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Émigrer contre Vents et Marées
Émigrer contre Vents et Marées
Émigrer contre Vents et Marées
Livre électronique191 pages3 heures

Émigrer contre Vents et Marées

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À propos de ce livre électronique

En proie aux interminables guerres civiles et autres catastrophes naturelles, les pays de la Corne de l’Afrique voient chaque année des milliers de leurs fils et filles les mieux formés prendre le chemin de l’exil. Cette région constitue indubitablement le point de départ des routes migratoires les plus fréquentées de la planète. Farah, Awaleh et Gerba, tous universitaires, se permettent de prendre tous les risques pour rejoindre l’Europe. Quitte à mettre leurs vies en périls. Ils doivent ainsi arpenter des espaces désertiques et inhospitaliers ; des pays minés par des conflits armés si ce n’est la mer méditerranée qu’il faudra défier avec des embarcations de fortune. À cause de cette « fuite des cerveaux » qui ne dit pas son nom, l’Afrique est condamnée à la pauvreté et au sous-développement. Une véritable hémorragie sur le plan régional qui menace à terme tout le continent noir.
LangueFrançais
Date de sortie8 oct. 2021
ISBN9782312085654
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    Aperçu du livre

    Émigrer contre Vents et Marées - Moussa Souleiman Obsieh

    Chapitre I

    La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre. Toute la ville fut saisie d’une angoisse confuse. Les nouvelles en provenance de la Libye n’étaient pas bonnes du tout. Tous les sites d’information de ce pays singulier en quête de reconnaissance internationale se surpassaient pour rapporter les informations relatives au naufrage d’un bateau au large de la Sicile. Les plus pessimistes annonçaient photos antidatées à l’appui la mort de tous les occupants de l’embarcation. Ils seraient Erythréens, Éthiopiens et très majoritairement des Somaliens. Depuis plusieurs années, la Libye était devenue le centre névralgique de toutes les activités criminelles relatives aux migrants africains en quête d’une vie meilleure. Les Européens qui étaient parvenus à chasser le colonel Kadhafi en commanditant sa mort avec la précieuse contribution des Américains avaient vu du jour au lendemain la frontière sud de l’Europe s’approcher dangereusement. Tous les États se trouvant à proximité de la Libye s’étaient affaiblis quand ils ne s’étaient pas effondrés tout simplement. La Libye, cet État bien policé autrefois, devint du jour au lendemain une zone de non-droit. Les groupes islamistes étendirent leur influence sur de larges portions du territoire. Des groupes mafieux firent leur apparition compromettant un peu plus chaque jour l’avenir du pays et de la région. En plus des activités terroristes, l’esclavage fut sa réapparition. Les images d’Africains noirs sur un marché d’esclaves tournaient en boucle sur toutes les chaînes d’informations depuis quelques semaines. Une réunion du Conseil de Sécurité fut même improvisée dans l’urgence pour dénoncer dans les termes les plus forts les violations flagrantes des droits les plus élémentaires des êtres humains. Mais l’indignation des chancelleries occidentales ne suffira pas. Cette fois, elles ne pourront même pas procéder comme elles le répètent souvent à des bombardements chirurgicaux avec des bombes intelligentes capables de distinguer les trafiquants d’êtres humains de pauvres détenus grâce aux aviateurs chevronnés de l’organisation de l’atlantique nord.

    Le service somali de la BBC annonça la nouvelle à 14 heures. Contrairement aux spéculations les plus folles, tous les immigrants furent sauvés ce jour-là par un navire européen dont les occupants avaient vu de loin la petite embarcation en difficultés en haute mer. Ils furent tous conduits aux côtes italiennes et bénéficièrent d’une prise en charge rapide. Marwo Aidid qui s’inquiétait toute la journée pour son fils, Awaleh, fut soulagée. Elle vit même ce dernier sur l’écran des télévisions qui diffusaient en direct l’évènement. Elle ne put retenir ses larmes quand elle vit son fils certes vivant mais fatigué, tenu par les épaules par deux jeunes infirmières italiennes de Médecins Sans Frontières. Marwo tenait une petite gargote à Hargeisa, capitale de la république autoproclamée du Somaliland. Elle avait vu sa ville s’effondrer sous les bombardements impitoyables de l’armée nationale somalienne à la fin des années 80. Le Somalian National Mouvement (SNM) qui avait sa base au départ en Éthiopie fut contraint de l’abandonner immédiatement à la suite de l’accord de paix de Djibouti, entre la Somalie et l’Éthiopie en 1986. La rébellion dans un dernier baroud d’honneur s’empara d’une grande partie du Nord de la Somalie dont la principale ville, Hargeisa. Le Président Somalien de l’époque Mohamed Syad Barreh, touché dans son amour propre, ordonna alors son armée de réduire en silence le SNM. Le Nord du pays devint alors une vaste zone de guerre. L’aviation somalienne bombardait d’une manière indiscriminée tous les recoins de la ville. La plupart des habitants prirent le chemin de l’exil. Marwo se souvient encore parfaitement de ces moments sombres de son existence. Le cercle vicieux de la guerre s’était définitivement installé : si les habitants de la ville craignaient les bombardements la nuit, les snipers faisaient la loi le jour. Agée de seize ans seulement, elle avait fui sa ville natale laissant derrière elle un espace de vie qui lui était si familier. Elle venait de perdre son père, emporté par une balle perdue en pleine ville. Elle avait trouvé refuge à Dire-Dawa avec sa mère, ses trois frères et quatre sœurs. Le vaste camp de déplacés mis en place par le Haut Commissariat aux Refugiés ne plut pas au début Marwo. Mais elle avait au moins la paix. Elle pourrait dormir tranquille sans être réveillée par les sirènes incessants des ambulances ni par les bruits des avions. Petit à petit, elle prit son mal en patience et s’habitua à cette nouvelle vie. Le matin après avoir pris le petit déjeuner, elle partait avec sa mère pour aller chercher des fagots qu’elles écoulaient sur le marché pour gagner un peu d’argent. Elles ne revenaient que le soir au campement pour préparer le repas du soir. Avec l’aide alimentaire des organismes internationaux, Marwo et les siens menaient un semblant de vie jusqu’au jour où ils apprirent à la radio la chute du gouvernement central somalien. Marwo éprouva un immense soulagement, espérant retrouver le plus vite possible sa ville natale. Un an après la chute de Syad Barreh, le pays était toujours en proie à la lutte acharnée entre les différentes factions rebelles. La tournure tragique que prenaient les événements n’était pas pour rassurer les Somaliens d’une manière générale. L’armée nationale fut dissoute. Des milices tribales armées firent leur apparition. La capitale Mogadiscio et ses environs furent l’objet d’affrontements intenses entre divers groupes tribaux. Les morts et les blessés se comptaient par milliers. Le pays sombra dans une guerre civile totale. Les appels répétés au calme et à la raison de la communauté internationale n’eurent aucun effet sur les acteurs de cette tragédie. La situation n’était guère plus enviable au nord du pays où des groupes extrémistes d’obédience tribale voulaient en découdre avec leurs ennemis d’hier. Finalement la raison prit le dessus sur l’émotion. La conférence de Borama rapprocha les positions et enclencha la dynamique de la paix avec à la clé la mise sur place et l’auto-proclamation d’une fragile république.

    Marwo et ses proches prirent finalement la ferme décision de rentrer chez eux. La voiture qui les ramenait à Hargeisa mit seize heures avant de rentrer dans la ville. Le chauffeur avait pris un parcours improbable pour éviter les mines disséminées un peu partout. Marwo ne reconnut pas sa ville tout de suite. Elle était devenue méconnaissable. Partout, on voyait des maisons en ruines sous des tas de gravats. Partout s’affichait un spectacle de désolation. Les gens ayant quitté leurs maisons dans la précipitation, les délabrements avancés des bâtiments de la ville témoignaient des cours de vie interrompus brusquement. Marwo voyant sa modeste demeure épargnée, eut les larmes aux yeux. Elle la retrouva presque intacte comme si les pilleurs l’avaient dédaignée. Composée de deux chambres, d’une toilette et d’une cuisine, la maison de la famille de Marwo se trouvait en contrebas de la rue principale qui sépare la ville en deux rives. Ce qui la mettait à l’abri des regards.

    Le soir même, il commença à pleuvoir très fort. L’eau coulait jusqu’à l’intérieur des maisons. Des torrents d’eau se formèrent dégageant parfois sans peine les routes bloquées par des monticules de sables à la suite de creusement de tranchées pour se protéger contre les tirs de snipers. Une pluie intense et paisible comme pour laver cette ville de la souillure des hommes. Les milliers de morts qu’avait causés la guerre étaient dans tous les esprits. Les jours qui avaient suivi la fin de la guerre furent cauchemardesques pour tous ceux qui furent contraints de rester, apprit plus tard Marwo. Une odeur nauséabonde s’était emparée de la ville. Les corps sans vie des personnes surprises dans leur sommeil par les bombardements de l’aviation du dictateur somalien jonchaient un peu partout. Des âmes de bonne volonté dont des religieux et des sages avaient décidé par la suite d’enterrer les morts dans des fosses communes pour conjurer les maladies. Marwo eut du mal à s’accommoder avec sa nouvelle vie. Les produits alimentaires se faisaient de plus en plus rares et donc de plus en plus chers. Avec la disparition des structures étatiques, de nouveaux problèmes apparurent. L’insécurité prit des proportions énormes. Tout le monde était presque armé. Avec l’absence du travail pour subvenir aux besoins des familles, la violence se vulgarisa. Le vol et le viol devinrent monnaie courante sur fond de règlements de comptes tribaux. À Hargeisa, tout le monde se proclamait « moujahid » en raison de son affliation vraie ou supposée avec le SNM. Surtout les combattants de la dernière heure qui voulaient être servis en premier. C’est dans ces conditions ubuesques que Marwo devrait assurer sa survie. Tôt le matin, elle se levait pour faire le tour des places publiques de cette ville ravagée par la guerre avec ses deux vieux thermos remplis de thé et du café. Malgré la perte de valeur de la livre somalienne, toujours en vigueur, Marwo parvenait tant bien que mal à nourrir sa famille nombreuse. Son petit commerce se développa même plus vite que prévu avec le retour de tous ceux qui avaient fui la guerre. À dix-huit ans, elle était déjà une femme mûre. Son sourire commercial ravageur et ses économies florissantes attirèrent pas mal de prétendants. Tous ne plurent pas Marwo. Toutefois, l’un d’entre eux lui paressait plus perspicace que les autres. Il s’appelait Omar. Son visage avenant et son verbe mesuré étaient ce qui intriguait le plus Marwo. Il paraissait aussi plus sage que les autres, ne prenant la parole que pour dire des choses intéressantes. Il avait l’art de relativiser les choses. Même en cette période de temps troubles, Omar paraissait stoïque. En fait, rien ne le surprenait. Il disait avoir perdu la plupart des membres de sa famille à Hargeisa. De toute façon ils allaient tous mourir un jour, avait-il l’habitude d’ajouter comme s’il cherchait par là à ne pas choquer son auditoire. Marwo appréciait surtout Omar pour sa bonne humeur garantie et son humour permanent. Il surprenait ses interlocuteurs par là où ils ne l’attendaient pas, provoquant les rires face à des situations tragiques. Il tirait sa force de sa connaissance non négligeable de la société somalie. Même s’il paraissait plus jeune Omar avait probablement trente ans au vu des évènements historiques auxquels il aurait vécu et dont il faisait souvent référence. Avec la disparition du gouvernement central, les Somaliens devinrent tout d’un coup un peuple sans âge. Aucun document administratif témoignant de la date de naissance de telle ou telle personne. Cela fit le bonheur de tous les falsificateurs en puissance. On vit même un septuagénaire se déclarant avoir quarante ans seulement pour s’offrir une ultime dernière épouse. Les quadragénaires eux-mêmes n’hésitaient à revendiquer dix ans voire vingt ans moins que leur âge réel. Quand à tous ceux qui étaient partis aux États-Unis ou en Europe, ils avaient l’embarras du choix. Ils fixaient eux-mêmes leurs dates de naissance sans avoir aucun barème à respecter. On rapportait alors des situations cocasses où devraient faire face ces personnages. Tel immigrant est-africain s’étant déclaré être âgé de seize ans alors qu’il en avait vingt-et-cinq en réalité fut contraint par sa famille d’adoption à ne regarder la télévision qu’à des heures restreintes, à ne manger de sucreries que le week-end ou encore à aller se coucher tôt tous les soirs à des heures fixes. Sa peine dura deux ans avant d’être relaxé comme il aimait à le répéter souvent à l’âge de « dix-huit ans ». Tel autre était conduit à des espaces de jeux réservés uniquement aux mineurs. Il devrait devant sa famille adoptive faire preuve de toutes les acrobaties possibles et imaginables devant des adolescents de « son âge ». Ce qui n’était pas gagné du tout. Incapable d’escalader les toboggans, il tombait alors dans la plupart du temps à la renverse ce qui déclenchait un rire contagieux de l’assistance.

    À l’heure où Marwo rentrait chez elle tous les soirs après des journées harassantes, elle entendait souvent au loin les chiens aboyer de toutes leurs forces. Puis avec le temps, elle remarquait que les cris de chiens se faisaient de plus en plus près et de plus en plus forts. Il semblait à Marwo que les chiens étaient de plus en plus excités sans comprendre vraiment la cause. Elle pensait de temps à autre qu’à cause de la guerre, les animaux domestiques comme les hommes d’ailleurs avaient toutes les difficultés à manger à leur faim. C’est pourquoi, ils avaient commencé eux-aussi à fuir Hargeisa pour chercher refuge ailleurs. Au plus fort des bombardements de la ville, on n’entendait plus un chien aboyer ni un chat miauler. Ils avaient tous déserter la ville comme s’ils laissaient les hommes régler leurs différends tout seuls. Un calme mortuaire s’empara alors de la ville. Depuis la fin de la guerre, les chiens ont entamé aussi leur retour vers la ville. Au début timidement. On voyait de temps à autre, un chien remuant la queue errer quelque part. Quelques mois plus tard, ils faisaient même partie du paysage car les habitants de Hargeisa s’habituèrent à ces petits groupes de chiens qui envahissaient le centre –ville. Les enfants les pourchassaient souvent à coups de pierres sans que les adultes n’aient à redire quoi que ce soit. Pour échapper à ces maltraitances, les chiens changèrent de stratégie. Ils se terraient toute la journée quelque part et ne sortaient que la nuit tombée pour se nourrir. Toute la ville était alors envahie par des hordes de l’espèce câline qui redoublaient de cris comme pour montrer au monde que la ville était bel et bien en leur possession. Dans leur processus d’adaptation, les chiens avaient changé de formes en quelques années. Seuls les plus agiles donc les plus endurants avaient survécus. Ceux qui ornaient les maisons des riches moururent en premier. Ils ne purent résister au changement sévère de régimes alimentaires. Rassasiés presque tout le temps avant la guerre, ils succombèrent par la suite aux effets conjugués de la disette et des maladies. Ils durent se contenter de reste de carcasses d’animaux tués par les bêtes sauvages avant de tomber malades puis périr. Par contre, les chiens de pauvres, habitués à la privation et à la souffrance quotidienne tirèrent leur épingle du jeu. Ils se montrèrent résilients. Ce sont ceux-là justement qu’on entendait remplir de leurs aboiements la nuit noire mais étoilée de Hargeisa.

    Marwo discerna quelque chose de faux dans les aboiements de chiens. Elle trouva surtout que d’habitude, ils n’étaient pas aussi nourris ni aussi persistants. Elle se dit en son for intérieur que quelque chose ne tournait pas rond. Annonçaient-ils un évènement malheureux à venir ? Avaient-ils remarqués la présence d’intrus dans la ville ? Marwo n’étant sûre d’aucune des hypothèses qu’elle avançait s’engouffra dans sa maison. Avec les traumatismes causés par la guerre, les Somaliens étaient devenus plus superstitieux. Des charlatans firent leur apparition, promettant mondes et merveilles à leurs victimes. Ils attribuaient à chaque évènement naturel ou humain une signification ésotérique, évitant toutefois de décevoir leurs patients au risque de ne pas être payés.

    Une fois à la maison, Marwo fit part de son constat au sujet des chiens à son oncle maternel. Ce dernier éclaira aussitôt le mystère. Au beau milieu de la guerre alors que les hommes fuyaient la ville, des créatures bizarres firent leur apparition. Il s’agissait en réalité des hyènes qui erraient toute la nuit dans cette vile devenue fantôme par ce que vidée de ses habitants. Durant cette période, les chiens apeurés n’osaient plus affronter les hyènes qui conquirent leur espace vital. Mais depuis la fin de la

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