LA TRAQUE DE FÉLICIEN KABUGA
LE SOLEIL SE COUCHE sur Arusha, et Bob Reid fixe l’écran de son ordinateur. En cette soirée de mars 2020, le confinement fait régner un silence presque total dans la ville. Ce calme convient parfaitement à l’enquêteur australien, qui épluche d’imposants listings de numéros de téléphone. Le travail est intense, minutieux. Des milliers de numéros européens, classés en ordre alphabétique par les stations qui les ont relayés. Depuis quelques semaines, Reid a une intuition, un pressentiment. Ces données vont lui révéler quelque chose qui va peut-être enfin lui permettre de conclure une enquête qu’il a pourtant crue interminable: la traque de Félicien Kabuga, un Rwandais considéré comme l’un des principaux responsables du génocide des Tutsis, qui a fait plus 800 000 morts en 1994.
Reid travaille à Arusha, où se trouve le siège d’un organisme de l’ONU appelé « Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux », qu’on désigne couramment comme « Le Mécanisme ». Ce service, dirigé par un charismatique magistrat belge, Serge Brammertz, enquête sur les affaires non résolues ouvertes par le Tribunal pénal international de La Haye, où Reid a effectué le plus gros de sa carrière en tant que directeur des opérations. Il a notamment piloté la mission de recherche du commandant Ratko Mladi?, militaire serbe de Bosnie tristement connu pour avoir fait sommairement exécuter 7 000 hommes et garçons bosniens musulmans, en 1995 à Srebrenica. L’officier échappait aux autorités depuis seize ans lorsque l’Australien l’a localisé dans une vieille ferme au nord de la Serbie, avant de le faire arrêter. En 2017, le tortionnaire a été condamné à la prison à perpétuité. En vingtcinq ans de carrière au service de l’ONU dans ce secteur très spécialisé, Reid a permis de mettre bien d’autres criminels de guerre derrière les barreaux. Il est connu pour examiner chaque détail avec soin, faire preuve d’une vivacité d’esprit exemplaire et surtout pour se montrer d’une patience hors norme. Les criminels traqués par Bob Reid disposent souvent de vastes fortunes et/ou de petites armées dévouées à leur cause, de fidèles inconditionnels et d’alliés cyniques qui les aident à se volatiliser. Mais rien ne les aide plus dans leur cavale que le temps. Les années filent et les souvenirs s’effacent. C’est du moins ce que les traqués
