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Trois cœurs en vrac: Un drame psychologique à suspense
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Trois cœurs en vrac: Un drame psychologique à suspense
Livre électronique337 pages5 heures

Trois cœurs en vrac: Un drame psychologique à suspense

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À propos de ce livre électronique

Le récit de trois destins qui se rencontrent, pour le meilleur et pour le pire...

Un soir à Paris, par une nuit glaciale d’hiver, Mathilde et Stéphanie, deux femmes d’âge mûr, croisent le chemin de Laura à un moment-clé de leur existence, et leur vie bascule. Guidées par l’amitié et l’espoir pour un avenir meilleur, elles vont se livrer sans pudeur ni retenue et faire sauter tous leurs verrous. Mais leur passé douloureux ne risque-t-il pas de ressurgir à tout moment ? Se sont-elles vraiment tout dit ?

Quelles forces sont à l’œuvre pour un tel revirement du destin ?

Une étude psychologique sensible et réussie !

EXTRAIT

« La place rouge était vide, devant moi marchait Nathalie, elle avait un joli nom mon guide, Nathalie, Nathalie ».
Contrairement à ce refrain, le guide de Mathilde n’était ni un personnage de chanson ni une femme, mais il existait bel et bien et se prénommait Peter. Dès l’instant où leurs regards s’étaient croisés, plus rien d’autre n’avait compté que cette idylle naissante.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Quand la vie bascule de l’amour vers la haine, ou quand des personnages à qui tout aurait dû sourire descendent aux enfers pour ne jamais en remonter, aucun doute, vous savez que vous êtes entré(e) dans l’univers de Lysiane gardino. - Blog L'ami des auteurs

À PROPOS DE L'AUTEUR

Lysiane Gardino signe avec Trois cœurs en vrac son sixième roman. Il s’agit d’un récit à rebondissements où les personnages sont face à leurs contradictions et tentent de trouver un sens à leur vie.
LangueFrançais
Date de sortie11 janv. 2018
ISBN9782876836068
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    Aperçu du livre

    Trois cœurs en vrac - Lysiane Gardino

    Lysiane Gardino

    Trois cœurs en vrac

    La Compagnie Littéraire

    Catégorie : Roman

    www.compagnie-litteraire.com

    Chapitre 1

    Mathilde

    « La place rouge était vide, devant moi marchait Nathalie, elle avait un joli nom mon guide, Nathalie, Nathalie ».

    Contrairement à ce refrain, le guide de Mathilde n’était ni un personnage de chanson ni une femme, mais il existait bel et bien et se prénommait Peter. Dès l’instant où leurs regards s’étaient croisés, plus rien d’autre n’avait compté que cette idylle naissante.

    Aujourd’hui, ce pan de vie appartenait au passé. Un passé à la fois merveilleux et douloureux ; souvenirs où se mêlaient joie, mélancolie, amertume, pleurs, regrets, beaucoup de regrets qui tirent larmes et sourires à la fois. Le meilleur comme le pire pouvait remonter en un déclic à la surface et remuer pour longtemps.

    Le passé et le présent, même après tant d’années, avaient encore prise sur elle. Et comme un raz de marée pouvait la balayer et l’anéantir en un rien de temps ; il suffisait d’une image, d’un mot, d’une expression et elle retournait des années en arrière.

    Un uppercut en plein cœur n’aurait pu lui faire plus de mal que certains gestes ou mots oubliés, certaines paroles dites pour blesser.

    Lorsqu’elle entendait dire qu’il fallait oublier le passé, les bonnes comme les mauvaises choses pour pouvoir rebondir, avancer et aller de l’avant, elle avait envie de crier : « conneries et blablas que tout ça ! ». Vous croyez leurrer qui en débitant de telles inepties ? Soyez lucides, ôtez vos œillères ! Le cœur n’est pas une machine que l’on manipule selon ses envies ou ses espoirs ; il suit des tracés parfois inévitables, il frappe fort à s’en faire exploser, ou alors il cale et vous fait chuter.

    *

    Pour la énième fois, Mathilde replongea des années en arrière, presque un demi-siècle, pour se retrouver face à cet homme ni beau ni laid, mais qui l’avait prise dans sa toile.

    C’était ses premiers pas loin de sa famille, de ce cocon protecteur dont elle ne s’était encore jamais éloignée.

    C’était aussi sa première aventure dans un pays étranger, et Londres avait été le témoin de ses premiers émois.

    Quelle étrange et angoissante sensation de sentir son cœur battre à tout rompre. Les coups répétés à intervalles réguliers étaient si violents qu’elle crut un instant qu’il allait sortir de sa cage thoracique.

    Elle se reprit, respira profondément pour tenter de calmer les battements immodérés de son cœur, mais en vain ; le regard sombre de cet homme accroché au sien, les yeux noir couleur d’encre légèrement enfoncés dans leurs orbites, la barbe de deux jours, le teint hâlé que n’expliquait pas cette ville réputée pour son climat, et le sourire à faire damner tous les saints de la terre eurent raison d’elle. Subjuguée, envoûtée, elle vacilla.

    Devançant sa chute, une main à la poigne ferme l’agrippa ; l’homme qui lui faisait face semblait lui aussi lutter contre cette attirance, contre le choc d’une révélation qu’il avait toujours voulu ignorer et fuir : « tomber amoureux ». Désormais, c’était chose faite ! Il en était fait de lui ; il ne pourrait plus prôner une liberté absolue et se prévaloir de vivre sa vie comme il l’entendait, sans attache, sans comptes à rendre. Devant ce visage à peine sorti de l’enfance, toutes ces résolutions lui semblaient désormais compromises.

    Jusqu’à présent, il s’était toujours persuadé que perdre sa liberté était un poids, une entrave, un excès de faiblesse, un abyme d’où l’on ne pouvait sortir indemne. Quand il voyait ses amis déjà mariés, parents, il lui semblait qu’ils avaient vieilli d’un coup, que leur jeunesse et leur insouciance s’étaient évaporées.

    Maintenant traversé par des pensées contradictoires surgies sans semonce, il se demandait si, jusqu’à présent, ses sentiments suspicieux à l’égard de l’autre ne reflétaient pas tout simplement la peur de l’inconnu.

    *

    Aujourd’hui, quarante ans après ce tourbillon qui les avait entraînés tous les deux pour ne plus les lâcher, cette rencontre avec Peter n’était plus qu’un nom sur des papiers officiels de divorce.

    La célèbre place rouge avait fait place à celle des Vosges, beaucoup moins romantique aux yeux de Mathilde, moins inaccessible aussi, mais vide, elle aussi, en ce mois de février glacial où sévissait une bourrasque de neige qui faisait virevolter de gros flocons.

    Elle était arrivée sans s’être fait annoncer. D’aucuns l’avaient prévue, d’autres l’attendaient plus tard. Le matin encore, un grand ciel bleu recouvrait Paris, le soleil dardait ses rayons sur la capitale. Puis, vers midi, le ciel s’était assombri. Les passants relevaient le col de leurs manteaux, le froid s’engouffrant insidieusement.

    Le spectacle était féerique pour qui aimait ce tableau à deux teintes ; le gris qui plombait le ciel, et le blanc des flocons qui finissaient leur course avec légèreté. Toutes ces rues, ces toits, ces voitures qui se recouvraient de neige lui rappelaient son petit village.

    La nostalgie de sa jeunesse envolée l’assaillit sans prévenir. Des larmes amères se frayèrent un passage sur ses joues rosies par le froid, mais Mathilde n’y prêta guère attention ; son esprit à présent torturé était tourné vers l’ailleurs, vers un bonheur qu’elle ne connaîtrait plus. Tout comme elle, il s’était terni au fil du temps pour devenir inexistant. Elle avait appris à vivre avec… ou plutôt sans. Elle avait la chance de l’avoir connu, d’autres ne l’avaient pas eue ou ne l’auraient pas. C’était un peu comme le poker, soit on avait une quinte flush et l’on gagnait, soit on avait une mauvaise main et l’on perdait.

    Le froid rendait gourds ses doigts sans gants, gerçait ses lèvres bleuies, mouillait ses cheveux qui avaient perdu leurs boucles sous l’effet de l’humidité, prenait possession de ses vêtements trop légers pour la saison. Mais avait-elle d’autre choix que de subir ? Quelles solutions s’offraient à elle pour ne plus avoir à devoir passer ses journées et ses nuits dehors par un froid aussi intense et pénétrant ?

    Chapitre 2

    Séjour en Angleterre

    Londres 1976

    Mathilde venait de traverser Boulogne par la mer pour rejoindre Douvres. Ses yeux s’étaient agrandis de joie mais aussi d’effroi à l’idée de prendre l’aéroglisseur. C’était une grande première pour elle qui n’avait jamais quitté son village natal, et encore moins sa famille à laquelle elle était très attachée. Quant à naviguer sur la mer autrement que sur son matelas pneumatique quand elle partait un mois par an en vacances avec ses parents, jamais elle n’aurait envisagé de connaître ça un jour.

    À y repenser, quel horrible et désagréable souvenir ; chahutée et brinqueballée par les vagues qui lui soulevaient le cœur, elle avait abandonné le pont pour s’enfermer dans les toilettes durant toute la durée du trajet. À genoux, la tête penchée au-dessus des toilettes, elle n’avait plus rien d’autre à rendre que de la bile.

    Excitée par ce voyage préparé de longue date, elle avait oublié de prendre son petit-déjeuner. Maintenant, elle le payait doublement. Vingt-cinq longues minutes infernales pendant lesquelles ses boyaux, son estomac, sa bouche, son nez, souffrirent le martyre. Sa longue chevelure habituellement magnifique et soyeuse était poisseuse et collait à ses joues baignées de larmes qui coulaient malgré elle.

    Lorsqu’elle franchit la passerelle la ramenant enfin à terre, il lui sembla renaître. Elle frissonna à l’idée de son prochain retour par le même bateau.

    Après quelques pas sur la terre ferme, son visage marmoréen retrouva quelques couleurs. Elle s’arrêta près d’un banc, sortit de sa valise une petite bouteille d’eau qu’elle avala goulûment ; l’amertume de sa bouche se dissipa enfin.

    Elle esquissa un sourire en repensant aux paroles de Madeleine, sa meilleure amie, qui lui avait vanté avec ferveur les joies de la traversée. « Quelle horrible menteuse tu fais, mais attends-toi à ma vengeance, elle sera terrible ! ». Et Mathilde éclata de rire, faisant se retourner quelques passagers étonnés qui suivaient la même route qu’elle.

    Du haut de ses dix-huit ans, fêtés un mois auparavant, ce petit bout de jeune fille ne ressentait aucune appréhension à l’idée de se retrouver en territoire inconnu. Elle aurait pu en avoir ; c’était la première fois qu’elle partait loin de chez elle, qu’elle se séparait de ses parents et de ses deux frères, de véritables petits monstres qui la harcelaient sous prétexte qu’ils étaient plus jeunes qu’elle.

    Elle ne partait que trois semaines, mais pour sa mère qui avait eu du mal à contenir ses larmes à son départ, cela équivalait à une éternité. Sa petite fille, son bébé, allait se retrouver en territoire hostile – terme exact qu’elle avait employé.

    Cette femme opulente qui n’avait qu’une connaissance très limitée de tout ce qui se trouvait au-delà de la mer et des frontières avait fait beaucoup de cauchemars aux dires de son père. Mathilde l’avait rassurée du mieux qu’elle avait pu ; mais devant ce visage éploré qui s’effaçait pour ne plus être qu’un petit point à l’horizon à mesure que l’hovercraft avançait, elle se faisait du souci. Ils étaient convenus qu’elle les appellerait en PCV au moins une fois par semaine pour leur donner de ses nouvelles.

    Son séjour n’était pas seulement un voyage d’agrément ; elle y allait pour parfaire son anglais avant d’attaquer des études de secrétariat bilingue. La famille qui l’accueillait devait veiller à ce qu’elle ne déroge pas au programme prévu par l’organisme choisi ; le matin, elle devait suivre des cours dans une école de la capitale, et les après-midi, elle était libre de faire ce qu’elle voulait.

    Ses parents, issus d’un milieu modeste dans lequel ni elle ni ses frères n’avaient jamais manqué de rien, avaient rogné sur leurs vacances pour lui payer ce voyage. Elle s’était promis de les rembourser le jour où elle aurait un emploi, et se serait établie à son tour.

    Grâce à l’eau bue avidement et à son repos près d’un banc, ses nausées avaient totalement disparu. Elle sortit le plan que son amie Madeleine lui avait dessiné pour se rendre à la pension qu’elle lui avait recommandée.

    Un couple charmant l’accueillit avec chaleur. Au moins, son amie ne lui avait pas menti en vantant leur gentillesse.

    C’est étrange comme l’imagination parfois puisée dans la lecture ou la télévision pouvait vous inciter à croire à des choses qui n’existaient pas ou plus ; Mathilde s’attendait à être reçue par une dame portant un chapeau, à l’image des reportages télévisuels sur la reine Élizabeth, et elle fut presque déçue de se trouver en face d’une petite femme chétive auréolée d’une chevelure d’un roux encore flamboyant pour son âge. Mais devant sa jovialité et ce sourire dévoilant des dents d’une blancheur immaculée, sa déception s’envola.

    Ils la laissèrent se rafraîchir au lavabo de sa chambre avant de passer à table. Madeleine l’avait prévenue de l’heure avancée des repas en Angleterre.

    À dix-huit heures, elle se présenta à eux dans des vêtements propres, ses cheveux qu’elle n’avait pas eu le temps de laver, retenus par une barrette. Ils apprécièrent sa ponctualité et lui en firent la remarque.

    Ils dînèrent d’une soupe épaisse à base de petits pois, et de fromage jaune à la peau épaisse et à la texture molle. Une théière griffée Royal Albert en porcelaine à motifs floraux laissait échapper une agréable odeur. Le silence dans lequel étaient plongés Mathilde et ses deux hôtes la déconcerta un peu ; dans sa famille, on échangeait beaucoup au moment des repas qui duraient longtemps. Chacun racontait sa journée, il y avait parfois des disputes entre les trois enfants, mais jamais bien grave et vite oubliées. C’étaient des moments privilégiés qui se terminaient au moment où tous les membres de la famille débarrassaient la table dans un concert de couverts plus ou moins bruyant.

    Elle porta la tasse fumante de thé à sa bouche ; dès que le liquide franchit ses lèvres pour se frayer un passage au fond de sa gorge, elle sentit pour la deuxième fois de la journée son estomac se rebeller.

    Le goût prononcé de ce liquide ambré lui laissa une étrange sensation, entre amertume et surdosage de notes florales. Elle ne comprenait pas comment on pouvait accompagner un repas avec une telle boisson. Non pas qu’elle soit insipide, bien au contraire, là résidait le problème ; elle l’aurait éventuellement appréciée pour le petit-déjeuner, mais pour dîner, un verre d’eau aurait été plus adapté.

    Le dîner, un peu trop frugal, n’avait même pas duré trente minutes, et elle ne pouvait envisager de se coucher si tôt.

    Ses hôtes s’étaient retirés dans leur chambre après lui avoir souhaité une bonne nuit ; à son tour elle rejoignit la sienne, non pas pour y dormir mais pour passer un vêtement plus chaud et chausser une paire de tennis. Elle s’aventura dans le jardin, fit attention à ne pas tomber dans la mare aux poissons verdâtre aux relents de pourriture et s’éloigna pour explorer les alentours munie de sa lampe de poche. Elle aurait presque pu ne pas l’allumer, le ciel était éclairé par une lune ronde et charnue. Des myriades d’étoiles brillaient au firmament, annonciatrices d’un beau lendemain ensoleillé. Le printemps serait bientôt là et les journées plus longues.

    Les Morison, le visage collé à la fenêtre de leur chambre, la suivaient des yeux en se demandant quel plaisir elle pouvait ressentir à arpenter le jardin sous un ciel couleur d’encre. Les fleurs avaient replié leurs pétales pour la nuit et ne dégageaient plus d’odeur. Mathilde s’assit sur le banc en acier, mais le remugle de la mare, trop entêtant, l’obligea à se relever. Elle décida d’aller faire un tour dans la rue.

    À peine avait-elle soulevé le loquet du portillon que la fenêtre s’ouvrit à l’étage, laissant s’échapper une voix au ton implorant : « come back home immediately ».

    Étonnée et déçue à la fois, mais respectueuse des gens qui la recevaient, elle rentra docilement « at home ». Elle ne comprenait pas très bien la raison de cet appel, mais peut-être était-ce dû à son jeune âge, à la nuit, ou tout simplement parce qu’ils se sentaient responsables d’elle.

    Elle leur fit un signe de la main et s’engouffra dans la maison au silence pesant. Elle ressentit une crampe à l’estomac, la faim probablement, mais n’osa pas s’aventurer dans la cuisine à la recherche de quelque chose à grignoter.

    Retirée dans sa chambre, elle ouvrit sa valise et en retira son petit poste de radio ; un tube de Santana passait sur les ondes. Une envie folle de chanter à tue-tête l’assaillit, mais à la place, elle baissa le son pour ne pas déranger les Morison, qui, maintenant, devaient dormir.

    Elle se déshabilla, s’allongea sur le lit et reprit la lecture de son livre. Elle se plongea avec bonheur dans la délicieuse et aventureuse histoire d’Anna Karénine.

    La fatigue et la tension du voyage eurent raison d’elle, ses yeux papillonnèrent, les lignes se mirent à sauter, alors, à regret, elle ferma son livre.

    Elle s’endormit bercée par le ronflement de la cheminée et des bûches qui se consumaient. Son sommeil avait été réparateur ; pas de mauvais rêves, pas de cauchemars, une nuit parfaite pour autant qu’elle s’en souvienne.

    Elle fut réveillée dès l’aube par le jour qui forçait son entrée par les interstices des volets pour terminer sa course sur le visage juvénile de Mathilde.

    Elle avait encore le temps avant de prendre son train pour Londres et envisageait de se rendormir, mais des bruits de pas traînants l’en empêchèrent ; le couple était réveillé et elle décida de se joindre à eux.

    Après s’être brossé les dents, elle se dirigea vers la salle à manger où une délicieuse odeur de pain grillé lui chatouilla les narines ; elle réalisa qu’elle avait une faim de loup.

    Ses hôtes, habillés de pied en cap, l’attendaient attablés devant une table regorgeant de nourriture ; gâteaux, cakes, muffins, œufs, lard, haricots blancs, rouges, fromages, céréales, pain toasté, marmelade, miel, crudités. Jamais encore elle n’avait vu une telle profusion de mets pour un petit-déjeuner, elle en saliva d’avance.

    À la vue de sa chemise de nuit qui était collée à ses formes généreuses, ils la regardèrent d’un œil réprobateur. Elle se confondit en excuses, balbutia quelques platitudes qui, fort heureusement, eurent l’heur d’apaiser leur désapprobation.

    Madame Morison lui tendit une cafetière remplie de café au lait. Leur gentillesse lui fit oublier le café noir qu’elle affectionnait tant ; jamais elle ne le prenait avec du lait, même pas un nuage, mais elle ferait une exception pour les remercier de cette délicate attention.

    Leur dévotion alla même jusqu’à la déposer à la gare, lui évitant ainsi de prendre un car. Sur le quai de la station, ils l’embrassèrent comme si elle faisait partie de leur famille. Elle ne savait pas si elle aurait l’occasion de les revoir un jour, si ses pas la ramèneraient dans cette petite ville, mais elle se souviendrait longtemps de ce vieux couple.

    *

    Londres enfin ! Depuis le temps qu’elle s’y voyait, ce jour tant attendu était là.

    Madeleine, son amie âgée de quelques années de plus qu’elle, s’y rendait chaque année. Pour arrondir ses fins de mois – elle était employée municipale à la mairie de leur village – rendues difficiles par ses nombreuses sorties en boîte de nuit et ses achats vestimentaires compulsifs, elle partait pendant ses congés annuels jouer à la « french baby-sitter ». Elle lui avait tant vanté cette ville que Mathilde ne rêvait plus que du jour où, à sa majorité, elle pourrait s’y rendre à son tour. C’était désormais chose faite ; elle foulait enfin le sol de cette ville bigarrée où nul ne prêtait attention aux excentricités des uns et des autres. Personne ne semblait s’intéresser à cette jeune provinciale à la mode décalée fraîchement arrivée d’outre-Manche.

    Ses yeux s’attardèrent sur le bus à impériale qui tournait au coin de la rue. Elle le trouvait magnifique. Elle hâta le pas jusqu’à la prochaine station, un autre bus rouge s’arrêta à sa hauteur. Qu’aurait-elle fait, comment aurait-elle réagi si quelqu’un lui avait prédit qu’à ce moment précis se jouerait son destin ? Aurait-elle fui ?

    Les portes s’ouvrirent, déversant son flot d’êtres humains qui se précipita d’humeur joviale sur le trottoir. Un homme à la carrure impressionnante en descendit à son tour.

    Une explosion de sentiments envahit son cœur et sa tête ; ce cœur qui cognait si fort en menaçant de sortir de sa cage thoracique était une sensation toute nouvelle pour Mathilde. C’était si intense, si violent qu’elle ne voyait pas comment mettre un terme à cette salve de coups répétés.

    Cela n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait connu jusqu’ici. Ses petits copains occasionnels n’avaient jamais provoqué la moindre palpitation démesurée.

    Là, devant cet homme, sans prévenir, le coup de foudre la mit KO en une seconde. Elle ne pouvait plus détacher son regard de cet athlète tout droit sorti de la gueule béante du bus. Elle ne maîtrisait plus son corps.

    L’inconnu n’avait pas encore levé les yeux sur elle quand il foula le sol ; il rejoignit d’un pas pressé un groupe de jeunes gens qui attendaient un peu plus loin. Il dut sentir le regard appuyé de Mathilde dans son dos car il se retourna.

    Ses yeux d’un noir profond vinrent se planter dans les siens, et il lui fut impossible à son tour de s’en détourner.

    Désormais se faisait face un couple envoûté, subjugué, des étoiles plein les yeux. Mathilde abandonna l’idée de monter dans le bus qu’elle laissa partir sans regret.

    Peter venait d’apparaître dans sa vie… pour en disparaître des années plus tard.

    Il lui fit signe de l’attendre et rejoignit le groupe avec qui il parla avec force gestes avant de revenir vers elle.

    — Tu te joins à nous ? demanda-t-il d’une voix rauque. Cela ressemblait plus à une supplique qu’à une question à laquelle elle répondit par l’affirmative.

    Dans un français presque parfait, il se présenta à elle avant de la présenter aux autres.

    — Je suis Peter. Je dois emmener ces jeunes visiter un musée. J’aimerais beaucoup te revoir après.

    Puis, baissant les yeux sur la valise de Mathilde posée à ses pieds :

    — Tu es à Londres pour longtemps ?

    — Trois semaines ! balbutia-t-elle encore sous le coup de l’émotion.

    — C’est court ! Si tu le veux bien, je serai ton guide. Joins-toi à nous maintenant, enfin si tu es libre, comme ça, je profiterai plus longtemps de ta présence.

    Elle opina de la tête, incapable de prononcer la moindre parole.

    — Tu ne m’as pas dit ton nom !

    — Mathilde !

    *

    Ils vécurent trois semaines inoubliables, qui, hélas, passèrent bien trop vite à leur goût, mais dont ils profitèrent pleinement.

    Bien des années après, Mathilde pouvait encore se souvenir de tout ce qu’ils avaient partagé : visites, conversations à bâtons rompus émaillées de rires et souvent entrecoupées de longs baisers. Peter l’emmenait chez lui au sortir de leurs excursions, et là, sur son lit, il parcourait son corps qui, pour la première fois, sentait des vagues de plaisir déferler et l’inonder. Jamais encore elle n’avait laissé un garçon la caresser si intimement : elle n’autorisait que quelques caresses sur ses seins, lesquels n’avaient encore jamais réagi comme sous les mains expérimentées de Peter. Elle découvrit que ses mamelons se durcissaient sous le plaisir, que son entrejambe palpitait quand ses doigts se perdaient en elle. Ce corps inexploré jusqu’alors s’enflammait et s’arquait de désir.

    Malgré ce corps qui s’offrait pour qu’il la fasse vibrer encore et encore, jamais elle n’accepta de goûter à l’acte sexuel. Elle resterait pure encore un moment !

    Trois semaines, c’était long, mais tellement court quand on était amoureuse. Rien ne lui garantissait qu’elle n’était pas uniquement un passe-temps pour lui, une touriste de plus ajoutée à son palmarès. Malgré les mots d’amour qu’il savait si bien susurrer à son oreille, les râles de plaisir qu’il laissait échapper lors de leurs étreintes, elle restait prudente.

    Elle s’était toujours juré de ne se donner qu’à l’homme qui ferait d’elle officiellement sa femme. Mais elle ne se doutait pas que ce serait si difficile de tenir ses promesses.

    *

    Le jour tant redouté arriva : celui de son retour en France. Peter l’accompagna jusqu’à Douvres, et dans le train qui les y emmenait, blottie dans ses bras, il la tenait serrée contre lui. Sa tête reposant au-dessus de ceIle de Mathilde, il respirait à pleins poumons l’odeur florale dégagée par ce shampoing qu’il connaissait bien à présent, et dont il voulait imprégner sa mémoire. Il caressa discrètement sa nuque et ses épaules dont il connaissait chaque courbure.

    Cet homme mûr de dix ans son aîné détacha de son cou une chaîne en argent au bout de laquelle pendait son signe zodiacal. Il souleva la masse de cheveux de Mathilde et l’attacha autour de son cou frêle. Elle posa sa main sur la médaille et la serra fort dans sa main.

    Quand elle monta dans l’aéroglisseur, elle laissa enfin échapper ses larmes. Elle s’était refusé à se laisser aller devant lui, et elle tint bon. Le bateau s’éloigna et son cœur se déchira à l’idée de ne peut-être plus jamais le revoir malgré sa promesse de venir la rejoindre très vite.

    Chapitre 3

    Elle occupait une chambre de bonne sous les toits de Paris. Ses parents la lui avaient louée pour qu’elle puisse suivre les cours de l’école Pigier.

    Son rêve était de taper sur une machine derrière un bureau. De retour d’Angleterre où son vocabulaire s’était nettement amélioré avec les cours du matin, elle était fermement décidée à obtenir son diplôme de secrétaire bilingue.

    En ce mois de mai, la chaleur était insupportable dans cette minuscule pièce unique. La fenêtre était si petite qu’elle ne laissait entrer qu’un air étouffant. Son corps que rien ne rafraîchissait était en nage ; elle passait un gant mouillé sur ses bras et jambes pour essayer d’atténuer cette moiteur qui s’insérait dans tous les pores de son corps. Mais l’apaisement ne durait que quelques secondes.

    Chaque jour, elle dévalait les escaliers pour se ruer sur la boîte aux lettres, et chaque jour, le cœur en peine, elle les remontait en larmes.

    Les jours passaient, les mois se succédaient, mais rien n’atténuait l’absence de l’autre, de cet autre qui lui avait promis de venir et dont elle restait sans nouvelle.

    Le soir, dès que sa tête touchait l’oreiller, elle se laissait aller à rêver. Elle fermait les yeux et repassait en songe tout ce qui le rappelait à elle ; ses yeux sombres, ses cheveux qui sentaient la camomille, ses bras musculeux qui l’enserraient avec force, ses baisers au goût de menthe, ses doigts qui parcouraient son corps. Mais n’était-ce pas Chimère que d’y croire encore ? De se torturer corps et âme sans aucune certitude ?

    Elle finit par abdiquer, et s’obligea à abandonner sa quête de l’impossible. Elle n’ouvrirait plus cette boîte désespérément vide.

    *

    Le rêve peut-il parfois se substituer à la réalité ? Elle finit par y croire quand elle découvrit Peter devant sa boîte aux lettres. Le dos tourné, il cherchait des yeux le nom et l’étage de Mathilde. Elle faillit hurler de joie, puis décida de ne pas se montrer. Cela faisait plus de huit mois qu’il n’avait pas donné signe de vie… ce serait sa punition de le faire mariner un peu.

    Elle le vit se diriger vers les escaliers. Sans faire de bruit, elle recula, ouvrit tout doucement la porte d’entrée et se retrouva dans la rue. Elle se cacha et attendit qu’il sorte pour le suivre.

    Il ressortit, marri, de ne pas l’avoir trouvée. Il griffonna quelques mots sur une feuille, se dirigea vers la boîte aux lettres… puis renonça et partit.

    Il marcha un peu au hasard des rues, leva la tête vers les bâtiments pour en apprécier l’architecture. Il s’assit à la terrasse d’un café où il commanda une bière. Il fut surpris qu’elle soit froide, mais par cette forte chaleur en apprécia la fraîcheur. Il regarda sa montre, puis se leva après avoir laissé l’argent de sa boisson dans la coupelle. Il fit le chemin à l’envers et Mathilde supposa qu’il se dirigeait chez elle. Elle pressa le pas, prit des raccourcis pour arriver avant lui.

    Essoufflé d’avoir grimpé les marches en courant jusqu’au 6e étage, il s’arrêta, reprit son souffle puis frappa à la porte.

    Mathilde simula l’étonnement et écarquilla les yeux. Son bonheur, lui, n’était pas feint. Elle soutint son regard sans ciller, puis une larme, une vraie, perla au coin de ses paupières. Peter la souleva, la tint

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