Les âmes noires

l était deux heures du matin quand Emilie fut arrachée à son profond sommeil par un bruit de chaîne traînée sur le plancher.

Elle crut avoir rêvé et se tourna sur le côté, repoussant sa couette au pied du lit tant la chaleur était déjà étouffante en ce printemps, malgré la fenêtre grande ouverte, de laquelle on voyait au loin, au bout de la rue de Paris, le port du Havre. En bas, dans la rue, elle entendit les rires et le chahut d’un groupe de jeunes gens, visiblement éméchés, qui sortaient d’un bar, et la sirène d’une voiture de police.

Elle se demanda si Audrey, sa colocataire et amie d’enfance, était déjà rentrée.

Elle s’inquiétait toujours un peu quand cette dernière sortait parce qu’elle n’était pas assez prudente. Elle n’hésitait pas à arpenter seule, à pied, les rues de la ville si personne ne se proposait pour la raccompagner.

Emilie aurait très bien pu la suivre en discothèque, mais elle reprenait son travail d’agent de transit au port autonome dans quelques jours et elle avait envie de récupérer de ses vacances pendant lesquelles elle était sortie presque tous les soirs.

Au moment où la jeune femme fermait les yeux, le bruit de chaîne se fit entendre à nouveau, suivi d’un long soupir et de sanglots. Cette fois, Emilie n’avait pas rêvé.

Elle se redressa dans le lit et tâtonna à la recherche de l’interrupteur de la lampe de chevet. Le bruit semblait venir du pied de son lit. La peur lui glaça le sang.

Elle finit par se convaincre que les plaintes venaient de la rue. La nuit, les bruits étaient décuplés. Elle se leva, marcha sur la pointe des pieds jusqu’à la fenêtre, se pencha, mais ne vit personne. Elle avait soif et la bouche sèche.

Elle sortit de la chambre pour se rendre dans la cuisine par le long couloir qui desservait toutes les pièces de ce grand appartement de cent mètres