Mythomane Tropical
Par Christian Copay
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Mythomane Tropical - Christian Copay
Mythomane Tropical
Christian Copay
Mythomane Tropical
La Nostalgie légère du départ
Livre II
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
« Entre la nostalgie légère du départ et le bonheur anticipé, mais tout aussi léger, de l’arrivée, il se sent en équilibre… »
DARYUSH SHAYEGAN,
La lumière vient de l’Occident,
pp. 212-213, novembre 2013.
Editions de l’Aube, Editeur.
© Les Éditions Chapitre.com, 2014
ISBN : 979-10-290-0128-4
1
Montevideo & Co.
Henri s’était réveillé lourdement à l’atterrissage à Boston. Il arrivait en Nouvelle-Angleterre à la saison de l’été indien, en ce début d’automne 2006 qui avait vu la déchéance d’une lignée séculaire de juristes au service de Deville.
Il avait décidé d’éviter à sa famille l’opprobre de sa déchéance sociale, en prenant la décision de disparaître, au moins pour une période raisonnable d’exil volontaire, qui puisse être considérée comme une pénitence sévère, mais proportionnée à ses déviances.
Quelques semaines auparavant, lors des élections à Deville, il avait engagé un détective pour surveiller Jean Dinaire.
Les honoraires, chers, du détective privé, garantissaient l’utilisation des techniques les plus modernes de surveillance.
Ce furent néanmoins des méthodes classiques qui apprirent au détective que Jean Dinaire avait hébergé Véronique, l’épouse du maire, Jean-Marie Aufflard.
Henri lui avait précisé qu’il était victime de Jean Dinaire, maître chanteur qui disposait d’un dossier le concernant, l’empêchant d’occuper la position politique qui aurait dû être la sienne à Deville. Ce dossier devait être capté, d’une façon ou d’une autre.
Le détective avait suivi les déplacements de Jean de façon discrète ; il avait noté ses allers retours entre Deville et Grande Bastide, dont le dernier, accompagné de Véronique Aufflard, qu’il avait logée dans une garçonnière à proximité de la rédaction de son journal.
Il l’avait surveillé de près, et, au passage, son scanner lui avait permis de capter la fréquence du téléphone portable de Jean Dinaire, et donc de surveiller, d’enregistrer, ses communications les plus intéressantes, notamment celles relatives au dossier recherché par son commanditaire, Henri Plot.
Il savait que Jean se sentait surveillé, sans avoir identifié l’espion. Il savait que le dossier recherché se trouvait chez son épouse, Marie-Thérèse, à Deville.
Logiquement, suivant sa lettre de mission, il décida de récupérer le dossier. Il s’introduisit dans la maison de tuffeau de Jean, et visita son bureau. Prudemment, très prudemment ; notant la position des objets, l’ordre d’empilement des documents, cherchant un coffre-fort ; tout cela en vain. Il repartit en étant sûr de ne laisser aucune trace de son passage – et bredouille !
Henri ne montra pas sa déception, et remercia le détective en lui payant son dû, à regret.
Il fallait qu’il intervienne directement. Sa haine pour Jean, et tout à la fois la peur de l’emprise que celui-ci pouvait avoir sur lui, motivèrent sa décision : coûte que coûte, le dossier devait être récupéré, et Jean Dinaire mis hors d’état de nuire.
Dans tous les sens du terme. Physiquement.
Selon les dernières écoutes du Détective, Jean devait transférer le dossier de Deville à Grande Bastide dans la soirée – Dieu seul sait où il avait pu le faire cacher pour qu’il puisse échapper aux recherches du limier.
Il ne lui vint pas à l’esprit que sa propre épouse, Elisabeth, ait pu participer à cet escamotage.
Ce jour-là il décida de surveiller personnellement les activités de Jean à Deville, depuis l’Étude notariale qu’il s’apprêtait à quitter définitivement. Par ses connections au sein de l’équipe de campagne de José Mathurin, le très probable futur maire, il sut tout des déplacements de Jean. Dans l’après-midi, Henri fit un aller-retour rapide à Grande Bastide, au commissariat central, où il déposa une plainte relative au vol fictif de sa voiture. Une Mercédès CL noire, un modèle rare, très puissant, une 65 AMG, plutôt reconnaissable, si chère que même lui n’avait pu l’acheter neuve.
De retour à Deville, il se posta en embuscade près de la maison de tuffeau, attendant le départ de sa victime.
La soirée était très avancée lorsque Jean quitta la maison de tuffeau pour se diriger vers Grande Bastide, rejoindre sa maîtresse et, laissant son épouse, déposer son dossier de haine à La Libre Tribune.
Henri suivit Jean à distance.
D’abord tous feux éteints, mais la route est trop sinueuse, trop boisée, la chose est imprudente. Il dut donc allumer les feux de la Mercédès.
Un moment, cet imbécile de Jean ralentit le rythme, sans raison. Cela agaça Henri, il poussa les six cent douze chevaux de sa voiture, dépassa Jean, et, lui coupant la route, le poussa vers le bas-côté.
Henri réalisa l’absurdité de l’action où sa haine pour Jean l’avait poussé et, pris d’un remords, recula vers le lieu de l’accident pour éventuellement lui venir en aide.
La première décharge qui émailla l’arrière de la voiture le surprit, sans qu’il en comprît la raison ; la seconde éclata la lunette arrière, engageant le cockpit dans un tourbillon de verre et de mitraille qui y rebondissaient en le lacérant de toute part ; il freina brutalement, avant qu’éclatent deux décharges potentiellement mortelles, qu’il évalua être de la balle à sanglier, perforant le pare-brise sans le blesser. Sans réfléchir, il envoya toute la puissance possible aux douze cylindres du moteur et s’enfuit vers Grande Bastide où il devrait se débarrasser de l’indésirable évidence que constituait ce tas de ferrailles.
Dans une sablière, à l’écart de la ville, il y mit le feu sans avoir cherché à éliminer ses empreintes. La perte de la voiture l’affecta plus que la perte de sa famille.
Le lendemain, il rencontra ses pairs du Parti Confessionnel National, confessa sa situation au Secrétaire Régional.
La rencontre fut tendue, aussi agacée qu’embarrassée. Le PCN avait obtenu de La Libre Tribune que Jean Dinaire disparût de la scène locale dès après les élections.
Henri avait déjà été couvert par le PCN, il y vingt ans, lors de la mort de Roxane Dinaire, la première épouse de Jean.
Le PCN avait également couvert les écarts d’Henri, concernant les employées de son Étude, qu’il avait forcées depuis cette époque ; en moyenne, une par an.
Il n’était pas question d’aller plus loin. Couvrir la stupidité de la veille ne pouvait être envisageable que dans la mesure où Henri, lui aussi, disparût de la vie publique locale et régionale.
Après avoir rencontré son avocat dans le cadre de son divorce d’avec Élisabeth, lui avoir confié pleins pouvoirs et donné les coordonnées de contact nécessaires à la fin raisonnablement bonne du dossier, il prit le premier avion en partance pour une destination suffisamment lointaine.
Il atterrit chez des cousins maternels, qu’il avait hébergés, en vacances, quelques années auparavant à Deville, et qui lui devaient la pareille.
Son cousin exerçait les fonctions de Shérif d’un comté du Connecticut – le comté de Newtown. Situé entre Boston et New-York, la ville d’à peine deux mille âmes semblait être aussi éloignée de ces deux métropoles que n’importe quelle ville de l’Iowa ou de l’Arkansas. Probablement pire que Deville, c’est tout dire.
Henri avait été séduit par les méthodes aussi expéditives qu’autoritaires du Shérif, il était par contre un peu déçu par la considération, voire la compassion, qu’il pouvait à l’occasion marquer au contrevenant.
De ce point de chute, Henri acheta une Chevrolet Trailblazer remorquant une caravane Airstream rutilante pour entamer un long parcours du pays, qui dura trois mois, le temps alloué par son visa touristique.
Après quoi, il gagna le Canada via les chutes du Niagara ; le pays semblait lui être culturellement plus proche, son titre notarial y était reconnu, il s’y établit de façon permanente, la conclusion de son divorce et la vente de son Étude lui ayant ramené quelques fonds qui lui permirent de s’associer à des avocats locaux.
-----oooo000oooo-----
Jean et Véronique atterrissent à Buenos-Aires, à peu près à l’époque où Henri était arrivé à Boston, au tout début du printemps austral. Après une petite demi-heure de vol supplémentaire, ils arrivent à Montevideo, sur cette étrange piste parallèle au cours du Rio de la Plata, perpendiculaire au sens des vents dominants, et donc extrêmement acrobatique à l’atterrissage.
Jean doit y assurer les fonctions de délégué régional pour l’agence Reuters, couvrant les medias francophones. Ce n’est pas que les nouvelles soient foisonnantes ni scandaleuses en Uruguay, mais les avantages consistant à concentrer les activités de l’agence en situation d’offshore fiscal sont loin d’être négligeables ; cela suppose donc que Jean se déplace sur l’ensemble de l’Amérique latine à partir de cette petite république, contribuant à alimenter les médias francophones, de l’information qu’il pourra rassembler.
Il est exact que le journalisme constitue son premier amour, en termes professionnels ; toutefois, dans ce cas, il ressent cette opportunité plutôt comme un prétexte à découvrir des mondes inconnus – au bout du compte, les deux ne se rejoignent-ils pas ? La curiosité n’est-elle pas l’essence-même du journalisme ?
Cette partie du monde est relativement peu féconde en événements majeurs – depuis au moins quinze ans : plus notablement depuis l’ère Clinton, les USA ont renoncé à en faire leur basse-cour, à en manipuler les gouvernements, considérant à l’époque, dans le cadre du plan dit Colombie, qu’il ne peut y avoir de différence politique ni culturelle entre la Colombie, l’Argentine, le Chili – voire le Brésil –, la politique du Grand Frère consistant à tenter de ne leur laisser qu’une gendarmerie, un ministère de l’Intérieur, laissant à la charge des USA la Défense internationale, les Affaires Étrangères, les grands dossiers économiques.
Politique réductrice qui a maintenu le sous-continent latino-américain dans le chaos pendant une centaine d’années (en gros, de la fin de la guerre de Sécession aux USA jusqu’à la chute de Pinochet au Chili), pour tenter d’appliquer, depuis, cette même politique aux pays du bloc musulman – considérant qu’une politique identique peut être efficace depuis les colonnes d’Hercule jusqu’aux îles Maldives et en Indonésie !
Les États-Unis d’Amérique, lorsqu’on les parcourt, donnent un sentiment d’espace infini, représentant tous les climats, tous les paysages que l’on puisse rencontrer sur Terre. Paysages parfois plus beaux que nulle part ailleurs.
C’est un pays-continent de grande candeur et sincérité, qui a favorisé l’efflorescence de personnalités authentiquement libres – au sens que peuvent en donner les démocraties occidentales.
C’est un pays-continent qui a favorisé le développement du capitalisme le plus déplorable, implacable jusqu’au sadisme – au sens que peuvent en donner les démocraties occidentales.
Jean s’attaque, en Amérique latine, au pré carré des grands Groupes étasuniens – pour paraphraser l’expression de Frank Lloyd Wright –, le laboratoire des méthodes économiques les plus détestables qui aient été mises au point depuis la fin du dix-neuvième siècle.
Les pires, à l’exception de ce qui a été mis en œuvre au vingtième siècle par la Russie soviétique ou post-soviétique, la Chine maoïste ou post-maoïste, et quelques tortionnaires régionaux dont les noms ne valent pas la peine d’être mentionnés, mais que chacun a en mémoire, et dont certains sont toujours en place.
L’ambition de Jean ne consiste pas à rendre une justice mondiale, ni même régionale, mais à vivre une vie passionnée avec la femme qu’il aime, une carrière attractive quant à son fond – il a dépassé l’âge, et il n’a jamais eu le goût, des stratégies carriéristes ! – lui permettant aussi de comprendre une civilisation, une Société, différente de celle qui l’a vu naitre.
De l’aéroport de Montevideo, deux routes mènent au centre : un boulevard urbain, à quatre puis deux voies, qui se perd rapidement dans des feux rouges à la logique improbable mais aux flics tatillons, mal payés et néanmoins difficiles à soudoyer, ou la route de bord de Rio, plus agréable, plus spectaculaire, mais peuplée des mêmes flics.
Le chauffeur de Reuters choisit la Rambla, en bord de plage, pour les emmener au traditionnel palace local, sur la Plaza Independencia – récemment racheté par le Révérend Moon, dans le cadre de ses investissements de diversification. Tout le monde ne peut pas être acheté par l’émirat qatari.
Cette place est représentative de la ville : elle est adossée à l’entrée de la vieille ville (la citadelle), bordée par un palais de justice commencé dans les années soixante-dix, et jamais terminé ; par le théâtre Solis, en son temps le plus grand d’Amérique latine, fermé pour restauration (qui durera de longues années) ; également par l’ancien palais présidentiel, de la taille d’une maison bourgeoise, reconverti en musée ; et enfin d’une tour construite dans les années trente, qui semble tout droit sortie du Gotham City de Batman, aussi laide qu’effrayante.
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Même en recherchant un logement provisoire, nous nous refusons à prolonger notre séjour dans ce quartier déprimant.
Nous préférons adopter un hôtel vers Carrasco, quartier résidentiel qui aura notre préférence, dorénavant.
Nous nous répartissons les tâches : d’un côté, la recherche d’un logement, pour Véronique ; une entrée en matière dans mes nouvelles fonctions, pour moi.
Je bénéficie d’une voiture et d’un chauffeur ; pour Véro, nous louons un taxi à la journée, en attendant mieux.
Aux agences immobilières contactées, Véronique décrit ce qu’elle recherche : à Carrasco, une maison ouverte, un beau jardin, une piscine, de l’espace pour recevoir, et surtout, pour cette avaleuse de soleil, une orientation plein sud.
On la regarde d’un œil un peu incrédule, et elle me rapporte cette surprise, que je ne comprends pas plus qu’elle ; il nous faut quelques jours pour réaliser que, dans l’hémisphère sud, c’est le nord qu’il faut rechercher pour un meilleur ensoleillement !
De mon côté, j’ai une liste des personnalités à qui me présenter – qui restera la même pour chaque pays visité dans le sous-continent : l’ambassadeur de France, l’attaché commercial, le président de la chambre de commerce, les responsables de la presse écrite locale, de la télévision, éventuellement la radio, et puis une faune à entretenir, celle des informateurs : notables, fonctionnaires, militaires, agents commerciaux, français ou nationaux.
Et là, franchement, j’ai mon expérience à faire, surtout parmi les informateurs expatriés, dont l’épaisseur du carnet d’adresses fait le fonds de commerce, dont la qualité du réseau fait état de relations mirobolantes, souvent décevantes à l’épreuve, et surtout dont les nouvelles fracassantes doivent systématiquement être revalidées. Le manque de crédibilité est la règle.
Celui qui m’aidera particulièrement dans ce décodage des intermédiaires, c’est Jean-Jacques Himbert, l’attaché commercial à Montevideo, une figure incontournable dont l’expérience dépasse de loin les frontières de l’Uruguay.
Il a bourlingué de Mexico à Ushuaia en passant par Cuba et le Panama ; il n’a jamais fait étalage de ses exploits, il ne les mentionne que de façon allusive, ce qui laisse à penser qu’ils furent authentiques.
Il m’a aidé à faire la part des choses entre les vrais informateurs, rares, et les autres, ceux qu’il appelle les mythomanes tropicaux, ceux qui s’imaginent être les aventuriers des temps modernes, ratés sordides et pathétiques. Du genre à conserver dans leur portefeuille un ticket de métro parisien.
Jean-Jacques est à l’opposé de l’image-type du diplomate formaté, prudent dans ses hypothèses et réservé dans ses commentaires.
Une gueule de mercenaire, fumant autant qu’il boit, riant à grand bruit, la langue de bois lui est inconnue.
À notre première rencontre, lui demandant quand « Son Excellence » (l’ambassadeur) pourrait me recevoir, il me répondit que « le vieux » était en tournée… voilà un ton que j’aime.
Véro n’a pas à visiter de nombreuses maisons pour rencontrer celle qui lui plaît : une maison sur deux niveaux, pas extravagante mais quand même 450 mètres carrés habitables, un jardin raisonnable sur la face avant, juste pour avoir un peu de recul, et un véritable parc à l’arrière : 3 000 mètres carrés ; c’est un beau ruban de gazon, entouré d’une végétation tropicale sur trois côtés – la maison sur le quatrième –, épaisse de plusieurs mètres, un superbe mimosa – de la taille d’un chêne – en fond de parc ; au milieu, une grande piscine ouverte mais chauffée, à côté un barbecue, une salle à manger d’été ; le tout entretenu par un réseau d’arrosage enterré.
La maison : suite parentale au rez-de-chaussée, bureau, salle de réception avec bibliothèque, lambrissée du haut en bas, salle de billard, salle à manger, cuisine et appartements domestiques ; à l’étage : chambres, salles de bain, et