Le Messie
Par Arnaud Mora
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À propos de ce livre électronique
Nos appréhensions sont-elles justifiées ? Sous quelle forme la menace se manifestera-t-elle dans nos vies ?
Le personnage principal bascule d’une vie sans histoires dans un tourbillon d’évènements imprévus et qu’il faut pourtant à tout prix contrôler.
Saura-t-il avec l’aide de ses amis déjouer les pièges et voir clair dans le jeu d’un adversaire puissant et dangereux ?
Et nous, à sa place, aurions-nous senti le danger ? Aurions-nous eu des solutions ?
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Le Messie - Arnaud Mora
Le Messie
Arnaud Mora
Le Messie
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2021
ISBN : 978-2-312-08055-0
Chapitre I
Je suis convoqué au journal, le message est très clair : rapidement. Cela veut dire le plus vite possible quand on connait Jean Bastier notre rédacteur en chef et je le connais depuis presque dix ans maintenant. Que peut-il bien me vouloir celui-là ? Mon dernier article sur ce fait divers sordide a été publié hier, quelques lignes dans « Le Matin ». Je ne suis abonné qu’aux quelques lignes en page quinze, mais s’il veut me voir rapidement c’est sûrement pour me changer de service ? Finis les procès glauques, ces heures passées au tribunal à courir après un papier, l’attente des verdicts tard le soir et les délibérations interminables. Finis les papiers à rendre avant une heure du matin, toujours dans l’urgence. Je vais pouvoir enfin profiter de quelques soirées de libres. C’est peut-être mon jour de chance, je vais enfin grimper d’un étage au service des enquêtes. Les places sont chères et il va falloir travailler avec ce foutu Pélisson, vieux journaliste grincheux, plein d’autant de bonnes ficelles que d’arrogance et qui a un carnet d’adresses plus long que le Nil. Enfin on verra bien et vu la crise actuelle de la presse écrite, je ne vais pas faire la fine bouche quitte à travailler avec ce roublard.
Café, douche et rasage de circonstance – un rendez-vous avec le chef, autant faire un minimum bonne impression – allez Pierre tu ne vas pas te dégonfler aujourd’hui, c’est peut-être ta chance. Je regarde mon appartement en fumant, ce petit deux-pièces sous les toits à côté du jardin du Luxembourg. J’ai une lucarne dans la chambre qui me donne ses rares rayons de soleil et un coin de ciel bleu les jours de beau temps. Et puis le salon ouvre sur un balcon, enfin les agents immobiliers l’appellent comme ça, de quoi mettre une table et une chaise coincée contre la rambarde, le tout agrémenté d’un unique pot de fleur où pousse péniblement un peu de thym… planté pour la cuisine que je ne fais jamais. C’est pratique et calme, il y a une belle vue sur les arbres du jardin que l’on aperçoit en y mettant du sien c’est-à-dire penché dangereusement au-dessus du vide et la tête tournée à gauche jusqu’à se faire un torticolis et là et seulement là on aperçoit la cime des arbres. Nous l’avions choisi Mathilde et moi pour en faire notre nid comme elle disait mais cela n’a pas duré longtemps. Elle est partie avec l’avocat de la boîte, il avait plus d’avenir que moi et surtout un plus gros portefeuille. J’ai gardé l’appartement et je l’aime bien mon petit chez-moi, c’est devenu mon refuge, là ou j’essaie de terminer mon roman commencé il y a déjà deux ans. Le chat aussi est resté, on n’est pas très copains mais il a ses habitudes et moi les miennes, nous nous croisons sans nous regarder. Il rentre et sort comme il veut et fait sa vie, un colocataire qui ne paie pas sa part de loyer en somme.
Je prends tout ce qui me parait utile à ce rendez-vous, mes notes du dernier procès, on ne sait jamais, stylo, carnet et mon vieux Mac. Et merde il pleut, je cours vers l’entrée du RER B. Bondé comme d’habitude, changement pour le A et direction la Défense. C’est une réflexion que je me fais souvent en allant au travail, cela me rappelle l’école, je pars d’un point B pour aller à un point A mais je n’ai pas encore trouvé la ligne droite.
Paris la Défense, mon deuxième chez moi. Je cours pour traverser le parvis en espérant ne pas arriver complètement trempé. La façade toute en verre de cet immeuble de bureau donne le ton de l’avenir, modernisme et efficacité. Autant se mettre au diapason des jeunes cadres dynamiques employés dans les différents bureaux de la tour, avocats et financiers en costume-cravate et Weston aux pieds. Je prends mon air le plus sérieux avec mes baskets délavés, mon jean élimé et je m’engouffre dans l’ascenseur direction le neuvième étage, le siège du journal Le Matin.
Le hall d’entrée est d’une modernité glaçante, le sol est fait de grandes dalles en béton brut à la mode du moment. La vaste salle d’attente a une vue imprenable sur le parvis et les tours voisines que l’on aperçoit à travers les panneaux vitrés gigantesques. Tout est meublé de canapés design, tables basses assorties et les bornes interactives positionnées ici et là vous fournissent tous les renseignements possibles du numéro de bureau de votre prochain rendez-vous aux petites annonces classées du journal. La salle fourmille de collègues rentrant au journal, de coursiers encore casqués qui se dépêchent de livrer leurs plis urgents. Quelques rendez-vous attendent sagement qu’une hôtesse vienne les chercher, assis en feuilletant des magazines de notre filiale presse du groupe. Au fond de cette vaste pièce trône un grand comptoir en verre dépoli de dix mètres de long avec trois standardistes non pas habillées en uniforme type compagnie aérienne comme on en voit souvent dans les immeubles de bureaux mais dépareillées, seule fantaisie dans ce lieu austère. Derrière elles un grand mur de pierres claires avec sur un immense plexiglass le nom du journal en grosses lettres bleues « Le Matin ».
Je me rapproche de Chloé, celle de droite. Elle est toujours habillée de son jean usé et d’un chemisier à fleurs, chaussures plates sans oublier son sac besace en cuir élimé. Cheveux noirs, pas de bijoux ou de simples boucles d’oreilles fantaisie, c’est un vrai garçon manqué. On se connait bien car on a commencé comme stagiaires ensemble. Elle a son franc-parler et un sacré caractère, ce qui lui vaut ce bel avancement, « responsable accueil ». Il faut au moins une maîtrise en droit pour gérer tout ce flux rentrant et sortant. Sa nouvelle coupe de cheveux lui va bien, plus courte et moins stricte, elle a dû changer de mec, Chloé change de coiffure quand elle change de mec, c’est sa spécialité.
– Salut Chlo’ ça va ce matin ?
– Bonjour Pierre, super et toi ? Rasé ? Tu vas à une cérémonie du conseil de discipline ?
– J’ai rencard avec Jean Bastier ce matin, il m’a appelé et dit rapidement…
– Ouahou, le chef a dit rapidement, tu as fait une connerie sur ton dernier papier ? Ou il était si excellent qu’il te nomme dans un service de presse ?
– Je n’opte pas pour la connerie, j’ai traité mon dernier sujet comme les autres, une simple histoire banale de violence urbaine avec quelques jeunes et la BAC en partie civile pour des coups échangés sur l’interpellation, rien de spécial. On verra bien. Il est déjà arrivé ?
– Ils sont en salle de réunion, la grande, celle des crises, ça n’a pas l’air joyeux. Tu sais ce qui se passe ?
– Aucune idée, on verra bien. On se voit tout à l’heure à la pose ? Café – clopes comme d’habitude ?
– Ça marche, à tout’
Je me dirige vers l’entrée, un coup de badge sur la liseuse de reconnaissance qui passe au vert et la porte s’ouvre automatiquement sur le long couloir de la rédaction. Il y a, de part et d’autre de ce que l’on appelle l’avenue, des grandes salles vitrées avec une dizaine de postes de travail par salle, genre aquarium géant. C’est toujours l’effet que ça me fait quand je passe devant tous les services presse, politique, people ou l’incontournable service des sports. C’est celui que je préfère, il y a une autre ambiance qui semble moins sérieuse mais ce n’est que de l’apparence. Au fond de l’avenue les services administratifs et la direction avec ses salles de réunions, la salle des télex et l’AFP puis le Graal, le bureau du patron. Les vitres sont entrecoupées de murs ornés des unes les plus mémorables du journal et les prix prestigieux décernés aux journalistes-vedettes. Je passe par l’open space du service juridique où se trouve mon petit bureau au fond de la salle. Je jette un coup d’oeil à ma panière, rien de spécial, la liste des parutions du jour au tribunal et quelques renvois d’affaires, rien d’autre. Par acquit de conscience je me branche sur le terminal intranet du journal, sept mails en attente. Des notes de service pour changer les horaires de gardiennage du parking des cadres, les menus de la cantine de la semaine prochaine avec les repas bio et spéciaux, puis un autre sur les consommations électriques des bureaux… Quelques convocations pour des affaires juridiques et comparutions immédiates, cela fait doublon avec les documents de ma panière. Rien sur le sujet à traiter rapidement du chef. Il n’y a qu’un moyen de savoir ce qui est si urgent, je me dirige vers la grande salle de réunion en laissant tout en plan sur mon bureau. C’est mon petit côté foutoir organisé.
J’ai à peine fait dix mètres que j’entends « Salut Pierre ». Jean est là avec une bonne pile de dépêches entre les mains.
– Salut patron, j’ai reçu ton message et suis venu le plus rapidement possible, tu voulais me voir ?
– Oui nous avons un sujet urgent à traiter, tout le monde est déjà en salle de réunion. J’ai constitué une petite équipe pour gagner du temps. Allons-y.
– C’est quoi le sujet patron ?
– Pas dans le couloir, on va débriefer tout de suite.
Je le suis dans les dédales de la zone dédiée aux administratifs, non sans mal, il ne marche pas cet homme, il court. Les couloirs sont plus chaleureux avec des bureaux individuels et des plantes vertes. Ici aussi ils ont mis au mur les plus beaux clichés des unes qui ont fait la renommée du journal et les reproductions des premières parutions datant de plus d’un siècle. On n’est pas un des plus vieux journaux de Paris pour rien. La convocation ne porte pas sur un avancement ou un changement de service semble-t-il, qu’est-ce qui se trame ici ? Le chef ne me donne jamais de boulot en direct, il ne fait que retoucher mes papiers quand il juge le style trop bref ou trop dirigé ou quand il en a le temps et jamais non plus je ne suis invité à ces réunions de crise comme ils disent. Mon service ne traite que les affaires juridiques au tribunal, jamais les scoops, ça c’est pour les cadors de la rédaction.
Jean referme la porte et rentre immédiatement dans le vif du sujet :
– Tu as entendu parler de ce nouveau prêcheur ?
Je reste sans voix, cela ne me dit rien du tout et j’ai l’impression dans le regard de Jean d’être en faute. C’est cette même sensation qu’à la fac quand ton professeur te demande si tu as rendu ton TD alors que tu as à peine bouclé le deuxième paragraphe. Une voix que je connais bien dans mon dos, douce et sèche à la fois mais d’un ton caustique, la phrase est lapidaire :
– Enfin Pierre tu ne regardes jamais la télé ou quoi ? me lance Mathilde comme si j’étais pris en défaut de ne pas vivre dans son vrai monde comme elle dit.
Mathilde mon ex, il ne manquait plus qu’elle décidément ! Elle gère les grands sujets pour l’Europe, plutôt les dossiers économiques. Qu’est-ce qu’elle vient faire dans cette histoire de prédicateur ? Elle a changé de service ou quoi ?
– Non tu le sais bien, depuis notre séparation je ne l’ai pas fait réparer et tu sais, moi la lecture des journaux dis-je d’un ton qui se voulait humoristique… alors dis-moi qui est ce gars.
– Arrêtez tout de suite vous deux, on est pas là pour régler les problèmes de voisinage dit Jean d’un ton moins doux qu’à l’ordinaire et Pierre tu gardes pour toi ton humour ravageur.
Je retiens la leçon, plus de blagues sur la lecture des journaux. J’ai l’impression que l’on ne va pas rigoler ce matin.
La salle de réunion a été refaite à neuf l’année dernière, je me rappelle avoir vu une note de service à ce sujet. La dernière fois que j’ai mis les pieds dans cette pièce c’était pour signer mon contrat après avoir été stagiaire au journal pendant deux ans. Je passais alors de responsable café-photocopies à journaliste stagiaire en charge des affaires juridiques courantes auprès du tribunal, les faits divers.
Installons-nous et on va te faire un briefing rapide dit Jean. Tu connais presque tout le monde, Mathilde c’est bon, Yan est notre correspondant permanent pour l’Amérique, il est de passage à Paris et a couvert le premier rassemblement géant à Orlando. Lucie est la photographe qui l’accompagnait, tu l’as déjà croisée lors de la remise des prix quand elle a été récompensée pour ses clichés en Afrique. A sa gauche Malik du service politique, Stéphane des affaires sociales et pour finir Cécile la spécialiste des affaires culturelles qui gère également les questions de religion.
Que vient faire Mathilde à cette réunion ? Et Stéphane, Christian, pourquoi la politique ou les affaires sociales… mystère.
– Maintenant que les présentations sont faites reprit Jean, parlons un peu de ce qui nous réunit. Il y a un peu plus d’un an dans une mission évangélique du Vénézuela un prêcheur a rassemblé on ne sait comment deux mille personnes. C’était du jamais vu dans cette province reculée de Barinas dans la petite paroisse de Santa Crus de Guacas. La presse locale en avait fait un papier, le service presse étrangère te l’a traduite, tu recevras dans la matinée une note sur ta boite mail à ce sujet. Personne n’y avait prêté beaucoup d’attention à l’époque mais il y a six mois de cela ce prêcheur a remis ça à Atlanta où il a réuni plus de huit mille personnes. On ne sait pas trop comment il fait pour réunir autant de personnes sans pub. Ils ont bien un service de communication qui ressemble plus à un regroupement de jeunes chrétiens qu’à de vrais professionnels mais rien de bien probant. Ils communiquent surtout par les réseaux sociaux et restent très discrets, pas de télé ni chaîne internet, pas de parution média… rien. Et puis il y a eu Orlando il y a deux mois, que Yan a couvert, il était présent pour le meeting du nouveau sénateur républicain quand nous avons appris ce rassemblement. Ç’a été la surprise pour tout le monde, vingt mille personnes, les flics débordés, des embouteillages monstres, aucune structure pour les recevoir. Le sénateur en a fait une jaunisse. Les hôpitaux comme les pompiers ou les services de secours débordés, des dizaines de personnes ont fait des malaises. La presse nationale s’est précipitée et quelques représentants des presses étrangères aussi. Mais Yan va-t’en parler mieux que moi c’est lui qui y était. Yan c’est à toi.
Yan était nerveux et depuis que nous étions rentrés en salle de réunion il n’avait pas arrêté de mâchouiller le bout de son crayon.
– Je n’avais jamais vu ça dit Yan, Lucie était avec moi elle t’enverra cet après-midi les photos. On était à environ cent kilomètres à la louche du rassemblement quand on nous a mis au parfum. C’était organisé dans une sorte de prairie après les faubourgs de la ville, style Woodstock pour grenouilles de bénitier. Heureusement on était en moto car tous les réseaux routiers étaient saturés. Un concert improvisé des Rolling Stones n’aurait pas fait mieux. C’était un foutoir sans nom et je