Pourquoi j’ai buté mon cousin Gustav: Roman
Par Yvan Daumont
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À propos de ce livre électronique
Suivez les pérégrinations d’un artiste en manque de reconnaissance qui, à l’occasion du remariage de son frère, fait un Calimero nervous breakdown jubilatoire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Passionné de littérature russe, de philosophie et de voyages, Yvan Daumont a travaillé de nombreuses années à l’international pour des banques américaines, des start-up et des maisons d’édition. Depuis 2012, il se consacre à l’écriture et à l’enseignement. Pourquoi j’ai buté mon cousin Gustav est son troisième roman.
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Aperçu du livre
Pourquoi j’ai buté mon cousin Gustav - Yvan Daumont
Du même auteur
– Des œufs aux ananas
5 Sens Editions, 2016
Yvan Daumont
Pourquoi j’ai buté mon cousin Gustav
Chapitre I
C’est la faute à Corinne et au clair de lune
On est en 1992.
J’ai vingt-deux ans, je suis à l’unif à Louvain-la-Neuve, putain d’études à la con qui me tannent… Quoi ? J’écris mal ? Attendez un peu de voir comment qu’il écrit mon cousin Gustav !
J’ai vingt-deux ans donc, et je kotte en Belgique. Un kot, c’est une cellule avec un lit, un bureau et dans mon cas, grand luxe, un frigo et un évier. Douche WC et cuisine communautaires. Un communautaire, c’est un grand évier plein de la vaisselle sale des autres co-kotteurs, jusqu’à ce qu’on en ait marre de devoir plonger dedans pour chercher une petite cuillère à laver pour manger son yogourt (on dit yogourt en Belgique)… alors on gueule un coup, tout le monde lave, puis on recommence.
Mon kot est au-dessus du piano-bar. C’est un resto en entresol dont les murs de béton sont peints en orange et dont la sauce des brochettes de volaille fine champagne, elle aussi, est orange. Au piano-bar, il y a un piano sur une petite scène, une fois par an environ, un groupe s’y produit, généralement des vieux qui font du jazz. Le piano est noir, sur l’orange ça donne encore bien, enfin je trouve. On va au piano pour les brochettes, parfois la fondue, faut dire qu’elle est à volonté. Au piano, il y a aussi Corinne. Il paraît qu’elle a des origines hongroises. Corinne, c’est la serveuse et je l’aime. Enfin bon, je n’en suis pas sûr mais je me dis que je pourrais l’aimer, je la kiffe à donf quoi, comme dirait mon cousin Gustav. Ça fait un an que je me farcis le piano tous les soirs, dix fois j’ai fait le tour de la carte, couscous, rôti sauce béarnaise, brochettes, boulets liégeois, j’ai pris dix kilos. Un an que je la regarde comme le pigeon scotché au milieu d’une grand-route regarde le camion. Pour ce qui est de la conversation par contre, ça se résume à « n’oubliez pas de mettre mon cachet sur la carte de fidélité »… ça va lui faire tout drôle Corinne le jour où je vais lui déclarer ma flamme, j’aurai l’effet de surprise de mon côté. Mais ce soir, c’est différent… enfin ce soir, je devrais dire ce matin, il est passé deux heures Je suis avec un co-kotteur que j’aime bien. Je l’aime bien parce que quand il quitte sa chambre, il se retourne cinquante fois pour vérifier qu’il a bien fermé sa porte à clef. Je me sens bien avec lui, normal, j’ai des envies d’audace. Dans le resto, il n’y a plus personne, seul deux types bavardent encore au fond, autour de leur café, ils ont demandé l’addition, ils vont bientôt partir. Alors que mon pote me demande entre deux bouchées de couscous si je suis certain qu’il a bien fermé sa porte à clef, je me décide. Tel le chevalier ardent, mon héros des BD de pensionnat, je me lance avec courage. J’ai passé toute mon enfance à me faire chier à apprendre le piano. Pas parce que j’étais doué ou pour le plaisir, mais parce que je ne savais pas corordoner coodroorner mes mouvements et que ma maman et mon papa ils ont pensé que ça pourrait m’aider à codor… enfin bref à pouvoir bouger la main gauche et la droite en même temps… Pour ce qui est de la main droite, depuis que j’ai découvert la masturbation, pour bouger elle bouge ! Je me suis pris des cours de piano comme on se prend des chocs électriques, par essai thérapeutique. Cet instrument de merde ne m’a jamais apporté de plaisir, sans parler de la drague… pas facile en colo de sortir son piano au coin du feu pour épater une nana. Par contre, à toutes les réunions de famille, j’y avais droit au petit récital entre le fromage et dessert. Ça fait quelques années que je n’y touche plus, mais je sais¹ encore jouer un peu le premier mouvement du clair de lune de Beethoven, je le connais par cœur, enfin les deux tiers du premier mouvement. Je me mets donc au piano, je m’en vais te la subjuguer moi Corinne ! Tous mes efforts au solfège vont enfin payer.
Sauf que, après une mesure et demie, je bloque. Le stress sans doute, la fatigue, la bière, le paquet de LM fumé en deux heures. Voilà, j’ai un peu l’air con, mais d’un autre côté, c’est sympathique, pathétique mais sympathique, dans chaque femme il y a une mère qui est prête à s’extasier devant son gamin qui fait le mytho. Sauf que, et c’est là où ça devient surnaturel, l’intrusion du fantastique dans le quotidien banal comme qui dirait profil d’une œuvre, de la table du fond, un des deux types se lève, vient vers moi tout sourire, me dit un truc du genre « vous jouez du piano ? Moi aussi » s’installe et se met à jouer… comme Chopin. Non seulement j’ai l’air con, mais maintenant, bonne éducation catho oblige, je dois prendre un air affable, poli et écouter cet enculé jouer toutes les danses hongroises de Brahms devant une Corinne en pâmoison. J’ai juste envie de lui claquer le couvercle sur les doigts mais je dois rester là et faire semblant de l’admirer. Quelle était la probabilité ? Ce soir-là, je commence à croire à la magie et dois me contenter du concerto pour la main droite.
J’aurais mieux fait de lui montrer ma lune.
2015 : Tout le monde est parti, à moins que personne ne soit encore arrivé. La mer a repris ses droits, le temps redevient lent, immobile de régularité, rythmé par le ressac. Dieu qu’il a passé vite ! Hier encore, à moins que ce ne soit demain, il était plein de rires d’enfants, de nappes blanches, de miettes de pains qui tombent sur la terrasse en bois, du cri des mouettes virevoltant autour, du tintement des verres, des respirations lourdes d’après repas.
Je suis là, dans le petit coin sombre, au seuil de la terrasse à me souvenir. À essayer du moins. Mais le bruit du large cadence l’éloignement, indifférent à mes rêveries. Assourdissant silence des vagues, du vent calme qui souffle de la montagne et fait bouger le haut des herbes sur le toit de la maison du voisin. Assis dans l’ombre, j’essaye de revivre ces instants ; la chaux blanche des murs de sa chambre, le craquement des marches quand elle descendait l’escalier de bois, son rire qui couvrait tout, son rire qui était tout. Il n’y avait alors pas d’écume, pas de houle, pas de bruit que son souffle, pas de ciel que ses yeux, pas de vent que ses parfums. Puis cette lumière, cette vibrante lumière tiède quand elle était là, ou sur le point d’y être ou sur le point d’y revenir.
Je voudrais pleurer, il me semble que la chaleur des larmes coulant sur ma joue me rapprocherait d’elle, un peu comme un baiser. Je n’y arrive pas, l’océan, le ciel m’en empêchent. Alors, je me lève lentement. Sur la terrasse, je m’appuie là où elle s’appuyait. Je descends me promener le long de la falaise, vers la montagne. Je veux gravir cette montagne, arriver au sommet, au-delà du nuage qui la coiffe et m’imprégner de cet infini qui m’entoure. La mer accompagne ma respiration, elle me parle, le vent me caresse. Regarde