L'homme sans parapluie
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Avis sur L'homme sans parapluie
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Aperçu du livre
L'homme sans parapluie - Jean-Christophe Manuceau
L’homme sans parapluie
Jean-Christophe Manuceau
L’homme sans parapluie
Et autres nouvelles
LES ÉDITIONS DU NET
22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013
ISBN : 978-2-312-01794-5
L’homme sans parapluie
UN
L’homme venait de pénétrer dans le wagon du RER. Il installa ses yeux vert clair face à moi et déposa une petite sacoche en cuir entre ses pieds. Puis, il sortit de la poche de sa veste de costume un téléphone portable sur lequel il se mit à pianoter, tout en ruminant lentement un chewing-gum. De ce visage aux traits purs, droits, harmonieux, émanait une sorte de force tranquille.
Les cheveux blonds soigneusement peignés sur le côté, la cravate noire à pois rouges sur une chemise blanche, la veste et le pantalon noirs, le tout parfaitement coordonné, lui conférait une apparence élégante et soignée. Chaque détail - les chaussures impeccablement brillantes, la chaînette dorée autour du cou – était pensé avec soin et goût et aurait pu lui donner un charme un peu guindé s’il ne s’était laissé pousser quelques millimètres de barbe.
Ce tout juste trentenaire assis dans le compartiment face à moi aurait tout aussi bien pu sortir directement des pages glacées des magazines de luxe tant sa beauté semblait irréelle et incongrue dans un tel lieu. Je me demandai qui il était quand j’aperçus un détail qui m’avait échappé et qui acheva de m’intriguer. J’eus besoin d’y regarder à deux fois pour en être bien sûr, mais je ne me trompais pas. L’homme était dépourvu de petit doigt et cela aux deux mains ! Ce qui m’étonnait d’autant plus, c’est qu’il ne se comportait pas le moins du monde comme une personne différente. Chacun de ses gestes était naturel et il ne remarquait pas les regards parfois insistants des autres passagers.
Le portable dorénavant en poche, il promenait un regard distrait dans le wagon, mais ne croisa pas le mien. Dans le chaos assourdissant du freinage, il se leva prestement et, sans avoir besoin de se tenir, attendit l’arrêt complet pour fouler le sol humide du quai d’un pas vif.
Tiré de ma torpeur par le signal sonore, je me levai d’un coup et bousculai quelques épaules juste avant que les portes ne claquent dans mon dos. À une distance raisonnable de quelques mètres, je calai mes pas dans les siens, tâche compliquée par leur cadence relevée et la densité de la foule traversant la gare en tous sens.
Croisant des ouvriers, des secrétaires et des cadres, il attirait des regards envieux ou étonnés, saisis par sa beauté, questionnés eux aussi par cet être que je suivais discrètement. Où allait-il ? Qui était-il ? Pourquoi prenait-il le train de banlieue ? Que pensait-il de ce mendiant qui venait de lui tendre la main et qu’il avait feint de ne pas voir ?
Un besoin impérieux s’affermissait en moi, une nécessité de le savoir, de le savoir absolument. J’avais besoin de déchirer ce voile superficiel, d’en extirper un être réel et de le mettre à nu. De connaître cet autre si indifférent au monde, de briser cette barrière invisible qui nous séparait.
J’aurais simplement pu le rattraper, me présenter, mais le lieu était mal choisi. Non, je n’avais d’autre choix que de le suivre. Reliés par un lien invisible dans une foule compacte, nous remontions un flux puissant de voyageurs qui débarquaient de trains de banlieue ruisselants dans les éclats du soleil humide. Il se dirigeait avec difficulté vers une sortie qu’il semblait avoir hâte de trouver. Au détour d’un couloir à angle droit, je le perdis de vue quelques instants avant que sa chevelure blonde et son aisance naturelle ne ressurgissent, à mon grand soulagement.
Il grimpait les escaliers deux par deux, esquivant les obstacles, retenant les portes pour les passants derrière lui, et ne lésinait pas sur les sourires ou les gestes de bienséance. J’étais de plus en plus intrigué par cet homme. Il me fallait tirer cela au clair.
Enfin, nous nous retrouvâmes dans une rue grise du centre de Paris, débordant de voitures, où une pluie fine continuait de s’abattre malgré les éclats dorés du soleil. Il s’élança sur le trottoir à une vitesse proche de la course. Je dus forcer le pas pour le tenir à une distance acceptable et, écoutant mon instinct, continuai à le suivre sans relâche.
J’étais persuadé qu’il se dirigeait vers son lieu de travail. Sans doute avais-je raison car il venait de pénétrer dans un immeuble de standing où, après avoir salué d’un geste de la tête la jeune femme de l’accueil, il se dirigea vers les ascenseurs. Je pénétrai alors à toute allure dans le hall et, sans répondre à l’interpellation de l’hôtesse, m’insérai in extremis dans la cabine où l’homme attendait en compagnie de quelques autres employés. Je n’eus pas le loisir de voir son visage car il était hors de mon champ de vision. Au neuvième étage, un groupe de trois personnes descendit. Il ne restait dans l’habitacle que lui et moi. Je jetai un œil discret dans sa direction, mais il semblait ne pas me voir. Au quinzième étage, il descendit, je lui emboîtai le pas devant le guichet d’accueil où était assis un homme d’une vingtaine d’années, occupé au téléphone. L’homme que je suivais lui fit un signe de la main sans s’arrêter, et, en sortant un badge d’accès de sa poche, ouvrit la porte vitrée du vestibule et s’éloigna dans les bureaux. Je le suivis des yeux, puis il disparut. J’attendis que le réceptionniste finisse sa conversation téléphonique, et lui demandai s’il était possible d’appeler la personne qui venait de rentrer.
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