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LES AVENTURIERS DU DIMANCHE
LES AVENTURIERS DU DIMANCHE
LES AVENTURIERS DU DIMANCHE
Livre électronique306 pages4 heures

LES AVENTURIERS DU DIMANCHE

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À propos de ce livre électronique

Jeune mère de famille perfectionniste, Maïté jongle tant bien que mal avec ses nombreuses responsabilités. Dans son quotidien composé d’obligations, il n’y a aucune place pour la détente ni la spontanéité.  

Juin 2008, un courriel de sa mère lui offre l’opportunité de livrer un véhicule récréatif désuet, une Volkswagen Westfalia 1974, sur la côte ouest du Canada. Pour Maïté, c’est l’occasion rêvée de passer du temps de qualité en famille avec ses trois jeunes enfants.  

Dans cette traversée improbable de l’Amérique du Nord, les pannes se succèdent et le courage de Maïté et de son conjoint, Julien, est mis à rude épreuve.  

Pour réussir à livrer le véhicule récréatif, Maïté devra traverser des kilomètres de forêt boréale, mais aussi plus d’une chaîne de montagnes et de nombreuses frontières. 

Prendre le risque de s’abandonner à l’aventure, c’est prendre le risque de découvrir ses vraies couleurs.  
LangueFrançais
Date de sortie29 nov. 2023
ISBN9782897758738
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    Aperçu du livre

    LES AVENTURIERS DU DIMANCHE - Sandra Gignac

    Les aventuriers

    du dimanche

    Roman

    Sandra Gignac

    Conception de la page couverture : © Les Éditions de l’Apothéose

    Sauf à des fins de citation, toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur ou de l’éditeur.

    Distributeur : Distribulivre  

    www.distribulivre.com  

    Tél. : 1-450-887-2182

    Télécopieur : 1-450-915-2224

    © Les Éditions de l’Apothéose

    Lanoraie (Québec)  J0K 1E0

    Canada

    apotheose@bell.net

    www.leseditionsdelapotheose.com

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives Canada, 2023

    ISBN EPUB : 978-2-89775-873-8

    Imprimé au Canada

    À Samuel, Jonathan et Olivier,

    L’horizon s’ouvre devant vous et il est plein de promesses.

    Ils ne savaient pas que c’était impossible,

    alors ils l’ont fait.

    Mark Twain 

    Une fois de plus, nos valises cabossées s’empilaient

    sur le trottoir on avait du chemin devant nous.

    Mais qu’importe : la route, c’est la vie.

    Sur la route, Jack Kerouac

    Un vendredi beige

    mur-à-mur

    Mon réveille-matin indique 5 h 51. Le soleil est levé depuis déjà une heure. Aussi bien dire que j’ai fait la grasse matinée ce matin. Je me retourne pour enlacer Julien, mon amoureux des sept dernières années, et me retrouve nez à nez avec deux petits pieds qui pointent vers le plafond. Je renonce à les déplacer lorsque je constate qu’à leur côté deux autres petits pieds sont entremêlés aux couvertures. Nos jumeaux, Milo et Mattéo, se sont encore levés, au milieu de la nuit, pour venir nous rejoindre dans notre lit. Une habitude mignonne à l’occasion, mais qui à force de récurrence finit par avoir raison de ma légendaire parentalité positive.

    Je soupire, tentant de m’accrocher désespérément à la dernière image d’un rêve exotique à souhait, où palmiers et plage de sable fin s’entremêlent. Hélas, mon rêve s’évanouit. Il ne sert à rien de retourner les jumeaux dans leur lit, je suis à présent bien réveillée. Adieu sommeil réparateur et bonjour boîte à lunch, collation, sac à dos et petit déjeuner avalé en vitesse.

    Il me semble que le temps s’est accéléré et qu’il file plus vite que d’habitude. Où est-ce que les vêtements de sport de Rowan ont été rangés hier soir ? Ah oui ! Dans le panier de linge sale. Tant pis, il ne pourra pas porter son chandail préféré pour sa dernière journée d’école. Je n’ai plus le temps de faire une brassée.

    Je n’ai pas le temps, non plus, de vérifier mes courriels avant de quitter la maison. La lenteur de la connexion internet me convainc de renoncer. Comme beaucoup d’autres choses aujourd’hui, mes messages devront attendre et une fois au travail, je ne consulte jamais mon courrier, c’est contre mes principes.

    Comme c’est au tour de Julien de déposer les enfants à l’école, je suis la dernière à quitter la maison, en catastrophe, tasse de café et souliers à la main.

    Pourquoi sitôt la saison des tempêtes de neige terminée survient celle des pluies diluviennes printanières, suivies de près par celle des travaux routiers ? De toute évidence, il s’agit d’un complot de la météo en conjonction avec l’équipe de la voirie. Deux entités qui travaillent main dans la main pour que personne ne se présente à l’heure au travail. Je regarde une fois de plus ma montre. Je suis bel et bien en retard. Je déteste être en retard au travail. Je ressens un léger mal de cœur. Serait-ce symptomatique d’une affection médicale particulière ? Une écœurantite aiguë envers mon responsable de département peut-être ? Mes mains sont moites. Je déteste être en retard et je déteste faire face à mon responsable de département lorsqu’il est en beau joual vert.

    J’ouvre la radio pour chasser de mes pensées la journée qui m’attend.

    — Bon vendredi à ceux qui viennent de se joindre à nous. En ce début de vacances estivales, parlons un peu météo. Je regrette de vous annoncer de mauvaises nouvelles ce matin. Selon le centre météorologique, le Québec connaîtra un été glacial et anormalement pluvieux.

    Je tends prestement le bras vers la radio pour faire taire l’animateur. Il est encore trop tôt pour les mauvaises nouvelles.

    Haut dans le ciel, parmi les cumulus, des avions survolent la file interminable de conducteurs automobiles. Je me demande si, en cette fin de juin, le tarmac de l’aéroport est victime de son succès à l’instar des routes prises d’assaut par un premier contingent de vacanciers. Malgré la circulation lourde de ce vendredi matin, pour rien au monde je ne voudrais être suspendue dans le ciel en ce moment. Les destinations de voyage lointaines sont malheureusement hors de portée pour moi.

    Sur la bretelle à ma droite, un motorisé de la taille d’un autobus tente de se frayer un passage sur l’autoroute. Je le laisse se faufiler devant moi. C’est ça ou risquer de faire emboutir ma voiture, ce qui transformerait, à coup sûr, mon retard en absence. Le conducteur, vêtu d’une chemise de style hawaïenne, me témoigne sa gratitude d’un geste de la main.

    À l’approche du bureau, je redouble de prudence et roule à pas de tortue parmi les panneaux routiers et les tuyaux de béton armé effectuant un petit détour au passage. Au point où j’en suis, est-ce pécher par excès de prudence de vouloir éviter à ma voiture les routes défoncées ? Bien sûr que non. Si quelqu’un se plaint au bureau, ma voiture, elle, me remerciera dans dix ans. Mieux vaut prévenir que guérir.

    ***

    L’ascenseur met une éternité à arriver alors je monte les escaliers au pas de course. J’entends des voix qui s’élèvent dans le corridor, à coup sûr mon chef de département qui me cherche. J’arrive enfin devant son bureau, à bout de souffle.

    En sa présence depuis à peine cinq minutes, il me vient une envie : rebrousser chemin et m’enfuir à toutes jambes. Sans se rendre compte de l’ennui que j’éprouve, Jacques continue de pérorer sur l’importance du soutien au sein de notre équipe de travail. Bla, bla, bla…

    Dès l’instant où l’on m’a annoncé que je travaillerais sous sa supervision, j’ai été prise d’un doute. Lorsque ma main est entrée en contact avec sa paume moite pour la première fois, j’ai tout de suite saisi le type. Un chef de département faussement jovial qui semble toujours débordé, mais qui ne fait que courir d’un secteur à l’autre sans jamais rien accomplir. Tout le travail est réalisé par la pléthore de subalternes qui s’activent sous ses instructions incompréhensibles. Sous sa direction, la performance du département de design d’intérieur dégringole chaque trimestre et se trouve immanquablement en queue de peloton au sein de l’organisation. Combien de fois ai-je dû le tirer d’affaire à la dernière minute pour boucler un projet ?

    Pour la troisième fois cette semaine, je suis réquisitionnée pour du temps supplémentaire. Je réprime ma frustration et concentre mon regard sur le dossier de chaise de Jacques. Si seulement une trappe pouvait s’ouvrir sous son fauteuil ergonomique hors de prix et l’engloutir à tout jamais.

    — J’ai absolument besoin que la maquette pour le groupe Maple Plus soit terminée au plus tard à minuit ce soir. C’est imparable !

    — Vous voulez plutôt dire « improbable ». Je dois aussi terminer la maquette pour la compagnie de jeux vidéo. 

    — Non, c’est imparable. Tu comprends Maïté, ça doit être fait.

    — Impératif ?

    — Peu importe. Je le répète, ça doit être terminé pour ce soir.

    — Mais…

    — Maïté, depuis combien d’années es-tu avec nous ?

    Trop, pensais-je, le regard baissé vers la moquette, préférant ne pas répondre.

    — Tu comprends mieux que quiconque l’importance de ton implication dans notre grande entreprise.

    — Jacques, le contrat du groupe Maple Plus est resté sur une tablette pendant des mois avant que Jade l’aperçoive par inadvertance et découvre la date de remise imminente.

    — Maïté, tu mettrais en cause mon sens des priorités ? Mon manque de leadership ? Tu sais que c’est moi qui t’ai fait venir du troisième étage. Avant, tu devais te contenter de colorier des pamphlets et des publicités insignifiantes.

    — Des dépliants.

    — Quoi ?

    — Je « coloriais » des dépliants. Pamphlet est un anglicisme.

    — Hum ! Peu importe. J’ai besoin de la maquette du groupe Maple Plus terminée ce soir à minuit au plus tard.

    — Jacques, ce soir ce n’est pas possible, bégayais-je, c’est vendredi et le début de mes vacances. J’ai un souper de prévu et des invités qui vont m’attendre à la maison. Je pourrais rester sans faute lundi, dès mon retour de vacances. 

    — Maïté, tu as un travail à terminer pour lequel tu es payée. J’ai besoin que tu sois assise à ta table de travail ce soir. Tu auras plein d’autres occasions de socialiser avec tes nombreux amis au cours de l’été. J’ai des comptes à rendre, moi. Personne ne va m’organiser de garden-party si les contrats qui sont sous ma responsabilité ne sont pas prêts dans les temps. 

    — C’est que dernièrement, j’ai l’impression d’être la seule dans l’équipe à effectuer des heures supplémentaires. Guillaume pourrait peut-être s’en occuper ? 

    — Maïté, c’est parce que tu es la meilleure, continue Jacques pour me flatter. De toute façon, Guillaume s’entraîne au gymnase les vendredis soir. Tu comprends, c’est l’image de la compagnie. Ça nous prend au moins un employé qui soit présentable, ajoute-t-il en me détaillant des pieds à la tête. 

    — Jade ? Je sais qu’elle est nouvelle, mais c’est une bonne occasion de tester son savoir-faire. 

    — Impossible. Jade travaille sur un autre contrat ce soir. 

    En parlant du loup. La dernière à s’être jointe à l’équipe entre pile-poil à ce moment précis. Talons de quatre pouces, jupe crayon à taille haute, chemisier sans manches avec dentelle à l’encolure, manucure parfaite rouge Vixen, cheveux d’ange… Ses yeux de biche expriment son innocence. Je fixe mon attention sur la fenêtre et peine à dissimuler mon regard stupéfait. 

    — Jacques, est-ce que ma tenue convient pour le souper de ce soir ? 

    — Jade, toujours aussi éclatante. Nous aurons l’occasion de discuter en détail des dossiers importants dont tu t’occupes en ce moment, minaude Jacques dans sa direction. 

    Il commence à faire chaud dans le grand bureau. Mon lainage surdimensionné beige crème me semble soudain inapproprié en cette fin juin. Je ruisselle de partout. 

    — Maïté, ça ne va pas ? On dirait que t’es en train de fondre. Tu devrais retirer tes flâneurs et marcher pieds nus sur l’épaisse moquette de Jacques. Ça me détend à tout coup, me suggère Jade. Tu peux même t’allonger, c’est comme flotter sur des bulles. Je l’ai déjà testé, à la demande de Jacques, bien sûr. 

    — Merci du conseil Jade. Je vais passer mon tour pour tester le tapis mur-à-mur de Jacques, répondis-je froidement. Toutefois, ce qui me détendrait vraiment, c’est que je ne sois pas la seule à détenir une éthique de travail dans ce département. 

    — Maïté, le contrat Maple Plus te revient. Arrêtons d’en parler. Pour ta convenance, je vais m’assurer de prévenir le gardien de sécurité que tu envisages de quitter le bureau plus tard ce soir. Tu devrais aussi avertir ton conjoint pour qu’il ne s’inquiète pas. 

    — Jacques, tu m’impressionnes. T’es tellement bon pour concilier le travail et la famille. Tu dois être un père fantastique ! s’extasie Jade. 

    Jacques lui retourne un sourire dégoulinant de satisfaction. Beurk ! 

    — En passant Maïté, j’ai fait un malheur lorsque j’ai présenté la maquette du dernier projet sur lequel tu as travaillé. Si tu avais vu les étoiles dans leurs yeux. Surtout quand je leur ai suggéré que l’on remplace le gris perle que tu as choisi par du turquoise. Dommage que tu partes en vacances ce soir. Tu pourrais tout de même jeter un coup d’œil au nouveau contrat qu’ils nous ont proposé ? 

    — Je vais voir ce que je peux faire, répondis-je à contrecœur.  

    Dans ma tête, différents scénarios s’ébauchent déjà. Je pourrais peut-être jeter un coup d’œil au projet pendant que mes garçons seront à leur cours de soccer.   

    — C’est tout de même mes vacances qui commencent ce soir, ajoutai-je en guise de bémol. 

    — Je comprends. Alors on dit seulement une esquisse à ton retour dans deux semaines. Voici tous les détails. 

    Jacques me remet une pile de documents.  

    — Je compte sur toi, poursuit-il avec un clin d’œil. Je suis sérieux, Maïté, ça nous prend ce nouveau contrat. 

    J’abdique lâchement. Je sors à toute vitesse du bureau en me demandant de qui d’entre nous deux je suis la plus dégoutée. Mes mains sont moites et des traînées de sueur coulent sous mes aisselles. Je demande l’ascenseur et réprime mes maux de cœur du mieux que je le peux. Trop tard. Je vomis dans la poubelle de façon incontrôlable au moment où les portes s’ouvrent.  

    *** 

    Le vendredi, je mange toujours un sandwich au faux thon accompagné d’une salade du jardin. Je m’assois toujours à la même table, celle qui est la mieux située, à l’écart de la circulation, tout au fond de la salle à manger. Ma collègue, Sophie, vient me rejoindre peu après que je sois installée. Elle circule, la démarche féline, entre les tables et prend bien soin de saluer tous les employés du département de marketing situé au quatrième étage contrairement à moi qui ait longé le mur des poubelles pour rejoindre notre table. Comme à son habitude, Sophie a une nouvelle aventure à me raconter. 

    — Je fais repeindre mon salon. 

    — Pourquoi ? Tu l’as fait repeindre l’automne dernier. Je t’avais averti que tu te tannerais vite de l’orange brûlée. Avec un petit beige ou un gris argile, on ne se trompe jamais. 

    — Toi pis ton petit beige ! J’ai rencontré un peintre la semaine dernière et je désire le revoir. Tu peux venir avec moi à la quincaillerie demain ? Je vais avoir besoin d’aide pour choisir la bonne couleur. 

    — Je ne pourrai pas. Les jumeaux commencent leur cours de soccer. 

    — Tu me connais Maïté, je vais sortir du commerce avec de nouveaux coussins, un tapis, une jetée… peut-être même un sofa neuf ! 

    — Désolée, Sophie. Julien a promis qu’on irait ensuite à la piscine avec les garçons. Et puis, Jacques m’a demandé de travailler sur une esquisse pour un nouveau contrat. 

    — Travailler pendant tes vacances ! C’est du gros n’importe quoi. 

    — Je dois aussi terminer le contrat Maple Plus ce soir. 

    — T’es déjà resté lundi et mercredi. Ce n’est pas Jade qui devait s’en occuper ? 

    — Je soupçonne Jade de s’occuper de contrats bien plus importants qui doivent être réglés ce soir autour d’un verre de vin. 

    — Tu crois que… laisse sous-entendre Sophie en frottant vivement ses deux index ensemble. 

    — Sophie, t’es vulgaire ! 

    — Quoi ? Jade est une belle femme. Si je l’invitais à un concert d’Amour et Décibels, tu penses qu’elle m’accompagnerait ? 

    — Tu la sauverais d’un avenir atrocement décevant avec « tu sais qui ». 

    — Tu pourrais venir avec nous, me propose gentiment ma meilleure amie. 

    — Sophie, je n’irai pas voir un concert en ville. Tu sais que je déteste conduire après 21 h. 

    — Maïté, tu me décourages. As-tu peur que ta Honda Civic se transforme en citrouille ? 

    Sophie est tellement différente de moi. Toujours prête pour de nouvelles péripéties, peur de rien, se fout royalement de l’opinion de tout le monde et de toutes possibles conséquences abracadabrantes. Je ne peux m’empêcher de lui sourire gentiment. 

    — Qu’est-ce que tu fabriques avec moi, Sophie ? T’as pas l’impression que je te ralentis, que je suis un boulet pour ta vie sociale ? 

    — Au contraire, mon amie. Tu m’aides à tonifier mon goût pour les aventures les plus extraordinaires. Tu te rappelles notre sortie au Bar du Bout du Monde ? 

    — Comment l’oublier ? On est entrées par effraction dans les loges au deuxième étage. J’avais le choix entre finir la soirée en prison ou à l’hôpital ! 

    — Et où as-tu fini, ma belle amie ? 

    — Sur la scène… 

    — C’est le genre d’expérience qui muscle le goût de l’aventure. Imagine si on avait renoncé. T’aurais jamais rencontré Julien, vrai ou faux ? 

    — Vrai. 

    — Tu ne serais pas maman de trois beaux garçons, dont deux jumeaux qui commencent leur cours de soccer demain. 

    — Vrai. 

    — Même si je n’ai aucune idée de ce que c’est, tu ne serais pas sur le point de rénover ton sous-sol dans le style vache marine. 

    — Ferme de bord de mer moderne, c’est la thématique que Julien a choisie. En fait, il veut avoir l’impression de se retrouver à Cape Cod lorsqu’il va descendre au sous-sol. Un beau projet qui va sûrement s’éterniser jusqu’à Noël si tu veux mon avis. Le mieux que je peux faire, c’est choisir une couleur qui va nous plaire pendant au moins dix ans.  

    — Dis-moi pas que les murs vont être beige sable. 

    — Non. En fait, j’ai choisi la couleur Coquillage de Bar Harbor. 

    — Maïté, tu ne changeras jamais ! 

    — Je le sais, mais c’est plus fort que moi. J’ai tenté de convaincre Julien d’engager quelqu’un pour nous aider, au moins pour bâtir les divisions, mais on n’a pas assez d’économies. Donc, la tâche me revient. C’est à moi de réaliser le plan, prendre des mesures, établir une liste, choisir les couleurs… 

    — Ce n’est pas comme ça que tu t’es retrouvée à faire des heures supplémentaires toute la semaine ? 

    — Qu’est-ce que tu veux dire ? 

    — Prends-le pas mal, mais t’aimes tellement ça écrire des listes, gérer des projets, établir des planifications. Superviser, quoi ! Si tu n’avais rien dit pour la date de remise du projet Maple Plus et que t’avais laissé filer l’affaire, ça aurait été le problème de Jade. C’était son dossier. 

    — Je ne pouvais pas faire semblant de n’avoir rien vu, Sophie. Je suis une adulte responsable. Si personne ne s’en occupe, c’est tout le département de design qui recevra le blâme. 

    — C’est surtout Jacques, notre chef de département, qui aurait dû se débrouiller pour une fois. 

    — Je ne suis pas faite comme ça. Tu le sais. Donc, je ne peux pas laisser Julien s’occuper seul de la rénovation du sous-sol. On est tous les deux assez intuitifs pour admettre que c’est une catastrophe annoncée. 

    — Maïté, à trop vouloir bien faire, tu vas finir par avoir la vie la plus ennuyeuse et répétitive au monde. Arrête de toujours endosser le rôle de l’adulte responsable. Passe du temps à t’amuser avec tes enfants et ton amoureux. Fais des folies, pars à l’aventure. Ça va nourrir ta créativité. Si t’étais moins beige tout le temps, tu pourrais diriger le département, peut-être même avoir ta propre boîte de design, si ça se trouve. 

    Diriger un département, être chef d’entreprise ! Où est-ce que je trouverais le temps ?  

    — Impossible, ma vie va trop vite, déclarai-je, catégorique, mettant fin à la discussion. 

    *** 

    L’horloge marque 17 h. Je vois tous mes collègues de travail quitter le bureau les uns après les autres. Je me lève et jette un coup d’œil par la fenêtre. Je les vois se diriger vers leur voiture ou l’arrêt de bus le plus près, heureux du week-end qui débute. Je reviens vers ma table de travail, déterminée à en finir au plus vite. Sur mon bureau sont déposées deux photos de famille. Celle de Julien et moi avec nos enfants dans notre cour arrière. À côté, celle de ma mère, mon frère et moi. Sur cette photo, nous donnons l’impression d’être trois adolescents d’une même fratrie. 

    Lorsque mes parents se sont séparés, trop jeunes et mal préparés pour la vie familiale, j’avais à peine six ans et mon frère quatre. Mon père est parti refaire sa vie en Colombie-Britannique, d’où il est originaire. À la suite de son départ, ma mère s’est entourée d’une belle communauté de hippie-baba cool, joueurs de tambours chamaniques. J’ai toujours été reconnaissante envers la vie de ne pas avoir été éduquée par deux adultes querelleurs, mais plutôt par une mère épanouie qui a su s’entourer d’une communauté bienveillante à notre égard. Je dois toutefois avouer que de cette éducation plutôt originale découle probablement mon besoin d’être l’adulte responsable de la famille. 

    Pour mon frère, l’adolescence fut une période difficile et il est parti, à l’âge de 15 ans, rejoindre notre père à Vancouver. Quelques années plus tard, à 40 ans, libérée depuis peu de ses responsabilités familiales, ma hippie de mère a poussé l’aventure du bien-être vers de nouveaux sommets. Elle est partie rejoindre une communauté nouvelle âge aux États-Unis. Juste au moment où j’accouchais de mes jumeaux, dix-sept mois après avoir donné naissance à Rowan, mon fils aîné. J’ai associé ce départ à un second abandon parental et j’ai ressenti le besoin d’être tout le contraire de ce que Jeannine, ma mère, a toujours été, c’est-à-dire : imprévisible, intrépide et insouciante. 

    C’est aussi à ce moment qu’une très grande, trop grande distance, s’est installée entre ma mère et moi. Pendant des mois, je l’ai boudée en prétextant la fatigue ou un manque de disponibilité pour éviter de lui parler. Trop blessée pour lui laisser voir à quel point elle me manquait. J’avais encore tellement besoin d’elle. Toutes nos années de bonheur ont été balayées par le chaud vent du Sud-ouest des États-Unis. 

    Je m’assois à mon bureau. Chaque chose est bien à sa place. Mes feutres Pantone rangés dans un magnifique dégradé arc-en-ciel, mes marqueurs à pointe fine rangés par ordre de grosseur. Mon environnement respire le calme, l’ordre, la prévisibilité.  Le soleil se couche sur la ville, le ciel a pris des teintes de tangerine et de fuchsia, un mariage réussi comme seul un soir d’été peut en inspirer.

    Trop absorbée par mon travail, j’ai oublié que j’avais entrepris de consulter mes courriels ce matin. Ce n’est qu’en début de soirée, au moment de quitter le bureau à mon tour que je prends le temps d’ouvrir ma boîte de réception.  Mon regard s’attarde tout de suite au message dont l’objet est composé de palmiers, de soleil et de fleurs tropicales. Je parcours son contenu en diagonale. La chance que j’ai ! C’est trop beau pour être vrai. Je ferme mon ordinateur en un clic et quitte le bureau sans plus attendre. 

    Je ne prends même pas la peine de demander l’ascenseur, je dévale les escaliers, certaine que ça sera plus rapide. Une fois dans le hall d’entrée de l’édifice,

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