isiter la maison d’un grand disparu ne donne pas l’impression de le retrouver. Ça n’est sans doute pas fait pour ça. La maison de Pablo Neruda ne déroge pas à la règle. Une maison tout en escaliers, encombrée de souvenirs de voyages, de meubles vintage, de tableaux d’amis. Des bibelots dérisoires nous disent que le poète révolutionnaire fut un touriste ordinaire. C’est le musée des choses démodées, leur récolement. Au début des années 1950, quand les deux amants ont acheté le terrain, il était traversé par un cours d’eau, qui a continué de chanter et de rafraîchir le patio une fois la maison construite. Un nid d’amour escarpé et fluvial en quelque sorte, source de rimes et d’allitérations. Après la mort des amoureux, pour changer la maison en musée, le ruisseau a été recouvert, détourné ou asséché, c’est le prix de ce qu’on appelle la culture, cette fabrique à regrets et à énigmes. Je n’ai rien acheté à la boutique, pas même un magnet pour le frigo de mon tonton, j’aurais eu l’impression de trahir le avec ce réflexe consumériste. En sortant de La Chascona, on marche dans des petites rues, avec des maisons de taille humaine, le quartier me rappelle ma Colonia Roma, à Mexico. C’est à pleurer de joie. Marco et Laurence m’emmènent dans un restaurant espagnol où on sert des crevettes géantes cuites dans un plat à paella, foncé aux pâtes minuscules qui ont formé une croûte presque caramélisée que l’on doit décoller du plat en métal, on fait ça à la cuillère, en se disputant la politesse : qui prend la dernière ? C’est un pays où, en se faufilant entre les McDo, les KFC et autres barbaries malbouffeuses, on mange très bien. La veille, j’ai marché, solitaire, d’un musée national à l’autre : tous en grève. Ça n’a pas l’air d’émouvoir grand monde. La culture n’a rien de vital, ici, sa valeur commerciale reste incertaine, ce que je trouve plutôt cool.
Choses vues au Chili (2)
Dec 14, 2023
2 minutes
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