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Les Méandres de l'Amour: Tome 1
Les Méandres de l'Amour: Tome 1
Les Méandres de l'Amour: Tome 1
Livre électronique369 pages5 heures

Les Méandres de l'Amour: Tome 1

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À propos de ce livre électronique

Durant des années, j’ai cru qu’il n’existait qu’une définition de l’amour. Puis j’ai réalisé, au fil du temps, qu’il pouvait y en avoir plusieurs. Le présent recueil de nouvelles n’est donc que le premier d’une série d’œuvres sur l’amour et dont l’écriture s’est - comment dire ? - imposée à moi. Ces textes ne sont pas forcément ceux que j’ai écrits en premier sur le thème. Mais leur sélection répond juste à une logique de catégorisation : parler de l’amour depuis ses débuts jusqu’à sa maturation et/ou à son extrapolation. Rassurez-vous donc, tout le monde sera servi, que ce soit dans ce recueil comme dans ceux à venir…
LangueFrançais
Date de sortie6 nov. 2014
ISBN9782312033372
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    Aperçu du livre

    Les Méandres de l'Amour - Riquelme

    cover.jpg

    Les Méandres de l’Amour

    Riquelme

    Les Méandres de l’Amour

    Tome 1

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-03337-2

    Avant-Propos

    Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je n’ai jamais voulu écrire sur le thème de l’amour…

    Mais j’ai dû m’y résigner, ayant réalisé que même si dans la vie il n’y a pas que l’amour, il y a surtout l’amour.

    Durant des années, j’ai cru qu’il n’existait qu’une définition de l’amour. Puis j’ai réalisé, au fil du temps, qu’il pouvait y en avoir plusieurs. Oui, il existe autant de définitions que d’histoires d’amour. Cela m’a alors fait comprendre que je ne pourrais me contenter d’écrire un seul livre sur le sujet – comme j’avais voulu le faire au départ.

    Le présent recueil de nouvelles n’est donc que le premier d’une série d’œuvres sur l’amour et dont l’écriture s’est – comment dire ? – imposée à moi. Vous le remarquerez, j’ai décidé de ne pas me cacher derrière quelque figure de rhétorique ou quelque arabesque stylistique. Pas parce que j’en ignore les codes, mais simplement parce que je sais le lecteur averti. La notion comme la pratique de l’amour, on l’acquiert par une pléthore de canaux aujourd’hui. Et là-dessus, je n’entends rien apprendre à personne.

    Ce premier tome de Les Méandres de l’Amour compile des histoires entre jeunes. Oui, chers aînés, c’est vrai que si l’on se réfère à la plupart de nos us et coutumes ou même aux saintes écritures, l’amour devrait naître chez l’homme à l’âge adulte, « après le mariage », comme il est souvent dit. Mais la société a évolué depuis… Aujourd’hui, on commence à s’aimer jeunes. Et sans prétendre être le défenseur de cette nouvelle donne, j’ai choisi seulement d’en rendre compte. Ces cinq textes donc pour relater l’amour tel qu’il est vécu aujourd’hui entre les jeunes, notamment dans l’univers estudiantin dont je crois avoir une connaissance assez fidèle.

    Ces textes ne sont pas forcément ceux que j’ai écrits en premier sur le thème. Mais leur sélection répond juste à une logique de catégorisation : parler de l’amour depuis ses débuts jusqu’à sa maturation et/ou à son extrapolation. Rassurez-vous donc, tout le monde sera servi, que ce soit dans ce recueil comme dans ceux à venir…

    Amour interdit

    Avec un rugissement rouillé de moteur, le lourd véhicule s’immobilisa sur la place du village. Mettant ainsi fin à plus de quatorze heures de voyage. Depuis quatre heures du matin en effet, nous avions quitté notre refuge – une localité près de la petite capitale – après y avoir été hébergés durant quatre jours par d’anciennes connaissances de mes parents. Entassés dans une vieille bâchée, nous avions ensuite lutté pendant près d’une heure contre les crampes. Mais cela était peu de chose à côté du prix du transport : pour un trajet coûtant normalement 150 francs, nous avions payé jusqu’à 1000 francs la place. Soit 13 000 francs au total, et sans la moindre remise ! De toute évidence, le transport des déplacés de guerre était devenu le fonds de commerce d’individus pseudo-humanistes, mais en réalité sans scrupule. Arrivés aux environs de cinq heures dans une bourgade environnante, nous avions attendu jusqu’à neuf heures le minicar initialement annoncé pour six heures. Tout le long de la route, les visages étaient demeurés graves. Manifestement, je n’étais pas le seul à craindre que des assaillants ne surgissent devant nous ou même des buissons avoisinant le bitume. Et c’est avec un grand soulagement que nous étions arrivés à midi et des poussières à la cité de la paix, en « zone de confiance »{1}. Là, nous avions fait escale pour reprendre des forces. Puis le frère de notre ex-voisin, venu spécialement de la grande capitale, avait récupéré sa famille tandis que nous empruntions un véhicule pour notre chef-lieu. Arrivés à destination, nouvelle attente interminable ! Enfin, le taxi-brousse nous avait embarqués. Près de quatre heures à avancer aussi rapidement qu’à pied sur une piste qui aurait découragé même un char d’assaut. Si bien qu’à plusieurs reprises, j’avais cru que nous allions nous renverser, tellement le vieux véhicule tanguait dangereusement d’un côté à l’autre, au milieu des cris épouvantés des passagers. Mais, visiblement habitué à ce parcours infernal, le conducteur avait constamment gardé la tête froide, même face aux ornières les plus béantes. Et grâce à Dieu, nous avions fini par arriver à destination. Après avoir tout de même déboursé plus de 100 000 francs rien qu’en frais de transport. Mais sortir indemne du foyer de la guerre avait-il vraiment un prix ?

    Je me tins quelques secondes sur le marchepied avant de sauter à terre. Le voyage m’avait tellement démoli que j’avais l’impression d’avoir une charge sur le dos. En plus, j’avais mal à la tête et je ne pensais plus qu’à une chose : dormir. Pendant que nous marchions, je regardais tout autour de moi. Ainsi donc, j’étais dans mon village… Ce village que mon père n’avait jamais voulu nous laisser découvrir, sous prétexte qu’il s’y trouvait de mauvaises gens qui s’attaqueraient – mystiquement – à nous. Comme s’il existait un seul endroit sur cette terre où le diable n’était pas présent ou à tout le moins représenté…

    Des badauds tout enthousiastes s’étaient portés volontaires pour transporter nos maigres bagages. Et à quelques dizaines de mètres d’une grande habitation, un « comité d’accueil » était déjà en place. Les plus jeunes coururent tout de suite à notre rencontre tandis que les vieux avançaient lentement, les bras tendus vers l’avant comme pour nous attirer de loin. Les premiers se jetèrent contre nous pour nous embrasser avant de récupérer nos affaires. À leur tour, les vieux nous étreignirent en nous inondant de bénédictions. Je manquai de recracher mes poumons à force de tapes dans le dos. C’était incroyable, l’énergie qui se dégageait de ces mains apparemment meurtries par le poids des années !

    Attirés par les cris d’allégresse, les habitants des concessions alentour avaient accouru. Vieux comme jeunes tenaient à savoir qui venait d’échapper aux assaillants. La chaleur avait du coup grimpé sous la véranda. Certains, assis sur la balustrade et d’autres, à même le carrelage ne se lassaient de nous parcourir du regard en vantant sans réserve les bienfaits de la guerre, dans la mesure où elle leur permettait de rencontrer enfin des enfants du village qui n’y avaient jamais mis les pieds de toute leur vie. Je pus reconnaître quelques rares visages que j’avais vus souvent à la maison. Mais pour la quasi-totalité, les visiteurs m’étaient absolument inconnus.

    Après le tumulte habituel des grands rassemblements, on nous demanda les nouvelles. Mon père commença alors la narration de notre calvaire, non sans exagérer habilement certains passages, provoquant dans l’assemblée moult cris de surprise. Ensuite, un groupe de jeunes ayant surgi de nulle part, apporta une bonne demi-douzaine de bouteilles contenant visiblement de la boisson forte. Aussitôt, les femmes et les enfants se retirèrent, nous laissant entre hommes. On me servit un verre de gin aussi sombre que de la bile de caïman et dont la seule odeur renseignait sur les propriétés inflammatoires. Courageusement, je le portai à mes lèvres puis, yeux fermés, je l’engloutis d’un seul trait. L’instant d’après, j’eus l’impression qu’un volcan avait élu domicile dans ma gorge. Le gin aurait étendu un stégosaure adulte. Je faillis même en perdre le souffle avant d’être pris d’une quinte de toux face aux rires édentés des vieillards.

    – Ce n’est qu’un gosse encore, se disaient-ils en riant.

    J’en bouillonnais de frustration. Si pour eux les adultes même étaient tous capables de supporter un tel purgatif… Sur ces entrefaites, mon oncle et mon grand frère (Ce dernier, n’ayant pas fait de longues études, avait préféré s’installer au village pour s’adonner à la culture des produits d’exportation.), qui rentraient des champs, accoururent en voyant l’attroupement sur la terrasse. Nouvelles étreintes parfumées à la sueur locale ! Ils étaient tous les deux plus qu’heureux de nous revoir.

    Après le départ des visiteurs, nous nous attablâmes. Chaque parent proche ou éloigné, chaque famille des alentours avait tenu à nous apporter un plat pour nous souhaiter la bienvenue. (Les bons côtés du village !)

    – Vous ne pouviez pas mieux tomber, déclara mon grand frère. On nous a installé l’électricité il y a tout juste un mois.

    Malgré cette prouesse, nous mangions quand même à la lueur d’une lampe-tempête, l’électricité n’éclairant que les rues du village.

    Après le dîner, je pris une douche qui ne changea pas vraiment grand-chose à mon état.

    – Allez vous reposer maintenant. Demain, on vous fera visiter le village.

    * *

    *

    La place publique grouillait de monde. Des vendeurs locaux et d’autres, venus des villages voisins et même de la ville, étalaient des articles divers, principalement des produits alimentaires et des vêtements. Parmi les tables, l’avancée était assez difficile, tellement la foule était immense. Après avoir encaissé bien des bousculades, nous allâmes nous abriter du soleil à l’ombre d’un gros manguier.

    – Tu as vu comment c’est intéressant ici, le jour du marché ? vanta mon grand frère, tout enthousiaste.

    – Ouais, c’est vraiment bien, répondis-je en me demandant quel commentaire il aurait fait en visitant le marché de gros de la petite capitale.

    Je m’apprêtais à lui suggérer de rentrer lorsque mon regard tomba par hasard sur ce qui me parut être un mirage. Mais le léger balancement de la main et le mouvement des lèvres m’indiquèrent qu’il s’agissait d’une vraie personne. Elle était tout simplement magnifique ! Et même la distance entre nous ne m’empêchait pas de frissonner face à cette splendeur aussi déplacée dans ce village qu’un parterre d’orchidées en plein désert.

    – Je vais voir quelque chose dans le marché.

    – D’accord, je t’attends ici.

    En réalité, je brûlais d’envie d’admirer la jeune fille de plus près. Livré aux rayons ardents du soleil, je marchais lentement en sa direction, prenant le temps de savourer l’approche de ma fabuleuse découverte. De grosses gouttes de sueur, plus dues à mon ébullition interne qu’à la chaleur ambiante, me perlaient le front. Arrivé à environ dix mètres d’elle, je ralentis encore mon pas pour pouvoir l’admirer plus longtemps. Et, juste au moment où j’arrivais à sa hauteur, ses lèvres se retroussèrent en un beau sourire. Mais, vu qu’elle ne me regardait pas, je compris que son sourire ne m’était pas destiné. Elle paraissait vraiment irréelle, à la voir de plus près. Ses yeux argentés étaient à équidistance d’un nez fin en dessous duquel se dessinait une bouche comme on n’en trouve que dans les telenovelas{2}. Tous ces organes étaient repartis sur un ovale délicat couronné de cheveux longs et impeccablement peignés. Son teint à la coloration café n’avait manifestement subi la moindre érosion depuis sa naissance, et sa robe épousait parfaitement sa silhouette aussi gracieuse que celle d’un top model. Elle aurait vraiment été parfaite pour faire la une d’un magazine people. Je me demandais bien ce qu’elle faisait au village, car elle n’avait pas du tout l’apparence des autres villageoises. Alors, était-elle également une déplacée de guerre ou plutôt une citadine en séjour au village ?

    Tout à coup, son regard se porta sur moi, s’attardant un peu sur ma mine avec un air inquisiteur. Dans ce village où tout le monde semblait se connaître, elle se demandait sans doute si je n’étais pas nouveau dans le coin. Elle était toujours en train de m’observer lorsque sa compagne l’entraîna vers la foule. Mais, à ma grande stupéfaction, elle se retourna une seconde pour m’adresser un sourire qui lui découvrit des dents d’un blanc introuvable dans la nature. Hypnotisé sur le moment, je ne la vis même pas disparaître dans la marée humaine.

    De retour à la maison, j’avais toujours à l’esprit son image et surtout le beau sourire qu’elle m’avait adressé avant de s’éclipser. Je me sentais comme une hirondelle foudroyée en plein vol par le coup de foudre. Cette fille m’avait vraiment ébloui et ce qu’elle m’inspirait transcendait déjà ma raison. Mais je sentais que cela n’allait pas être facile de la conquérir dans ce village où la liste de ses soupirants devait être déjà bien longue.

    * *

    *

    Les joueurs sur le terrain semblaient insensibles à la torride chaleur, tellement ils se surpassaient. Je n’aurais jamais cru que des amateurs eussent pu produire un jeu aussi spectaculaire. Ce qui m’avait d’ailleurs le plus frappé, c’était toute l’organisation autour du ballon rond. D’après ce qu’on m’avait raconté, chaque année, les jeunes gens se constituaient en plusieurs groupes. Certains s’attelaient à tondre – c’est beaucoup dire ! – le gazon – c’est également beaucoup dire ! – tandis que d’autres délimitaient l’aire de jeu et que d’autres encore réparaient les filets. Un autre groupe s’occupait, dans le même temps, de construire des bancs de touche. Les dirigeants des différentes équipes, eux, étaient chargés de fournir tous leurs équipements aux joueurs. Quant aux vétérans dont la passion pour le sport roi était demeurée inaltérée, ils faisaient office de sponsors ; le parrain – généralement désigné parmi les cadres de la région – se chargeant, lui, d’offrir les ballons, les drapeaux de touche, les trophées… et surtout, de préparer les enveloppes pour les différents finalistes. En un mot, c’était du football moderne qui se pratiquait au village.

    « Buuuuuuuuuuut ! », fit l’imposante voix du commentateur, accompagnée par les grésillements du microphone. La foule était en liesse, et un nombre indéfini de spectateurs envahit en un rien de temps la pelouse ; chacun voulait toucher le buteur. (Le public, lui, était plutôt resté villageois.) Il fallut près de dix minutes pour évacuer tous les supporters du terrain et permettre au jeu de reprendre. Mon grand frère qui avait participé à la célébration du but revint en boitillant. Le prix à payer pour toucher le buteur… Alerté par un bruit sur ma gauche, je vis un jeune homme approcher à vive allure avec une longue chicotte qu’il frappait par terre pour éloigner les spectateurs trop proches de la ligne de touche. Je m’empressai aussitôt de reculer pour échapper à un lynchage gratuit. Mais dans mon mouvement, je heurtai quelqu’un qui me le fit savoir par un petit cri. Et comme je me retournais pour m’excuser, qui vis-je ? La splendide jeune fille ! La même que j’avais aperçue au marché… Je demeurai quelques secondes bouche bée avant de lui présenter mes excuses. Elle me fit comprendre que ce n’était rien de bien grave et comme elle s’apprêtait à s’en aller, mon grand frère l’interpella.

    – Alors, mademoiselle, comme ça on ne salue plus ses aînés ?

    Avec toute la grâce reconnue à une fée, elle se retourna.

    – C’est que je ne t’avais pas vu, s’excusa-t-elle avec un léger sourire.

    – C’est bon. Attends que je te présente.

    Cela ne pouvait pas mieux tomber.

    – Frérot, je te présente Noëlle, l’une des plus belles filles du coin.

    Sans même avoir encore vu toutes les autres, je la classais déjà en tête.

    Il me présenta ensuite.

    – C’est mon petit frère, arrivé seulement avant-hier de la petite capitale.

    – Je l’aurais deviné. Il n’a pas du tout la tête des autres jeunes du village.

    Flatterie ou simple constat ? Dans tous les cas, cela m’allait droit au cœur. Elle me tendit la main que je m’empressai de serrer à l’instar d’un mendiant à qui l’on tend un billet de banque. Et si cela n’avait pu dépendre que de moi, la poignée de main aurait duré jusqu’à la fin du match, du moment qu’elle me donnait l’occasion de toucher une partie de son corps de déesse. Mais, ayant commencé à sentir sa main s’agiter quelque peu dans la mienne, je la relâchai tout doucement, le regard rivé au sien.

    – Bien, je vais retrouver mes copines de l’autre côté. Au plaisir, ajouta-t-elle à mon endroit avec un sourire à désarmer un milicien.

    – Assurément !

    Je ne pus m’empêcher de la regarder partir. De dos, elle était encore plus attirante avec son postérieur moulé dans le pagne qu’elle avait ceint autour des reins. Pendant notre poignée de main, j’avais pu entrevoir sa belle poitrine à travers le corsage décolleté qu’elle avait osé mettre pour la circonstance. Comme si elle ne se savait déjà irrésistible… Elle ondula avec langueur avant de disparaître derrière les nombreux spectateurs. Du coup, le match, en dépit de sa qualité, ne m’intéressait plus. Je n’avais plus dans les yeux que l’image de Noëlle. Son sourire poursuivait toutes mes pensées et je l’imaginais déjà tout contre moi dans une obscurité complice.

    Le brusque déplacement de la foule me fit réaliser que l’arbitre venait de donner le coup de sifflet final. Sur le chemin du retour, je tentai de repérer dans l’opacité de la foule celle qui était désormais ma cible. Mais en vain…

    * *

    *

    La nuit était très froide. Enroulé dans le drap, je me tournais et me retournais sans cesse, luttant contre le sommeil pour rester plongé dans mes fantasmes. J’imaginais que Noëlle était étendue tout juste à côté de moi et que je lui parcourais le corps tout entier de fines caresses. Jamais aucune fille ne m’avait autant fasciné. On racontait que chacun avait une moitié qu’il rencontrait tôt ou tard sur cette terre. Se pouvait-il alors que Noëlle fût la mienne ? Il fallait évidemment attendre pour savoir. Mais en même temps j’étais impatient. Oui, j’avais hâte que les choses soient claires entre nous. Il fallait que je me lance assez vite dans la bataille, car je me doutais bien que je n’étais pas le seul à qui elle faisait perdre la tête. Aussi décidai-je de me rendre, dès le lendemain, chez elle pour lui faire savoir ce que j’éprouvais pour elle. Que ce fût précipité ou non…

    * *

    *

    La maison de ma famille paternelle était à pratiquement un jet de pierre de celle de ma famille maternelle. Accompagné de mes deux petits frères, nous nous y rendions, car on commençait à un peu trop réclamer notre visite, côté paternel. Le plus difficile pour moi depuis notre arrivée était la salutation dans le dialecte local. Pour quelqu’un qui mettait les pieds dans son village pour la première fois et qui, en ville, parlait sa langue maternelle aussi fréquemment que le japonais, comprenez le dilemme. J’avais donc pris le soin de noter les différentes manières de saluer (Dieu sait combien elles sont variées selon les moments et les circonstances.) sur un bout de papier qui ne me quittait jamais. Espérant qu’avec l’habitude, je n’en aurais plus besoin pour me faire comprendre des villageois.

    À proximité de l’habitation, je sortis la feuille sur laquelle nous nous penchâmes tous les trois. La maison n’ayant point de clôture, on nous apercevait depuis la cour. Et alors se mirent à fuser des éclats de rire devant ce fait sans doute insolite pour eux. Cela était peut-être risible, mais nous n’avions guère le choix. Une fois la leçon retenue, nous entrâmes et la débitâmes à la lettre. Mais, pour toute réponse, ce furent de nouveaux éclats de fou rire. Qu’est-ce qui clochait encore ? Cette leçon m’avait quand même été dictée par mon grand frère – un spécialiste en la matière. Toujours sous leurs rires, je ressortis le bout de papier pour vérifier que nous n’avions commis quelque erreur. Mais non, nous n’avions fait que réciter ce qui était écrit. Ce devait sans doute être l’accent qui faisait défaut. Tant pis ! Au moins avaient-ils pu comprendre ce que nous avions voulu dire.

    On nous apporta de l’eau et pendant que je buvais, j’aperçus soudain, dans la cour voisine… la belle Noëlle ! Je manquai tout juste d’avaler l’eau de travers et ôtai précipitamment le gobelet de mes lèvres. De toute façon, je n’avais plus soif. Enfin, plus soif d’eau… Mais, de cette jeune fille, je sentais que ma soif allait être difficile à étancher. Ainsi donc, elle habitait tout juste à côté de chez mon père. Je sentais que mes habitudes allaient être bientôt inversées : c’est plutôt du côté maternel qu’on allait me réclamer, car je passerais désormais tout mon temps chez mon père pour être plus près de ma cible. Je ne pouvais la quitter des yeux pendant qu’elle effectuait des allers et retours de la cuisine à la barrique d’eau calée contre le mur. Au bout d’un moment, elle entra dans la maison pour en ressortir plus tentante que jamais. Ses longs cheveux grossièrement rassemblés en une espèce de chignon la rendaient beaucoup plus sensuelle. La petite serviette rose qu’elle avait, en plus, ceinte sur la poitrine et s’arrêtant à mi-cuisse dévoilait des jambes qu’on devinait aussi lisses que de l’argile verte mouillée. J’avais envie de m’approcher d’elle rien que pour admirer son sourire et voir de plus près son corps modestement camouflé par la serviette. Mais, à ce même moment, je sentis une légère tape à l’épaule.

    – À quoi donc penses-tu, fiston ? Ça fait un bon moment que je te parle.

    – Excuse-moi, papa. C’est que j’ai si mal au cœur en repensant à cette sale guerre.

    – Je comprends. Mais essaie d’y penser moins souvent, tu veux ?

    Comme si j’avais réellement le temps de désapprouver la guerre… D’ailleurs, aussi paradoxal que cela eût pu paraître, je m’en réjouissais à présent, car sans cette guerre, je n’aurais pas été au village et partant, je n’aurais sans doute jamais rencontré Noëlle.

    – Pendant que j’y pense, vous n’avez pas encore salué votre grand-père depuis notre arrivée ! déclara tout d’un coup mon père.

    – Lequel ? demanda mon frère cadet. Ils sont décédés tous les deux, non ?

    – Oui, vos grands-pères directs sont décédés. Mais on va voir le petit frère de votre grand-père maternel. Il est donc également votre grand-père. Et comme lui, vous en avez beaucoup d’autres dans le village.

    Si c’était une manière de nous consoler…

    – Allez, venez. On va lui dire bonjour, invita-t-il en se levant.

    Nous l’imitâmes aussitôt. Mais, au bout de quelques mètres, je me rendis compte avec étonnement que nous nous rendions dans l’habitation où je venais d’apercevoir Noëlle. Celle-ci sortait justement de la salle de bains – si on peut l’appeler ainsi – au moment où nous arrivions. En nous apercevant, elle s’empressa de filer dans la maison, visiblement intimidée. La mère de famille nous donna à asseoir avant d’aller appeler son époux. Celui-ci ne mit pas longtemps à apparaître, un sourire hospitalier aux lèvres.

    – Venez m’embrasser, mes enfants !

    Nous nous exécutâmes. Le plus petit de mes frères disparut quasiment dans l’ampleur de son pagne traditionnel. Ravi, il s’assit et, les salutations faites, mon père nous présenta par ordre d’aînesse. Il s’ensuivit une longue causerie dans la langue locale entre les deux hommes. Pendant ce temps, j’avais le regard braqué sur la porte, guettant la sortie de Noëlle. Mais celle-ci préférait sans doute attendre notre départ pour réapparaître, car après de longues minutes, elle était toujours à l’intérieur. C’est juste au moment où nous prenions congé qu’elle sortit enfin de la maison. Belle comme une fleur qui venait d’éclore… Comme elle tentait de filer discrètement dans la cuisine, le vieil homme l’interpella. Elle rebroussa aussitôt chemin, le regard à ras de terre.

    – Voici Noëlle, ma première fille ! présenta-t-il en la tenant par la taille. Tu te souviens d’elle, non ?

    – Bien sûr. Je l’ai pratiquement vue naître. C’est une vraie femme à présent. Ce que les années passent vite… Comment ça va, ma fille ?

    – Bien, tonton.

    – Voici tes neveux, lui dit mon père avant de nous présenter un à un.

    Elle me tendit la main que je serrai timidement comme si nous ne nous étions déjà rencontrés. Je remarquai à son regard qu’elle était un peu gênée. Moi, j’étais complètement abattu. Oui, j’étais affligé par le fait que cette fille qui me fascinait tant ne fût personne d’autre que… ma tante. J’étais tombé éperdument amoureux de ma propre tante. Comment était-ce possible ? Damné, damné… damné lien familial !

    – Mais puisque vous avez pratiquement le même âge, vous pouvez vous considérer comme cousins, proposa le grand père.

    De toute façon, cet euphémisme venait à point nommé, car je n’étais pas près de la considérer comme ma tante.

    Nous prîmes congé, au moment où ma tête se transformait en une véritable bouilloire d’idées contradictoires.

    * *

    *

    Accoudé à la balustrade de la petite terrasse, j’espérais trouver une distraction en regardant les garçonnets taper gaiement dans le ballon. Mais force était de constater que mon affliction ne s’amenuisait le moindrement. J’avais mal, très mal au cœur, car je n’aurais jamais imaginé que Noëlle eût pu appartenir même à ma famille, a fortiori être ma tante. Décidément, mon grand frère avait eu raison de nous prévenir que pour reconnaître nos cousines, il fallait chercher parmi les plus belles filles du village. Mais, par l’ironie du sort, plus qu’une cousine, Noëlle était ma tante… Je me demandais quel commentaire en ferait mon ami Armand – un autre transfuge de la petite capitale que j’avais rencontré au terrain de foot ; lui qui se plaignait de ce que la fille dont il s’était amouraché fût sa cousine directe. Et comme nous, il y avait certainement de nombreux autres jeunes citadins piégés par les lois coutumières…

    – Salut, mec !

    Perdu dans mes pensées, je n’avais même pas vu arriver mon ami.

    – À quoi penses-tu donc ? Tu as le regard si lointain.

    – Je pense aux caprices du destin… Tu te souviens de cette fille que je t’ai présentée hier ?

    – Comment l’oublier ? C’est la plus belle de toutes celles que j’ai rencontrées depuis mon arrivée.

    – Eh bien, figures-toi que nous sommes parents.

    – Sans blague ! C’est ta cousine ?

    – Pire… C’est ma tante.

    Il en resta muet d’étonnement.

    – Comment est-ce possible ?

    – C’est la fille de mon grand-père. Du petit frère de mon défunt grand-père, si tu veux.

    – Je préfère encore mon cas.

    – Ça, tu peux le dire.

    Je regardai à nouveau les garçonnets courir gaiement après la balle. Eux au moins ne connaissaient pas encore les problèmes de cœur.

    – Que vas-tu faire maintenant ?

    – Si je le savais… Abandonner, c’est me condamner à vivre dans l’amertume pendant tout mon séjour ici. Continuer, c’est lutter contre les règles de ce village et même contre ma famille. Alors, je suis pris entre deux feux aussi ravageurs l’un que l’autre.

    – J’imagine combien cela peut être inconfortable comme situation. Mais si cette fille n’est pas faite pour toi, tu en rencontreras certainement une autre…

    – Je ne crois pas. T’as pas idée de ce que je ressens pour elle. J’en suis fou à lier. Mais pourrai-je affronter les nombreuses embûches qui se dressent sur mon chemin ?

    – Tu ne dois pas désespérer. Tu sais, j’ai expliqué mon cas à mon petit oncle. Et il m’a dit que dans ce genre de situation, il suffit d’offrir un bœuf aux parents de la fille et le tour est joué. Alors, peut-être que pour toi on demandera deux bœufs, vu la délicatesse de la situation, ajouta-t-il en riant.

    Je me contentai de le regarder vaguement en me disant que pour Noëlle, j’aurais donné même tout un troupeau de bœufs si les ancêtres tenaient tant que cela à manger de la viande. Mais ma seule volonté ne suffisait, hélas ! pas. À vrai dire, je ne cherchais plus un remède à ma situation, la sachant d’avance vouée à l’échec. Je me demandais plutôt si j’arriverais à me sortir cette fille de la tête, car c’était par trop immoral de lui courir après. Cependant, le cœur de l’homme étant, selon les saintes écritures, son premier ennemi, le mien se laisserait-il convaincre par ma conscience ? Sentiments contre raison, qui allait gagner ? Je pariais

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