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Les Cheutons: Roman
Les Cheutons: Roman
Les Cheutons: Roman
Livre électronique272 pages3 heures

Les Cheutons: Roman

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À propos de ce livre électronique

L’histoire commence le 8 novembre 2008, le lac des Settons vient d’être vidé pour des travaux de réfection du barrage. L’histoire se termine quelques mois plus tard quand le lac a retrouvé son aspect lisse et ses activités.
Pendant cette période, Micha, quatorze ans, découvre ce qui se cache sous les apparences. Les secrets de famille même enterrés ne meurent jamais.
Comme une métaphore, le lac répond en écho aux bouleversements vécus par la jeune fille. Une jeune fille qui préfère observer le monde à travers le prisme du théâtre et du cinéma.
LangueFrançais
Date de sortie2 oct. 2018
ISBN9782312061559
Les Cheutons: Roman

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    Aperçu du livre

    Les Cheutons - Geneviève Bonnet-Cadith

    978-2-312-06155-9

    Chapitre 1. Samedi 8 novembre 2008

    Deux râles comme deux longues plaintes déchirantes et puis plus rien. Le silence s’abattit comme une masse, étouffant la vie des petits bruits.

    Un gigantesque cratère entouré de verdure, exhibait sans pudeur sa morbide nudité.

    La surface couvrait des milliers d’hectares de sable et de cailloux, avec ici et là, un bloc de granit, une carcasse de voiture, une barque recouverte de glaise, un bidon rouillé. Les nappes de boue qui s’étaient formées, exhalaient des relents de pourriture. De minces filets d’eau couraient entre les ruines du village qu’on distinguait encore. L’église décapitée dominait la masse informe des décombres. Des arbres décharnés, se dressaient vers le ciel, pour protester contre l’inconséquence des hommes.

    Couchées sur les rives, des barques sans pêcheur exposaient leurs flancs vaincus, à la curiosité des passants.

    A la sortie du barrage, une bouche monstrueuse avalait les derniers poissons avant de les cracher dans de grandes cuves remplies d’eau.

    Malgré les efforts des équipes, quelques carpes avaient échappé aux nasses et s’agitaient inutilement dans les flaques. Les ouvriers vaquaient à leurs occupations dans un silence respectueux.

    C’était la fin de la journée. Le vidage du lac n’attirait plus personne. Seuls les vieux et quelques enfants, suivaient stoïquement les dernières opérations. Leurs yeux balayaient le vide sans comprendre. Les plus jeunes se taisaient, impressionnés.

    Le ciel se mit à pisser dru. La pluie claquait sur le sol provoquant de minuscules explosions. La terre collait aux bottes. Des rideaux liquides masquèrent rapidement le paysage lunaire, puis, le gris du ciel se noya dans la frange brune des arbres, masquant l’horizon dans une harmonie de tons sombres et tourmentés.

    C’était le 11 novembre 2008. Le soir tombait sur le lac des Settons. Le vidage du lac s’achevait dans une atmosphère apocalyptique.

    La confrérie des pêcheurs s’était réfugiée au café d’Eugénie. Les doutes, les ragots les plus extravagants, échauffaient les conversations. Le groupe s’était peu à peu constitué un répertoire en résonnance avec ses principales préoccupations. Les mots tournaient, s’enflammaient, s’éteignaient, repartaient, mouraient aussi parfois.

    – Faut pas croire, si on ne se mobilise pas pour sauvegarder le haut Morvan…

    – Tu délires Lucien ! Jamais nos élus n’accepteront de sacrifier notre patrimoine culturel !

    – Les élus ? Ils sont comme les autres ! Ils vont se faire mousser pendant Le Poisson d’or et puis…

    – Mouais ! Moi je dis qu’il a raison Baptiste, c’est juste pour exploiter les ressources des Settons, et traficoter avec les gars de Rungis.

    – Vous êtes totalement à côté de la plaque ! Si on ne vide pas, on perd en oxygénation naturelle et…

    – Elle sort d’où celle-là ? Comment tu dis ? Patrimoine halieutique… ?

    – Bon, moi je pense que ça va servir à remplir les poissonneries de Rungis, et nos poissons, au lieu de les regarder s’agiter dans les eaux des Settons, on les verra bientôt le ventre en l’air sur les étalages des marchés.

    – Vous devriez arrêter le pastis les gars. ! Le vidage se fait de manière scien… ti… fique. Tu peux faire le clown Baptiste ! J’te l’dis comme j’le pense… avec le guidage par les tuyaux et la récupération dans les cuves, pas d’échappatoire.

    – Tu m’fais marrer avec tes théories ! Et l’exploitation frauduleuse ? Hein ? T’en fais quoi ? T’as l’œil tout le temps sur ce qu’ils font p’t être ?

    – Non mais dans un an, c’est le championnat du monde.

    Les éléments s’étaient calmés. Eugénie souleva le rideau qui recouvrait la fenêtre pour contempler le site dévasté qui défiait son établissement. Elle passa sa main sur son visage, pour chasser cette vision déprimante. Je m’étais approchée de la fenêtre pour contempler le désastre. D’ici on avait une vue plongeante sur la retenue et le barrage. Elle finit par prendre conscience de ma présence à ses côtés, alors, elle se tourna vers moi et me sourit.

    Eugénie était pour moi une femme sans âge. Une femme, juste assez vieille pour être la mère de ma mère. Veuve très jeune, elle l’avait élevée seule après le décès de mon grand-père.

    Discrète et peu bavarde, ma grand-mère se fondait dans le décor très personnel qu’elle s’était créé.

    Une partie de son temps libre était consacré à réparer et à transformer des objets qu’elle récupérait dans les brocantes.

    Un parquet en bois rustique recouvrait le sol de la grande salle commune. Des tapis confectionnés dans des chutes de tissus, apportaient des notes colorées. La grande terrasse qui prolongeait l’établissement ouvrait sur la retenue vide. Des bibliothèques ajourées modulaient l’espace. Le mobilier récupéré ici et là, était confortable et chaleureux, disparate mais bien assorti.

    On venait ici boire un thé dans des tasses anciennes, lire un des ouvrages à disposition sur les étagères, jouer aux échecs ou aux dames, ou simplement se réchauffer près de la grande cheminée.

    Les modes naissent et meurent au rythme du besoin de changement. Les modes s’arrêtaient ici, à la porte du café d’Eugénie.

    Ma grand-mère ramassa un crayon oublié sur une table et le planta dans son épaisse chevelure relevée en chignon, puis, réajustant son chemisier, elle traversa la salle de son pas souple pour rejoindre le vieux comptoir en zinc.

    Eugénie possédait cette sorte de beauté qui ignore les canons en cours. Son charme naturel négligeait les évidences et les artifices. Rien n’était calculé. Elle se contentait d’être elle-même, ni plus, ni moins.

    Quand elle prit place derrière le bar, les conversations fléchirent un peu sans s’épuiser. La vigueur et la crudité des propos s’adoucirent. Des pauses de plus en plus longues vinrent interrompre le ronronnement des scénarios fantaisistes repris en boucle.

    Selon Eugénie, les mots étaient plus précieux quand on les utilisait avec parcimonie, aussi cultivait-elle l’art du silence et celui de l’écoute. Le parler économe, ses interventions forçaient le respect. On la considérait comme une confidente de qualité. Les secrets qu’elle recueillait, la rendait aussi précieuse que dangereuse, mais sa réputation de « carpe » la protégeait des malveillances.

    La patronne s’empara de l’éternel torchon qui pendaient à sa ceinture et entreprit d’essuyer les verres qu’elle venait de rincer. Son sourire illumina un instant son visage, encourageant les pêcheurs à reprendre leur conversation.

    C’est alors que la porte d’entrée s’ouvrit. Un vent glacial s’engouffra dans la salle, soulevant les rideaux, ranimant les braises, répandant les feuilles mortes sur le plancher. Deux hommes et une femme pénétraient dans le café.

    Ma grand-mère ne releva pas la tête. Je fus sans doute la seule à remarquer le léger frissonnement de ses narines.

    Ma grand-mère était mon sujet d’observation préféré.

    Hasard des répétitions, j’étais le fruit d’une liaison éphémère d’un homme en transit dans la vie de ma mère. Mon père ? Pas connu, un inconnu en somme.

    Je poussais au sein de ce matriarcat affectueux avec un sentiment de liberté dont j’usais avec délices. Nos relations étaient protégées par une bulle de tendresse, dans laquelle nous nous retrouvions pour partager des moments rares et précieux. Margot, ma mère, tenait un petit restaurant de cuisine traditionnelle à Avallon. Elle nous rejoignait le week-end parfois si épuisée, qu’elle ne décollait pas de sa chambre.

    Ma grand-mère était mon île. La regarder évoluer me faisait accepter l’idée effrayante de grandir.

    Margot avait en bosses ce qu’Eugénie avait en creux. Eugénie jardinait l’ombre. Sa discrétion cachait une détermination redoutable. Margot jouait dans la lumière. Son dynamisme s’imposait de fait, masquant des fêlures invisibles.

    Indécise face à ces tempéraments contraires, je me pliais aux évidences. Je serais une femme en demi-teinte.

    La discrétion de ma grand-mère attirait les confidences. Je consacrais la mienne à la pratique de l’observation comme d’autres étudient la musique, la danse ou la peinture. Ma passion pour l’examen de tous ceux qui m’approchaient, occupait le plus clair de mon temps.

    Les nouveaux arrivants secouèrent leurs cirés trempés, puis s’approchèrent du comptoir pour serrer quelques mains. Ils n’étaient pas à proprement parler des habitués du café.

    Pascal, le plus âgé, était un jeune retraité qui avait hérité de la maison familiale, une belle demeure en pierre du pays, située en amont du barrage. C’était un grand type, au corps sec et noueux. Son visage hâlé, faisait ressortir des yeux bleus pervenche, couleur peu courante, qui fascinait.

    Quand il ne voyageait pas, Pascal séjournait ici le temps d’un week-end. Célibataire par principe, il se laissait quelquefois accompagner par l’élue de passage. On le voyait s’exercer à l’aviron sur le lac, ou encore le traverser à la nage. Il participait régulièrement à des compétitions sportives et alignait les succès avec désinvolture. Pascal incarnait l’élégance et la vitalité.

    Sa nièce et son compagnon venaient parfois le rejoindre, pour goûter au plaisir simple et authentique de cette région encore peu fréquentée par les touristes. Le trio s’installa près de la grande cheminée.

    Pascal prit place à côté de sa nièce et l’entoura d’un bras protecteur :

    – Dis-moi, ma belle, j’ai réservé une villa en Corse pour cet été. C’est en bord de mer, six chambres, une piscine, et un petit yacht pour faire du cabotage. Je t’ai pris un billet d’avion pour me rejoindre, j’ai calé en fonction de tes vacances. Bien entendu, tu es des nôtres, ajouta-t-il sans regarder Ben. Annie se tortilla sur son siège. Son regard navigua de l’un à l’autre. Son embarras faisait peine à voir.

    – Ah ! Merci mon oncle, c’est très généreux… C’est super ! Merci ! Ben s’agita à son tour, cherchant vainement à attirer l’attention de sa compagne. Il finit par intervenir.

    – En fait, on avait prévu de louer un camping-car… Annie souriait dans le vide… et de visiter la Bretagne. On a le projet de s’installer là-bas.

    – Hum… la Bretagne, Pascal se gratta le menton en faisant la moue… oui bien sûr, c’est très beau aussi… quand il ne pleut pas !!! ajouta-t-il en ricanant… Bon… je ne veux pas vous priver de la bruine du nord. N’en parlons plus !

    – Non ! Non ! On est super content ! C’est hyper chouette de ta part de… N’est-ce pas Ben ? La Bretagne peut nous attendre après tout…

    Eugénie abandonna sa vaisselle et me fit signe de la rejoindre : « Micha, veux-tu monter fermer les volets ? ». Elle souleva mon menton avec tendresse puis, frottant son nez contre le mien, on fit un délicieux baiser esquimau.

    Il s’agissait sans doute d’une de ces astuces pour m’éloigner. Je quittai la pièce sans broncher. Arrivée près de l’escalier qui montait à l’étage, je me glissai derrière les marches à l’abri des regards, de là, je pouvais observer sans me faire repérer.

    Pascal était connu pour vivre des aventures aussi insolites qu’inattendues. Assis dans un des grands fauteuils à oreilles, il semblait totalement concentré sur le récit de ses dernières péripéties. Penché en avant, le corps tendu pour capter l’attention de son auditoire, il accompagnait son discours de grands gestes éloquents. Parfois sa voix fléchissait un peu, son regard parcourait rapidement la salle pour juger de l’intérêt qu’il ne doutait pas de susciter parmi les personnes présentes au comptoir.

    Je m’installai à mon poste d’observation.

    Annie, la nièce de Pascal me faisait face. Elle riait sans retenue, à gorge déployée, rejetant sa tête en arrière pour laisser éclater son plaisir. Les yeux écarquillés, la bouche ouverte, elle paraissait totalement acquise au conteur. A intervalles réguliers, elle se tournait vers son compagnon pour s’assurer qu’ils partageaient bien le même plaisir, et que d’une certaine façon, ce plaisir était légitime.

    Calé au fond de son siège, Ben faisait de son mieux pour se prêter au jeu. Sa participation se limitait à rire lorsque sa compagne se tournait vers lui. Alors, il la regardait, secouait la tête, la bouche légèrement pincée, les yeux fermés, cherchant à dissimuler un sentiment d’exaspération grandissant.

    Je connaissais un peu les rapports qui unissaient le petit groupe. Je savais qu’Annie était très attachée à son oncle. Il s’était beaucoup occupé d’elle à la mort de ses parents. Il continuait à la couvrir de sa générosité, au-delà du raisonnable. Annie avait étudié les belles lettres à l’université en rêvant de coucher les siennes sur le papier. Elle les avait abandonnées ensuite pour devenir coiffeuse.

    Je ne saisissais pas comment l’un avait conduit à l’autre. Les choix des adultes me laissaient parfois songeuse.

    Accoudés au zinc, la conversation des pêcheurs s’était progressivement tarie, leur attention détournée par le spectacle qui se jouait près de la cheminée.

    L’un après l’autre, les habitués abandonnèrent le comptoir pour s’approcher du trio.

    Pascal brillait. Il adorait ça !

    Lors d’une escale en Patagonie, Pascal s’était laissé convaincre par un guide qui proposait de découvrir la forêt amazonienne ; le « poumon de la Terre », une forêt originelle, grande comme la France, voire plus.

    Pour étoffer son récit, Pascal raconte l’expédition de cet obscur homme d’église qui croise en 1542 des femmes guerrières. De mon poste d’observation, je vois les Settonais ouvrir de grands yeux ronds et se donner du coude.

    Ah ?… une tribu de femmes guerrières ?… parfaitement… et farouches en plus ? Oui c’est bien ça, guerrières et farouches, aussi guerrières et farouches que les Amazones des récits mythologiques…

    À grands renforts de détails, Pascal décrit les arbres qui montent par paliers vers le ciel. Des arbres si serrés qu’ils perdent régulièrement leurs feuilles. Des arbres aux troncs lisses parce que les branches cherchent la lumière. Des arbres aux racines presque inexistantes au sol mais que l’on voit parfois se développer en hauteur.

    Il raconte l’humidité qui colle les vêtements sur la peau, la chaleur étouffante et moite qui rend les efforts difficiles. Il parle du bruit, de ces oiseaux aux couleurs éclatantes qui occupent l’étage intermédiaire, et au sol des insectes en abondance.

    « La balle de fusil, c’est la plus dangereuse et la plus douloureuse. Une fourmi mortelle dont la piqûre est remplie de venin. Sacrée cochonnerie quand elle t’attrape ».

    Il ne nous épargne rien, même pas ces bestioles velues, hideuses, énormes, avec plein de pattes. Elles se cachent dans les trous des arbres, sous les racines et vous mordent quand par malheur vous les dérangez. On n’est plus aux Settons mais au cœur de la forêt amazonienne.

    Ils sont installés près de la cheminée, seulement éclairés par les flammes du foyer. Personne ne pense à allumer la lumière.

    Pas très rassurée, je scrute autour de moi, un mouvement, un bruit suspect. J’aimerais sortir de derrière l’escalier et m’approcher, mais le conteur enchaîne.

    Pascal explique le temps qui passe, et qu’on ne voit pas passer parce qu’ici les repères n’existent plus. On suit la progression lente et difficile derrière le guide qui se fraye un chemin avec une longue machette.

    Tout devient progressivement obscur. Le soir tombe. La lumière du portable qui fait office de lampe de poche faiblit, pas de réseaux, le chemin du retour qu’on ne retrouve pas :

    « On tournait en rond depuis un bon moment déjà. Le guide ne répondait plus à nos questions. La batterie de mon portable se déchargeait à vue d’œil. »

    Le conteur se redresse avec une lenteur calculée, puis se tourne vers le feu qui crépite.

    « On entend alors, un vacarme épouvantable. Un souffle puissant qui broie, arrache, piétine pour se frayer un passage… »

    Tout en écoutant, je me disais : « bon il est là, c’est qu’il en est revenu… »

    Près du comptoir, deux pêcheurs s’étaient éloignés pour poursuivre leur discussion à voix basse. Les phrases arrivaient en miettes : « tu ne vas pas… regarde… grand… plus tard… sais jamais… Va… »

    Manu, le plus jeune, s’éclipsa en lâchant sans conviction un : « Au revoir la compagnie » sans obtenir de réponse.

    Quelques instants plus tard, Ben sortit précipitamment son portable, le colla à son oreille, fit un petit signe à Annie « Je reviens ! » puis quitta la salle, en marmonnant dans le combiné.

    A l’arrivée du groupe, Eugénie avait regagné sa cuisine. Elle épluchait des légumes. Accoudé au comptoir, Paul tourna ostensiblement le dos à l’assemblée, puis vida son verre sans se presser. Il remit de l’ordre dans ses cheveux, et d’un pas lourd, se glissa derrière le comptoir.

    Satisfait, Pascal contemplait son auditoire.

    « Des yeux jaunes qui percent la nuit. On en distingue deux puis une multitude. Le fracas des branches qui tombent, le conteur marqua une pause. On ne comprenait pas. Soudain, le guide quitte le groupe et se met à hurler ! Pascal me faisait rêver ! Quel talent tout de même ! Les secours, les secours arrivent…, les guides du village, inquiets, venaient à notre rencontre… je… »

    Ouf !!!

    Tenir une assistance avec si peu… Pascal possédait la fantaisie de Laurent Lafitte et le charme de Didier Sandre. Je me fis la promesse de l’étudier avec plus de soin à l’avenir.

    En me penchant un peu sur la droite, j’apercevais ma grand-mère dans les reflets de la porte vitrée. Les mains posées sur le rebord de l’évier, elle fixait le carrelage. Paul était assis près de la grande table en bois ciré.

    À l’entendre, Paul n’avait qu’une vie professionnelle. Je le soupçonnais de mettre les gêneurs à distance, en jouant la carte de l’homme débordé, surbooké.

    Elle parlait d’un ton monocorde. Les bruits de la salle étouffaient sa voix.

    – Je sais…

    – Tu ne sais pas ce qui peut arriver, ce qui peut se passer ! Paul s’énervait.

    – Ça va, pas d’histoires…

    Elle s’éloignait déjà. Paul la saisit par le bras. Je poussai la porte. Des pas derrière moi… Pascal… La salle était vide. Je n’avais rien entendu. Il me dépassa sans me voir.

    Il y a des moments où le temps change les règles, des moments suspendus et d’autres où tout s’accélère. Il y a des heures longues et des heures courtes.

    Les deux hommes se sont fait face pendant une petite poignée de secondes.

    Un claquement sec mit fin à cette drôle de scène. Je me précipitai vers la porte. Le couloir était vide.

    Tout s’était passé très vite, je n’étais pas certaine de comprendre ce que je venais d’entendre et de voir. Qu’est-ce qu’ils font dans la cuisine, sa cuisine, ma cuisine, notre cuisine ?

    C’est quoi ces histoires qu’il se raconte Paul ? Et en quoi ça concerne ma grand-mère ? Il fournit le bois et les sapins de Noël aux Settonais soit,… Qu’est-ce qu’elle ne sait pas et qu’elle devrait savoir ? Et Pascal ?

    Sur la vieille gazinière, l’eau de la casserole faisait de gros bouillons sonores qui menaçaient de déborder. Les épluchures s’étalaient en désordre sur le papier journal, mélangeant le rose des carottes au brun des pommes de terre, le vert tendre des poireaux au rouge des tomates. Je récupérai les légumes dans l’égouttoir et les plongeai un a un, avec précaution, dans l’eau en ébullition.

    La cuisinière était un modèle d’un autre siècle, en fonte, à quatre feux. La température se réglait, en ajoutant ou retirant, à l’aide d’un crochet, les anneaux qui composaient chaque foyer. Ce soir, ils avaient décidé de me résister. Je ferraillais avec eux sans succès, m’énervant contre la vétusté de nos appareils ménagers.

    Pascal se glissa derrière moi et se saisit du grappin. Le contact de sa main sur la mienne, me troubla. Je m’écartai vivement et bousculai Paul qui n’avait pas bougé.

    Pascal rompit le silence : « Voilà, tu peux laisser comme ça… Ils vont cuire à petit feu… tu peux me passer le couvercle s’il te plaît ? »

    Le téléphone de Paul se mit à vibrer. Sans quitter les épluchures des yeux, il sortit l’appareil, le consulta rapidement et le fourra à nouveau dans sa poche.

    Le vibreur se fit de nouveau entendre.

    Pascal tenait le couvercle d’une main et un torchon de l’autre, il était penché sur la casserole et lui tournait le dos.

    « Alors Paul ? Les affaires reprennent ? Ça va bientôt sentir le sapin… »

    Chapitre 2. Le théâtre ou la vie

    « J’ai pris mon après-midi, passe vers 14 h, gros bisous ! Margot. » Senteurs d’ambre, de bois ciré, arômes de café. La chambre respire ma mère. Sur le lit, ma valise, des vêtements pliés avec soin, et ce mot de son écriture aérienne qui traîne sur le plateau du

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