San Francisco, Ouvre-Moi Ta Porte Dorée !: Mémoires
Par Larry R. Oberg
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À propos de ce livre électronique
Larry R. Oberg
Bibliothécaire émérite à l'Université de Willamette, Salem, Oregon, Larry R. Oberg est l'auteur de nombreux articles scientifiques et des rapports de voyage. Une étude de référence de l'American Library Association, publiée en 2003, recense deux de ses articles dans une liste des 100 publications les plus influentes de l'histoire de la bibliothéconomie. Dans un autre rapport de recherche parrainé par l'ALA et publié en 1998, il a été identifié comme « l'auteur le plus prolifique parmi les bibliothécaires d'université.
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Aperçu du livre
San Francisco, Ouvre-Moi Ta Porte Dorée ! - Larry R. Oberg
Copyright © 2015 par Larry R. Oberg
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Rev. date: 03/17/2015
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Table des matières
Remerciements
Miggie
L’enfant loup
Le Bonsaï
Mes boys de Boise à moi :
San Francisco - Paris
Paris est une fête
San Francisco, ouvre-moi ta porte dorée !
Miss Vantz
Super boum !
Une mort très douce
John, le jeune mormon
Kelly, ou la pulsion de mort
Mes boys de Boise à moi redux
J’ai tué mon chat pour toi
Renoir et moi
Chloé
Remerciements
Ô tout ce que je ne dis pas, ce que je ne dis à personne,
le malheur c’est que cela sonne et cogne obstinément en moi.
— Louis Aragon
T OUS LES MÉMOIRES proviennent d’un monde nébuleux entre l’autobiographie et la fiction. Selon Gore Vidal, « les mémoires témoignent de ce que l’on retient de sa propre vie, alors que l’autobiographie est œuvre d’histoire… ». Des mémoires ne sont jamais pure vérité. Les autres voient souvent les événements sous un éclairage différent. Au fil des ans, le passé s’estompe et, comme dans nos rêves, on ne peut le recréer avec une exactitude infaillible, ce que je n’ai d’ailleurs pas cherché à faire ici. J’avoue d’emblée que j’ai insufflé une touche de fiction à chaque récit de ce recueil. Tout en rapportant une vérité qui fut, ces récits rendent aussi une autre vérité, plus grande peut-être, la vérité de ce qui aurait pu être.
Plusieurs personnes, dont certaines qui figurent dans ces histoires, ont gentiment accepté de lire et commenter le texte au cours de son élaboration. Dès le début, Denis Simard, sans qui elles n’auraient jamais vu le jour, et Dominique Boivin m’ont offert leur soutien et leurs encouragements indéfectibles. Susan Rumsey m’a aimablement guidé à travers les démarches de l’édition. J’aimerais également remercier Gerald Baker, Marvin Bechtel, Réjean Bergeron, Greg Berry, Nathalie de Blois, Martin Castro, Lorry Foster, Michael Godsey, Sonya Kaufman, Mark Mentges, Paul Laperrière, Danielle Laperrière, Seth Randal, Tomas Fernandez Robaina, John Russell, Al Salazar, Alan Verta, Miguel Viciedo Valdez et Bruce Weaver.
Quand j’étais jeune, ma famille a brièvement vécu à Boise, dans l’Idaho. À cette époque, ma mère fît la rencontre d’une femme extraordinaire, Nancy Stringfellow, qui, de jour, tenait une librairie, et de soir, écrivait. J’ai pris la liberté de paraphraser quelques lignes de l’un de ses fabuleux poèmes, Report from Grimes Creek after a Harsh Winter, à la fin de Chloé, l’ultime histoire de ce recueil.
Larry R. Oberg
Québec QC
Miggie
Dans ce triste monde qui est le nôtre,
la douleur vient à tous ; et, pour les jeunes,
il est livré avec amère agonie,
parce qu’elle les prend au dépourvu.
— A. Lincoln
I L AVAIT BEAUCOUP neigé pendant deux jours, et la route que nous avions empruntée vers le sud était maintenant fermée, ce qui nous obligea à faire halte après deux heures de route difficile bien que sans histoire. Terrés dans une petite auberge à quelque 150 kilomètres de la maison, soit à mi-chemin entre notre point de départ et notre point d’arrivée, nous attendions que l’autoroute soit débl ayée.
Au restaurant, je me souviens que mon père avait commandé un steak.
« La viande est toujours plus tendre près de l’os », observa-t-il. Ma mère, encore visiblement ébranlée par la nouvelle qui nous avait amenés à entreprendre ce voyage risqué en plein hiver, commanda une salade et dit : « Si la route n’est pas bientôt dégagée, nous devrons prendre une chambre pour la nuit. »
Je mangeai mon hamburger dans un silence perplexe en me demandant si ma grand-mère était déjà morte. À l’âge de deux ans, j’avais commencé à l’appeler Miggie, un nom d’une inexplicable fantaisie qui lui était resté. Presque toute la famille en était venue à l’appeler ainsi.
Hilde était infirmière et s’occupait de Miggie depuis un certain nombre d’années.
« Elle va bientôt mourir, dit-elle à ma mère au téléphone. Vous devriez venir dès maintenant si vous voulez la voir avant qu’elle ne nous quitte. »
Ma mère avait une aversion intense envers Hilde. D’origine allemande et mariée à un des frères aînés de ma mère, elle correspondait au stéréotype répandu de l’époque. Elle aimait contrôler les événements et les gens.
Ma mère était Française et quelque peu fragile. La guerre faisait encore rage en Europe, et on aurait dit qu’elle en tenait Hilde responsable, du moins en partie.
La tempête semblait avoir diminué quand nous avions quitté la maison, mais le vent et le froid intense étaient incommodants. Peu de gens s’étaient aventurés à sortir. La route était « lisse comme un miroir », remarqua mon père.
Nous nous sommes arrêtés une seule fois afin qu’il puisse mettre des chaînes sur les pneus arrière. Il prit soin de les placer de manière, dit-il, à ne pas avoir à ramper sous la voiture, puis il fit marche arrière. L’opération l’obligea quand même à enlever ses gants pour attacher les crochets des chaînes.
« J’ai les mains gelées, dit-il en reprenant le volant, et les maudits essuie-glaces sont glacés. »
Vers minuit, la tempête s’était complètement calmée. Le service de la voirie décida enfin d’envoyer un chasse-neige pour dégager une voie de circulation. Notre voiture et deux autres qui attendaient aussi ont pu le suivre. Le chasse-neige avançait lentement, et il était frustrant de ne pas savoir à partir de quand on pourrait enfin continuer notre route sans lui.
Environ une heure plus tard, mon père arrêta la voiture. Nous sommes tous les deux sortis dans la nuit glacée pour aller pisser. La tempête était terminée, et le ciel de nuit exhibait un bleu lumineux et intense constellé d’étoiles étincelantes. Je jetai un coup d’œil et pour la première et seule fois de ma vie, je vis le pénis de mon père. Un choc électrique me traversa le corps.
« Regarde ! », s’écria mon père. Une étoile filante d’impressionnante dimension et d’une rare intensité traversa le ciel nocturne en faisant écho, par son déplacement, à nos filets d’urine qui teintaient en jaune la neige blanche.
« Ce devait être un immense météorite, s’exclama-t-il.
— Quelle heure est-il ? », demanda ma mère. Elle baissa la vitre de la voiture, regarda mon père avec intensité et dit à voix basse : « Ma mère est morte ». Elle ne parlait plus que rarement en français. Quand mon père était arrivé de Suède aux États-Unis à 24 ans, il ne parlait qu’un anglais rudimentaire. Son français cependant était passable et c’est cette coïncidence langagière qui les a fait se rencontrer.
« Ne sois pas ridicule, répliqua mon père d’un ton ferme. Des coïncidences comme celle-là arrivent seulement dans les films.
— Elle est morte », répéta ma mère. Mon père vérifia sa montre.
Quand nous sommes arrivés chez mes grands-parents, peut-être une heure plus tard, les frères et sœurs de ma mère ainsi que leurs époux étaient réunis dans la cuisine. Ils buvaient du café et discutaient à voix basse.
« Vous voilà enfin », remarqua l’un d’eux alors que nous entrions.
Miggie était décédée une heure plus tôt à l’hôpital local, et ils se demandaient comment l’annoncer à mon grand-père, qui s’était endormi de fatigue dans sa chambre. Ils décidèrent finalement que ce serait ma mère, la plus jeune des enfants et sa favorite, qui le réveillerait pour lui annoncer la triste nouvelle. Elle entra dans sa chambre et ferma doucement la porte derrière elle.
Dans le salon, j’écoutais la radio à moitié endormi, mais je pouvais malgré tout entendre les cris de douleur étrangement aigus de mon grand-père.
« Quand est-elle morte ? demandai-je à mon père.
— À 2 h 30.
— Est-ce qu’il était ? » Ma voix se brisa.
« Oui, il était exactement 2 h 30 », me répondit-il.
J’ai longuement réfléchi à la notion de coïncidence et aux événements tumultueux de cette étrange nuit imprégnée de beauté et d’horreur, événements qui marquèrent de manière indélébile mes six ans.
L’enfant loup
Combien subtile doit être la langue des Blancs,
quand elle peut faire que le bien ressemble au mal
et le mal au bien.
—Black Hawk (Sauk)
« Oh! Ce ne sont que des enfants. »
L A MÈRE DE BILLY s’était montrée peu compatissante quand la vieille dame avait cogné frénétiquement à sa porte pour demander que Billy et ses amis cessent de la harceler. Il faut que jeunesse se passe, et on ne doit pas prendre trop sérieusement ce que disent ou font les jeunes. Par après, elle nous gronda, Billy, Jim et moi, non pas d’avoir importuné la vieille dame, mais parce qu’elle ne voulait pas que ce genre de personnes rôdent près de la maison, comme elle di sait.
Kamiah était un petit village isolé et miséreux, situé sur les terres tribales des Nez Percés. Plusieurs de ceux-ci y vivaient, mais seulement en périphérie, pas dans le village même. Mon père, qui était ingénieur, travaillait surtout à l’extérieur de l’État dans de gros projets de construction, des barrages, des autoroutes, des aéroports. Ma mère et moi le suivions là où son travail l’emmenait. Mais quand il n’était pas engagé comme ingénieur, il acceptait parfois des postes temporaires moins qualifiés au département des travaux publics de l’Idaho, afin de joindre les deux bouts. C’est un remplacement temporaire qui nous avait conduits quelque trois mois plus tôt dans l’extrémité nord de l’état.
« Sale vieille Indienne ! », s’était écrié Billy alors qu’on approchait de la vieille femme qui marchait lentement vers nous le long de la route. Jim et moi avions seulement répliqué : « Ouais, Billy. »
Mais elle nous apostropha subitement, furieuse, et dit : « Vous êtes de méchants gamins. Pourquoi me traitez-vous de tous les noms ? J’ai deux fils dans l’armée qui se battent pour vous et les vôtres dans le Pacifique. Allez-vous-en et laissez-moi tranquille ! »
C’était la première fois qu’elle tenait tête à nos moqueries, et j’ai été pris de court par l’audace de ses remarques. Je crois que Billy aussi fut surpris, mais il jeta un coup d’œil par-derrière et marmonna : « Vieille chipie. »
Quand je racontai à ma mère ce qui s’était passé, elle se montra préoccupée, mais pas fâchée.
« Je crois qu’il serait préférable que tu ne traînes plus avec cette bande de petits galopins, spécialement Billy. Tu ne devrais pas fréquenter des gens qui maltraitent les autres », dit-elle fermement.
Elle n’en parla plus, puis me montra une nappe en dentelle crochetée à la main, achetée d’une femme qui faisait du porte-à-porte dans l’espoir de la vendre.
« Le travail est excellent, aussi bon que ce qu’on voit en France. La femme en demandait dix dollars, mais je n’avais pas ce montant avec moi alors elle me l’a offert pour cinq. Ça vaut beaucoup plus que ça. Je me suis senti mal à l’aise de lui acheter. Il y a tellement de gens cruellement pauvres par ici.
— Pourquoi l’as-tu achetée, alors ?, demandai-je.
— Elle m’a dit que son mari avait été enrôlé dans l’armée un mois plus tôt, et qu’il les avait laissés sans le sou, elle et leur petit. Elle avait besoin d’argent pour acheter du lait. »
Cela faisait moins d’un an que les Japonais avaient attaqué Pearl