Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Soleil de mon été
Soleil de mon été
Soleil de mon été
Livre électronique222 pages2 heures

Soleil de mon été

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Un jeune homme rencontre une étrangère sur la plage... s’en suit une histoire d’amour, rejointe pourtant par la tragédie.
LangueFrançais
Date de sortie7 août 2017
ISBN9782312053585
Soleil de mon été

Auteurs associés

Lié à Soleil de mon été

Livres électroniques liés

Fiction générale pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Soleil de mon été

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Soleil de mon été - Aliénor

    cover.jpg

    Soleil de mon été

    Aliénor

    Soleil de mon été

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2017

    ISBN : 978-2-312-05358-5

    A Nicolette, ma sœur, morte en mer à quinze ans

    Soleil de mon été

    Eté 1984.

    C’est le premier jour des vacances et la nuit finissante où s’attardent encore les dernières étoiles laisse prévoir une belle journée. La plage, immense et déserte, est silencieuse et là-bas, la mer miroite faiblement avec un clapotement paisible.

    Les premiers pas sur le sable sont un véritable plaisir. Près de l’eau, une silhouette assise se profile, découpée en ombre chinoise, délicate et irréelle, dans la lumière bleue et rose, statue de sel paralysée par un charme étrange.

    Présence insolite dans ce monde minéral et assoupi, en contemplation devant l’horizon, fantôme solitaire de cette naissante aurore, c’est une jeune fille, qui se tient là, immobile, attentive guetteuse du jour.

    Ses cheveux noués dans une natte hâtive, vêtue d’un chandail élimé et d’un jean râpé, pieds enfouis dans le sable et bras noués autour des genoux, elle paraît insensible au monde extérieur, plongée dans une ferveur quasi-mystique. Absorbée, elle admire et accueille comme une grâce le spectacle, rare et magnifique, du soleil levant.

    L’astre rougeoyant, dans une progression patiente, apparaît peu à peu pour arrondir enfin la perfection de son cercle et se poser, ballon nonchalant, quelque part entre le ciel et l’eau, point d’appui d’où il sera propulsé par la rotation terrestre.

    La fille se lève, auréolée d’un sourire radieux.

    « Je suis contente qu’il fasse beau. C’est symbolique. »

    A qui s’adresse-t-elle ? A elle-même ? A l’espace ? Question absurde qui demeure sans réponse. Elle s’éloigne, légère, immatérielle, rejoignant l’immensité des sables à laquelle elle semble appartenir, lutin gracieux qui disparaît bientôt entre les dunes.

    * * *

    La pluie tombe, fine et ininterrompue, de petites gouttes précises et serrées qui s’épanchent en larmes silencieuses sur le sable où elles disparaissent aussitôt absorbées. La mer déferle avec brusquesse, des gerbes d’écume s’élèvent vers le ciel plombé pour retomber ensuite en éclaboussures blanches. Le vent se déchaîne en bourrasques et le paysage respire une solitude désolée. Les quelques passants égarés sur la digue se hâtent vers un abri, fuyant la maussaderie céleste.

    Je suis amoureux.

    Tombé. Chute délicieuse, déformation du monde et des perspectives, amour bête et envahissant qui me dépossède de moi-même, plante carnivore dont je suis prisonnier, première fleur de tendresse estampillée douloureusement sur la page encore vierge de mon cœur et me voici métamorphosé, stupide, encombré d’un corps étranger agrégé à moi comme un cancer, désarmé par une inconnue, par son mystère, sa passion pour les aurores, les matins, les commencements.

    Elle court, de sa foulée souple et régulière, silhouette bondissante estompée par la brume, indifférente au temps, indifférente à moi, qui l’observe, fasciné, de mon promontoire, offrant tout mon corps à la douche bienfaisante de la pluie. Lui avouer que je considérais le jogging comme un sport stupide n’a eu comme effet que de me faire découvrir les sonorités cristallines de son rire. Elle a secoué la tête, une étincelle moqueuse au fond de ses yeux gris-bleu ou bien verts, si clairs qu’il est difficile de leur attribuer une couleur précise, peu soucieuse de répondre à mes argumentations.

    Elle.

    Cette simple désignation a pris pour moi une signification magique. Ce ne peut être que celle, qui, là-bas, suit la sinueuse trajectoire de l’eau, Eva, dix-huit ans, bachelière, la meilleure amie de ma cousine Sophie, mon apparition rencontrée au matin de ce premier jour et trop vite incarnée. Sans que je le sache, elle m’était déjà familière, visage enfin attribué à un nom souvent entendu, à une histoire tant de fois racontée qu’elle se déroule aussitôt en un film intérieur à la moindre allusion.

    Eva n’a pas eu une enfance facile. Des parents étrangers divorcés juste avant qu’elle n’entame le lycée, l’écartèlement obligatoire entre la France, où travaille son père et où elle a poursuivi sa scolarité, et l’Angleterre, pays d’origine de sa mère, pendant les vacances scolaires, est-ce pour ne pas choisir, elle part à la rentrée au Danemark, terre natale de son père, afin d’y faire ses études.

    Je la vois revenir sur ses pas, traçant une diagonale capricieuse sur le sable humide, cheminant difficilement parmi ses éboulements traîtres, et son visage se dessine aussi précisément dans ma tête que si elle se trouvait déjà en face de moi. Grande, trop maigre, elle n’a pas une beauté classique, mais cette imperceptible touche d’exotisme est ce qui lui confère son attrait le plus certain. Des cheveux blond vif, lumineuse forêt de soleil, soyeuse toison d’or, un petit visage étroit et triangulaire aux trais fins et mobiles, étonnamment expressifs, encore enfantins, aux yeux ronds et larges, légèrement exorbités, au nez proéminent ponctué par une inattendue bouche cerise, seule tache de couleur sur son teint pâle de nordique, elle attire l’attention par l’originalité de son aspect, mais surtout par sa volontaire insouciance, sa démarche de reine, sa grâce de sirène.

    Elle s’approche, rouge, ébouriffée, embellie par l’effort et me hèle joyeusement. Au fond de ses yeux, faits d’azur, d’émeraude et d’opale, tient déjà, palpitante, toute ma destinée.

    * * *

    Est-ce l’amour qui transforme mon regard ? Ou bien, après une longue absence, suis-je à nouveau sensible au charme de ces rivages de mon enfance ? Toujours est-il que tout me semble beau, jusqu’à la maison achetée l’année dernière par mes parents, qui avaient eu le coup de foudre pour sa vue imprenable sur la dune, malgré son état de délabrement avancé.

    Cette maison était en effet abandonnée depuis plusieurs années lorsqu’elle a été soudainement mise en vente pour des raisons mystérieuses, ruine subite ou accident imprévisible, et si mes parents ont pu retaper certaines pièces, ils n’ont fait qu’entamer leur ambitieux programme de travaux, interrompu par l’hiver, la distance et le manque d’argent. Quelques parties de la maison ont donc été transformées en épouvantables chantiers.

    A la suite d’un concours de circonstances, je suis provisoirement le seul à y camper ; le reste de la famille étant pour l’instant dispersé aux quatre coins d’Europe, le rassemblement de la tribu n’est pas prévu avant le mois d’août.

    Chacun a son sens des priorités. Impressionné par l’étendue des travaux à effectuer à l’intérieur des murs, je me suis d’abord attaqué aux dépendances. Après avoir retapé le hangar que j’ai pompeusement baptisé garage à bateaux, j’ai récupéré chez mes grands-parents le dériveur de mon oncle, sur lequel j’avais appris les rudiments de la navigation et qu’il m’avait ensuite offert pour mes dix-huit ans. M’étant installé sur la plage pour plus de commodité, j’entreprends, allongé sur le dos et la tête renversée en arrière, de remettre en état ce bon vieux 420 abîmé par les ans, mais tellement familier que je ne l’échangerais pour rien au monde, quand je suis interrompu par la voix gouailleuse d’Eva.

    Péniblement, je m’extrais de mon abri et me redresse d’un bond en m’efforçant de lui sourire, ébloui, autant par le contraste entre la douce pénombre de la coque et la luminosité du jour, que de sa simple présence, trop surpris pour songer à me dépoussiérer. Intrigué par sa venue que je n’ai pas pu anticiper, comme si elle s’était soudain matérialisée devant moi, j’écoute, sans les entendre, ses questions et ses compliments qu’elle sait si bien alterner, donnant ainsi l’impression fallacieuse qu’elle se passionne pour le bricolage en général et les bateaux en particulier.

    Qu’est-elle venue chercher ici ? Et pourquoi est-elle seule, sans Sophie ? Elles semblaient pourtant inséparables. On ne peut pas non plus dire que son attitude envers moi ait jusqu’ici dépassé la simple courtoisie en vigueur, à l’égard du cousin de sa meilleure amie que j’incarne à ses yeux. Ses intonations, si spécifiquement parisiennes, son langage parfois argotique qui fleure le bitume, et auquel je ne m’attendais pas, de la part d’une étrangère, achèvent de me désarçonner.

    Je profite néanmoins de son urbanité inattendue pour lui poser à mon tour des questions. Mais, avec un art de l’esquive que je n’apprendrai que trop bien à connaître, elle les contourne et reste évasive, préférant se cantonner à des généralités, donnant l’impression qu’elle est sur ses gardes. Parvenu à ce stade de la conversation, dans un effort tardif pour la séduire, je m’ébroue et tente – sans succès – de discipliner ma crinière, ce qui provoque son hilarité.

    « Tu as une de ces têtes ! Le bricoleur en action. »

    – Que veux-tu, quand tu mets la main à la pâte, il faut s’y attendre…

    « Vraiment ? Crois-tu par hasard que je suis une intellectuelle évaporée ? »

    – Pas précisément, non…

    Elle se tourne vers moi, les yeux clignant dans le soleil et me décoche son irrésistible sourire.

    Son sourire.

    Je ne connais rien au monde de plus émouvant, de plus désarmant que ce sourire. Illuminant de manière brève et intense son visage entier de l’intérieur, tel un rai de lumière transperçant les nuages qui transfigurerait le ciel et donnerait à un paysage enténébré toute sa splendeur, ou une bougie colorant soudainement un lampion éteint, c’est un sourire radieux, bouleversant, si rayonnant que je me sentirais prêt à tout pour le faire renaître.

    Elle change pourtant bientôt d’attitude, après m’avoir finalement avoué, probablement pour me faire mordre à l’hameçon, sa passion pour la danse classique et pour l’équitation. Sa voix s’est mise à vibrer de passion retenue et une ombre légère passe sur son visage. Elle plisse les yeux, se penche en arrière, prenant appui sur la coque renversée, que je vois non sans une secrète terreur valser lourdement, grincer tristement, avant de s’immobiliser avec une lenteur hésitante. Mais Eva n’y a pris garde. La tête inclinée, elle a le regard vague, perdu dans un ailleurs fragile et inaccessible, dont je suis exclu.

    Je lance une perche à tout hasard afin de rétablir le contact.

    – Tu en fais régulièrement ?

    Elle se tourne à nouveau vers moi, grimace à cause du soleil qu’elle reçoit en plein visage, gifle éblouissante, me considère d’un air absent, hausse les épaules, se relève en faisant une moue.

    « Quelle importance ? N’as-tu pas envie de déménager ? Nous pourrions poursuivre cette passionnante conversation dans un troquet quelconque, si cela existe ici, bien sûr. »

    Achevant sa phrase avec une ironie délibérée, presque déplaisante, qui me déconcerte, elle se tient devant moi, quasiment contre moi, les yeux levés et interrogateurs – d’immenses yeux sans couleur qui ne laissent filtrer aucun sentiment. Je ne peux qu’agréer à cette demande incongrue, même si j’insiste, un peu maladroitement d’ailleurs, sur mon souhait de poursuivre effectivement sur le sujet.

    Sans se donner la peine de me répondre, elle s’installe posément au creux des vallonnements sableux et m’observe placidement rassembler mes ustensiles éparpillés. Devant tant de désinvolture, j’éprouve la soudaine envie de la taquiner, m’enquérant sur son alter ego. Mais je ne parviens pas à la dérider et je ne peux que constater que le « gang » de Sophie n’est pas plus à son goût que les séances prolongées de rôtissoire auxquelles cette dernière se livre sur la plage.

    Je me crois tenu d’annoncer le « déménagement » réclamé avec tant d’autorité.

    – Bon, il faut que je pose tout cela chez moi, j’en profiterai pour me débarbouiller.

    « Je t’attends ici. »

    – Non, viens, c’est à deux pas… Je te montrerai la maison.

    « Je ne préfère pas, je serais trop pétrifiée si je rencontrais tes parents. »

    – N’essaie pas de me faire croire que tu es timide ! En plus, tu n’as rien à craindre de ce côté, j’y suis seul pour l’instant.

    Elle hésite encore un peu, éprouvant un manifeste plaisir à se faire prier, mais se décide finalement à me suivre. Surplombant la côte, la maison de mes parents apparaît effectivement au premier coude du chemin. Grande, large, spacieuse, celle-ci a pour principal attrait d’être lumineuse, grâce à ses grandes baies vitrées, ainsi qu’à son emplacement en hauteur.

    Revers de la médaille, elle est peu protégée du vent, en plein dans les courants d’air et par conséquent peu appropriée pour l’hiver. Sa situation isolée, loin de toute habitation, la rend de surcroît probablement plus tentante pour des cambrioleurs éventuels. Datant environ des années cinquante, elle a pour signe particulier d’être entièrement bâtie de plain-pied, toutes les pièces étant disposées autour de la salle de séjour, ou plutôt de ce qui doit en tenir lieu.

    J’introduis Eva dans le futur salon, où, seul vestige des splendeurs passées, trône, aussi dignement que possible au milieu des gravats, un gigantesque téléphone de bachélite noire, qui doit dater au moins de l’ère préglaciaire. Je profite de son ébahissement pour m’esquiver discrètement en vue de me donner une allure plus civilisée A mon retour, je constate que son enthousiasme est total.

    Elle me désigne l’appareil.

    « Il est mignon comme tout, ce dinosaure ! »

    – En plus, il marche ! Veux-tu essayer ? Nous pouvons appeler Sophie, si tu veux.

    Je décroche le combiné, compose le numéro et lui tends l’écouteur. On peut percevoir, légèrement atténuée, une sonnerie monotone à petits coups brefs et répétés. Elle sourit, aux anges.

    « C’est occupé. »

    Elle prononce cette phrase avec ravissement, comme si elle faisait une découverte de la première importance. Elle me rend le combiné que je raccroche, reprenant difficilement le sens des réalités, vagabondant encore dans ce monde féerique dans lequel elle m’a introduit, et où le moindre incident prend une coloration de merveilleux.

    – Allons-y, parce que pour trouver un café dans ce bled paumé, comme tu dis, il faut faire de la route.

    « J’ai tout mon temps. »

    – Ah bon ?

    Son éclat de rire fuse et rebondit vers les dunes, d’où il s’évapore en fumée sonore, tandis que je lui fais les honneurs de mon carrosse, une vieille guimbarde aussi futuriste que notre respectable téléphone.

    * * *

    Le café sur lequel s’est finalement arrêté mon choix – après y avoir mûrement réfléchi dans la voiture – est situé en surplomb de la digue, sur un promontoire naturel qui lui permet de dominer toute la côte du voisinage, d’est en ouest. Son nom – Le Belvédère – est d’ailleurs révélateur de son ambition et son architecture rococo, ainsi que les larges fenêtres illuminées à présent par le soleil d’après-midi, lui donnent un charme désuet auquel je suis sensible, abstraction faite des prix de la carte, qui eux, n’ont rien d’attrayant.

    Malgré ce cadre enchanteur, malgré le recoin douillet et isolé des autres consommateurs sur lequel mon choix s’est porté, ou peut-être justement à cause de cette mise en scène, le courant ne passe pas. Nous nous engluons, face à nos verres vides, dans un silence qui devient de plus en plus pesant, compact, presque palpable. La conversation s’est vite enlisée et je ne sais plus comment retrouver le ton badin que nous avions spontanément adopté

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1