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Fragmentaire: Entre deux guerres…
Fragmentaire: Entre deux guerres…
Fragmentaire: Entre deux guerres…
Livre électronique217 pages3 heures

Fragmentaire: Entre deux guerres…

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À propos de ce livre électronique

Né pendant la première guerre mondiale, René est le quatorzième enfant d’une fratrie qu’il ne connaît qu’en partie. Il vit une enfance et une adolescence faites d’errance au gré des opportunités de travail de son père sabotier et passablement porté sur la bouteille, et des possibilités de se loger à très faible coût…
Les 24 heures du Mans, Bibi Fricotin, les premières courses cyclistes, Nick Carter, les bals… forgent des rêves d’aventures…
LangueFrançais
Date de sortie7 avr. 2020
ISBN9782312072234
Fragmentaire: Entre deux guerres…

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    Fragmentaire - Alain Bouthier

    cover.jpg

    Fragmentaire

    Alain Bouthier

    Fragmentaire

    Entre deux guerres…

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2020

    ISBN : 978-2-312-07223-4

    À David, Sylvain, Gaëlle

    À Nolan, Jules, Milo, Antonin

    « Je ne me souviens pas d’avant St Jamme.

    Je devais avoir 4 ans et demi, ou 5 ans.

    On habitait cour des miracles »

    Mai 1921. Saint Jamme

    René dort.

    Il s’est roulé en boule sous une lourde couverture, les genoux contre le ventre, cachés sous la chemise de nuit, pour ne pas sentir sur la peau, le poil rude de la laine.

    La journée a été particulièrement belle. Le soleil s’est mêlé aux jeux des enfants dans la « cour des miracles », comme l’appelle le père.

    Depuis le début de la semaine, René et le petit Chenu se retrouvent dans la grange de la voisine d’en face, dont le père a réparé la porte. On se demandait d’ailleurs comment ses gonds la soutenaient encore… la mère Chapuit ne peut pas s’occuper de tout ça, surtout depuis la mort de son mari. C’est dans cette grange que les deux enfants, du haut de leurs six ans, viennent s’inventer parfois des aventures de corsaires. Parfois, il leur faut s’éloigner avec discrétion pour échapper à la présence de Fernande qui du haut de ses presque trois ans voudrait bien se mêler à leurs jeux.

    « La Fernande, elle pisse et elle chie partout, a expliqué René, je suis sûr qu’elle le fait exprès pour nous embêter ! »

    La mère, de son côté, a décrété que c’était la dernière fois qu’elle montait à Paris prendre des petits en nourrice. Mais celle-là elle s’incrustait… Il y a bien longtemps que la mère n’avait plus de lait, et puis après le décès quasiment à la naissance de la dernière, ce n’était plus à l’ordre du jour de prolonger son activité de nourrice !

    Et cette semaine, René avait tenu à ce que son copain lui apprenne à siffler ! Il faut dire que le petit Chenu venait d’être initié à cet art difficile par son frère, un grand de treize ans. Alors, assis à cheval sur un madrier abandonné depuis longtemps sur le sol de terre battue, éclairés tout juste par quelques rayons de soleil qui suintaient à travers quelques planches disjointes, ils se sont appliqués tous deux à sortir des sonorités aussi stridentes et impérieuses que possible.

    Aujourd’hui, René s’est surpris à produire un son digne de la locomotive quand elle entre en gare du Mans. Mais cela s’est terminé dans un drôle de bruit, plus proche du pet que du chant du rossignol ! N’importe, quand la mère l’a appelé à l’heure de la soupe, il est rentré tout auréolé de cette nouvelle victoire.

    René dort.

    Ou plutôt, il somnole à présent. Une vague conscience de ce qui l’entoure vient agacer son esprit. Il perçoit, sans que cela lui paraisse réel, un bruit de chaîne. C’est le chien des Chenu qui vient renifler quelque odeur de passage, son attache racle la caisse qui lui sert de niche. Il s’agite beaucoup, ce soir ! C’est peut-être ce qui réveille peu à peu René. D’ordinaire, les courses et les exploits de la journée lui offrent un sommeil presque immédiat, et profond.

    Maintenant, il perçoit un bruit vague, lointain et lancinant, qu’il reconnaît. Ce sont les notes d’un bal, ou du moins quelques sons qui émergent à intervalles réguliers, par-dessus les noisetiers de la haie, qui bordent la route au bout de la cour.

    Sa sœur a parlé à plusieurs reprises de ce bal à la mère aujourd’hui, et aussi la veille. La semaine passée, les jeunes ont dansé à Saint Marceau ; mais Julienne, elle est restée à la maison. Pourtant elle avait tanné la mère : juste pour regarder… La mère avait prétexté une vieille entorse : elle ne pouvait l’accompagner là-bas, et il n’était évidemment pas question qu’elle y aille sans elle. Julienne a maintenant plus de douze ans, et la mère sait lire dans les regards des garçons, que sa Julienne va lui coûter quelques soucis, comme Eugénie et Marie-Louise, les aînées.

    Mais ce samedi, Louis est passé au début de l’après-midi. Il avait quartier libre jusqu’au dimanche midi, dans la ferme où il travaille en ce moment, près de Saint Jean d’Assé. Il est venu spécialement pour le bal de Saint Jamme, et il a plaisanté sa sœur qui l’a poursuivi dans la cour alors qu’il riait aux éclats. René n’a pas bien compris la cause de cette excitation si peu habituelle entre son frère et sa sœur, sauf que la mère a dit oui à Julienne, et que celle-ci chantonnait au dîner.

    L’idée subite qu’il est peut-être seul, que la mère et Julienne sont parties au bal lui traverse l’esprit. Il frissonne un peu. Seul dans la maison ! La vieille Chapuit est de l’autre côté de la cour, sans doute à ronfler sur son mauvais lit. Peut-être même que les Chenu ne sont pas là ! Le père Chenu, d’habitude, ne laisse pas le chien s’agiter ainsi. Il est plutôt gueulard, le père Chenu !

    Mais un corsaire n’a pas peur, même la nuit, même seul…

    René se laisse glisser du bord de son lit jusqu’au sol. Il se retrouve accroupi sur la terre battue, une main encore sous la couverture, comme pour s’y réfugier immédiatement en cas de danger. Seul. C’est sûr, il n’y a aucun bruit dans la maison. Il se redresse et fait quelques pas vers la porte, qu’il suffit de pousser pour découvrir la salle sans vie. De vagues rayons à peine lumineux parviennent à toucher l’extrémité de la table, et plus à droite un fauteuil paillé, seul maître des lieux. La porte qui donne sur la cour est fermée. René pousse légèrement la partie haute dont le loquet n’est pas enclenché, l’entrouvre à peine et, sur la pointe des pieds, jette un coup d’œil à l’extérieur. Tout est silencieux, même le chien semble s’être calmé. Le loquet de la partie basse est récalcitrant, il le sait. Il doit s’arc-bouter sur ses pieds pour forcer le mécanisme qui cède avec un curieux claquement dans ce silence. René est surpris de ce bruit qui lui semble n’avoir jamais été aussi sonore.

    La cour est là comme une apparition soudaine, si différente sous le clair de lune qui favorise la création de formes nouvelles. René ne se sent plus inquiet : l’espace qui s’ouvre l’attire. Ce n’est pas comme l’autre soir quand il a accompagné le père, et qu’ils sont rentrés à la nuit tombée : tout était sombre dans la cour ; les moindres recoins cachaient des ennemis sournois… Ce soir, elle est sa complice, elle est éclairée spécialement pour lui…

    René prend le temps de faire le tour de tous les objets, de tous les lieux qu’il connaît si bien qu’il ne les voit pratiquement pas en plein jour. Là tout est neuf, tentant, presque vivant. Il entend des bruits de voix, provenant de la route, là-bas au bout de la cour. Il s’élance en courant pour espionner ces intrus. Mais il réfrène son impétuosité bien vite, manquant de lâcher un cri : il est pieds nus, et de nombreuses aspérités naturelles parsèment bien évidemment le sol. Décidément, le contact avec ces lieux qu’il croit si bien connaître réserve des surprises. Avec un peu plus de précautions que dans son premier élan, il s’avance en longeant les bâtiments sur sa droite. Il sait qu’il pourra se cacher derrière un pan de mur à demi écroulé, prolongeant le pignon qui borde la route.

    Là, il savoure cette immense joie d’entendre sans être vu, de participer aux secrets des plus grands. Ces jeunes gens qui passent parfois en couples, se parlent, se confient des secrets qu’il entend, sans qu’on puisse l’en empêcher. Il comprend à mi-mots les protestations à peine sérieuses de ces filles qui rient autant qu’elles invectivent leurs cavaliers du soir. Il peut même espionner celle-ci qui se laisse embrasser longuement contre le gros chêne de l’autre côté de la route.

    En plein jour, il a essayé à plusieurs reprises déjà avec le petit Chenu de suivre les amoureux, mais ils se font toujours repérer et leur témérité se solde souvent par quelques injures appuyées, qu’ils essayent de retenir ; voire même, une fois ou deux, par une bonne dérouillée !

    Mais ce sentiment de puissance est d’un seul coup annihilé : les voix qui parviennent à lui maintenant, il les connaît bien. C’est la mère et Julienne. Elles sont tout près : elles ont dû marcher un bon bout sans parler… un peu plus et il se laissait surprendre. Cette fois la lune lui joue un sale tour, ce n’est plus l’amie de tout à l’heure. Il a l’impression qu’on ne peut voir que lui dans cette cour. Tant pis pour la douleur des pieds, René détale littéralement jusqu’à la porte de la maison, qu’il a laissé entrebâillée. Justement, la fermer à présent devient risqué : il se souvient du bruit si sonore tout à l’heure. Il se glisse à l’intérieur, tire le battant du bas le plus possible et fait de même avec la partie supérieure de la porte. Il traverse la grande salle plus tranquillement, et se glisse dans le lit où il s’efforce de reprendre vite son souffle.

    La mère en entrant s’étonne de trouver la porte si mal fermée… un coup d’œil du côté du lit : René dort, elle est manifestement rassurée.

    Au fond du lit quelques petits graviers sont restés accrochés à la plante des pieds de René. Il les palpera plusieurs fois, ce soir-là, avant que le sommeil ne triomphe tout de même.

    Juin 1923. Amboise

    Il est dix-sept heures.

    René jette rapidement un coup d’œil vers la porte de l’atelier. On s’affère chez Gounin, mais il n’entrevoit pas le père. Il doit être derrière à entreposer les sabots et les galoches.

    Une fois, René a accompagné son père, il y avait des ouvriers qui parlaient très fort.

    « Tiens, tu nous amènes ton dernier, Pierre ! y a plus d’place à l’atelier… L’patron il embauche plus…

    – C’est René, avait-il dit, simplement. »

    Et puis après un silence, il s’était tourné vers lui :

    « Bah quoi t’as pus rien à dire, Tintin ? »

    Ils avaient tous ri de bon cœur, et bruyamment…

    Depuis qu’ils habitent ici, au-dessus de la galocherie, René se sent surveillé dès qu’il rentre de l’école. Alors, quand il peut grimper dans le petit logement que le patron leur loue, sans se faire remarquer, il a l’impression d’avoir gagné un peu de liberté. Il monte donc les marches de l’escalier extérieur qui mène « à la maison ». D’un coup d’œil d’expert, il jauge les chutes de bois qui parsèment le sol sous l’escalier, et qu’il aperçoit à travers les marches. Parfois on peut retailler certains morceaux. Et avec le couteau pliant que lui a offert Louis, il se fabrique des pales pour des moulins à eau. René n’a d’ailleurs jamais vraiment compris cet élan de générosité de son frère, ce n’est pas vraiment dans ses habitudes.

    Rien d’intéressant.

    Il pousse la porte et jette son cahier et son livre sur la table. Un rapide tour d’horizon : il est seul. La mère ne rentre pas avant une heure, s’il ne se fait pas remarquer, il pourra rejoindre Lanjérôme près du bateau lavoir.

    A peine a-t-il commencé à descendre que le père se pointe en bas. Large sourire. Tiens, il se passe quelque chose.

    « Ça y est, Tintin, on va avoir une maison à nous. J’vais avoir besoin de toi, maintenant qu’t’es presqu’un homme. »

    Généralement ; quand le père est enjoué, comme ça, c’est plutôt quand il va retrouver les copains chez Marcel, sur le mail. Une maison ! Alors on déménage… Cette perspective le laisse sans réelle réaction, René se sent incapable de comprendre ce qu’il ressent. Son premier réflexe c’est d’aller prévenir Lanjérôme, mais vu l’allure du père, ça ne va pas être facile, il vaut mieux attendre après le souper…

    « Ben mon p’tit, t’as rien à m’dire ? Tu causes pas ?

    – C’est où ?… »

    Un instant le père écarquille les yeux, comme si cette question était incongrue.

    « À Saint Règle… à six ou sept kilomètres… l’patron me laisse mon samedi et le Marc, y m’passe sa charrette pour transbahuter tout not’ fourbi ! Alors ça t’fait pas plaisir, t’auras d’l’air au moins, là-bas… »

    Un bruit de vélo, que René connaît bien, annonce l’arrivée de la mère. À cette heure !

    C’est elle, elle souffle un peu en posant l’engin contre l’escalier.

    « Alors, t’as la charrette demain ? »

    Julienne arrive, elle n’a pas couru comme René pour rentrer de l’école… Elle n’a pas l’air si surpris.

    René n’écoute plus. Elles ont l’air au courant : et lui il n’a rien vu venir. Et Julienne n’a parlé de rien. Même pas quand ils se retrouvent sur le chemin de l’école… où il la « saoule avec ses questions et ses histoires », comme elle dit…

    Demain… Saint Règle, il ne lui semble pas avoir entendu ce nom-là, auparavant.

    Le soir : course vers les quais. Ouf ! Lanjérôme est là.

    Lui se souvient avoir entendu parler de ce village, c’est sur la route de Montrichard, ou pas loin. Son oncle y a une remise. C’est tout ce qu’il peut dire. Ça rassure tout de même René, il ne partira pas tout à fait vers l’inconnu.

    Nuit agitée.

    Le lendemain, ça bouge tout autour dans la maison, dès cinq heures les parents sont levés, vite suivis par Julienne. À six heures, le Marc arrive, il laisse la charrette et la jument devant l’atelier. Il aurait bien aimé donner un coup de main au père, mais le patron a besoin de lui ce samedi. Demain, il viendra prêter main forte. Pour sûr, on peut s’attendre aussi à ce qu’il aide le père à lever le coude, ce n’est pas pour rien qu’ils s’entendent bien ! Louis est venu aussi, on a besoin de bras pour descendre le mobilier, même s’il n’y a pas grand chose. La descente de l’escalier de bois nécessite quelques précautions tout de même. On charge d’abord les trois mauvais sommiers, puis la grande table, le bahut et les bancs. Les autres meubles restent là. La mère s’est fait prêter pour l’occasion quelques lessiveuses qu’elle remplit d’ustensiles de cuisine et de tout ce qui peut y loger.

    On termine en recouvrant le tout avec les matelas et la literie, ça ne craint pas : le temps est au beau. Les voilà partis pour un premier voyage.

    René s’est hissé avant qu’on ne l’oublie contre une lessiveuse prétextant qu’il fallait la maintenir fermement. On ne sait jamais, le père pourrait avoir oublié qu’il lui avait dit la veille qu’il aurait besoin de lui !

    La traversée d’Amboise ressemble à un défilé : les gens se retournent sur leur passage. René sourit aux visages interrogateurs, ose quelques signes de la main. Il savoure cette petite gloire passagère qu’il engrange dans sa mémoire.

    Et puis plus rien. Les dernières maisons du bourg ont été dépassées. René s’impatiente vite : tourné vers l’arrière, il ne peut pas jalonner leur trajet du regard. Là, on vient de quitter la route de Montrichard, on a tourné à gauche. C’est difficile de voir s’éloigner ce qu’il connaît, d’avancer à reculons dans l’inconnu.

    Quelque chose monte de son estomac, quelque chose qui pourrait bien se transformer en larmes. Lanjérôme a dit que ce n’était pas très loin, qu’ils ont déjà fait une distance équivalente quand ils se sont risqués, il y a trois semaines, dans la forêt d’Amboise.

    Et puis, il y a la perspective d’être en vacances avant les autres. Le père a bien dit que Julienne et René ne retourneraient à l’école, de Saint Règle, qu’à la rentrée d’Octobre.

    Saint Règle.

    Une place où l’on tourne encore à gauche. Le père crie : « V’là ton école, Tintin ! » Quelques secondes

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