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Sauveteur en mer
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Livre électronique368 pages5 heures

Sauveteur en mer

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À propos de ce livre électronique

Présents dans quasiment tous les ports de France ils veillent sur vous. Sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, prêts à sauter à bord de leur vedette ! Sur appel du CROSS ils partent par beau temps ou mauvais temps, de jour comme de nuit, porter secours à des personnes en difficulté, sur toutes les mers, tous les océans, hémisphère nord comme hémisphère sud. Qu’est-ce qui les motive à prendre de tels risques bénévolement, au détriment parfois de leur vie familiale ou professionnelle ? Qui sont ces gens en tenues orange se hâtant pour accomplir leur mission ? Ce sont les sauveteurs en mer embarqués de la SNSM, La Société Nationale de Sauvetage en Mer.
Découvrez dans ce roman ce monde fascinant à travers l’histoire de Mathieu arrivé à Ponar’ch dans le sud Bretagne pour la saison estivale comme aide-boucher. Il va découvrir la vedette de sauvetage et ses équipages, la formation puis les alertes, les joies et les drames parfois de cet engagement bien spécial. Il va apprendre la mer, ses codes, ce langage du monde maritime, tout en partageant la vie des femmes et des hommes tous bénévoles dont la mission est de sauver la vie des autres en mer.
Il y a des étés qui changent le cours d’une vie.
LangueFrançais
Date de sortie1 avr. 2022
ISBN9782312119960
Sauveteur en mer

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    Aperçu du livre

    Sauveteur en mer - Arnaud Mora

    Avant-propos

    Dans notre société en quête de gloire, de pouvoir ou d’argent, il y a des femmes et des hommes qui ne s’en soucient guère. Ils sont présents dans beaucoup de petits et grands ports de France et veillent sur vous. Oui, sur vous. Ils veillent sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, prêts à sauter dans leur vedette qu’ils chérissent tant ! Sur un simple message, ils partent par beau temps ou en pleine tempête, de jour comme de nuit, chercher des personnes en difficulté et ce sur toutes les mers et tous les océans de nos littoraux, que ce soit dans l’hémisphère nord ou sud. Qu’est-ce qui les motive à faire cela bénévolement, au détriment parfois de leur vie familiale ou professionnelle ? En prenant des risques et malheureusement parfois jusqu’au sacrifice ultime ? Vous me direz que ces gens-là n’existent pas dans notre société. Si ! Vous les trouverez vêtus de tenues orange en train d’arpenter le quai, parfois en courant, attirés par un gyrophare éclairant la nuit… Ce sont les sauveteurs en mer embarqués de la SNSM, La Société Nationale de Sauvetage en Mer, cette noble institution dont le siège est à Paris et qui les regroupe tous.

    Certaines et certains se retrouveront dans ce roman à travers les anecdotes, les exercices ou les interventions… La vie de la station aussi, car chacune d’elles a son ambiance, ses caractères, forgés par la vie, les sorties en mer et les alertes, les bons comme les mauvais moments, les bonheurs, les drames, parfois. D’autres découvriront ce monde car ils ne connaissaient pas son existence.

    Si tous les personnages et les lieux de ce roman sont pure fiction, les alertes et interventions sont bien réelles. Elles ne sont pas tirées de mon imagination mais de mon expérience acquise par de nombreuses sorties en mer par tous les temps, de jour comme de nuit, avec des joies et des peines rendues supportables par la vie de la station et la cohésion de tous ses canotiers.

    Les numéros de coque des vedettes présentes dans cet ouvrage et sur lesquelles j’ai navigué sont bien réelles également. J’y ai pris des fonctions dans pratiquement tous les postes que vous allez découvrir au fil des pages.

    La SNS 232 navigue toujours en 2022, c’est une vedette de deuxième classe qui se nomme la « Moïse Bègue », elle est basée à la station de Sainte-Marie de la Réunion.

    La vedette héroïne principale de ce roman, la SNS 247 portait le nom de « Commandant Pévérelly », c’était également une vedette de deuxième classe qui a été désarmée car en fin de vie. Elle me tient à cœur, elle était affectée à la station de Saint Pierre de la Réunion, dont je fus le président.

    Ponar’ch

    Il ne faisait pas très chaud dans le bus qui le menait vers la côte. Mathieu regardait d’un œil distrait apparaître la presqu’île. La nuit passée dans le train inter-régional l’avait laissé un peu étourdi. Les arrêts fréquents, le va-et-vient des passagers qui dans la nuit descendaient ou montaient à chaque gare ne lui avaient pas laissé l’occasion de dormir mais seulement de somnoler. Puis il y avait eu ce changement à Rennes et ses trois heures à piétiner sur le quai de la gare déserte sans même un café pour se réchauffer. Et enfin le bus qui complétait le voyage jusqu’à Ponar’ch, petit village de bord de mer qui triple son nombre d’habitants en saison estivale. C’était d’après la description que l’on lui en avait faite un port de pêche et de plaisance, un des plus petits du secteur. La bourgade était un lieu de villégiature d’été, la plupart des grandes maisons avaient été rachetées pour devenir des résidences secondaires. L’activité de la pêche et du commerce n’était plus qu’un vague souvenir et le village s’endormait doucement à la fin de la saison en attendant l’arrivée de l’été suivant pour passer l’hiver dans le froid et la solitude. La lande bretonne noyée de brume matinale défilait, puis quelques maisons firent leur apparition en descendant vers Ponar’ch par la route principale et enfin des habitations plus serrées comme blotties les unes contre les autres pour se protéger des tempêtes d’hiver si dures paraît-il dans le secteur.

    Le bus s’arrêta sur la place du village encore vide à cette heure matinale. Quelques mouettes se faisaient entendre bruyamment indiquant leur contentement d’avoir trouvé une benne ouverte. Elles s’acharnaient à déchiqueter un sac poubelle qu’elles avaient réussi à renverser au-dehors du bac à ordures, répandant des déchets un peu partout sur les trottoirs alentour. Mathieu regarda longuement le port où tanguaient paisiblement quelques petits bateaux de pêche. Sur le côté opposé, il y avait une multitude d’embarcations plutôt petites et des voiliers sagement amarrés sur leurs pontons. Il décida de voir de plus près ce coin pittoresque ouvert sur la mer. Il avait toujours rêvé de travailler sur la côte, près de l’océan qu’il aimait depuis sa plus tendre enfance sans savoir trop pourquoi. Ses pas résonnaient contre les lattes du ponton, le jeune garçon ouvrait de grands yeux pour ne rien manquer, il avait toujours été fasciné par la mer et les bateaux alors quand on est né à Clermont-Ferrand où on a passé un brevet de boucher-charcutier, l’océan est bien loin. Pourquoi n’avait-il pas su résister à ses parents et pris la mer comme il l’avait souhaité ? Pourquoi ne pas avoir osé faire l’école des pêches comme cela était son rêve ? Par timidité sans doute ou par lâcheté sûrement. Maintenant qu’il était plus libre, il avait choisi de venir ici passer la saison grâce à une connaissance de son père, un boucher rencontré au service militaire il y a trente ans de cela. Les hommes étaient restés en contact de loin en loin alors quand Mathieu avait dit à son père qu’il souhaitait se rapprocher de la mer et commencer à travailler, son père avait téléphoné à Jean et Jean avait accepté de prendre Mathieu pour la saison estivale comme aide-boucher. Il devait se présenter à l’ouverture du commerce vers neuf heures. Il n’était que sept heures trente, largement le temps de faire le tour du village côtier. Après le petit port, ses pas le conduisirent à travers les ruelles étroites encadrées par des maisons de pierre grise aux volets la plupart du temps de couleur bleue. Les toits en ardoise ruisselaient de l’humidité du matin et la bourgade s’éveillait peu à peu. Il laissa sur main droite un bar-tabac puis une boulangerie et revenu sur ses pas il se trouva de nouveau sur la place centrale. Elle était bordée sur deux faces de passages couverts sous forme d’arches en pierre. La boucherie se trouvait sous l’une d’elles à côté d’un bistrot au nom bien sympathique de « Café des pêcheurs ». Le cafetier était en train de mettre en place sa terrasse, quelques tables métalliques et des chaises en osier réparties sous la voûte de pierre, bien à l’abri des nuages menaçant averses. Mathieu s’avança.

    – Bonjour monsieur, puis-je m’installer ? Ou c’est trop tôt ?

    – Allez-y jeune homme, qu’est-ce que je vous sers ?

    – Un grand café s’il vous plait.

    – Et un grand café ! Ça marche.

    – Mathieu s’installa à la première table en face du port. Il avait une vue d’ensemble depuis la place jusqu’à l’esplanade du parking qui séparait la mairie de la digue. Le temps semblait se lever peu à peu, un timide rayon de soleil fit son apparition. La lumière donnait une belle couleur à l’ensemble. Le calme régnait encore, seules les quelques mouettes et les drisses chantant dans la brise venaient troubler cette quiétude.

    – Et voilà le café du jeune homme.

    – Merci, combien je vous dois ?

    – Un cinquante.

    – Tenez dit-il en lui tendant un billet de cinq euros.

    Le cafetier fouilla dans son large tablier et lui rendit sa monnaie.

    – Il est bien tôt dans la saison, vous êtes en vacances ?

    – Non monsieur, je dois voir Jean Bordat.

    – Mon voisin le boucher ?

    – Oui monsieur.

    – C’est donc vous le nouvel apprenti qui vient pour la saison ?

    – C’est ça, j’attends l’ouverture de la boucherie, vers neuf heures m’a t-il dit.

    – On est mardi, il est au marché de gros car autrement il est à son petit café avec moi le matin et vous l’auriez trouvé dès six heures. Je vous laisse boire tant que c’est chaud, j’ai ma salle à préparer.

    Mathieu regarda partir le cafetier vers l’intérieur. Il avait une démarche bien assurée, parlait fort. Tout son être était en parfaite harmonie, sa taille ronde faisait gonfler son tablier et sa tête assortie de forme à son ventre proéminent était complétée par une large moustache poivre et sel. Tout respirait le bonheur et la bonne humeur chez cet homme. Tout en buvant son café, Mathieu pensait au cafetier. Il était de fait assorti au paysage, le port tranquille, refuge solide contre la mer tout autant que ces maisons de granit et les pavés de la place.

    Ponar’ch s’éveillait tout à fait maintenant, des voitures se garaient devant la mairie, du monde s’affairait autour de quelques embarcations et un bateau de pêche rentrait au port. Le pharmacien levait son rideau de l’autre côté des arcades, une voiture de gendarmerie passa lentement puis le facteur à son tour fit son apparition sur un scooter jaune, allant de boite en boite. Huit heures sonnèrent au clocher d’une église que Mathieu chercha des yeux car il n’avait pas remarqué un quelconque édifice religieux au cours de sa pérégrination matinale. Il l’aperçut enfin de l’autre côté du village, seul le clocher et sa girouette étaient visibles au dessus des toits. L’église devait se trouver après le port, vers le nord et proche voire face à l’océan. Le patron revint portant deux tableaux en ardoise avec en lettres blanches le menu du jour. Il les positionna de part et d’autre des piliers puis se retourna vers Mathieu.

    – Jeannot ne devrait plus tarder maintenant.

    – J’ai hâte de faire sa connaissance.

    – Oh vous verrez il est sympa, il ne parle pas beaucoup mais c’est quelqu’un d’attachant. On se fréquente depuis la maternelle alors je le connais bien mon Jeannot !

    – Il ne semble pas y avoir beaucoup de monde au village.

    – C’est pas encore la saison mon garçon. Vous verrez d’ici le mois de juin ! C’est de la folie et juillet-août n’en parlons même pas. On ne peut plus circuler. Le pire c’est le jour du marché.

    – Ah bon ?

    – Il se tient sur la place et alors là pas moyen de se garer. Je fais cinq fois plus de chiffre c’est certain, c’est bon pour le commerce mais on est aussi contents quand on retrouve notre tranquillité fin septembre.

    – Dans le bus qui m’a amené, il y avait un couple qui parlait d’ouvrir une maison.

    – Sûrement une de ces résidences secondaires. Ça commence toujours comme ça, vers le mois de mai, on vient ouvrir la maison, on nettoie pour préparer l’été puis ils y viennent les week-ends et enfin les deux mois d’été.

    – On est début mai, ça devrait arriver plus massivement dans les jours qui viennent ?

    – Tout à fait, chaque année c’est la même chanson. Tout dépend du temps. S’il fait beau alors là c’est plus pareil, la route est engorgée et il faut bien une heure pour faire les derniers kilomètres, un vrai foutoir ! Tiens voilà Jeannot, ton patron, petit.

    Mathieu se retourna dans la direction que lui montrait le patron d’un coup de tête. Une fourgonnette blanche avec un nom en grosses lettres rouges était en train de se garer sur la place. L’inscription indiquait « Boucherie Bordat – Épicerie fine – Traiteur » le tout avec un damier bien explicite à carreaux rouges et blancs qui recouvrait l’arrière du véhicule. Un homme, la cinquantaine, les cheveux déjà gris en sortit et se dirigea vers la terrasse du café.

    – Bonjour Raymond, comment ça va aujourd’hui ?

    – Salut Jeannot. Je crois bien que voilà ton gars dit-il en désignant le jeune garçon.

    – Mathieu ? Bonjour, moi c’est Jean mais tout le monde m’appelle Jeannot.

    – Bonjour monsieur dit-il en se levant et en échangeant une poignée de main.

    – Comment vont tes parents ?

    – Très bien, toujours à Clermont.

    – Ton père travaille toujours pour Michelin, il n’a pas changé ?

    – Non, toujours à la production, il gère une chaîne et maman à la maison. Ma sœur est entrée au lycée et moi j’ai fini il y a deux ans mon brevet.

    – Ton père m’a dit reprit Jeannot que parait-il travailler dans la grande distribution ne t’a pas beaucoup plu.

    – Je n’ai pas trop aimé non.

    – Tu m’étonnes reprit le cafetier, débiter de la viande et l’empaqueter toute la sainte journée…

    – C’est à peu près ça dit Mathieu. La routine ne me plaisait pas. C’est alors que papa a pensé à vous.

    – On a fait l’armée ensemble avec son père dit Jeannot en s’adressant à Raymond et on est toujours restés en contact même si cela fait une éternité que nous nous sommes vus. La dernière fois tu devais avoir à peine quatre ans si mes souvenirs sont bons.

    – Jeannot, tu veux un café ?

    – Non c’est gentil mais j’ai pas mal de choses à décharger. Mathieu, tu vas commencer aujourd’hui, ça te va ? Je vais te montrer la boutique et ensuite on ira voir ton logement.

    – Bien monsieur dit Mathieu.

    – Et moi c’est Jeannot, laisse tomber le monsieur tu veux ? Laisse ton sac à Raymond et allons-y.

    Mathieu acquiesça de la tête puis suivit le boucher jusqu’à la camionnette. Une fois les portes ouvertes il y avait plusieurs piles de cartons et des morceaux entiers de boeuf suspendus au plafond par des crochets et enroulés dans des toiles blanches.

    – Tu vas commencer par prendre ces cartons, c’est de la volaille. Allons les mettre rapidement au frigo.

    Le jeune garçon chargea ses bras le plus possible puis Jeannot chargé lui aussi poussa avec le pied les portes du fourgon frigorifique. Ils se dirigèrent vers la boutique, Mathieu n’avait pas prêté attention à l’enseigne au dessus de la vitrine, elle était le pendant des inscriptions sur le véhicule du boucher, mêmes lettres et couleur. Ils entrèrent après l’ouverture de la grille de la devanture puis longèrent un présentoir encore vide et pénétrèrent enfin dans le laboratoire. Il y avait au fond une grande porte en acier brossé que Jeannot désigna du menton. Il l’ouvrit, un froid saisissant en sortit. Les parois étaient blanches de givre et de glace.

    – Pose-ça là dit-il en désignant des rayonnages sur la droite. Et allons vite chercher le reste.

    Ils firent plusieurs allers-retours, le boucher se chargeant de porter les carcasses sur son épaule avec une habitude certaine pendant que le jeune garçon prenait les cartons et paquets de toutes sortes. Après trois voyages, les marchandises étaient toutes dans le frigo.

    – Voilà une bonne chose de faite, viens maintenant que je te montre la boutique.

    Il alluma alors la lumière et les présentoirs depuis le laboratoire.

    – Nous avons là une étagère réfrigérée et là le comptoir. En face, l’épicerie fine dit-il en désignant un rayonnage rempli de bocaux, de paquets et de bouteilles de vin. Et là la caisse, c’est Odile, ma femme qui gère tout ça et la comptabilité aussi.

    La boucherie était rutilante de propreté, le sol en grandes dalles de pierres claires brillait. Les murs blancs servaient de support à des cadres représentant les différentes pièces de boucherie et des photos des produits préparés vendus en boutique. L’éclairage par une rampe halogène en acier brossé très moderne donnait une certaine élégance sobre à l’ensemble.

    – Nous faisons aussi traiteur, surtout à la saison. Tu verras, il y a beaucoup de demandes sur les plats cuisinés mais ce qui marche le mieux, c’est ça, dit-il en désignant deux grandes rôtisseries sur roulettes qui étaient remisées à côté de la caisse. Nous faisons surtout du poulet grillé mais aussi du lapin, quelques pièces de rôti de porc et le nec plus ultra, des pommes de terre que nous laissons cuire dans le jus de cuisson au fond de la rôtissoire. Les gens en raffolent. Allons maintenant voir le laboratoire.

    Ils se dirigèrent de nouveau vers le fond de la boutique et vers la pièce qui menait au frigo. L’ensemble était entièrement en inox hormis les deux billots en bois intégrés au plan de travail central. Sur le côté gauche les fourneaux, les fours et à droite deux grands bacs de lavage puis tous les ustensiles nécessaires aux préparations soigneusement rangés sur des étagères en inox également. Le tout reflétait la même propreté que la boutique. Le boucher désigna enfin une porte blanche avec un hublot dans le fond de la pièce.

    – Et là c’est mon bureau. La porte d’à côté donne sur des sanitaires, il y a les chiottes bien sûr et également un petit coin toilette avec des casiers. Tu pourras y mettre tes affaires. Tu as une veste ?

    – Oui, j’en ai une.

    – On en a au nom de la boutique, je préfèrerais que tu portes celles-là. Odile s’occupe de les laver. Tu en auras toujours une de propre pour toi chaque jour suspendue aux patères de mon bureau.

    – D’accord, merci.

    Il entra et désigna un siège devant un plateau en acajou. Jeannot en fit le tour et s’installa dans un grand fauteuil en cuir. Une multitude de papiers et dossiers étaient méticuleusement posés par piles, les stylos rangés dans un pot. Il sortit de sa veste tout un tas de tickets qu’il agrafa et remisa dans une panière à sa gauche.

    – Ce sont les factures du jour. Voilà nous avons fait le tour, cela te plait ?

    – C’est très moderne et bien rangé.

    – Nous avons tout refait l’année dernière après la saison. On a fait mettre de l’inox partout, c’est plus pratique pour le travail et surtout la propreté, c’est comme ça que l’on voit si le commerce est bien tenu et la propreté, j’y tiens.

    Son téléphone portable sonna, il le tira de sa poche et décrocha. Mathieu écoutait d’une oreille distraite la conversation qui portait sur une commande d’un rôti pour le lendemain. Il en profita pour jeter un regard circulaire à la pièce. Elle était comme le reste très claire, propre et bien rangée. Une grande bibliothèque de bois clair ornait tout un pan de mur. Il y avait une multitude de livres professionnels et quelques bibelots : une ancre miniature dont le cuivre brillait de mille feux, la réplique d’un petit phare en bois et sous verre la maquette d’un bateau orange à coque bleue. Sur le mur opposé, trois cadres de diplômes, sûrement ceux du boucher et des patères sur lesquelles étaient accrochées des vestes de travail d’un blanc immaculé. Au fond, derrière Jeannot il n’y avait qu’un seul cadre assez grand avec une photo d’un bateau ressemblant à la maquette, en train de franchir des vagues énormes. L’arrière de l’embarcation disparaissait littéralement dans les flots comme prête à se faire engloutir. Un éclairage similaire à la boutique donnait là encore à la pièce cette même impression de bien-être et de netteté. Jeannot finit la conversation en notant dans un grand carnet qu’il venait d’ouvrir la commande du client.

    – Voilà dit-il. La saison va bientôt commencer, nous le verrons aux commandes du week-end. C’est notre repère. Odile ne devrait plus tarder ainsi que Cédric et Valentin. Cédric est mon aide, il travaille avec moi à temps plein et Valentin est là comme toi pour la saison. Il est arrivé il y a plus d’un mois maintenant pour se faire la main, vous logerez ensemble. Je te montrerai ça tout à l’heure. Comme je t’ai dit au téléphone et comme tu as déjà travaillé, j’aimerais que tu gères les volailles et l’ensemble des rôtisseries. C’est très important car c’est notre chiffre d’affaire pour la saison et Valentin n’a pas tes diplômes. Il faudra préparer les bêtes mais aussi les rôtis. Tu as déjà fait ça non ?

    – Oui, et les magrets aussi.

    – Les magrets ? Tiens en voilà une idée… Et si je faisais un rôti de magret ? dit-il avec un engouement certain.

    – On prend les deux pièces reprit Mathieu, on les dégraisse puis on prépare l’assaisonnement. Soit piment d’Espelette soit trois poivres – c’est comme ça que je les préparais à Clermont – le tout mélangé à un peu de farce avec un doigt de cognac. On place le tout entre les deux magrets, une tranche de lard pour le croustillant et on ficelle.

    – Allons-y, on le fait pour voir. J’ai une variante à l’ail mais ça ne plait pas toujours dit-il dans un grand éclat de rire.

    Et il se leva brusquement, décrocha une veste blanche qu’il commença à enfiler tout en en jetant une autre à Mathieu. Il se dirigea vers un des petits frigos placés sous les plans de travail et en tira deux beaux magrets puis une terrine de porc.

    – Attrape-moi les oignons qui sont sur cette étagère veux-tu ?

    Il alla chercher dans un placard du fond une bouteille au liquide ambré, du cognac. Puis il rapprocha des bacs en plastique contenant sel, poivre et autres épices. Jeannot commença la préparation sans un mot, il montrait à Mathieu l’oignon, signe qu’il fallait le hacher menu puis le frigo en dessous et le jeune garçon y trouva le lard et enfin d’un geste du menton pour indiquer la ficelle pendue au crochet dans le mur derrière. Une fois l’ensemble préparé, le boucher le fit glisser sur la table vers son nouvel apprenti.

    – À toi maintenant, je veux savoir comment tu ficelles.

    Mathieu sans un mot prit les pièces assemblées et d’un tour de main dont il avait déjà l’habitude prit la pelote et fit un rôti délicat et régulier.

    – Voila monsieur Jeannot.

    – Arrête donc avec tes « monsieur » ! C’est Jeannot, point barre. Tu connais le métier alors ?

    – C’est ce que j’ai appris.

    – Pas mal ton ficelage dit-il en examinant le résultat.

    – Je peux vous soumettre une idée ?

    – Vas-y parle Mathieu.

    – Ben voilà, je me dis que comme on est en bord de mer et que les touristes viennent pour ça et que vous ne vendez pas de poisson, il faudrait faire un rappel de l’océan.

    Jeannot le regarda d’un œil interrogateur, l’incitant à continuer.

    – Je pense à entourer le rôti de magret d’algues. À la façon, des Japonais vous savez ?

    Le boucher ne bronchait pas, le regardant fixement.

    – J’ai dit une bêtise ?

    – Non, non. On va essayer. J’ai des algues sèches pour mes crépinettes.

    Il alla chercher dans un des frigos une boite en plastique et en sortit des feuilles d’un vert très foncé puis il les mit sous un filet d’eau au dessus d’un des bacs. Après avoir posé bien à plat les feuilles humides il défit les ficelles du rôti d’un coup sec d’un couteau à désosser et délicatement entoura la viande des fines couches d’algues.

    – Mets un peu de crépine Mathieu, tu en trouveras dans le deuxième frigo sur ta droite. Et reficelle le tout mais pas trop serré hein ? Pour ne pas percer la crépine.

    – D’accord répondit Mathieu en prenant les magrets.

    – Je vais commencer la mise en place, on le fera cuire tout à l’heure.

    Mathieu terminait quand un garçon entra. Il était petit, la bouille enfantine et parfaitement roux. Son sourire semblait être permanent dans cette face ronde. Sans ajouter un mot, il traversa le laboratoire et alla chercher une tenue de travail et un tablier à l’une des patères du bureau de Jeannot.

    – Mathieu, voilà Cédric.

    – Salut lança celui-ci toujours avec son sourire aux lèvres.

    – Bonjour.

    – Tu n’as pas vu Valentin des fois ?

    – Non Jeannot, pas encore.

    – Toujours à la bourre celui-là, il commence bien sa saison.

    – Bonjour tout le monde !

    – Ah chérie, voilà Mathieu, il est arrivé comme prévu par le car de ce matin.

    – Bonjour Mathieu. Moi c’est Odile. Jeannot t’a montré ton logement ?

    – Bonjour madame. Non pas encore, nous étions en train de préparer des magrets.

    – Mais c’est pas vrai ça dit-elle en se tournant vers son mari. À peine arrivé et tu le fais trimer. Et ton sac mon garçon ?

    – Il est au café à côté.

    – Chez Raymond ? Bien. Nous allons le chercher et je te conduis chez nous pour que tu t’installes. Et elle lança à la ronde : on sera de retour vers onze heures.

    Le ton était donné, Jeannot lança un « oui oui » pour accord et reparti aussitôt dans les frigos chercher les plats cuisinés pour dresser sa boutique. Mathieu sortit sur les pas d’Odile, il récupéra en passant son sac au café et il suivit la femme dans une rue dos à la mer. Elle marchait d’un pas décidé qui lui ressemblait. C’était une femme que l’on sentait pleine d’énergie, un brin autoritaire. Elle était petite et sèche, les cheveux courts encadraient un visage fin rehaussé par des yeux gris très pâles.

    – Tu as déjeuné au moins ?

    – Oui madame, j’ai pris un café en attendant Jeannot.

    – Si ça te suffit, ok, mais il faut manger le matin mon garçon. Nous ne fermons pas la boutique en saison, les journées sont parfois longues et nous ne faisons que grignoter en vitesse vers treize heures.

    Mathieu regardait de part et d’autre afin de découvrir la bourgade. On venait de longer un petit parc derrière la mairie puis ils prirent à droite dans une artère importante qui semblait traverser le bourg de part en part. Les trottoirs y étaient larges et bien entretenus, un parterre central accueillait toute une rangée d’arbres. Ils prirent sur la gauche une rue plus étroite bordée des mêmes maisons que Mathieu avait aperçues le matin. Elles étaient toutes en granit avec des toits noirs faits d’ardoise. Ils suivirent une autre petite rue puis arrivèrent dans une impasse. Au fond un grand portail bleu laissait entrevoir à travers les barreaux une vaste maison bien différente des autres, seuls les angles étaient en granit, la façade resplendissait d’un blanc éclatant. La toiture d’ardoise était percée de chiens-assis, aux fenêtres du même bleu pâle que le portail et les volets du rez-de-chaussée. Un vaste garage était relié à la maison par un passage couvert de bien quatre mètres de large. Ils s’y engagèrent et Mathieu put apercevoir un grand jardin à la pelouse digne d’un golf écossais. Odile monta l’escalier qui devait mener au-dessus du garage.

    – Voilà c’est ici dit-elle en frappant à la porte.

    Elle l’ouvrit n’ayant pas eu de réponse. Ils entrèrent dans un petit salon clair qui donnait sur le jardin. Au centre de la pièce une table basse, un canapé en rotin aux coussins crème et deux fauteuils assortis. Deux ou trois cadres de paysages marins et un meuble bas supportait un écran plat. Il y avait sur le mur du fond une petite cuisine séparée du salon par un comptoir servant vraisemblablement aux repas car de la vaisselle

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