les laissa pantois. Ces animaux ressemblaient à des ptérodactyles couverts de plumes aux couleurs chaudes et fantastiques. Tous restèrent paralysés devant les oiseaux imposants et se questionnèrent quant à l’endroit exact où ils avaient été téléportés.

    Fŕadan, ça c’est de la mouette de compétition, souffla Ramilla.

    Les autres se tournèrent vers elle avec de grands yeux effarés alors que sa blague tranchait avec l’ambiance tendue du moment. La stupéfaction se dissipa néanmoins par leurs rires nerveux. Leurs inquiétudes revinrent dès que les animaux portèrent leur attention sur eux en arrêtant temporairement de chercher de la nourriture dans le sable.

    — La forêt à gauche me semble pas mal, commença Finnaë dans un chuchotement. Je propose qu’on y aille sans faire de mouvement brusque pour ne pas les déranger.

    — Je vote pour, approuvèrent les jumelles en cœur.

    Torrarh et Ramilla gardèrent un œil sur les animaux qui reprenaient leur besogne. Le groupe ne souhaitait nullement découvrir à ses dépens

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