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Dans l'ombre du viaduc: Thriller historique
Dans l'ombre du viaduc: Thriller historique
Dans l'ombre du viaduc: Thriller historique
Livre électronique292 pages4 heures

Dans l'ombre du viaduc: Thriller historique

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À propos de ce livre électronique

Espagne, fin des années 1950.

Arnaud Madrier séjourne à Teruel, un petit village d’Espagne où, durant la guerre civile quelque vingt ans plus tôt, son père engagé dans les Brigades internationales a mystérieusement disparu.

Si ce voyage représente pour le jeune ingénieur français une chance de comprendre enfin ce qui s’est passé, très vite sa venue dérange et ranime les cendres mal éteintes des événements dramatiques qui se sont joués autrefois.

La boîte de Pandore qu’il entrouvre par sa seule présence va mettre à vif des secrets douloureux qui vont marquer à jamais ceux qui croiseront sa route.

À vingt ans d’écart, l’amitié, la haine, l’amour et la vengeance vont se déchaîner à l’ombre de la légende des Amants de Teruel.

Un roman qui mêle subtilement Histoire et enquête pour tenir les lecteurs en haleine jusqu'à la dernière page !

EXTRAIT

À Teruel !
Il s’était tellement préparé à faire ce voyage. Et aujourd’hui, le sort lui faisait ce clin d’oeil sarcastique, comme un défi à relever : il allait s’y rendre, effectivement. Mais pour faire la fête !
D’un coup de pied, Arnaud fit rouler une conque, déposée là par une vague. Ses certitudes s’étaient évanouies. La détermination qu’il affichait encore ces dernières semaines semblait l’avoir abandonné et il doutait, essayait de raviver les raisons qui l’avaient convaincu d’entreprendre ce voyage dont il avait si souvent parlé. Mais elles s’étaient estompées, jusqu’à ce que Paco les lui remette en mémoire, comme un rappel à l’ordre.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

A la lecture du premier chapitre, on est immédiatement pris par la qualité de l’écriture. Il est rare que l’on soit non pas emporté mais bercé, charmé par une telle fluidité et une telle évidence dans un premier roman. - Pierre Faverolle, Blacknovel1

A l’ombre du viaduc n’est pas qu’un premier roman réussi, c’est aussi un thriller palpitant dans lequel on a plaisir à plonger ! - Librairie Au fil des mots

À PROPOS DE L'AUTEUR

Alain Delmas est né en 1958. Après avoir vécu quelques années en Amérique latine et dans la Caraïbe, il vit aujourd’hui à Paris. Dans l’ombre du viaduc est son premier roman.
LangueFrançais
ÉditeurIntervalles
Date de sortie11 oct. 2018
ISBN9782369561675
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    Aperçu du livre

    Dans l'ombre du viaduc - Alain Delmas

    glas

    PROLOGUE

    Espagne, été 1957

    Ce tortillard n’avançait pas. Arnaud regarda sa montre. Il était trois heures et quart. Il jeta un coup d’œil machinal sur les journaux repliés à côté de lui, mais les péripéties de Bourgès-Maunoury à la Chambre… Il ressortit de son sac de voyage ce numéro de Paris Match, un peu ancien déjà, de l’été 1954, célébrant les vingt-cinq ans de Grace Kelly en couverture. La lumière jaunâtre du plafonnier tremblotait. Le type sur la banquette en face s’était remis à ronfler, la bouche ouverte, insensible aux cahots.

    En soupirant, Arnaud se rencogna contre la paroi du compartiment pour essayer de trouver une position un peu plus confortable et étendit les jambes.

    D’un doigt, il souleva le rideau. La Méditerranée brasillait sous la pleine lune.

    Il gardait un souvenir amer de son départ de Toulouse quelques heures plus tôt. L’attitude de Nathalie l’avait agacé. Cette mission en Espagne était une occasion unique, elle se doutait bien qu’un jour ou l’autre il aurait fait ce voyage. Il l’avait regardée une dernière fois avant d’effleurer ses lèvres d’un baiser rapide. Il était monté dans le taxi sans se retourner.

    ***

    Le grincement strident des freins l’arracha à la torpeur dans laquelle il avait sombré. Il se redressa d’un coup, étonné de s’être finalement assoupi.

    Le train s’immobilisait. Arnaud fit remonter le rideau du compartiment et cligna des yeux, ébloui par la luminosité soudaine. Un haut-parleur crachota : « Valencia. Valencia. »

    Il se recoiffa sommairement avec les doigts, réprima un bâillement. Il enfila son veston, attrapa ses bagages. Sur le marchepied, il hésita un instant. La foule se pressait vers le hall. Un sac dans chaque main, il suivit le mouvement. En bout de quai, un jeune homme vêtu d’un petit costume gris un peu étriqué cherchait à attirer les regards derrière le panonceau de carton qu’il tenait à deux mains, et sur lequel on lisait : « Sr. Madrier ».

    En souriant, Arnaud s’approcha, posa un sac et lui tendit la main.

    — Bonjour, je suis Arnaud Madrier, enchanté. Le visage du jeune homme s’illumina :

    — Buenos días, señor. Paco Hernández. Avez-vous fait bon voyage ?

    Il lui serra la main chaleureusement.

    — Un peu fatigant, mais ça va, merci.

    Paco ramassa le sac d’Arnaud et du regard l’invita à le suivre :

    — Je vais vous conduire à votre hôtel, nous vous avons réservé une chambre dans le centre. Un instant interrompu par le jet de vapeur que lâcha la locomotive, il ajouta, un ton plus fort :

    — Dans la journée, je pourrai vous faire visiter la ville, si vous voulez.

    Ils restèrent quelques instants silencieux, marchant côte à côte. Dehors, il faisait encore frais, mais le ciel était pur et la journée promettait d’être ensoleillée.

    ***

    La cigarette entre ses doigts rougeoyait dans la pénombre de la chambre, juste éclairée par la lampe de chevet dans son dos et le halo orangé des réverbères. Le stylo plume était en suspens au-dessus de la feuille blanche.

    Il n’avait pas vu passer cette première semaine. Ce soir, une fois rentré du chantier, il s’était dit qu’il était temps d’écrire à Nathalie, mais l’inspiration lui faisait défaut. Sans qu’il en soit vraiment surpris, d’ailleurs. Déjà, la veille, il avait tenté de l’appeler depuis les sous-sols de la grande poste centrale, sur la Plaza del Caudillo. Mais l’attente était si longue et la difficulté telle pour obtenir une communication internationale qu’il avait renoncé ; presque soulagé, au fond. Il devait l’épouser à la fin de l’été, leurs deux familles préparaient la noce, mais lui se rendait peu à peu à l’évidence : Nathalie ne serait pas sa femme. Une sorte de lassitude l’avait envahi, l’impression pénible d’endurer une relation apathique qu’il fallait sans cesse étayer. Arnaud s’en voulait mais il était incapable de retrouver les sentiments qu’il éprouvait encore pour elle quelques mois plus tôt.

    Mécontent, il écrasa sa Gitane au fond du cendrier, fit quelques pas et ouvrit la fenêtre. Le rideau de mousseline blanche bouffa d’un coup sous l’effet de la brise. Il sortit sur le balcon et s’accouda à la balustrade. La nuit lui parut presque froide en comparaison des jours précédents, mais sous les palmiers nonchalants de l’avenue les passants étaient encore nombreux à se promener.

    L’averse s’était enfin calmée.

    Jamais encore il n’avait vu un orage aussi violent que celui d’aujourd’hui : des trombes d’eau, des heures durant.

    Sur le chantier, précipitamment réfugiés dans la cabane de Gómez, le patron de Paco, ils avaient attendu longtemps, craignant un nouveau débordement du fleuve, tant le niveau des eaux montait dangereusement. Le martèlement assourdissant de cette cataracte sur la tôle de la baraque confortait leur décision : ils allaient détourner le Turia. Sa dernière crue avait été un véritable désastre, ravageant une nouvelle fois Valence et ses faubourgs. Alors, on avait tranché : on allait lui creuser un autre lit dans la plaine, pour qu’il se jette dans la mer plus au sud. Dans deux ou trois ans tout au plus, il ne coulerait plus sous les ponts de la ville.

    Des travaux pharaoniques, avait pensé Arnaud, fasciné.

    Mais raconter tout cela à Nathalie ? Elle n’ignorait pas qu’il était sur place pour assister les Espagnols, à leur demande, parce que c’était son boulot : construire des barrages. Et surtout, quel intérêt ?

    Avec Paco, ils avaient rapidement sympathisé. Si le jeune homme se montrait souvent taciturne sur le chantier, c’était néanmoins un compagnon très agréable. Le jour de son arrivée, il avait eu la gentillesse de lui épargner un circuit touristique convenu, lui dévoilant la ville qu’il aimait. Ils s’étaient perdus dans des ruelles populeuses et tortueuses, dans des quartiers un peu vieillots. Le soir venu, ils s’étaient entassés dans un de ces bars enfumés, étroits et profonds, dans lesquels les Valenciens aimaient à rester des heures entières à discuter, jouer aux cartes ou aux dominos, et s’étaient laissés bercer par la chaleur d’une nuit qu’ils auraient bien vue ne jamais se terminer.

    Il rentra et referma la croisée. Il s’assit de nouveau à sa table, repensa à son départ de Toulouse. Nathalie n’allait pas comprendre. Il revissa le capuchon de son stylo et resta pensif un instant. Il jeta son paquet de cigarettes vide dans la corbeille et s’allongea.

    — Demain. J’écrirai demain, se dit-il en éteignant.

    ***

    — Ça te dirait de voir une corrida ? proposa tout à coup Paco.

    — J’attends ça avec impatience, tu veux dire ! répliqua Arnaud, enthousiaste. Mais la feria est passée, non ?

    — Ici, oui, mais il y en a plein d’autres, partout, répondit Paco. Chez moi, tous les ans, il y a la Feria del Ángel. Ça commence dimanche. Avec des courses tous les jours justement. Si tu veux, on y va ensemble. Je t’invite !

    En bras de chemise, col ouvert, ils s’étaient assis tous les deux un peu à l’écart du reste de l’équipe sur une épaisse dalle de grès blanc où ils déjeunaient de sandwichs. Alentour, de larges flaques de boue, stigmates des averses de la veille, séchaient rapidement sous le soleil presque au zénith. Une chaleur de plomb écrasait le chantier, sans l’ombre d’un arbre à proximité pour s’en protéger. Ce matin, ils étaient sortis en amont de la ville pour étudier le terrain. La crue de l’hiver avait tout emporté à cet endroit. Paco enchaîna :

    — C’est juste une fête populaire, tu sais, mais très vivante, il y a les courses, et puis des bals, bien sûr, tous les soirs, des fanfares, des défilés… Des attractions dans toute la ville pendant trois jours, sans arrêt. Des pétards tout le temps, un de ces bruits ! Tu ne dormiras pas beaucoup pendant trois jours, tu verras ! Il y a des…

    — C’est où ? Tu ne m’as pas dit, l’interrompit Arnaud. C’est loin ?

    — Non, c’est pas très loin, c’est à Teruel, deux cents kilomètres, à peine. Et puis, je te présenterai mes amis, on sortira tous ensemble.

    ***

    Arnaud s’arrêta enfin. Cassé en deux, les mains sur les genoux, il attendit quelques instants que s’apaise le battement dans ses tempes, que sa respiration se calme. Il se retourna, mesurant du regard le chemin parcouru. Les lumières d’El Grau, le port de Valence, étaient loin derrière lui, de l’autre côté de l’anse de sable. Il s’étonna d’avoir couru si longtemps.

    Il se redressa et s’immobilisa. Il n’y avait aucun bruit, seulement le chuintement des vagues mourant sur la plage qu’il devinait au dernier moment, lorsque la blancheur de leur écume tranchait soudainement sur la mer d’encre. La nuit était noire, sans lune.

    Rapidement, il se dévêtit et, nu, entra dans l’eau. Elle était chaude et caressante. Il se mit à nager profondément, à grandes brasses puissantes, dans une obscurité totale, impressionnante et rassurante à la fois.

    Il remonta à la surface et regagna la grève, enfin soulagé de la tension qui le tenaillait depuis l’après-midi. Il se rhabilla lentement, savourant cette sensation. Ses chaussures à la main, il reprit sans hâte le chemin de la ville, pieds nus sur le sable. L’effort lui avait fait du bien.

    Ce soir, il avait eu envie d’être seul. Il avait marché au hasard de quartiers qu’il ne connaissait pas encore et s’était retrouvé au cœur du fracas des ponts roulants, du grincement des grues géantes chargeant les cargos en partance pour l’Amérique du Sud à la lumière des projecteurs.

    La plage del Cabañal commençait juste derrière la grande jetée qui séparait la baie du port. Il avait sauté sur le sable, s’était élancé sans se retourner.

    Ces pensées revenaient maintenant peu à peu. Celles qu’il s’était refusé à affronter tout aujourd’hui, depuis l’invitation de Paco à passer quelques jours à Teruel.

    À Teruel !

    Il s’était tellement préparé à faire ce voyage. Et aujourd’hui, le sort lui faisait ce clin d’œil sarcastique, comme un défi à relever : il allait s’y rendre, effectivement. Mais pour faire la fête !

    D’un coup de pied, Arnaud fit rouler une conque, déposée là par une vague. Ses certitudes s’étaient évanouies. La détermination qu’il affichait encore ces dernières semaines semblait l’avoir abandonné et il doutait, essayait de raviver les raisons qui l’avaient convaincu d’entreprendre ce voyage dont il avait si souvent parlé. Mais elles s’étaient estompées, jusqu’à ce que Paco les lui remette en mémoire, comme un rappel à l’ordre.

    Il s’en voulait un peu mais il était partagé entre le souvenir de ses intentions et son humeur actuelle : il se sentait bien dans cette Espagne naguère détestée. Sans vouloir encore l’admettre tout à fait, il s’était laissé séduire et en venait presque à regretter les promesses qu’il n’avait cessé de se faire. Cela tenait à des riens qui n’auraient guère dû peser face au poids du passé. Mais son amitié avec Paco, cette indéfinissable impression de chaleur qu’il ressentait depuis qu’il était arrivé, tout cela avait ébranlé ses certitudes.

    Arnaud s’arrêta. Accroupi face à la mer, il regarda vers le large.

    — Et merde, soupira-t-il lentement.

    Il allait devoir se faire violence pour retrouver ses dispositions antérieures et satisfaire les espérances qu’il avait pu susciter. Oh bien sûr, personne ne lui ferait aucun reproche, il n’avait rien promis à personne, ce n’était qu’avec lui-même qu’il avait passé ce contrat moral. Mais cela n’en avait que plus de poids.

    Il reprit sa marche vers les lumières de la ville.

    Quand il retrouva les pavés, il s’enfonça résolument vers le centre, pressé tout à coup de rentrer se coucher. Au hasard de ruelles sordides, quelques putains fatiguées tentèrent de l’accoster sans conviction.

    La cloche d’une église sonna deux coups.

    Il força le pas.

    PREMIER JOUR

    — Angelina ! Ohé !

    Dans le brouhaha, la jeune fille répondit d’un geste, radieuse. Arnaud regarda dans la direction que Paco lui indiquait.

    Debout sur la pointe des pieds pour ne pas le perdre de vue, elle jouait des coudes dans la cohue, impatiente de retrouver son frère aîné. Le quai de la gare de Teruel était un véritable capharnaüm.

    Ils arrivaient après un trajet pittoresque dont Arnaud s’était délecté. Au nord de Valence, après avoir longé la côte sur quelques kilomètres, la petite ligne de chemin de fer avait obliqué vers l’intérieur des terres pour escalader les sierras. À peine avait-on distingué dans le lointain l’ocre des premières collines dans les brumes de chaleur que le train avait opté pour un rythme de croisière paresseux, comme pour mieux ménager la vieille automotrice. À chaque halte, des passagers sans cesse plus nombreux prenaient d’assaut les wagons bondés. Des valises circulaient de main en main, on hissait des gamins par les fenêtres, on s’agrippait comme on pouvait, des heures durant ; les derniers arrivés avaient dû s’asseoir tant bien que mal sur des cageots branlants sur la plate-forme extérieure. Le diesel essoufflé du tacot était chaque fois reparti.

    Une ambiance s’était rapidement installée, hors du temps. On parlait à ses voisins, on s’interpellait d’une banquette à l’autre, on riait bruyamment. Des bébés pleuraient, énervés par la fatigue et la chaleur. Une gourde de rosé avait circulé, les paniers de victuailles s’étaient ouverts. La logeuse de Paco lui avait préparé une tortilla et quelques tranches de chorizo accompagnés de fromage, qu’ils partagèrent avec leurs voisins. Une petite bonne femme, souriante et toute ridée, avait insisté pour leur offrir des œufs frais, délicieux à gober.

    Le voyage s’était ainsi poursuivi, au tempo cahotant de l’autorail, dans un mélange étonnant d’odeurs et de couleurs. Aux sierras avaient succédé les immenses étendues blondes ou brunes des hauts plateaux, désertiques et monotones. Des collines verdoyantes étaient de nouveau apparues à l’horizon. Leurs pentes, qu’on devinait traversées de nombreuses sources, s’étaient recouvertes de forêts de pins et de genévriers. Depuis longtemps les oliviers et les orangers, abondants dans la plaine, avaient disparu.

    Enfin arrivé à destination, le petit train se dégorgeait sur le quai trop étroit de cette humanité colorée qui s’ébrouait de la somnolence que la chaleur orageuse avait répandue sur la fin du trajet. La foule des habitants venus accueillir parents et amis envahissait jusqu’aux abords de la petite gare. Comme chaque année, l’afflux des arrivants provoquait une cohue indescriptible. Malles, valises, cageots, paniers d’osier, colis et sacs postaux s’entassaient vaille que vaille. Leurs propriétaires tentaient de les retenir tant bien que mal en attendant d’en pouvoir disposer. Les poules, attachées par paires aux pattes d’un solide lien de raphia, s’étaient tues, visiblement inquiètes.

    On restait sur place, à s’embrasser, se saluer ; on piétinait, tentait de se frayer un chemin ; une exclamation vive fendait parfois le murmure sourd ; des rires aussi. Paco et Arnaud progressaient péniblement, enjambaient des bagages jonchant le sol. Ils rejoignirent enfin Angelina. Son autre frère l’avait accompagnée. Avec un soupir de soulagement, Paco embrassa sa sœur en la serrant très fort.

    — Angelina mía, comment vas-tu ? Puis regardant par-dessus son épaule, il ajouta : ¡ Hola Rafael !

    Il se tourna vers Arnaud et, passant un bras sur son épaule, le leur présenta. La jeune fille paraissait intimidée.

    Rafael inspirait la sympathie. Un air un peu gouape, dont il semblait vouloir jouer avec ironie, se lisait dans ses yeux malgré la visière de la casquette qui lui ombrait le visage et un sourire à peine esquissé. Il était plus jeune mais plus grand que Paco, et il semblait avoir gardé pour lui une part de l’insouciance qui faisait défaut à son frère.

    En cela, Angelina paraissait plus proche de Paco, malgré leur différence d’âge. De visage fin, elle aurait sans doute pu être très jolie, mais malgré ses vingt ans, elle n’osait pas encore la moindre coquetterie, et portait une blouse de coton écru tirant vers le gris sur une jupe longue un peu terne.

    L’un des soldats avec lesquels ils avaient bavardé leur fit un petit salut en passant près d’eux. En lui répondant, Arnaud en profita pour briser la glace :

    — Je n’aurais jamais pensé qu’il viendrait tant de monde ! Vous avez vu ça ?!

    — T’as encore rien vu ! répliqua Paco en riant. Il jeta un coup d’œil pour chercher une brèche où se faufiler puis, avec une mimique de dépit, ramassa sa valise et les invita tous à repartir malgré tout.

    Rafael ouvrait la marche, suivi d’Angelina, s’excusant auprès des uns, bousculant les autres ; Paco précédait Arnaud. Ils n’avaient pas fait dix mètres qu’on l’attrapait par la manche. Avant qu’il se soit retourné, il avait déjà reconnu la voix chaude, un peu voilée, de la jeune femme qui le retenait. Il réprima un soupir, elle abandonna son bras. L’air pincé, il murmura en se tournant :

    — ¡ Buenas tardes, Inès !

    Elle le regardait de ses grands yeux noirs en amande, rieurs, qui cherchaient les siens. En retrait, Arnaud observait la scène, un peu intrigué.

    Elle avait des pommettes saillantes haut plantées, un sourire franc qui découvrait des dents très blanches, et ce teint mat… Ses longs cheveux ondulés, noirs, lui tombaient au creux des épaules. Elle avait cette silhouette racée des Andalouses, des Gitanes de romans. Grande et élancée, la taille fine et cambrée, la distinction et l’élégance naturelles. Elle était comme une apparition irréelle sur ce quai de gare encombré.

    Un petit espace s’était formé spontanément autour d’eux, qui renforçait l’aura qui s’en dégageait.

    La jeune femme ne semblait pas s’en être aperçue. Elle regardait toujours Paco, gêné, lui, de cette rencontre imprévue. Comme il ne bougeait pas, elle s’avança d’un pas et lui offrit ses joues. Acculé, il y déposa un baiser furtif en rougissant violemment, s’en voulut et recula, trop vite, maladroitement, pour présenter Arnaud, et détourner de lui, surtout, ces yeux magnifiques qui ne le lâchaient pas. Arnaud et Inès se saluèrent avec un sourire.

    Paco essayait de retrouver une contenance ; il s’épongea furtivement le front du plat de la main, les yeux fuyants, encore mal à l’aise.

    — Tu vas bien ? reprit doucement Inès.

    — Oui, ça va, marmonna-t-il.

    — Ça fait longtemps que tu n’étais pas revenu. On parlait de toi, l’autre jour, avec Vicente.

    — Il va bien lui aussi ? se força à demander Paco d’une voix un peu sourde.

    — Oh oui ! Ils vont se marier avec Soledad, tu sais, reprit Inès enjouée, ça y est, c’est décidé. Tu viendras ? Soledad m’a demandé d’être son témoin, ajouta-t-elle l’œil pétillant. En se tournant vers Arnaud, elle précisa : Ce sont deux de nos amis d’enfance qui se marient bientôt. On se connaît depuis… une éternité, n’est-ce pas ?

    — Assez longtemps, oui, grommela Paco, encore un peu ombrageux. Il voulut profiter d’un bref silence pour écourter cette rencontre : Bon, dit-il, en se penchant pour reprendre son bagage.

    Mais Inès fit mine de s’étonner, l’air malicieux.

    — Vous êtes si pressés ?

    — Oui, enfin non, mais c’est… répondit Paco, rougissant de nouveau, comme pris en faute.

    — Tant pis, ça ne fait rien, dit-elle avec un petit sourire entendu. Vous êtes venu pour la feria, vous aussi ? ajouta-t-elle en se tournant vers Arnaud.

    Il acquiesça, précisant que Paco l’avait invité. Celui-ci ne disait rien, assombri.

    D’un geste délicat, elle remonta une mèche de cheveux, et Arnaud remarqua la délicatesse de son poignet, cerclé d’une fine chaînette d’or. Il allait dire quelque chose, mais elle ne lui en laissa pas le temps.

    — On se reverra peut-être, si vous restez quelques jours. Bienvenue à Teruel !

    Sans attendre de réponse, elle partit, les laissant là tous les deux, et se faufila dans la foule sans se retourner. Sa robe d’été, légère, frôla Arnaud ; la caresse de son parfum lui fit tourner la tête. Il essaya de la suivre des yeux quelques instants, presque malgré lui. Paco rompit le charme :

    — Bon. On y va, oui ?

    Quelques minutes plus tard, ils étaient sortis de la gare. Angelina et Rafael les attendaient à l’ombre d’un arbre, de l’autre côté de la rue écrasée de soleil. Derrière eux, à l’écart de la foule sur la petite esplanade d’où partait l’escalier monumental qui montait au bourg, un vieillard aux yeux blancs agitait mollement une liasse de billets de loterie. Son chevalet en proposait des dizaines aux badauds, de toutes les couleurs. D’une voix éraillée, il lançait de temps en temps :

    — Para hoy, para hoy, pour aujourd’hui.

    — Voilà, tu es chez toi, dit Paco en poussant la porte de la chambre. Appuyé contre le chambranle, il s’effaça pour laisser entrer Arnaud.

    La petite pièce baignait dans une pénombre apaisante qui contrastait idéalement avec la luminosité violente de cet après-midi de juillet. Des rais de lumière graciles traversaient les contrevents et venaient caresser les contours du modeste mobilier qui l’encombrait. Un grand lit de fer, haut et large, dont le matelas semblait fatigué, occupait presque tout l’espace. Sur la courtepointe, une serviette de toilette était pliée en quatre. Au pied du lit, une armoire, trop grande elle aussi, couvrait toute la surface du mur ; à l’évidence, on ne pouvait guère que l’entrebâiller. À main droite en entrant, face à la fenêtre, sur une petite table de bois, il y avait un broc, une cuvette émaillée et un petit miroir. Au-dessus du lit était accroché un crucifix en bois d’olivier, auquel répondait, agrafée tout contre la fenêtre bizarrement excentrée, la gravure jaunie d’un moulin rond et trapu.

    Arnaud regarda quelques instants cette chambre préparée pour lui. Il posa son sac de voyage contre la table. Rafael était resté en bas mais, derrière lui, Paco et Angelina l’observaient sans mot dire, comme suspendus à son jugement. Arnaud se retourna, et son sourire les rasséréna.

    Ce matin, comme Paco le lui avait demandé dans sa dernière lettre, Angelina avait arrangé la chambre de son frère pour leur hôte. C’était le premier, aucun invité n’avait jamais dormi chez eux auparavant, et elle était anxieuse. Timidement, elle

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