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Julie Tôt ou tard ces salauds recommencent
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Julie Tôt ou tard ces salauds recommencent
Livre électronique273 pages4 heures

Julie Tôt ou tard ces salauds recommencent

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À propos de ce livre électronique

La violence faite aux femmes n'épargne aucun milieu social Julie existe, c'est elle qui a inspiré cette histoire en se confiant à l'auteur. Née dans une famille très aisée, repoussée par sa mère, elle subit un viol atroce par son beau-père, elle a tout juste dix ans, Elle est alors séparée de sa mère et recueillie par un oncle et une tante fortunés. Jean-Pierre Millet raconte avec une sensibilité rare, le destin d'une jeune femme martyrisée, meurtrie, broyée, ses joies et ses peines, sa lutte éprouvante pour essayer de se reconstruire. Sa màre meurt sans lui révéler l'identité de son père biologique. Elle aussi porte un lourd secret. Elle a peut-être été victime elle aussi d'un viol, ou d'un inceste? La réalité est bien plus complexe. Julie fuit les hommes, parvindra-t-elle à aimer un jour?
LangueFrançais
Date de sortie9 déc. 2013
ISBN9782312026619
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    Aperçu du livre

    Julie Tôt ou tard ces salauds recommencent - Jean-Pierre Millet

    cover.jpg

    Julie, Tôt ou tard ces salauds recommencent

    Jean-Pierre Millet

    Julie, Tôt ou tard ces salauds recommencent

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    À Lily

    À mes enfants

    À Lune qui a inspiré le personnage de Julie

    À nos Sœurs violentées

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-02661-9

    Marie Saint-Kast

    Sa mère était morte depuis quatre jours, le dix-huit juillet exactement. Julie de Teyssadre était passée par ce vieux cimetière pour voir où elle allait reposer. Jadis il fut isolé et tranquille, au milieu des champs de tournesol, à l’écart de la ville. Il était maintenant cerné de tours et d’immeubles collectifs gris et sans originalité tous semblables. Leurs balcons étroits où pendaient des tapis ou du linge coloré étaient boutonnés de paraboles blanc-sale, toutes dirigées dans la même direction comme les héliotropes éteints d’octobre avant que les paysans les fauchent. Un périphérique bourdonnant et vrombissant séparait la cité du cimetière. La construction d’un mur anti-bruit n’avait pas été envisagée. Les morts ont le sommeil profond et ne se plaignent jamais. Les habitants de la Cité ont fui la misère des gourbis, de quoi se plaindraient-ils ? La proximité du cimetière et du périphérique avait permis d’exproprier à bon prix les terrains classés en zone constructible.

    Un peu plus loin dans ce qui était alors la grande campagne existait, il y a quarante ans, un aéro-club, simple hangar en bois. À côté, une maisonnette abritée par un majestueux orme centenaire servait de bureau et de buvette, c’est ici que se retrouvait le dimanche un petit groupe de passionnés de voltige et de planeurs. Avec l’expansion de la ville et l’activité économique des années d’après guerre, il s’était transformé en une aérogare dynamique. La graphiose avait eu raison de l’orme, en même temps que l’industrie venait à bout de la paysannerie. Ce n’était certes pas Orly ou Roissy, l’activité était essentiellement diurne. Les avions décollaient ou atterrissaient selon le vent en frôlant les tours de la Cité. Le bruit assourdissant des réacteurs tarissait les conversations l’espace d’un instant.

    La lourde pierre tombale en granit avait été déplacée le matin même par deux solides mâcons en débardeurs trempés de sueur. Le plus âgé à la figure fortement colorée par une vie en plein air et la bonne chair, les ailes du nez et les plis naso-géniens rougis par une dermite tenace, était massif et épais. Trop court sur pattes, presque difforme, avec des mains épaisses et calleuses couvertes de taches brunes. Il était fagoté d’un bleu de travail râpé, trop grand pour lui. D’une poche étroite située sur une jambe du pantalon dépassait un mètre pliant en bois. Le plus jeune, vingt-cinq ans tout au plus, portait un jean crasseux effiloché au niveau des genoux et des chevilles. Il était de taille ordinaire mais large d’épaules. Son torse vigoureux et ses bras impressionnants tatoués de signes cabalistiques d’inspiration maoris devaient impressionner les poulettes ravies de se pavaner à son côté les soirs de fête. Les yeux étroits, très clairs, faisaient oublier la banalité de ses traits. Le vieux était aux commandes et indiquait le bon endroit où placer la barre d’acier pour lever la dalle massive. Dans le marbre était gravé en lettres dorées Famille Saint-Kast - de Teyssadre. Au signal du vieux, ils unissaient leurs forces afin de faire glisser avec des leviers la lourde pierre sur des rondins en bois. Malgré l’heure matinale, la chaleur était déjà oppressante. Les deux hommes s’affairaient sans précipitation. Ils avaient le temps, l’inhumation était prévue pour quinze heures.

    Les deux fossoyeurs avaient terminé leur travail, ils prirent congé, le vieux en soulevant le béret qui couvrait son front ridé et ruisselant laissant apparaître une calvitie luisante, impeccablement blanche. Quelques rares cheveux ébouriffés d’un blanc jaunâtre subsistaient, collés par la sueur sur un crâne osseux.

    L’homme au béret, intrigué par sa présence, lui demanda par pure curiosité, si elle connaissait le défunt qui allait prendre possession pour l’éternité de sa dernière demeure.

    « Oui, c’est ma mère, répondit-elle. »

    Sa réponse, brusque, inattendue, sans la moindre émotion perceptible, eut le mérite de ne pas appeler de commentaires. Juste put-il bredouiller une vague excuse. Tout à coup ils se sentirent de trop et déguerpirent, après avoir rangé leurs outils dans une brouette qu’ils allèrent remiser à vingt mètres de là, dans l’appentis en planches appuyé contre le mur en moellons voisin.

    La cérémonie religieuse lui parut interminable. Une vraie messe d’enterrement, bien traditionnelle et ennuyeuse, une de ces cérémonies trop longues, avec homélie et hommages à la défunte qui vident à coup sûr les églises.

    Depuis quatre jours elle était définitivement, et à jamais, orpheline, sans aucune famille, seule et malheureuse.

    Autour du caveau il y avait foule. Essentiellement des clients de l’étude de son beau-père et de la pharmacie de sa mère, des notables reconnaissables à leurs vêtements, peut-être aussi quelques amis. Elle était partie depuis si longtemps, et si jeune, onze ans s’étaient écoulés. Elle était devenue une étrangère, inconnue de tous, anonyme dans un vieux cimetière ensoleillé.

    Sa mère avait été admise à la maison de rééducation fonctionnelle de Vigny-lès-Moines. Un AVC l’avait clouée à quarante-six ans dans un fauteuil, le côté gauche paralysé, avant qu’une seconde attaque, deux mois plus tard, la foudroie, comme le coup de grâce accordé au fusillé.

    Il y avait aussi Jérémie et Carole les jumeaux que sa mère avait eus de son mariage avec Dominique Saint-Kast.

    Caroline Saint-Kast, la fille de Dominique née d’un premier mariage, était absente. Julie ne l’aurait d’ailleurs probablement pas reconnue. Elle était venue rendre visite à son père trois ou quatre fois après son remariage, elle avait alors onze ans et Julie neuf. Plus de nouvelles depuis, elle resta définitivement chez sa mère, ce qui sembla arranger la mère de Julie et son mari.

    Les Saint-Kast à l’exception de cette gamine ne lui étaient pas rien, ils étaient ses ennemis intimes, l’objet de sa haine, spécialement le père.

    Retenue par quatre croquemorts, à l’aide de grosses cordes de chanvre enfilées dans les poignées chromées, la bière en cyprès blond descendit doucement. Lâchée un peu trop tôt, elle cogna sèchement la dalle en ciment. Le caveau était vide. Saint-Kast avait acheté une concession et avait commandé cette pierre tombale il y avait deux mois sans en parler à sa femme. Les cordes résonnèrent sur le bois du cercueil quand les fossoyeurs laissèrent filer une extrémité pour les récupérer, comme les bouts tombent à l’eau lorsqu’on libère le bateau avant qu’il ne quitte le quai. Là, c’était le monde des vivants qui s’éloignait pour toujours de sa mère, les amarres venaient d’être larguées.

    Chacun se crut obliger de prononcer un dernier mot. D’abord Saint-Kast, le mari, bel homme de haute stature, le cheveu dru et grisonnant, des yeux bleus abrités derrière des lunettes à large monture en écaille. Bien fait de sa personne, la cinquantaine avenante, il avait pris un sérieux embonpoint, empâté par une nourriture de riche bourgeois que le costume de serge noir fait sur mesure parvenait difficilement à estomper. Il avait l’air d’un notaire de province, ce qu’il était d’ailleurs. Debout devant la fosse, il se fendit d’un discours de circonstance qu’il avait dû polir comme un galet avec des mots choisis, des belles phrases, trop ampoulées où manquait l’émotion. Il y était question d’amour éternel, d’épouse exemplaire, de mère aimée et aimante, de femme modèle. Faux, archi faux, ce baratin révoltait Julie. Saint-Kast ne s’adressait qu’à ceux qui ne connaissaient pas le fond des choses. Julie l’observait sans jamais le quitter des yeux, cherchant son regard pour le provoquer, insensible à ses mensonges à ses mots trop convenus, débités sans émotion comme un politicien peut le faire. Elle se sentait vaguement déconnectée, elle entendait les phrases, comme une succession de mots, sans les comprendre. Il dut interrompre son laïus au passage d’un moyen courrier qui décollait poussé par le souffle assourdissant de ses quatre réacteurs.

    Il reprit la parole, Julie ne retint que sa dernière phrase.

    « Je te promets ma chère Marie que nous nous retrouverons un jour et que plus rien ne nous séparera. »

    On ne pouvait pas faire plus digne, un vrai numéro d’acteur chevronné, ou de politicien véreux. Affligé mais courageux car, pensait-elle, il en faut du courage, plus exactement de l’aplomb rectifia-t-elle en son for intérieur, pour mentir aussi effrontément. Il faut surtout n’avoir aucune estime de soi.

    A la droite du père, serrés l’un contre l’autre, les enfants à leur tour prirent la parole. Elle ne les avait jamais revus depuis qu’elle avait quitté la maison, ils avaient à l’époque deux ans. Le garçon, la tête inclinée sur ses chaussures, récita un texte appris comme un compliment de fête des mères qu’il débita d’une traite, d’une voix de fausset aigüe en pleine mue. Sa sœur, mignonne gamine de quinze ans, aux seins déjà bien formés sous un polo moulant, les jambes fuselées mises en évidence par une robe virevoltante, trop courte pour la circonstance, avait la beauté de sa mère. Julie ne lui ressemblait pas, aussi blonde qu’elle était brune, une madrilène et une scandinave. Elle avait sûrement hérité des traits de son père, rien de sa mère à l’exception des yeux bleus, ce qui la ravissait. Le chagrin et les larmes ne parvenaient pas à ternir sa joliesse. La jeune fille était désemparée et parvint tout juste à dire dans un sanglot : « Adieu maman je t’aime pour toujours ».

    Puis elle jeta sur le cercueil une fleur prélevée sur une brassée de roses rouges qui avait été disposée par les employés des pompes funèbres dans un seau en plastique vert au pied de la tombe.

    Une file d’attente s’organisa spontanément pour venir saluer le veuf et la famille d’une brève poignée de main ou d’une accolade démonstrative. Certains pressés de partir avaient fait mouvement pour se rapprocher à petits pas mesurés et précautionneux de Saint-Kast. Julie se tenait à l’écart, loin de Saint-Kast. Elle s’était placée à l’opposé entre deux sépultures pour mieux le voir, bien de face. À sa droite une petite chapelle en pierre blanche de Chauvigny. À travers la grille rouillée, cadenassée avec une grosse chaîne, elle avait pu voir un autel recouvert d’un napperon rendu noir par la poussière, un prie-Dieu éventré par la chute d’un Christ en croix gisait sur le côté. « Vanitas Vanitatum » pensa-t-elle. La famille ne l’avait pas invitée, elle vivait absente tout ce cérémonial. Elle était venue par curiosité, par convenance, en représentation et en observatrice. La directrice de Bel Air l’hôpital de Vigny-lès-Moines était la seule à lui avoir annoncé la mort de sa mère.

    Elle voulait surtout voir comment réagissait Saint-Kast, c’est pourquoi elle ne le quittait pas des yeux.

    Une des toutes premières à consoler l’époux faussement éploré fut une femme encore jeune, la petite quarantaine. Son opulente chevelure noire, attachée en chignon sur la nuque, paraissait presque bleuâtre dans les reflets du soleil. Élégante, bien en chair et plantureuse, elle était strictement habillée d’un tailleur noir. Julie la reconnut immédiatement et fit rapidement un pas de côté pour se cacher derrière la chapelle abandonnée. Cette femme était la seule avec Dominique Saint-Kast qui aurait pu la reconnaître au cimetière, mais Julie s’était toujours tenue à bonne distance. Elle fouilla promptement dans son sac pour saisir de larges lunettes de soleil foncées et dissimuler son regard.

    Elle avait rencontré Clara Trévoux deux semaines plus tôt lors de la visite qu’elle avait rendue à sa mère hospitalisée à la maison de rééducation médicalisée de Vigny-lès-Moines. Elle s’était présentée comme la meilleure amie de sa mère.

    Clara Trévoux était premier clerc à l’étude de maître Saint-Kast, sa collaboratrice dévouée et aussi sa maîtresse. Elle était venue au chevet de sa rivale, lui tenant la main en lui assurant que tout allait rentrer dans l’ordre, persuadée qu’il n’en serait rien.

    Julie pensa que le notaire lui avait confié l’organisation des obsèques. Tout en continuant à la baiser en levrette, lui son pantalon débraguetté, elle sa petite culotte sur les chevilles, sur le plateau de son bureau dont les portes isolées d’un capiton revêtu de cuir laissaient filtrer des soupirs et des couinements étouffés.

    Depuis, son choix s’était porté sur une nouvelle conquête, une certaine Cathy, à peine plus âgée que Julie, elle lui avait fait tourner la tête. Tout homme normal aurait deviné l’arnaque. Lui n’avait rien senti venir. Il rejoignait la cohorte de ces vieux beaux immatures et frivoles flattés par de jeunes et ruineux tendrons.

    Il l’avait installée dans une maison bourgeoise à quelques centaines de mètres de son étude. C’était la première fois qu’il investissait sans souci de rentabilité. D’ordinaire il choisissait des immeubles de rapport dont les appartements, situés à proximité immédiate d’une caserne, étaient faciles à louer aux militaires. Si le loyer tardait à être payé il suffisait de demander un rendez-vous au commandant de garnison et tout s’arrangeait après une convocation du mauvais payeur dans le bureau du colonel. De plus les mutations fréquentes permettaient d’en réviser à chaque fois le montant. Enfin, détail très important, il pouvait tarder à restituer le dépôt de garantie encaissé à la conclusion du bail. L’éloignement de sa nouvelle résidence compliquant pour le militaire le recouvrement. Certains même, par lassitude, abandonnaient la caution.

    La donzelle avait une petite fille de six ans de père inconnu. Bien que toute la ville soit au courant, elle était évidemment absente de la cérémonie. Il y a quand même des choses qui ne se font pas. À défaut de moralité et de sens de l’honneur, dont il était strictement dépourvu, le notaire avait le souci de la bienséance et du qu’en dira-t-on. Enterrer sa femme en compagnie de ses deux maitresses, il n’avait pas osé. Ce qui l’avait surtout dissuadé c’était la crainte d’une confrontation entre les deux femmes.

    Le défilé tirait à sa fin. Chacun s’éloignait. Les uns rapidement en slalomant à travers les sépultures et en faisant crisser le gravillon des allées, d’autres par petits groupes, lents, silencieux et peinés, chuchotant à voix basse. Les enterrements sont souvent l’occasion de revoir des membres éloignés de la famille, de se sentir vivant surtout. Les vieux prennent conscience de leur âge, comprennent que bientôt ce sera leur tour. Jusqu’ici la mort leur avait semblée logique, elle avait frappé d’abord leurs grands-parents puis leurs parents, quand elle était venue chercher des amis ils s’étaient apitoyés sur leur propre sort, ils se révoltaient quand elle prenait la vie de plus jeunes qu’eux.

    Combien avaient éprouvé un véritable chagrin ? Hormis les enfants du couple, très peu sûrement. Il y avait surtout des relations sociétales, quelques vieillards et peu d’enfants.

    Ce qui était certain, c’est que lorsque Saint-Kast rendrait son âme au diable, Julie s’était promis d’être là pour s’assurer qu’il soit bien mort. Si des larmes venaient à couler, ce seraient assurément des larmes de joie.

    Elle s’échappa vivement avant que la procession ne se termine. Elle regrettait presque d’être venue, aucune larme, aucun chagrin. Elle n’avait pas quitté des yeux Saint-Kast, lui jetant un regard mauvais où on pouvait lire le dédain, l’envie de se venger et la rage de l’impuissance. Lui, bien que douze ans se soient écoulés, l’avait reconnue. Derrière ses lunettes d’écaille, son regard fourbe, se dérobait, comme celui de l’assassin devant la famille de sa victime et ses juges.

    Julie se glissa sur le siège en cuir de la Mini, ouvrit le plus rapidement possible la capote, baissa les vitres en laissant la portière grande ouverte. L’étouffante chaleur la faisait suffoquer. Elle s’était garée à l’ombre du mur du cimetière mais la cérémonie avait été si longue que le soleil avait tourné rendant la carrosserie aussi brûlante qu’une plaque de cuisson. Trente mètres plus loin, à l’ombre d’une double rangée de tilleuls aux feuilles déjà jaunissantes, tassée dans la Mercedes de Saint-Kast pour éviter d’être vue, sa jeune maîtresse l’attendait. La mort de la mère de Julie lui ouvrait de nouvelles perspectives, elle pouvait maintenant espérer devenir l’épouse du notaire.

    Quinze jours s’étaient écoulés depuis la visite de Julie à la maison de rééducation fonctionnelle de Bel Air. Située à quinze kilomètres de la ville, sa mère y avait été admise après son attaque cérébrale.

    Dominique Saint-Kast

    Julie n’avait pas toujours nommé sa mère : « ma mère ». Comme tous les enfants, elle l’avait appelée, elle aussi, maman. Ses plus lointains souvenirs remontaient à vingt ans, elle en avait vingt-deux maintenant.

    Marie de Teyssadre, sa mère, était une ravissante femme brune avec un long cou, un visage à l’ovale parfait, une bouche finement ourlée, des yeux résolument bleus et intelligents, un regard à l’éclat métallique qui décourageait toute familiarité. Elle faisait penser au portrait de Jeanne Hébuterne peint par Modigliani.

    C’était une personne accorte et gracieuse, toujours souriante derrière son comptoir, de bonne tournure, mais toujours sur la réserve, ne parlant jamais d’elle. Elle plaisantait rarement, estimée de tout le monde, courtoise, toujours prête à rendre service. Elle animait le comité de quartier. C’est-elle  qui collectait les jouets et les vêtements pour les enfants pauvres. Elle récupérait également les vieilles lunettes pour une association qui se chargeait de les redistribuer en Afrique. Elle œuvrait aussi dès les premiers froids pour les restos du cœur et participait activement aux collectes de nourriture.

    Elle s’était installée pharmacien dans ce quartier populaire de la ville. Elle avait acheté l’officine de mademoiselle Bellois, une vieille fille pingre et vieillotte, à l’air cagot, sans âge et bigote. Elle ne ratait aucune messe. À son image sa boutique était restée la même pendant toute sa carrière. Marie de Teyssadre transforma la pharmacie dès son arrivée. Plus de rayons poussiéreux en chêne massif sculpté surchargés de mortiers, de cornues, de becs bunsen et de bocaux vides qui avaient dû accueillir, il y a bien longtemps, des herbes et des sangsues. Un agenceur spécialisé en avait fait une officine moderne et accueillante.

    Elle avait une fille Julie dont personne ne connaissait le père, ce qui intriguait dans cette petite ville de province à l’esprit encore étriqué. Au début quelques curieuses voulurent savoir si elle était divorcée, si elle était fille-mère, elles ne le surent jamais. Elle stoppait net par un regard sévère et intimidant les rares indiscrets qui osaient poser une question sur sa vie privée. Peu disposée aux confidences, les amis qu’elle recevait pouvaient se compter sur les doigts d’une main.

    Il y avait Louise Bidault, une grande belle femme, pour elle la beauté se mesurait à la taille. Elle était l’épouse du médecin généraliste du quartier et elles se voyaient presque tous les jours.

    Jeanne Corvert son amie d’enfance, marraine de Julie, venait une fois par mois.

    Gina Pattuci la femme du banquier qui avait mis en place son prêt pour ses travaux comptait aussi parmi ses intimes.

    Enfin il y avait Claire Tersac femme d’un directeur régional chez Canon dont le mari avait assuré toute son installation informatique.

    Marie de Teyssadre était respectée et appréciée par tous les habitants du quartier, on savait qu’elle était originaire du sud du département sans plus de précisions. Les seuls défauts qu’on lui connaissait étaient la clope, des blondes anglaises dont elle enlevait le filtre, et son petit whisky, le soir, sa journée terminée. Elle n’affichait pas d’idées politiques précises et déclina les nombreuses offres qu’on lui fit pour qu’elle participe à une liste pour les municipales.

    Elle resta célibataire quatre ans. Personne ne s’expliquait pourquoi une aussi jolie femme, manifestement à l’aise, avec une belle situation, restait seule. Elle avait un enfant mais ça n’expliquait pas tout.

    Dominique Saint-Kast, DSK comme le surnommait toutes ses relations, était le notaire de mademoiselle Bellois il avait repris l’étude de son père qui l’avait lui-même reçue de son père. Il était l’aboutissement d’une longue lignée issue d’un obscur tabellion devenu officier public, c’était un notable dans cette petite ville de province où tout un chacun s’observe. Marie de Teyssadre le connut à l’occasion de l’achat des murs de son commerce. Mademoiselle Bellois malgré une vie pieuse et sans excès de bonne chère, sans aventures sexuelles, profita peu de sa retraite. Elle mourut dans l’année qui suivit la vente de son fonds. Ses héritiers, des nièces et neveux nombreux, demandèrent au notaire chargé de la succession de vendre l’immeuble. Il devait en proposer l’acquisition en priorité au locataire. C’est ainsi qu’ils firent connaissance.

    Dominique Saint-Kast était un bel homme, beau maintien, les cheveux noirs coupés courts, grand, élancé, un ventre plat et la silhouette sportive. Il venait de divorcer péniblement, à ses torts. Son épouse avait obtenu une coquette pension et la garde de leur fille qui avait deux ans de plus que Julie. Il plaisait aux femmes et on lui prêtait quelques aventures

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