Mdzima, le clandestin roublard
Par Mihidjae Maliki
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À propos de ce livre électronique
Or, sur l’île française, les arrestations s’enchaînent. Mdzima confie alors ses filles à des amis fonctionnaires de l’île pour assurer leur scolarité, et s’isole avec sa femme au milieu des palétuviers, dans une cabane perchée sur un arbre.
Seront-ils vraiment à l’abri ? Jusqu’à quand vivront-ils là ?
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Aperçu du livre
Mdzima, le clandestin roublard - Mihidjae Maliki
Mdzima,
le clandestin roublard
Maliki Mihidjae
Mdzima, le clandestin roublard
Les Éditions Chapitre.com
31, rue du Val de Marne 75013 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2021
ISBN : 979-10-290-1184-9
À Yacine, Eddine, Neidja, Amil et Adam,
et à tous les immigrés du monde entier.
Chapitre 1
Il était 15 h 45. La prière du milieu de l’après-midi avait été dite et accomplie. Le soleil continuait à décliner. Un jeune homme, vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon gris, quitta sa modeste demeure pour se diriger vers la place publique. Là-bas, des passionnés de jeux de société se délassaient pour finir la journée. Certains d’eux se divertissaient quelquefois jusque tard dans la nuit : 22 ou 23 heures.
Mdzima, plein d’entrain, était arrivé clandestinement à Mayotte. Il s’en allait, les mains enfouies dans les poches de son pantalon, en sifflotant une chanson locale, très heureux et fier de sa vie actuelle. À le voir, on aurait cru un natif de l’île : un vrai Mahorais. Il n’avait peur de rien et se sentait bien intégré. À Tsingoni, la vie lui souriait. Tout le monde l’estimait. Les femmes, les hommes, les personnes âgées et les enfants le connaissaient et l’abordaient sans la moindre gêne. Il aimait jouer la comédie et faire rire celles ou ceux qui le côtoyaient. Tous appréciaient son humour.
Il ne s’appelait pas réellement Mdzima. C’était un surnom qu’on lui avait attribué à Mutsamudu, lorsqu’il travaillait là-bas comme docker. D’autres le surnommaient « Number One ». Un de ses collègues de travail, grand comorien, lui avait attribué ce sobriquet pour une simple raison : de nature chétive, il ne transportait qu’un sac de ciment à la fois pour venir le déposer dans le camion, tandis que les autres en chargeaient trois ou quatre sur leur dos. Eh oui ! le jeune homme, lui, n’en ramenait qu’un et un seul. Comme « Un » se dit en langue locale de la Grande Comore « mdzima », son véritable nom, Saïd Moindjié, avait été oublié depuis ce jour-là. Il s’habitua rapidement à ces deux surnoms.
Cahin-caha, il pressa le pas. Il avait hâte d’arriver sur les lieux. Il voulait s’amuser et oublier la fatigue des travaux champêtres qui l’avaient exténué tout au long de la matinée. Et surtout, il adorait se retrouver avec des amis pour discuter de la vie de tous les jours et plaisanter avec eux.
Après avoir parcouru une trentaine de mètres, au carrefour du regretté Haïdar, il aperçut son ami Massouinde, un clandestin comme lui, originaire de la région d’Ada (Anjouan). Costaud et de grande taille, il travaillait dans la maçonnerie. Souvent, il sollicitait l’aide de son camarade pour ses travaux, puis ensuite ils se partageaient les recettes.
Ensemble, tout en palabrant, ils parcoururent le bout de route restant :
– Comment tu vas ?
– Alhamdulillahi !
– Hier soir, on n’a pas pu te contacter pour aller à la pêche.
– J’étais très fatigué, j’avais même éteint mon téléphone.
– La mer était très poissonneuse. Même Magy a attrapé un espadon. Il a bataillé énormément avant de le remonter dans la pirogue.
– Un espadon ? Waouh ! C’est très fort.
– Où étais-tu ?
– Je me suis endormi très tôt.
– À la prochaine alors, plus précisément samedi…
– D’accord ! Cette fois-ci, j’essaierai d’y être.
– Et surtout, on a gagné un pactole considérable.
Ils arrivèrent les premiers sur la place publique. Dans ce le lieu désert, tout était calme. Personne. Même pas les gamins qui jouaient souvent là au ballon. Rapidement, les deux clandestins installèrent les banquettes et la table, puis ils commencèrent une partie de duel en attendant l’arrivée d’autres amateurs.
Plusieurs personnes au village aimaient énormément le jeu de dominos. Parfois, les villageois voisins organisaient des tournois. Sans être vraiment une compétition officielle, c’était une sorte d’invitation autour de ce jeu de société. Un grand festin s’imposait lors de ces réunions avec des ailes de poulet grillées, des bananes vertes, des cuisses de poulet et des boissons.
Les deux étrangers tapaient fort les dominos sur la table dans le but d’alerter leurs collègues qui étaient restés chez eux. Ces derniers, dès qu’ils entendirent les claquements, abandonnèrent leur série télévisée et se précipitèrent pour rejoindre leurs camarades. Ils prirent place à côté de deux premiers arrivés. Le jeu se jouait à quatre, aussi les autres restaient debout et attendaient leur tour.
À un mètre de là, un autre groupe, après avoir étalé une natte en raphia à même le sol, avait préféré les cartes. Sur un muret de cette place publique, deux individus se mesuraient aux jeux de mraha. Ainsi, on entendait des cris de joie et de désolation jaillir çà et là. Cette petite place s’animait tous les après-midi jusqu’à 21 heures, parfois même jusqu’à minuit. Les acteurs palabraient à tous les vents. Ils parlaient de politique, de la vie quotidienne, de religion, de sexualité… Ils abordaient largement tous ces thèmes, et bien d’autres encore. Sujet le plus abordé : le sexe. Beaucoup de natifs du pays l’avaient côtoyé à la Grande Île, Madagascar. Ils en parlaient avec enthousiasme sous le regard hébété de leurs camarades qui n’y avaient jamais mis les pieds. Parfois, certains se chamaillaient si vivement qu’ils ne se contrôlaient plus et finissaient par se battre. Seule chose rassurante, personne n’utilisait d’arme pour le combat, qu’elle soit blanche ou autre ; à Mayotte, entre hommes, tout se réglait à coups de poing. Le plus souvent, les hommes âgés calmaient les querelles et leur intervention adoucissait les colères.
Number One était arrivé à Tsingoni trois ans et demi plus tôt. Il s’était bien intégré aux villageois. La différence minime de langue ne l’avait pas gêné. Il s’exprimait avec un parfait accent mahorais. Il travaillait dans le champ d’un autochtone : il raclait les mauvaises herbes, plantait des bananiers et nourrissait les cinq troupeaux de vaches, matin et après-midi. Il percevait juste un salaire inférieur au SMIC de l’île, toutefois le clandestin se trouvait relativement aisé par rapport à ses confrères dans la même situation. C’était avec fierté et amour qu’il accomplissait ces travaux. Certes, parfois, il se sentait débordé, surtout par la fatigue quand il revenait de la pêche. Pourtant, la perspective de la paye de fin du mois le faisait redoubler d’efforts et lui donnait beaucoup d’énergie, comme des ailes. Il s’acquittait ainsi de différentes tâches sans grogner. Aucun Comorien sans papiers ne percevait son salaire, alors le clandestin ne se lamentait pas. Sur son île en forme d’étoile de mer, il n’aurait même pas touché le vingtième de celui d’ici. Là-bas, les travaux durs altéraient le corps. Au quai, il transportait les sacs de ciment sans la moindre mesure de protection : pas de gants, de masque ou de vêtements adéquats. Tout cela pour un salaire de misère.
Maintenant, sur l’île aux parfums, Mayotte, tous les vendredis, au cours de ses prières à la mosquée, Mdzima implorait Allah, pour que l’entente avec son patron dure le plus longtemps possible. Mais voilà, des événements troublants étaient venus perturber son havre de paix et avaient fait grandir son inquiétude. Au cours de deux semaines qui venaient de s’achever, on avait assisté à des rafles de clandestins venus sur l’île illégalement dans les différents villages de la commune de Tsingoni : Mirereni, Combani, Mroalé et Tsingoni. Elles étaient dirigées par la police aux frontières ; des agents de la brigade, formés à ce genre de manœuvre, s’acharnaient à attraper les sans-papiers et à les renvoyer chez eux au plus vite. D’après les rumeurs, 152 Comoriens avaient été appréhendés. Ces gens avaient peur. Dans leurs habitations misérables, certains se levaient très tôt pour regagner la campagne y chercher un abri. D’autres descendaient au bord de la mer pour s’abriter et éviter d’être capturés. Mais parmi eux, d’aucuns s’étaient engagés à travailler, seule issue pour pouvoir survivre sur l’île. Ceux-là s’inquiétaient beaucoup.
Les autorités françaises oubliaient une chose en refoulant ces Comoriens sans papiers : bon nombre de ces individus avaient tout vendu avant d’arriver ici et coupé le cordon qui les liait à leur pays. Ces derniers ne pouvaient envisager un renvoi vers leur île natale, ils auraient plutôt préféré la mort. Les expulser ne servait à rien, car une fois repartis là-bas, ils préparaient déjà leur retour, quitte à périr en mer. Mdzima, l’un parmi ceux-là, avait tout liquidé : champ familial, zébus, case, etc., pour tenter sa chance ici sans observer la voie légale, malgré le danger de la traversée. Il voulait refaire sa vie dans l’Eldorado de l’océan Indien : Mayotte. Y vivre jusqu’à sa mort.
En plein jeu, en plein engouement, un natif du village relança la discussion sur les sans-papiers. Ce faisant, il mit en garde les clandestins présents :
– Attention à la PAF, la police aux frontières ! Elle embarque les étrangers comme de vulgaires criminels. Elle n’a pas de cœur. Même nos compatriotes mahorais qui font partie de ces agents se comportent ainsi, pourtant ce sont des musulmans.
– Ah ! intervint Number One. J’ai entendu parler de la descente terrifiante et spectaculaire qui a eu lieu à Mirereni. Les habitants de cette localité en ont été très surpris. Eux aussi avaient eu peur. C’est la première fois qu’ils assistaient à un tel spectacle, comme dans un film américain.
– Oh oui ! J’ai appris ça, moi aussi, ajouta Mourchidou. Aux environs de 5 heures du matin, alors que le soleil n’était pas encore levé, les agents de la PAF ont encerclé le village, après avoir camouflé leurs deux camionnettes dans le plus proche buisson de genêts. Les habitants commençaient à sortir de leurs maisons. À pas de loup, couverts d’une combinaison militaire, coiffés aussi d’un casque à visière et armés d’un bouclier et d’une matraque, ces agents allaient de case en case en demandant les papiers. Ensuite ils ont enchaîné les personnes dont les documents n’étaient pas à jour et les ont embarquées pour Majicavo.
– À ce propos, répliqua Madi, je voulais justement vous mettre en garde contre ces manœuvres. Ces gardes peuvent arriver ici à tout moment.
– Pourtant, ces sans-papiers ne sont pas des terroristes, ni des islamistes, ni d’ignobles malfaiteurs. Organiser une descente genre commando n’est pas digne de la France, pays des droits de l’homme. Ces agents ne se sont pas souciés de l’impact de leur manœuvre sur des enfants ou des gens âgés, les personnes les plus fragiles. Quels effets secondaires du point de vue psychique produira-t-elle sur ces catégories d’individus ? Les agents de la PAF se comportent vraiment comme des robots, sans le moindre état d’âme.
Un silence de mort, suivi d’un léger coup de vent, envahit la place publique durant quelques minutes. Puis la discussion se poursuivit sur un autre sujet :
– Moussa, tu sais, Baco Oili joue à Combani ce samedi, au Café Room plus précisément, commença Madi.
– Ça sera chaud et il y aura des jeunes filles à gogo ! s’exclama Souffou en souriant.
– Moi, je serai présent ! s’écria Mari.
Tard, vers 21 h 30, Number One quitta l’assemblée pour regagner sa demeure. Sur le chemin du retour, l’échange de paroles sur les clandestins troublait encore ses pensées. Plusieurs idées grisâtres résonnaient en lui :
Que faire si on m’attrape ? À Anjouan, déjà, je n’ai pas de liens solides, ni de logement, ni de biens matériels ou champêtres. Je serai mal vu par mes frères et sœurs ; en les quittant, j’ai vendu là-bas les biens familiaux, je ne leur ai même pas demandé leur avis. Ils vont sûrement me le reprocher. Certains m’en voudront à vie. Ma fille et ma femme sont ici. Ce sont mes trésors. Hum ! Que faut-il faire ? Je ne peux pas m’emmurer. J’ai l’obligation de nourrir ma famille et pour cela, je dois aller travailler.
Cette nuit-là, Mdzima eut du mal à trouver le sommeil. Il tourna longtemps en rond dans sa chambre. Parfois, il sortait pour fumer une cigarette. Lorsque sa femme l’interrogea sur ce qui le perturbait, aucune réponse ne sortit de sa bouche. Pourtant, sa compagne sentait bien que quelque chose le préoccupait. Elle se doutait que c’était très sérieux, mais elle n’arrivait pas à deviner quoi. Cette ignorance l’ennuyait, la rendait nerveuse. Elle avait elle aussi entendu la rumeur sur les descentes de la PAF, mais n’en avait pas tenu compte. Le couple passa une nuit blanche. Dans l’autre chambre, leur fille dormait à poings fermés. Les va-et-vient incessants de son père ne la dérangeaient pas.
Tôt le matin, après la prière du lever du soleil, Number One se hâta de rejoindre son travail dans une plantation à deux kilomètres du rond-point situé à l’entrée du village de Tsingoni, en se dirigeant vers le sud. Cette plantation se divisait en deux parties. La première, bien clôturée, était réservée au troupeau. La seconde était destinée à la culture d’arbres fruitiers : des bananiers de différentes espèces, des cocotiers, quelques manguiers, des citronniers, des goyaviers… Contrairement aux autres jours, Mdzima partit très tôt ce jour-là par un matin légèrement sombre et frais, la rosée