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Le Liseron: Un récit de vie touchant
Le Liseron: Un récit de vie touchant
Le Liseron: Un récit de vie touchant
Livre électronique195 pages2 heures

Le Liseron: Un récit de vie touchant

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À propos de ce livre électronique

Promise à un si bel avenir...

Au lendemain de la guerre, Annie ouvre les yeux sur un monde neuf. Jolie, ses parents la voient déjà en actrice de cinéma ! Dans un cadre rural bucolique et enchanteur, l’éveil sensuel aux merveilles du jardin et de l’eau, les fleurs, les jeux, la complicité d’une sœur presque jumelle et de grands-parents aimants, suffiraient à son bonheur d’enfant. Mais une maladie de famille qu’on croyait éteinte a choisi de planter ses griffes sur ce jeune être qui suscitait tous les espoirs.
Depuis la naissance de Françoise, d’apparence délicate, la santé de la mère se trouve à son tour compromise. L’entourage s’attriste et le ciel se voile de noir. Endossant, bon gré mal gré, le rôle de la maîtresse de maison, entre sa sœur cadette et leur père affaibli par le deuil, Annie délaisse ses études. Apathique puis passionnée, hyperactive, elle s’échappe dans l’imaginaire et la féérie, et elle grandit, tel le liseron ardent et gracile qui fleurit sur les décombres.

Le récit touchant d'une enfance brisée, raconté à hauteur d'enfant.

EXTRAIT

Juin touchait à sa fin ; l’été dérivait. Insensible aux sursauts de chaleur tropicale et blanche qui accompagnaient les ondées, il était comme piqué au vif par l’azur électrique chargeant à la hâte d’énormes enclumes qu’il précipitait au-dessus des rivières. D’orage en orage, les cours d’eau charriaient des déluges encombrés de branchages arrachés qui s’amoncelaient en fagots grinçants, cherchant où accoster, et, finalement, s’en remettaient à l’humeur des courants. Certains reproduisaient des abris bâtis de poutres, de débris, de brindilles. D’autres, échoués entre les fourches d’arbres, avaient l’air de maisons lacustres à l’intérieur desquelles se concentraient des nichées de rats. Le gros poisson y trouvait refuge, et les libellules en venant se poser sur ces étranges faîtages arrêtaient de leurs ailes gazées de bleu le chatoiement de l’air.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Une écriture aiguë, incisive, très féminine. Un écarquillement du regard qui est, au fond, l’enfance. – Erik Orsenna

Un récit très attachant, surtout, par la naïveté du regard, la grandeur simple des sentiments, ce qui n’exclut ni la nuance, ni la délicatesse. – Maurice Nadeau

À PROPOS DE L’AUTEUR

Annie Sordelli a signé un grand nombre de recueils de poésie. Le Liseron est son premier roman.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie18 août 2017
ISBN9782848866420
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    Le Liseron - Annie Sordelli

    I

    Les étés de Haute-Loire

    Juin touchait à sa fin ; l’été dérivait. Insensible aux sursauts de chaleur tropicale et blanche qui accompagnaient les ondées, il était comme piqué au vif par l’azur électrique chargeant à la hâte d’énormes enclumes qu’il précipitait au-dessus des rivières. D’orage en orage, les cours d’eau charriaient des déluges encombrés de branchages arrachés qui s’amoncelaient en fagots grinçants, cherchant où accoster, et, finalement, s’en remettaient à l’humeur des courants. Certains reproduisaient des abris bâtis de poutres, de débris, de brindilles. D’autres, échoués entre les fourches d’arbres, avaient l’air de maisons lacustres à l’intérieur desquelles se concentraient des nichées de rats. Le gros poisson y trouvait refuge, et les libellules en venant se poser sur ces étranges faîtages arrêtaient de leurs ailes gazées de bleu le chatoiement de l’air.

    Dans son lit de rochers adouci de chênes nains, l’Alagnon abandonnait ses tourbillons aux fins brouillards de moustiques. Il cédait à l’hésitation des araignées d’eau stationnées dans les criques arrangées par les arbres des berges. En maints endroits il s’égarait, donnant naissance à des pierres moussues qu’il détachait peu à peu du courant. Bientôt, on pourrait y passer à gué pour rejoindre les vignes sur l’autre rive, y prendre appui pour faire des ricochets, aller pieds nus dans l’eau rare devenue chaude et verte.

    À Nicole et à moi, ces plaisirs simples sont inter-dits, pour des raisons que grand-mère ne précise pas. Elle aime nous avoir autour d’elle, à genoux parmi d’autres laveuses près du lavoir couvert, les mains nouées sur des torchons, des vêtements sombres qu’elle agite dans l’eau. Avec l’habitude, la pénitence devient douce. Pour moi, l’accommodement a aussi ses bonheurs.

    Les autres enfants pataugent dans l’eau, s’y baignent, y font aller leurs mains, fabriquent des digues, des châteaux, s’éclaboussent. Nous la regardons faire d’une dépouille savonneuse un cordon dégouttant de clarté. Des odeurs vertes, sableuses, poissonneuses, agacent nos narines.

    — Qu’ils se baignent s’ils en ont envie ! Je n’y laisse pas aller les miennes…

    Pense-t-elle à des morsures de serpents, à des hydrocutions, à des insolations ?

    — Gardez vos chapeaux sur la tête. Surtout, ne vous salissez pas !

    La libellule, là-bas, sur un rameau de sureau. Dessous, des gouffres, des tentacules…

    — Les pauvres, elles ne donnent pas de mal… Elles ressemblent tant à leur mère !

    L’orgueil qui nous gonfle est un cataplasme. Fleurs prises au piège de leurs propres délices, nous tendons vers des abîmes. Quand, où, comment allons-nous exploser, enlever ce ciel à son tableau de verdure ! Envoyer des galets en direction de ces fonds noirs tant prisés des pêcheurs. Nous balancer au bord du pont déglingué, cueillir des fleurs loin d’elle…

    L’après-midi, à l’heure de la sieste, il n’y a pas de lessive. C’est encore vers la rivière que notre grand-mère va nous entraîner, entre les murs des jardins et le fouillis des arbres sur l’eau. Leurs lacunes végétales ouvrent sur des fragments de miroirs qui éclatent en plein dans les yeux. Il a fallu taire ce projet d’aventure qu’elle conduit obstinée, fondue dans la demi-ombre, noire et menue sous son chignon tiré – son pliant dans la saignée du bras, son sac noir avec l’ouvrage et le goûter, sans oublier la petite bouteille d’eau rougie dont le goulot dépasse. Par dérision, elle salue sur le bord du chemin une « sentinelle » que nous avions pressentie :

    — Ils ont mangé du milliard ! s’exclame-t-elle, inclinant la tête vers l’amas lié de minuscules noyaux, évocateurs d’une tarte aux cerises sauvages.

    Dans un raidillon caillouteux écrasé de chaleur, elle signale la fuite d’un lézard, glissement sous des plantes de décombres. Tout va bien, nous marchons et elle rit ! Sur la route nationale, elle se félicitera de n’être pas passée devant chez sa belle-sœur. Elle parlera à la garde-barrière, puis à cette mère de famille aux nombreux enfants roux dont la maison s’accroche aux rochers, sans une cour où ils seraient en sécurité.

    En file indienne, dans le remous brûlant des voitures, nous respirons le goudron pendant un bon kilomètre. Les gravillons cinglent nos mollets. Rien ne la retient d’apostropher les conducteurs :

    — La roue tourne !… Bande de brelots, ils iront pas se ficher contre un arbre !

    Réponse des sauterelles, de nos fous rires, de l’eau qui cascade plus bas. Mon Dieu, que cela dure !

    Sur ce qu’on appelle « la Plage », une clairière dans l’herbe sèche en bordure de rivière où poussent des toiles de tente, elle nous installe près d’autres femmes venues avec pliants et enfants. Retour de la voix posée, aux nuances admiratives. Son regard par-dessus ses lunettes ramènerait n’importe quelle brebis égarée.

    Du lavoir, elle nous a sommées de la rejoindre, sur un ton qui gâche le plaisir que nous prenions, ma sœur et moi. Dépitées, nous remontons la ruelle entre la double haie gris et blanc des maisons couvertes de tuiles romaines, ces maisons de Haute-Loire qui sentent un peu le Midi, avec leurs festons de génoises à la base des toits. Toutes ont les volets clos ; sous le soleil frisant, leurs murs s’embrasent d’insectes léthargiques. De temps à autre, une main fatiguée relève le rideau de passementerie de l’entrée et le laisse retomber, lourde d’attente, d’ennui.

    Grand-mère distribue le goûter : du pain, du fromage. Elle promet de nous amener au Grand Pont à la nuit. Oubliant sa promesse, elle cherche une pièce de linge à repriser. Assis sous la pendule, un coude posé sur son bureau, grand-père écoute un reportage sportif. La grand-mère réagit en malmenant l’étoffe, glisse par moments dans un demi-sommeil dont elle émerge avec un soupir d’étonnement.

    Sa mère Delphine vit avec nous. En attendant l’heure du dîner, elle suit le ballet des mouches au plafond. Ses doigts de moineau posés au creux de son tablier blanc, elle déglutit bruyamment. Elle fixe un point au hasard et cela peut durer des heures sans qu’elle se lasse.

    Son oreille attentive vient de percevoir un bruit dans la rue déserte ; ses yeux se portent à sa rencontre, cherchant à déchiffrer la lumière. C’est le signal que l’atmosphère va se détendre le temps d’un passage, d’une causette peut-être ou d’une réflexion, qui entraîneront d’autres propos concernant le passant qu’on connaît ou dont on recherche l’identité, le but.

    Grand-mère lève les yeux de son ouvrage :

    — C’est la Céline…

    Delphine, plus fort :

    — C’est la Céline qui va laver ?

    Poussive, elle conduit un chariot de linge juste sorti de l’ébullition. Ses cheveux neigeux frisottent autour de son front emperlé de sueur. Elle s’arrête pour souffler un peu avant notre maison, le temps d’éponger son visage d’un revers de son long tablier bleu couvrant sa jupe de grosse laine grise.

    Martelant le bitume de ses sabots ferrés, le père Courbon revient de sa vigne, accompagné de Gaby, son petit-fils. Il marche fier, sa houe sur l’épaule, la chemise largement échancrée, la moustache et l’œil rusés. En passant, il hélera grand-père à qui il projette de conter son dernier exploit de pêcheur émérite. Il habite avec sa fille une maison au bord de l’eau et c’est à l’aube que les miracles s’opèrent : ses barbeaux, ses blancs dépassent la mesure. La diversité des appâts qui les ont perdus : mûre, raisin, grain de blé, nous ravit. Il pêcherait des sirènes les soirs de pleine lune que nous n’en serions pas surprises. Bon élève, Gaby le suit, toujours à distance. Avec ses noirs cheveux frisés, sa peau très mate illuminée d’un regard profond et doux, nous l’espérons tout au long du jour.

    Sa mère, restée veuve, « lave » les hôtels, mais aussi les particuliers. Le matin de bonne heure, émergeant à peine d’un croissant de lune, les boucles de Marinette tirebouchonnent au-dessus de la rivière ; et moussent les étoffes entre ses mains usées, mousse qui file sur l’onde, tourbillonne, se perd dans le courant, longe la rive, y stationne se joignant à l’eau froide.

    Nous nous asseyons sur le bord du trottoir près de Gaby, tandis que Courbon laisse glisser son outil.

    Il clame, en direction de grand-père :

    — Vous me croirez pas, Portal ! J’avais plus de cent pies dans ma vigne ! Elles m’ont pas touché un raisin et ç’aurait été dommage. Parce que, cet été, je mens pas : des grains comme des agates ! Hein, Gaby ?

    Plus bas, comme hésitant à livrer un secret :

    — Ce matin dans le béal, dites… j’ai vu une de ces anguilles ! Mon ami… comme le bras !

    — Allez, père Courbon, c’était une couleuvre…

    — Une anguille ! Gaby sait où elles sont, je lui ai montré l’endroit : ça fait comme un trou noir dans les racines. Nom de nom, j’arriverai bien à la crocheter, avec ce qu’il faut !

    Il rit d’un grand rire coupé de hoquets, entrevoyant brièvement le prodige à venir. Puis, reprenant son outil, à Gaby qui pressent le départ, sur un ton qui ne souffre pas la discussion :

    — Bon !

    Docile, chaviré, Gaby se lève et nous dit bonsoir. Il emboîte sans se retourner le pas du vieux maraudeur et nous les accompagnons du regard jusqu’au tournant de la fontaine.

    L’odeur des pommes de terre à l’huile nous met en appétit. Le couvert est dressé.

    — S’il y avait du nouveau, le père aurait déjà prévenu…

    — Il n’appellera pas maintenant, dit grand-père en prenant place au bout de la table.

    — Trois enfants ! Tu vois, il me tarde que ce soit fini…

    — Les enfants ne demandent pas à venir, Marie ! Il faut les prendre quand ils sont là et les aimer tous pareil.

    — Denise n’était déjà pas si solide… Elle n’avait pas besoin de ça !

    Grand-mère guette une rébellion. Ses yeux se lavent de fatalité. Elle laisse glisser :

    — Allez ! Mangez…

    Nous piquons du nez dans notre assiette.

    — Leur mère n’aura pas toujours le temps de s’occuper d’elles, il faudra bien qu’elles changent. Et qu’elles aident, au lieu d’aller jouer !

    Je risque :

    — Si on ne peut plus jouer…

    — Et ça réplique !

    Grand-père avale bruyamment, il place ses mots :

    — Elles sont jeunes…

    — À leur âge, je marquais déjà du linge.

    Assise comme à son habitude près du fourneau, son assiette de soupe posée à l’angle du bureau, la vieille Delphine se rengorge. Le soleil qui s’attarde à l’horizon illumine tout un coin du ciel. Les coteaux se dessinent en orange sur un dégradé de bleu orangé. Il y a du fauve dans l’air, de la couleur à revendre.

    Bientôt l’ombre sera partout. Elle emplira chaque creux. Les chèvres de Maria, sur le retour, tenteront une dernière embuscade dans un bouquet de noise-tiers. Le tintement de leurs clochettes se répandra, montera jusqu’à nous. Ce sera l’heure de la promenade du soir, que grand-mère préfère à celle de l’après-midi parce qu’on peut y passer inaperçu. Mais je la soupçonne aussi d’aimer la nuit pour de plus poétiques raisons.

    Selon son humeur, elle choisit pour nous le Grand Pont, la Croix-Saint-Giraud, la Prade, le cimetière, la route de Lanau ou, comme ce soir que je n’oublierai pas, celle d’Arvant…

    Nous avions atteint la plaine, laissant derrière nous la présence rassurante des maisons. Le jour fusait par lambeaux, la nuit guettait à la naissance de l’ombre le lent déclin du soleil. La route s’ouvrait devant nous, chaude, droite, avec au bout le scintillement des lumières du bourg prochain.

    Peu à peu, les fonds noircis se refermaient sur eux-mêmes. Arbres, buissons s’évaporaient, confondant chemins et ruisseaux. À une centaine de mètres, sur notre gauche, une vague maisonnette sans fenêtres venait à nous. L’un des murs reflétait une lueur cruelle et jaune, deux rectangles clairs de mêmes dimensions montrant un groupe de soldats armés, frappés de ces grosses lettres que nous connaissions bien : Diên Biên Phu… – comme « feu » !

    Je n’aimais pas ces mots que je sentais lourds de conséquences. Que sait-on de la guerre, à dix ans ? Peut-être l’alarme que je lisais dans les yeux des grandes personnes, l’émotion de leur voix qui impose son silence, installe en nous l’étreinte de la crainte… La guerre, en de lointains Balkans, qu’avait connue mon grand-père. L’autre, qu’on porte en soi, pour l’avoir vécue dans le ventre de sa mère…

    — Mémé, on rentre ?

    — Pourquoi, tu as peur ? Et de quoi tu as peur ?

    — J’ai pas peur…

    — Allons, retournons si tu veux. Passe ton bras avec le mien, tu crains rien du tout avec ta mémé !

    Elle me glissait un bonbon.

    Dans le cadre de la fenêtre, je suivais de mon lit l’ascension de la lune. Haute, pleine, elle éclaboussait la pièce de lueurs sulfureuses. Je revoyais la lumière jaune, les affiches aux soldats, les arbres fuyants saupoudrés de brumes, les buissons prêts à l’attaque. Toutes ces images défilaient en désordre dans ma tête. J’aurais voulu être au matin pour reconnaître les promenades, leurs sentiers ourlés d’aubépines et de noisetiers remplis d’oiseaux familiers, l’herbe rare des talus où s’enhardissaient, pattes tendues, les chevrettes au front buté, avec leur queue dressée, en suspens.

    — Nicole, tu dors ?

    — Non… Et toi ?

    Elle s’était tournée. Blottie contre moi, nous avions appelé le sommeil.

    Tard dans la nuit, j’entendis ronfler grand-père, et grand-mère qui gémissait dans son rêve l’avait fait changer de côté. Dehors les chats envahissaient la rue, ils s’étaient réfugiés dans la maison abandonnée pour y clamer leurs amours. Puis, à l’aube, la grand-mère s’était levée. Elle avait fermé les volets. Sous ses pas feutrés, le plancher avait pleuré, doucement.

    Lorsque nous nous étions réveillées, la matinée était déjà bien entamée. Dans la rue, des femmes s’interpellaient. Elles s’attardaient devant notre maison, bourdonnement qui montait jusqu’à nous, comme d’une ruche en effervescence. Penchée en avant, près de son lit, Delphine lissait ses cheveux. Ils lui recouvraient le visage, tombaient jusqu’à terre. Le peigne crissait dans la masse de soie, gerbe souple que ses mains malhabiles liaient serrée, ainsi qu’autrefois les tiges du sarrasin. La mèche enroulée sur un doigt était placée sur le sommet de sa tête. Arrondie, façonnée, elle prenait peu à peu la forme d’une brioche que la bisaïeule hérissait d’épingles en corne fumée.

    Pour se vêtir, elle s’essoufflait, faisait celle qu’on attendait… On ne sollicitait plus ses services que pour l’épluchage des légumes, tâches qu’elle demandait qu’on lui confie, avec la confection des chaussettes : à trou-trous pour les dimanches, à côtes pour la semaine. Nous ne cessions d’espérer le moment où, parvenues au talon, ses mains tachées, tourmentées de replis que j’assimilais à la peau de mon café au lait refroidi, ralentiraient le tic-tac des aiguilles pour adapter l’ouvrage à nos mesures. Elles l’ajustaient, le moulaient exactement, massant le pied d’où dépassaient nos orteils avec tant de minutie, de tâtonnements dans ses doigts fébriles, que nous en étions électrisées de bien-être sous le rayonnement de la laine.

    Elle était prête, elle se tenait debout. Son corps lourd, en équilibre sur ses deux jambes, se mettait en

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