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Dans la marmite de Kimpa Vita
Dans la marmite de Kimpa Vita
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Livre électronique293 pages4 heures

Dans la marmite de Kimpa Vita

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À propos de ce livre électronique

Pourquoi les adeptes de la secte Bundu dia Kongo sont-ils déterminés à récupérer la marmite de Kimpa Vita - l’héroïne qui avait beaucoup agacé les négriers portugais, les missionnaires et l’Inquisition -, qui fait pourtant partie, comme les membres de l’Action française s’en félicitent, d’une collection privée d’œuvres métalliques qui, même confisquées, ne sont pas à restituer, en conformité avec un rapport sur la restitution des œuvres d’art dont l’Afrique avait été dépossédé lors des conquêtes européennes ?
Embarquez-vous tout simplement dans le Ne-Kongo : la symbiose entre la royauté magique et la royauté religieuse, où le trône et la sorcellerie se croisent, et où le pouvoir politique, agréé par les morts, est officiellement attestée et justifiée par la religion.
Une fois à bord, mettez-vous en quête de l’objet mystérieux : un symbole d’espoir et de régénération de l’homme noir que la marmite enferme, prenant pour pont d’envol l’arrivée de Diego Cão dans l’ancien royaume précolonial kongo, en passant par l’assimilationnisme précoce des Bakongo au christianisme - parce qu’il ne s’agissait pas de leur renoncement aux croyances kongo, mais plutôt de l’ajout d’un nouveau moyen plus puissant d’actions sur les forces supérieurs -, jusqu’à apponter sur un pays où musique et politique s’entrecroisent et s’entrechoquent toujours depuis que la fin de son histoire coloniale fut célébrée au son d’Indépendance cha-cha.
LangueFrançais
Date de sortie17 août 2021
ISBN9782312083209
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    Aperçu du livre

    Dans la marmite de Kimpa Vita - Taylor Toeka Kakala

    Un saltigué rejeté

    La police, déjà débordée, n’arrive plus à contenir la foule en colère aux abords de l’aéroport international de N’Djili, dans l’est de la capitale congolaise Kinshasa, malgré l’usage de grenades lacrymogènes. Des jeunes, déterminés à se venger, tentent de franchir les dispositifs de sécurité qui les empêchent d’atteindre le tarmac où je conduis mon grand-père, qui s’appuie sur moi pour marcher. Et, où officiels, membres de la famille, ouailles et autres personnalités sont au rendez-vous. Ils sont là, époustouflés devant les troupes d’hommes en abacost et bérets, leur uniforme vert-blanc nécessitant de se nouer un foulard autour du cou pour les uns, ou le port d’une écharpe sur ce veston pour les autres, et devant les troupes de femmes, d’enfants, qui se livrent en spectacle au son de la fanfare, et défilant devant un public aussi en vert-blanc, agitant, ici comme dans les rangs, des drapelets.

    Trois heures plus tard, peu avant 12 heures, l’atmosphère change complétement à l’approche d’un avion. Après avoir viré à gauche au bout de la piste, les réacteurs d’A320 des Lignes aériennes congolaises, parti de Genève, en Suisse, s’arrêtent. L’avion s’immobilise sur le tarmac. Le soleil est déjà au zénith. La chaleur n’est pas du reste. Les officiels approchent lentement pour accueillir le corps de l’illustre disparu. Au loin, les membres de sa famille, derrière lesquels ses troupes d’ouailles, ceux-ci à genoux, les bras croisés pour les uns, les mains levées pour les autres, ne contiennent plus leurs larmes. Certains s’évanouissent déjà d’émotion. D’autres de douleur. D’autres encore d’effroi. Les brancardiers de la Croix-Rouge sont aussi débordés. Faute de plusieurs ambulances, quelques véhicules des particuliers sont réquisitionnés.

    Le cercueil blanc sur le tarmac, recouvert du drapeau congolais, est suivi par le grand-frère du défunt. Il est par la suite mis dans un corbillard orné également du drapeau national. Le cortège mortuaire, au son des sirènes de la police et encadré par son unité anti-émeute, entame son parcours d’une vingtaine de kilomètres, vers le nord de la ville, pour l’hôpital général où le corps sera conservé à la morgue avant un hommage populaire. Mais l’ambiance est déjà de différentes couleurs dès la sortie de l’aéroport. Cris d’une totale satisfaction pour ces jeunes qui, après avoir joué au chat et à la souris avec les éléments de la police anti-émeute pendant plus de trois heures, commencent à lancer des projectiles divers sur le convoi funèbre. Ils profèrent aussi des insultes, traitant l’homme censé être le seul Dieu-vivant, de franc-maçon, de rosicrucien, de magicien, de sorcier, de hibou. Mais surtout de traite.

    Cris aussi d’un chant, à tue-tête, dont les paroles sont modifiées à partir d’un chant religieux.

    Papa Mobutu, tu as bien fait

    Tu as tué ton collabo

    Tu as laissé l’archevêque président de la conférence nationale souveraine

    Et, pourquoi ne pas aussi tuer ton premier ministre ?

    La partie est d’abord chantée par un seul interprète, qui en constitue le solo. La masse la reprend par la suite, éveillant sa résonance intense, devant les policiers indifférents.

    Le long de la route, certains Kinois, les habitants de Kinshasa, qui ne se sont pas déplacés à l’aéroport afin de se venger, eux aussi, grimpent dans des arbres, d’autres sur des bâtiments, pour ne rien rater de vue. Mais aussi et surtout pour bien viser le corbillard avec leurs projectiles, rendant ainsi la tâche très difficile aux éléments de la police anti-émeute quant à l’identification de leur provenance. Même les femmes âgées qui, en courant, rejoignent ces jeunes gens massés le long de la route, ironisent de youyous, en agitant des pagnes dans l’air, la mort de mon Dieu. Elles ne pouvaient pas se priver l’occasion longtemps attendue pour proférer toutes les malédictions qu’elles connaissaient contre ce corps sans vie. Le comité d’organisation n’a plus le choix. Il faut accélérer. On roule alors à la vitesse d’un cortège présidentiel dans un quartier hostile. Et, la fanfare ne joue plus parce que les musiciens s’accrochent déjà. Puis le cortège arrive quand même à la morgue, sans trop de casses, malgré sa réception à coup de tomates par des spectateurs mécontents sur la route.

    Mais la nuit ne sera pas paisible à Masina, la municipalité de la capitale à la sortie de l’aéroport, où les jeunes se sont distingués la journée dans l’animation et la lapidation infligée au corbillard. Plusieurs quartiers sont déjà bouclés pendant que les hiboux sont en train de vider les maisons de leurs jeunes : filles ou garçons, de dix-huit ans et plus. Les habitations sont également saccagées au nom de l’investigation pour dénicher les potentielles cachettes. Séparés de leurs parents, ces enfants, eux aussi embarqués dans des corbillards, sont amenés dans un lieu inconnu.

    L’opération menée la nuit dernière sème la terreur, le matin, dans toute la ville. Elle s’inscrit dans un contexte de répression et de surveillance accrues par les Forces spéciales d’intervention, les services de sécurité, appelés hiboux par la population. Créées deux ans auparavant par Le Terminator, le conseiller spécial à la sécurité du chef de l’État, ils sont très actifs depuis le début de la décennie 1990 pour terroriser, de jour comme de nuit, les manifestants et les opposants, qui ont pensé trouver l’occasion de s’exprimer parce que l’ouverture timide vers le multipartisme est encouragée par le discours du président français à La Baule, la station balnéaire située à la limite sud-est de la péninsule bretonne, qui a annoncé la soumission de l’aide française aux impératifs de démocratisation, cet aggiornamento politique et l’ouverture vers le multipartisme auxquels Mobutu, le président congolais, est resté vague.

    « Où sont nos enfants ? », demande une mère à la télé. « Condamnés au goulag pour avoir osé ça ! », ai-je dit, haleté de colère. « Mabiala, laisse-les se baigner dans leur transgression, me dit le grand-père. Ces jeunes ont blasphémé contre le Saint-Esprit. Ils ne reverront plus jamais le soleil. » Mais où serait donc ce camp de travail forcé dans le pays ? N’y aurait-il pas une sorte de grille de fer sur rails, et de lourdes portes blindées ? Quelles sont les provinces traversées par des rails ? Le Sud-Est, le Sud-Ouest, un mouchoir de poche entre Kisangani et Ubundu. C’est où alors ? Non, ils seraient enrôlés dans l’armée et envoyés en formation à Kotakoli, dans la province du chef de l’État. Non, peut-être à Kitona, dans celle de l’illustre disparu.

    De leur côté, les femmes, ces mères, ces grandes-sœurs, ces tantes de ces jeunes, tentent de protester contre la disparition de leurs enfants, de leurs parents. Mais c’était sans compter sur la détermination du pouvoir à mater tout soulèvement. Une répression très dure s’engage contre les femmes cinquantenaires pour la plupart, sans procéder toutefois par des arrestations. Seul le matraquage a eu raison sur elles. Le passage à tabac s’est fait au même moment que les drapeaux des édifices publics sont en berne à l’occasion d’un deuil national des trois jours. Contesté ou pas, il en sera ainsi jusqu’à l’enterrement du dignitaire. Mais dans les maisons, dans les bus de transport en commun, dans les bureaux, dans les débits de boisson et dans les rues, les débats tournent déjà autour du religieux dont les petits secrets venaient d’être déballés par un ancien porte-parole du maréchal-président Mobutu, le décrivant de franc-maçon, de rosicrucien, de magicien, de sorcier. À ce déballage va ressortir également d’autres accusations, comme sa farouche animosité à l’égard du processus de démocratisation en soutenant les deux suspensions des travaux de la conférence nationale souveraine, l’occasion pourtant de contester la dictature du maréchal.

    Kinshasa devrait plutôt pleurer l’homme. Mais à chaque rencontre avec ses ouailles, qui ne se promènent plus, pendant cette période de deuil national, qu’en groupe de plusieurs personnes s’identifiant fièrement dans leur tenue en vert-blanc avec effigie de leur maitre, c’est le Tata Mobutu osali malamu (Papa Mobutu, tu as bien fait) qui résonne. Une agression psychologique qui rythme toutes les journées des Kinois. Ces moqueurs observent aussi, à chaque rencontre sportive dans des quartiers chauds, une minute de silence pour se moquer de l’homme, suivi de Tata Mobutu osali malamu. Et, à la fin d’un match amical, les vainqueurs et les vaincus partagent la bière, résonnant la même chanson, et tout en parlant du deuil national.

    Trois jours sont passés. Les organisateurs s’apprêtent à lever le corps à la morgue. Les voilà en train de refermer le cercueil. La police, l’armée, les hiboux, trop visibles depuis hier dans les différents quartiers constituant l’itinéraire que prendra le cortège, sont aux aguets. Au son des sirènes de la police, le cortège, encadré cette fois-ci non seulement par la police anti-émeute, mais aussi et surtout par les hiboux et les éléments de la garde présidentielle, doit parcourir, prudemment, quelques kilomètres avant d’arriver à Kasavubu, la municipalité où sera organisé l’hommage posthume.

    Au point de chute, le centre d’accueil de l’église – où les obsèques nationales seront tenues –, connait ce matin une activité peu coutumière. Symphonie incessante des dizaines de 4×4, défilé de messieurs en constumes-cravattes et de dames élégantes, tout contrastant avec l’ambiance habituelle des habitants du quartier, débonnaires en bras de chemise et jeans délavés. Sur les murs de clôture et de l’immense cour du centre d’accueil, le drapeau national et celui de l’église. Mais c’est les calicots sur les murs, révélant le caractère divin du défunt, qui attirent les regards, où tout est couronné par un impressionnant service de sécurité. Ne peut y accéder qu’une ouaille vêtue en vert-blanc, et quelques médias. La principale route qui mène vers le lieu est d’ailleurs bouclée. Les voisins aussi sont prévenus par des moyens peu scrupuleux. On leur avait juste dit de ne pas faire des mouvements qui peuvent attirer l’attention des services de sécurité pour éviter de subir l’opération hibou.

    Sur place, les délégations étrangères : églises messianiques, églises millénaristes, Conseil œcuménique des Églises, arrivées depuis quelques jours à Kinshasa, ont déjà pris place. Mais celle de l’Église de l’unification est la plus marquante pendant les obsèques. Le révérend chef de la délégation s’est distingué par sa salutation à l’ancienne, en se prosternant devant le cercueil de l’illustre disparu, face contre terre. D’autres délégations dont la présence est aussi très marquée sont celles des trois pieds de la marmite de Kimpa Vita, les trois clans fondamentaux du royaume précolonial kongo, comprenant le sud-ouest du Congo-Kinshasa, le sud du Congo-Brazzaville et le nord du Congo-Angola. Les membres de leurs délégations sont venus de plusieurs pays du continent américain, d’Europe, d’Asie, d’Océanie et d’Afrique.

    Mais l’ambiance est encore plus forte ici, au centre d’accueil, que celle qui a prévalu à l’aéroport. Dans la cour, les troupes d’ouailles se livrent en spectacle au son de la fanfare, défilant et agitant des drapelets verts-blancs. L’ambiance est également mélancolique, où les fidèles scrutent l’avenir de leur église dans une chanson comme :

    Nous te demandons, ô Père, de nous protéger

    Tu es retourné dans ton royaume en nous laissant

    Dans nos pleurs et lamentations

    Regarde comment nous sommes dispersés, sans toi.

    Et oui, à l’extérieur, un peu loin du périmètre circonscrit par la police anti-émeute, certaines ouailles de l’illustre disparu sont déjà dispersées. Vêtues, elles aussi en vert-blanc, une minorité sociologique, usant de leur liberté de croyance depuis que le doute s’est installé en elles, elles sont en train de quitter l’église de façon spectaculaire. Ces ex-membres de la foi sont en train de déchirer leurs authentiques cartes de l’Église, qui leur servaient de carte de membre, et brûler leurs uniformes, amusant les badauds. Devant les caméras de télévision, les micros de radio, les appareils photos de la presse, ces zélateurs il y a quelques jours, font un procès à l’illustre disparu, parce celui-ci leur avait dit : « Je ne suis pas Moïse et, je ne vous laisserai pas en chemin. » Ils tirent donc leur propre conclusion : « Papa nous avait mentis. »

    Mais l’ambiance est aussi consolatrice pour ceux qui sont restés fidèles à « Papa », même après sa mort, ici, au centre d’accueil. Ils chantent sur la Sainte Trinité qui ne meurt jamais. Elle opère plutôt une transmutation, comme le montre Se luwe, se luwe, se luwe, cette chanson composée juste quelques mois avant que l’homme ne trépasse.

    Écoutez, écoutez, écoutez

    Je pars, que la paix soit avec vous

    Je repars auprès du Père pour être doté d’une nouvelle puissance

    Car le moment est venu pour moi d’œuvrer dans la gloire.

    Pendant ce temps, Kinshasa est coupé en deux. D’un côté, les officiels sont réunis ici, au centre d’accueil, totalement bunkerisé, honorant l’homme dans des termes très élogieux lors de ces obsèques qui passent sur la chaine nationale. De l’autre côté, cette mort est célébrée dans la liesse populaire. C’est la première d’une série à venir pour toute personne qui avait signé un pacte avec le diable contre le peuple, se félicitent les Kinois. Mobutu se félicite également, d’une manière très particulière, de cette mort, avec un témoignage très personnel lors de son hommage posthume devant ces gens qui constituent en effet une base politique non négligeable dans le pays.

    « Kimbanguistes, dit-il, que ce soit vous ou moi, nous sommes tous attristés parce que Papa Diangienda n’est plus. Je me permets donc de vous faire une confidence. Le témoignage que je m’en vais vous faire, je ne le fais pas en tant que chef de l’État. Mais en tant que chrétien catholique. En 1958, m’ayant invité chez lui, Papa Diangienda m’avait dit : Tu as beaucoup aidé les kimbanguistes, cela nous a plu à nous autres kimbanguistes et aussi à Dieu. Il m’avait pris les deux mains, il s’est agenouillé et a prié en disant : Écoute la Parole de Dieu, tu seras, par la grâce de Dieu, un grand homme, un grand chef. Et, quand cela arrivera, n’oublie pas les kimbanguistes. Continue donc à les aider. Je ne me souviens plus de la date exacte, mais je sais que c’était en 1958. Après cette prédiction, si vous scrutez bien l’histoire de notre pays à partir de la Table ronde de Bruxelles jusqu’à ce jour, vous conviendrez que ce monsieur, dont la dépouille a été lapidée, est un prophète au même titre que son père. Ce qu’il m’avait dit s’est accompli tel qu’il me l’avait annoncé. »

    Évangile selon Fernão de Melo

    Tout commence avec le navigateur et explorateur portugais Diego Cão, qui vient de découvrir l’embouchure du fleuve Congo, en cette année 1482, dix ans avant qu’un certain Christoph Colomb ne découvre, lui, l’Amérique. Mais, le voilà déjà en train de planter le padrão, cette stèle de pierre surmontée d’une croix, en guise de borne des conquêtes de la couronne portugaise, avant même d’organiser la toute première rencontre entre Européens et habitants du Kongo dia Ntotila, le Kongo de l’Univers, ce royaume s’étendant sur des terres très accidentées avec des monticules couverts d’herbes et de ravins couverts de forêts de galeries, en Afrique centrale. Ce premier contact n’aura lieu que quelques jours plus tard, chez un chef local, d’une localité côtière.

    Mais l’ambiance dans les contacts avec l’explorateur portugais, et ses Mindele, ses Blancs, associés aux ancêtres situés au fond de l’océan Atlantique revenus avec une autre couleur de peau, est glaciale. Les Kongo ne parlent pas la langue de leurs ancêtres revenants, pourtant c’est avec l’un d’eux que Nzambi, Dieu, après avoir créé l’univers : le visible et l’invisible, créa par la suite Mahuungu, homme complet. Il conclut une alliance avec lui, symbolisée par un nsengele mbele, un sabre sans manche, qu’Il lui donna comme symbole de l’unité, de la puissance et du savoir-faire. Il lui interdit cependant de contourner le ñti a Nzambi, l’arbre de Dieu. Mais un jour, Mahuungu s’était résolu de jeter un coup d’œil derrière le nsãmba, le palmier. Il parait que sa sève constitue une boisson délicieuse à l’état naturel, ou après une fermentation de quelques heures. La curiosité tourna au drame. Un violent cyclone s’abattit sur lui, le brisa en deux êtres : un homme et une femme. Ainsi, il perdit le sabre.

    Lambu, l’homme, et Munzita, la femme, deux entités dans lesquelles la souffrance s’insinuait déjà, avaient le sentiment de n’être plus complètes. Lambu voulut alors retrouver les attributs féminins qu’il a quittés. Munzita aussi, les attributs masculins qu’elle a perdus. Alors, ils tinrent une réunion au cours de laquelle ils décidèrent de contourner à nouveau le ñti a Nzambi, en sens inverse, dans l’espoir de retrouver leur état initial. Ils le firent. Mais sans succès. Ils restèrent donc deux êtres distincts. La déception, le sentiment d’être incomplets, la souffrance, l’imperfection, s’installèrent définitivement en eux. Mais avec ce sentiment d’être incomplets, un autre sentiment, être liés l’un à l’autre, commençait, peu à peu et avec le temps, à grandir en eux. Un jour, les parties différentes de leurs deux corps s’emboitèrent. À l’espace d’un instant, les voilà revenir à leur état initial perdu d’1+1=1. Contents et satisfaits, ils s’attelèrent plusieurs fois à faire durer, et maintenir ce moment d’unité parfaite entre Lambu et Munzita. C’est de ce moment merveilleux que naquirent les Kongo.

    Devant cette difficulté de communication entre Portugais et Kongo, Diego Cão prend langue avec le chef. Il lui propose de lui laisser quatre hommes de son équipage, et de prendre également quatre Kongo, en échange, pour les présenter à son roi, au Portugal, en guise de symbole d’amitié. Mais aussi et surtout pour leur apprendre le portugais afin de servir d’interprètes entre Européens et populations locales à son retour.

    Avant de partir pour le Portugal, le premier Européen à avoir exploré la côte ouest de l’Afrique est invité par le chef à assister à un kikumbi, l’initiation au mariage. Le test vaginal sur la jeune Ngóola, quelques jours avant la cérémonie, a été applaudi par le village. Il a montré que, même sentimentalement attachée à Landu, la fille n’était pas encore déflorée. Même cas pour Luti. Elle est encore vierge et ne voit d’ailleurs personne dans sa vie. Ce qui n’est pas le cas pour Tukula. On lui a rasé la tête, ainsi que l’homme qui l’a conduite à cet état. On leur a versé de l’huile de palme, on leur a retiré les habits, enfin, on les a livrés, une journée entière et, au rythme du tam-tam, aux moqueries du public. C’est la raison pour laquelle on la verra ce soir à la cérémonie. Mais pas le coupable. Il est obligé de payer l’amende prévue par la jurisprudence et de la prendre immédiatement en mariage après son kikumbi.

    La grande fête dansante, la danse d’amour, le talent indispensable pour une bonne épouse, à laquelle les filles en âge nubile participent ce soir, se déroulera la nuit tombée.

    En attendant, un grand repas ne réunit que les membres du clan et les amis de la famille de Ngóola. Ses parents ont rassemblé vivres et boissons pour faire plaisir aux invités. Voilà la femme chargée de la guider dans ces rites lui tendre une cuillère de bois et une assiette également façonnée dans le bois, et lui donne l’autorisation de manger. Une gaieté générale anime tout le monde. D’autres femmes, assises sur des nattes, l’égaient aussi, tout en lui présentant les meilleurs morceaux. En face, les hommes font honneur aux aliments qui leur sont servis : poulets à la sauce d’arachide, quartiers de singe nageant dans des sauces aromatisées, de la viande mélangée avec les graines de courges, poissons fumés, bananes-légumes, des haricots blancs, de la soupe de patate douce, du riz, et différentes préparations de manioc.

    Quoique l’essentiel de la nourriture ait été fourni et préparé par les parents de Ngóola, certains invités ont aussi apporté des présents de nature comestible à la famille. C’est de ces mets que les garçons, en les comparant, se donnent la liberté de s’exhiber à d’exubérantes manifestations d’appétit, chacun réclamant le morceau de son choix, se moquant aussi bruyamment de celui qui est mieux placé, près de la table, qui s’en empare avant les autres. Pendant ce temps, les dames-jeannes de nsãmba, vin de palme, circulent à la ronde. Des maximes à la fois imagées, subtiles et percutantes, et des proverbes, énoncés à mi-voix contre le mieux placé, aussitôt couverts par le vacarme des rires, imprègnent progressivement les hommes et les vieux qui, en entamant leur repas sur des entretiens graves et posés, finissent par participer à l’animation des jeunes après un temps d’observation silencieuse. Ils l’enrichissent par des sentences instructives, riches, variées et inconnues des jeunes gens. Et, près de leurs mères, les gamins, torses nus, réunis sur une natte autour d’un récipient copieusement rempli, s’en partagent le contenu, étonnés de tant de bruits.

    Les habitants de la localité, et de nombreux autres visiteurs, sont déjà sur la place du village, en attendant le moment fatidique. Ils ont déjà formé un cercle autour du foyer, dont le feu est entretenu en permanence, et autour duquel aura le spectacle. Puis le lever de rideau. Une fille, une ancienne initiée, entame la danse, que le chef tente d’expliquer en langage mimique à son invité, Diego Cão. « On appelle ça, dit-il, balayer la cour, inaugurant ainsi la place où viendront successivement se produire les futures initiées, en solo ou par couple. » La première initiée fait son apparition. Elle pratique avec le plus d’entrain et de savoir-faire la danse à laquelle elle s’est exercée. Un temps de pause. Des conversations s’amorcent dans l’assistance. Puis une nouvelle, Luti, apparait. Elle rivalise de vitesse et de souplesse par rapport à la première.

    Gagné par l’excitation face à une danse lascive, un garçon, qui n’a pourtant aucune relation particulière avec Luti, la rejoint, d’un bond, courageusement au centre du cercle, l’accompagne, au son de ngoma, tambour sacré, quelques secondes par des contorsions sexuelles évocatrices, puis rentre dans le cercle des spectateurs. Après lui, un autre, aussi excité, perd le contrôle. Il franchit le cercle, saisit la fille dans ses bras, effectue avec elle une danse de mimiques et d’attouchements significatifs, sous l’indignation des anciens qui ne se sont pas fait faute de les convoquer après l’événement.

    Après une dizaine d’apparitions, de temps de pause et de conversations dans l’assistance, l’initiée suivante, Ngóola, dans les nuages de poussière, les chants et les roulements de tambour qui s’accélèrent et augmentent d’amplitude, commence, d’abord accroupie, à émerveiller toute l’assistance. Puis redressée, elle enchaine alors de demi-extensions de chaque jambe, accompagnée dans le même temps d’un repli du membre opposé, la pointe du pied sur le sol. Avec des bras étendus, elle maintient l’équilibre de son corps, tandis que les foulards tenus dans chaque main dessinent de larges arabesques. Elle se déplace et parcourt toute la superficie qui lui est réservée, s’attardant devant le chef et son invité, qui se lèvent pour lui donner des pièces de monnaie qu’elle saisit dans sa bouche préalablement débarrassée de son sifflet.

    Son père et ses oncles maternels, devant lesquels elle s’attarde à tour de rôle, lui donnent aussi, chacun, des pièces de monnaie qu’une tante, dans l’assistance, non loin de ces parents,

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