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Éthiopie au coeur: Un roman émouvant
Éthiopie au coeur: Un roman émouvant
Éthiopie au coeur: Un roman émouvant
Livre électronique204 pages2 heures

Éthiopie au coeur: Un roman émouvant

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À propos de ce livre électronique

Peut-on voir sa vie marquée par la destinée d'un pays qui n'est pas le sien ?

Deux jeunes femmes se rencontrent sur une plage près de Venise. Lucrèce est tisserande; elle est née en Éthiopie. Cornelia est harpiste; son fils est né d’un père éthiopien nommé Tafari. Les parents de Lucrèce ont fait le choix de quitter l’Éthiopie et de rentrer en Italie au moment de la guerre civile. Tafari a fait le choix inverse: il a quitté Venise pour retourner au pays, convaincu de son devoir de citoyen et de fils. Des choix contraires qui vont marquer à jamais les vies de Cornelia et Lucrèce, liées à un pays commun qui n’est pourtant pas le leur: l’Éthiopie.

À travers la douleur et la tristesse, mais aussi au travers de grands et de petits bonheurs, chacune avance dans sa propre vie en appréhendant l’Histoire qui se déroule en toile de fond.

Le récit émouvant de deux destins féminins marqués par la guerre et l'exil.

EXTRAIT

Lucrèce roule lentement, tout imprégnée de sa rencontre sur la plage. Une rencontre qui, elle en est persuadée, marque un tournant dans sa vie. Même si elle ne peut s’expliquer le pourquoi de cette intuition.
Ce qui l’émeut surtout, c’est l’amour presque tangible tissé entre Cornelia et Donato. Des liens tellement indéfectibles qu’ils ne peuvent que susciter la complicité.
Ces réflexions conduisent Lucrèce à un constat. Amer. Elle n’a jamais rien connu de semblable avec sa mère. Odile n’a jamais eu aucun geste de tendresse envers elle. D’aussi loin que Lucrèce se souvienne, elles ont toujours vécu des vies parallèles et séparées.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Claudine Roulet a le talent de se fondre dans ses personnages. Elle traite des thèmes tragiques en ouvrant des portes sur des espaces plus légers qui rendent la vie supportable. Beaux portraits de femmes sur fond d’histoire. - Danièle Brügger, Le Mag de l'Express-L'Impartial

À PROPOS DE L'AUTEUR

Claudine Roulet est née à Lausanne le 1er juillet 1934. Après des études à Lausanne, elle a exercé le métier d’institutrice pendant 8 ans. Son mari était médecin, et toute la famille (3 enfants, plus 2 autres nés au Mozambique), est partie plusieurs mois au Portugal pour préparer un plus long séjour au Mozambique, où elle a résidé entre 1966 et 1976.
Pendant que son mari pratiquait la chirurgie et l’obstétrique, elle s’occupait de ses enfants et rencontrait des femmes africaines à qui elle donnait des cours d’économie domestique et de puériculture. C’est de ces rencontres qu’est né son premier ouvrage, Petite chronique mozambicaine. À son retour en Suisse, son mari a ouvert un cabinet de généraliste.
La mort accidentelle de son fils aîné lui a causé un grand choc et l’a étouffée: elle a suivi un atelier d’écriture et a publié en 1990 Le Samovar, un roman classique de formation qui décrit la vie d’une jeune institutrice dans un village du Nord vaudois.
LangueFrançais
Date de sortie2 janv. 2018
ISBN9782940486434
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    Aperçu du livre

    Éthiopie au coeur - Claudine Roulet

    Ce livre paraît avec les précieux soutiens de Swisslos / Conseil du Jura bernois, la Fondation Coromandel et la Commune de Crémines

    swisslos_cjb

    ISBN : 978-2-940486-43‐4

    © Éditions Plaisir de Lire. Tous droits réservés.

    CH – 1006 Lausanne

    www.plaisirdelire.ch

    Mise en page et réalisation de la couverture : Yvan Quarrey

    Dessin de couverture : © Marlyse Baumgartner

    Version numérique : NexLibris – www.nexlibris.net

    DU MÊME AUTEUR

    Déborah, nouvelles et croquis croqués,

    éd. Plaisir de Lire, 2005.

    La Maison loin de tout,

    éd. Plaisir de Lire, 2002.

    Rien qu’une écaille,

    éd. Monographic, 1996 (prix Michel Dentan 1997).

    Le Samovar,

    éd. Zoé, 1990.

    Petite chronique mozambicaine,

    éd. Zoé, 1987-2006.

    CLAUDINE ROULET

    ÉTHIOPIE AU CŒUR

    ROMAN

    Marina di Ravenna

    Février 1980

    Quelle nuit ! Lucrèce n’avait pas fermé l’œil. C’était la fin du Carnaval. La pluie et le crachin s’étaient alliés pour agglutiner les confetti. Les papiers gras, plastics et autres déchets formaient des monceaux innommables, déposés au long des quais et aux angles des venelles de Venise. Aux lèvres de la jeune fille, un dégoût montait. Des splendeurs et des fastes de la semaine précédente, elle ne voyait plus que l’envers du décor.

    Elle avait fait la fête, certes. Mais son masque s’était déchiré, quelqu’un avait marché sur l’ourlet de sa robe et son cavalier d’un soir s’était éclipsé. Ni vu ni connu.

    Lorsqu’elle eut bu deux cafés serrés, Lucrèce se sentit mieux. Elle décida de filer vers la mer. Loin… La mer, toujours vraie.

    La jeune fille va chercher sa voiture derrière la gare, elle enfile la route de Chioggia, passe les six bras du Pô et poursuit sa route jusqu’à Ravenne.

    Pas de mosaïques aujourd’hui, pense-t-elle. Comme elle se sent sale et vieille ce matin. Seule la mer aura le pouvoir de la renouveler. Arrivée à la Marina, elle enlève ses chaussures. La présence des cabines de bains, désertes encore à cette saison, la rassérène. Même si les tavernes des bords de plage semblent fermées.

    Le soleil fait trembler une poussière de sable qui rend flou tout le paysage, lui donnant un aspect irréel. Quand l’astre jaillit de la brume, il brille et transforme la blancheur laiteuse en éblouissement. Elle marche, ses pieds et ses jambes sont mouillés, de même que le bas de son peignoir. Aucune importance : maintenant, elle se sent vivifiée.

    Elle s’emballe dans une serviette de bains, brosse ses cheveux noirs afin qu’ils retrouvent leur apparence lisse de casque. Elle est belle. Jeune et neuve. Ses yeux verts s’étirent vers les tempes. Elle s’étend de tout son long sur un pagne de coton lâche. Il est blanc et brodé de couleurs chaudes. A travers lui, elle sent le sable mouler son corps. Elle ferme les yeux.

    Elle ne pense plus à rien, ne goûtant que la douceur du sable, les odeurs de varech, la chanson des coquillages bercés par les vaguelettes. La voilà vide et libre.

    Elle entend des voix. Très loin. Elle prête l’oreille. Il s’agit de deux voix. C’est comme une mélodie : la voix d’une femme et le babil d’un enfant. Lucrèce ouvre les yeux. La plage s’étend à perte de vue. Elle devine, très loin, deux silhouettes, aussi fines que des hiéroglyphes. L’une, plus haute que l’autre, est comme cernée d’un halo tandis que la plus courte virevolte de l’ourlet de la mer à la frange d’algues et de coquillages. L’enfant, si c’en est un, se baisse pour cueillir quelque trésor et courir, le bras tendu, vers l’autre personne. La haute silhouette se penche et Lucrèce devine dans ce mouvement une tendresse rayonnante. Pourquoi son cœur est-il ainsi broyé ? Pourquoi son souffle coupé ?

    Les deux êtres s’approchent. Toujours scintillants. Le plus court est un garçon probablement, en dépit de ses boucles lâches. L’autre est une jeune femme. Ses longs cheveux flottent dans la brise. Elle est drapée dans des voiles fluides. Ce sont eux qui ont suscité cette illusion de nimbe. C’est la mère de l’enfant, sans aucun doute. En dépit de sa fragilité. L’œil aiguisé de Lucrèce a noté sa grâce : l’arrivante a la démarche d’une danseuse. Elle remarque aussi que la peau de l’enfant a la teinte d’un pain chaud alors que ses cheveux sont d’un noir de jais. Ils avancent comme sans toucher le sol. Vont-ils passer leur chemin ou s’arrêter ?

    Lucrèce chausse ses lunettes de soleil pour mieux détailler les deux arrivants. Pour elle, c’est comme si elle s’abritait derrière un masque. A son propre étonnement, elle se tourne vers eux et les salue, ce qui est contraire à ses habitudes. Et même, elle leur sourit, ce qui transforme son visage aigu.

    L’enfant est d’une grande beauté. Il doit avoir cinq ou six ans. Sa courte personne allie grâce et noblesse. Il a un port de tête royal. Il pourrait venir d’Afrique du Nord. Serait-il métis ?

    La jeune femme s’arrête et s’assied dans le sable. Elle y dépose un foulard contenant les trésors de l’enfant qu’elle appelle Donato. Elle dit qu’ils sont venus de Bologne en train. Son fils voulait revoir les mosaïques de San Vitale pour lesquelles il éprouve une passion profonde. A ces mots, l’enfant s’illumine d’un sourire étincelant. Il regarde sa mère comme si ces paroles cachaient un secret très doux, connu d’eux seuls.

    Le soleil est au zénith. Il brûle. La jeune mère remet son foulard et tend un chapeau à Donato qui le repousse farouchement.

    Lucrèce s’entend proposer d’aller à l’une des gargotes, qui s’est ouverte entre-temps, demander si l’on peut leur servir à boire ou à manger. Cornelia hésite. Sa réserve tombe quand elle voit pétiller les yeux de Donato.

    Quant à Lucrèce, une intuition fulgurante lui souffle que cette rencontre ne doit pas rester sans lendemain.

    Chargés de leurs baluchons, tous trois se dirigent vers la plus grande des tavernes. Assis sur un banc, un gros homme regarde venir ces deux déesses, comme issues de la mer : l’une brune et l’autre blonde… Il observe l’enfant : C’est un prince, pense-t-il. Quand la dame brune lui demande s’il peut leur servir à manger, il se hâte vers la maison, tout en traînant les pieds. « Je vais parler à mon frère », dit-il. Après un court conciliabule, les deux hommes reviennent ensemble : « Nous allons vous préparer des spaghettti aux fruits de mer.» Donato saute de joie et les jeunes femmes acquiescent en souriant.

    Les frères s’empressent. Tandis que l’un entre à la cuisine, l’autre essuie d’invisibles poussières de sable sur une table, il y étale une nappe à carreaux, apporte des serviettes et des couverts. Il ajoute encore du pain, du vin et une limonade pour l’enfant. Il essaie, sans grand succès, de se déplacer avec légèreté.

    Un silence plane, coupé seulement par le bruit de jonchets que font les coquillages et les cailloux que Donato dispose sur une table voisine. Le petit crée des jardins et des sentiers, tout un labyrinthe avec, en son centre, une étoile de mer et un hippocampe séchés.

    Lucrèce a remis ses lunettes pour mieux observer sa voisine. C’est d’un œil d’artiste qu’elle la regarde. La jeune femme a des cheveux souples et mordorés. Son visage est de ceux qu’on peut voir sculptés aux porches des cathédrales. De ceux qui, en dépit de la dureté de la pierre, reflètent une joie secrète. Une paix intérieure. Sa bouche est minuscule : une boutonnière. Mais quand elle sourit, tout son visage s’illumine. Les étoiles violettes de ses yeux jettent des feux qui pourraient transformer tout ce qu’ils touchent.

    Lucrèce note chez sa voisine une certaine crispation. Elle retire ses lunettes et c’est comme si elle baissait la garde. Elle se présente : elle vit à Venise où elle travaille comme tisserande. C’est elle qui a tissé son pagne. Elle a vu faire ce travail en Ethiopie où elle est née. En voyant l’émotion qui illumine le visage de Cornelia, Lucrèce se hâte de préciser :

    – Savez-vous, pour moi, les Ethiopiens auraient tout aussi bien pu vivre sur la lune ou sur une autre planète. Je n’ai jamais rien partagé avec eux. Je n’ai connu que leur barbarie au temps de la déposition du Négus.

    Le visage de Cornelia se ferme à la façon d’une fleur qui se fane. Du coin des yeux, elle vérifie si Donato a entendu. Il semble que non, car il continue de construire ses jardins sur la table voisine.

    Soulagée, Cornelia, répond d’une voix brève. Elle donne des leçons de harpe. Il lui arrive de jouer en soliste à l’Orchestre de Bologne. On dirait qu’elle s’arrache les mots. Elle n’ajoute pas qu’il lui arrive, aux fins de mois, de tenir une boutique d’artisanat au centre de la ville quelques heures par semaine.

    Les tenanciers arrivent, portant trois assiettes remplies d’un plat appétissant. Les convives se découvrent affamés. Pour le cuisinier, c’est un plaisir de les voir déguster. Les deux frères ne sont pas gâtés par la nature : le sourire du premier n’affiche qu’une dent et le second est bossu. Leur embonpoint les empêche de se mouvoir. Ils vont s’asseoir à l’écart et observent, à la dérobée, les belles dames et l’enfant.

    Vite rassasiée, Cornelia a déposé ses couverts tandis que l’enfant a tout dévoré. Lucrèce finit posément son assiette. Les frères leur proposent un ristretto. Ils échangent un clin d’œil complice : c’est un café-concert qu’ils vont leur offrir ! Le bossu chante, non sans ménager ses œillades et l’accordéon du cuisinier se fait langoureux. Au jeune prince, ils ont offert une glace énorme. Lucrèce note que le petit se montre parfaitement naturel, nullement perturbé par les difformités des deux hommes.

    Selon toute apparence, il n’y a aucune raison pour que le concert prenne fin. Les jeunes femmes échangent un regard entendu et se lèvent. Lucrèce voudrait jouer les amphitryons mais Cornelia refuse. Elle veut payer sa part. Donato emballe ses trésors dans le foulard de sa mère. Cornelia prend son fils par la main. Le contact de cette bonne petite patte solide, dans laquelle il reste un peu de sable au creux des doigts, l’apaise. Les regards inquisiteurs de Lucrèce la mettent mal à l’aise.

    Pour son compte, la jeune Vénitienne est bouleversée. Il est impensable qu’elle ne revoie jamais ni l’enfant ni sa mère. Elle propose un échange d’adresses que Cornelia accepte. Puis elle les conduit à la gare.

    Sur le quai, Lucrèce attend que le train s’ébranle. Elle lève le bras en guise d’adieu. Son geste n’est même pas remarqué. Dans leur wagon, Cornelia et Donato ont retrouvé leur bulle.

    Lucrèce laisse retomber son bras. Son visage se crispe à peine. Sa vie est sans attaches. Comme elle l’a voulu. Elle retourne à sa voiture, met le contact et roule vers Venise. C’est son monde maintenant.

    Lucrèce

    La jeune fille est née en Ethiopie où Vittorio, son père, travaillait comme ingénieur en hydroélectricité. Il participait à des projets internationaux visant à construire plusieurs barrages sur le fleuve Omo. Ils vivaient dans les environs d’Addis Abeba.

    Après la déposition de Haïlé Sélassié en 1974, des troubles avaient éclaté. La révolte avait commencé dans la province du Wollo qui avait connu une sécheresse prolongée. Le peuple souffrait d’une famine d’autant plus mal acceptée que chacun savait que les lions et les guépards semi-apprivoisés du Négus recevaient chaque jour une large portion de viande de première qualité. L’insurrection s’était propagée jusqu’à Addis Abeba, puis elle s’était étendue au pays tout entier.

    Au début de l’année suivante, Vittorio, Odile, son épouse et Lucrèce, leur fille unique, âgée de quatorze ans, avaient dû fuir en toute hâte. Leur maison brûlait. Une fumée âcre leur emplissait les poumons. Avec leurs voisins, Italiens eux aussi, ils étaient parvenus à gagner Addis Abeba. La capitale était en effervescence. En état de siège même. Des chars d’assaut campaient à tous les carrefours. Vittorio conduisait avec calme. Quant à Odile, on aurait dit une poupée de chiffons. Elle se lamentait sur tout ce qu’elle avait dû laisser. Lucrèce observait sa mère avec une commisération teintée de dédain. Elle, c’était de son enfance qu’elle faisait le deuil.

    Trois semaines plus tard, Vittorio annonçait son intention d’aller voir ce qui restait des décombres de leur maison. Lucrèce manifesta aussitôt son désir d’accompagner son père. Il hésita avant d’accepter, mais il connaissait sa fille : il la savait taillée dans le même bois que lui, c’est-à-dire assez forte pour surmonter la blessure que la réalité lui porterait.

    Au jardin, les rosiers blancs avaient refleuri, parfaitement surréalistes aux côtés des ruines noircies. Par delà l’allée de roses, la grille de fer forgé, tordue, s’ouvrait et se refermait sans bruit. Il n’y avait pourtant aucun souffle de vent. Aller-retour. Retour-aller. Le portail était-il en proie à un cauchemar ? Ou mû par ses propres fantômes ?

    Le jardin était déjà envahi par les ronces.

    Vittorio avait voulu retourner sur leurs lieux de vie non pas tant pour retrouver quelque bien échappé au désastre, mais pour fixer ce néant dans sa mémoire. Il revivait toutes les années investies dans un pays qu’il aimait avec passion. Il était revenu pour savoir. Néanmoins, il pressait le pas. Il espérait, sans trop y croire, éviter à sa fille les images indélébiles qui allaient suivre. A côté du jardin, des véhicules militaires incendiés, des obus à moitié enterrés, ayant explosé ou non, témoignaient d’une violente résistance. En observant sa fille, Vittorio vérifiait qu’elle avait bien hérité de son caractère. Les yeux de la jeune fille photographiaient tous ces détails qui s’incrustaient dans le tissu de sa mémoire d’où ils ne s’effaceraient jamais. Elle vivait la fin de son enfance. Plus que jamais, Lucrèce trouvait les Ethiopiens secrets, impénétrables. Cruels ? Elle ne pouvait en juger. Elle avait toujours vécu dans un univers parallèle, séparée d’eux par un mur invisible. Religions différentes, écoles séparées, jeux autres, écriture indéchiffrable. Langue étrangère, sans parenté aucune avec les langues parlées en Europe.

    Ils revinrent à la maison d’Addis et trouvèrent Odile qui se plaignait comme à l’accoutumée. Ensemble, ils décidèrent d’émigrer en Italie. Odile était Française. A la naissance de sa fille, elle avait exigé que le prénom de l’enfant fût prononcé à la française. C’est bien la seule initiative qu’elle eut pour la toute petite. Plus tard, elle se désintéressa complètement d’elle. Odile ne suivit son mari et sa fille qu’à contre-cœur. Qu’aurait-elle fait d’autre ? Dans son pays, elle n’avait aucune famille où se réfugier.

    Ils s’établirent à Venise, cette ville construite sur des pilotis, plantés profond dans le limon et l’eau. Etait-ce pour mieux noyer le souvenir des hauts plateaux d’Ethiopie, tailladés de falaises ? Vittorio se demandait si son épouse serait capable d’accepter sa nouvelle patrie. Transplantée, Odile dépérirait. Peut-on refaire des racines dans tant d’eau saumâtre, à moins d’être palétuvier ? Ils s’installèrent à la Giudecca, sur la Spinalunga, au Fondamenta delle Zittelle, non loin d’un Jardin d’Eden fermé à tous. C’était un jardin délicieusement malsain, embroussaillé de roses autant que de plantes funestes. Les unes et les autres jaillissaient de partout.

    Le devant de leur petite maison donnait sur le canal, bordé de candélabres dont les lanternes violine se balançaient au bout des bras en volutes. Partout

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