Lieutenant GRANGE - Amour et gloire
Par JR Robjak
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À propos de ce livre électronique
Survient alors un drame : Philip est victime d'un accident de la route mortel. Clause, qui lui avait prêté sa voiture, prétend qu'elle a été sabotée et que c'est lui qui était visé. Le lieutenant obtient l'autorisation de l'envoyé parisien d'enquêter sur les circonstances de l'accident, mais sans l'aide de ses amis. Après bien des péripéties, la femme de l'auteur décède elle aussi. Coïncidence, crimes programmés ?
Ambiance bien particulière pour cette quatrième enquête, Robjak a voulu faire évoluer le lieutenant Grange, lui fournir une nouvelle expérience, le dépeindre avec ses certitudes et ses doutes, montrer de quoi il était capable en agissant seul.
L'auteur imagine un plan machiavélique et réserve bien des surprises à ses lecteurs, privés eux aussi un certain temps de la présence des amis de leur héros.
JR Robjak
Robjak publie son 17éme titre (4éme et avant dernier d'une première série du lieutenant Grange, sous-titré Amour et gloire)
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Aperçu du livre
Lieutenant GRANGE - Amour et gloire - JR Robjak
17
Chapitre 1
L'été semblait ne pas vouloir se terminer ; en ce dernier vendredi de septembre 2019, la chaleur et le soleil étaient encore au rendez-vous et confortaient les propos alarmistes des médias : le réchauffement de notre planète annonçait des catastrophes à l'horizon 2050.
Christophe Clause ne s'inquiétait guère de ce problème, bien qu'il appréciât la tiédeur des rues dans le centre de Quincieux. Ses soucis étaient d'ordres financier et familial ; le sort semblait s'acharner contre lui, il venait de recevoir le refus d'une énième maison d'édition, personne ne souhaitait publier ses romans jugés trop peu originaux. L'écrivain savait qu'il devrait croiser une fois encore le regard désabusé de sa femme, à son retour du travail. Il n'avait aucune excuse à lui fournir et il sentait que sa compagne n'assurerait pas éternellement seule les revenus du couple, sans rien exiger en retour. L'homme était épris de Marion, il l'avait côtoyée dès le collège puis perdue de vue, mais il avait toujours su qu'il partagerait un jour sa vie avec elle. Les années avaient défilé à un rythme effréné… trente-cinq ans depuis leur première rencontre, quinze depuis leurs retrouvailles.
Perdu dans ses pensées, penché sur son passé, Clause ne voyait pas les gens qu'il croisait. Ses pas l'emmenaient directement au café des Platanes, son second domicile. Là, il retrouvait quotidiennement des habitués qui refaisaient le monde ou qui tapaient la belote, selon l'heure. Ils s'étaient rencontrés un an plus tôt, aux premiers actes des Gilets Jaunes. Ils avaient tous cru en ce mouvement contestataire, en des jours meilleurs… mais ils étaient toujours enlisés dans leur situation précaire, certains d'entre eux étaient chômeurs en fin de droit ou licenciés économiques.
Salut tout le monde !
Christophe utilisait toujours cette formule en pénétrant dans le bar, à laquelle répondaient ses compagnons sans même faire mine de le regarder. Les habitudes étaient prises et semblaient immuables. Pourtant, ce jour-là, aucune voix ne répondit. Le nouvel arrivant s'étonna de ce changement mais préféra l'ignorer. Toutes les chaises placées autour de deux tables accolées étaient occupées, mais il manquait la dixième, la sienne… Il empoigna un siège vide et attendit que ses compagnons lui fassent une place, mais aucun d'eux ne bougea. Jamais, depuis la disparition de l'ancienne propriétaire du café, un silence aussi pesant n'avait régné dans cette salle habituellement très animée.
Alors quoi ? s'impatienta Clause.
Chris, lança Replet, le leader du groupe, nous te tendons la main depuis pas mal de temps et tu viens tous les jours partager nos discussions, nos boissons. Tu es toujours sans le sou, pas une fois tu ne nous as payé une tournée… nous ne sommes pas plus riches que toi. Alors, si tu t'assieds à cette table, tu paies deux pots de blanc !
Les regards des huit autres consommateurs allaient de Clause à Replet, le barman suivait la confrontation de loin, prêt à intervenir.
Cédric, un jour je serai riche, un de mes livres connaîtra le succès, crois-moi. Mais en attendant, je ne peux rien vous offrir. Comment pourrais-je piquer de l'argent dans le porte-monnaie de ma femme, qui se crève au boulot pour un salaire de misère. Moi, je ne touche rien, je n'ai jamais déclaré de revenus, et pour cause…
Tu n'es pas vraiment des nôtres, intervint Laplanche. Toi, tu as choisi ta vie… nous, nous sommes victimes de patrons qui nous ont virés, d'offres d'emplois insuffisantes ou inappropriées !
Pierre… tu es à mes yeux celui qui me comprend le mieux. Comment peux-tu me rejeter de la sorte ?
Nous sommes des victimes de la société actuelle, trop jeunes pour toucher une retraite, aussi maigre soit-elle, trop âgés pour retrouver des embauches pérennes. Tu es à un âge où on trouve encore du boulot. C'est peut-être temps pour toi de redescendre sur Terre et de te bouger le cul. Ce n'est pas en noircissant encore et encore des feuilles de papier que tu gagneras correctement ta vie, pas plus en restant en notre compagnie…!
Clause blêmit. Il comprit à cet instant que ceux qu'il considérait comme de véritables amis n'étaient que des laissés pour compte que la révolte sociale avait réunis dans la rue, sur un giratoire. Ils avaient alors trouvé une raison pour s'arracher à leur solitude, pour sortir de leur exclusion du monde du travail. Mais ils avaient ensuite pris leur distance avec les Gilets Jaunes, ils ne se retrouvaient plus dans leurs mouvements empreints de violence, dans leurs exigences tout azimut. Ils voulaient conserver le caractère bon enfant des premiers rassemblements et ils avaient alors décidé de se retrouver dans ce bar du centre ville. Ils étaient tous différents les uns des autres et ils avaient accueilli Christophe quelques jours avant d'abandonner leur rond-point, lieu de regroupement désormais déserté. Maintenant, le romancier n'était plus franchement le bienvenu, il n'avait plus rien à faire avec eux. Sans un mot, sans un regard pour l'un ou l'autre ou pour le barman, il quitta le café des Platanes. Il avait la gorge sèche et les yeux embués, il était cruellement blessé.
Comment, pesta-t-il, j'ai pu autant me tromper sur eux. Sur Cédric, passe encore, mais Pierre et les autres… Et puis, il a fallu qu'ils me fassent ça spécialement aujourd'hui, alors que j'avais besoin de leur écoute, de leur réconfort… Qu'est-ce qu'ils croient, j'ai tout donné à ma carrière, je n'ai rien : pas de maison à moi, pas d'amis, pas d'enfants par manque de moyen de les élever, pas de véritable vie de couple avec Marion qui se tue au travail et qui revient tellement fatiguée, pas de loisirs…
De retour chez lui, dans un appartement social en bordure de la voie ferrée, Christophe laissa éclater sa peine, bientôt remplacée par une colère irraisonnée. Il s'empara alors d'un carton dans lequel étaient empilées toutes les réponses négatives des éditeurs pour la publication de son dernier ouvrage, l'Inconnue
. Il déchira rageusement toutes les lettres, des morceaux de papier volèrent en tous sens. Il s'assit alors brutalement sur un canapé en partie défoncé et il pleura. Les paroles de Laplanche l'avaient profondément secoué, lui renvoyant l'image d'un homme fainéant et immature, en totale opposition avec celle qu'il s'était créée d'un romancier en mal d'être reconnu. Le plus insupportable pour Christophe était que Pierre avait raison, que les reproches qu'il lui avait faits trouveraient la même justesse dans la bouche de Marion…
L'après-midi fut interminable pour l'auteur de plus d'une trentaine de romans en tous genres, qui n'avait pas réussi à capter l'intérêt d'éditeurs nationaux. Comédie, conte, thriller, suspense, drame sentimental, catastrophe naturelle, biographie, fantasy, nouvelles, il avait tout essayé… et chaque fois il avait obtenu en retour un courrier standard et impersonnel l'informant qu'il n'entrait pas dans la ligne éditoriale de la maison. Marion ne l'avait jamais contraint à chercher un emploi rémunéré, alors qu'elle travaillait parfois jusqu'à cinquante heures dans la semaine, pour subvenir aux besoins du couple, pour survivre décemment dans un petit appartement. Elle cumulait, la semaine, des heures de secrétariat chez un notaire de la ville voisine, le weekend et parfois des soirées en semaine, des heures de caissière dans un supermarché. Christophe avait tout de même un peu d'argent provenant de quelques romans autoédités et vendus à des lecteurs compatissants, mais il avait caché cette vérité à Replet et à ses copains. Ce petit fond de roulement lui permettait de maintenir le stock de ses livres, il réinvestissait régulièrement les sommes encaissées, toujours en espèces. Parfois, il faisait une entorse à cette règle et achetait ici, un bouquet de fleurs pour Marion, un dessert, là quelques litres d'essence pour sa voiture. Aujourd'hui, il avait quinze euros en poche qu'il pouvait dépenser à sa guise, mais il n'avait pas voulu en faire profiter ses compagnons d'infortune : il aurait alors dû leur en expliquer la provenance… Ce n'était pas le jour pour offrir quoi que ce fût à sa femme qui, mise au courant du nouveau rejet de l'Inconnue
par une maison d'édition, lui reprocherait immanquablement d'avoir gaspillé cet argent si utile au couple. Ce n'était pas plus le bon moment pour remplir le réservoir de sa vieille voiture, il n'avait pas l'intention d'emmener sa compagne pour une balade aux alentours. Cependant, cet argent lui brûlait les doigts, il avait besoin de le dépenser, il n'avait jamais su garder très longtemps pièces de monnaie et billets. Il alluma son ordinateur dans l'espoir de sortir de cette envie irraisonnée. Lorsqu'il se connecta sur le site de son imprimeur en ligne, il fut troublé par une publicité annonçant un quinzième concours de romans, en vue d'être sélectionné par un scénariste et adapté au cinéma par un des plus grands producteurs d'Hollywood. Pour cela, il suffisait d'envoyer son manuscrit par mail et de régler la somme de dix dollars américains pour concourir ; la candidature ne serait validée qu'à réception du montant demandé. Christophe avait la possibilité de régler cette somme par mandat, aussi fit-il son inscription en ligne et joignit-il l'Inconnue
en format pdf. Sitôt cette formalité remplie, il courut au bureau de Poste et il valida son inscription au concours par l'envoi d'un mandat international, il ne lui restait alors que très peu d'argent, même pas de quoi se payer un thé vert. Il repassa devant le café des Platanes au moment où Laplanche et trois de ses compagnons s'installaient en terrasse pour jouer à la belote ; ces derniers ne manifestèrent aucune intention de communiquer avec lui, il les ignora tout en sentant se rouvrir la blessure du matin. Mais à quoi bon forcer le destin, le groupe l'avait banni et il lui faudrait maintenant offrir bien plus que deux pots de blanc pour être à nouveau accepté !
Ce jour-là devait être une journée de poisse… À son retour du travail, Marion entra dans une colère inhabituelle lorsque Christophe lui tendit la lettre de refus de la maison d'édition reçue le matin au courrier, la seule lettre qu'il n'avait pas détruite dans sa rage.
J'en ai marre, s'écria-t-elle, je me tue au travail pour que tu manges à ta faim et pour que tu assouvisses ta passion, mais t'es un looser, un boulet…
Jamais elle ne s'était exprimée de la sorte, jamais elle n'avait reproché à son époux son choix de vie, sa passion… Mais aujourd'hui, la ixième lettre de refus avait fait déborder le vase, c'était le courrier de trop pour cette femme déchirée entre son amour pour Christophe et son travail, entre la vie facile de son compagnon et les heures de fatigue accumulées à l'étude et au centre commercial. Elle portait seule la survie de son couple sur ses frêles épaules, elle regrettait parfois d'avoir cédé au jeune compagnon d'alors qui lui avait promis monts et merveilles, qui se présentait comme un grand auteur en devenir. Il avait été convaincant, elle avait cru en lui… depuis elle payait quotidiennement cette erreur de jeunesse et était parfois la risée de ses collègues de travail. Sa colère révélait son mal être, sa déception, mais aussi son attachement à l'homme qui vivait à ses crochets. Au plus profond d'elle-même, Marion savait qu'elle ne pourrait pas vivre sans son compagnon, doux rêveur immature. Elle se sentait responsable de lui, protectrice… et elle semblait aimer cette situation. Seulement, elle ne devait pas tout accepter sans réagir et elle n'était pas toujours d'humeur égale ; le courrier reçu ce jour par Christophe aurait pu la laisser indifférente, mais il était arrivé au mauvais moment : des bruits de restructuration circulaient dans les couloirs de l'étude de son employeur, Jean Bonnier, notaire à Trévoux, et elle craignait pour son emploi.
Ne tarde pas à le sortir, ton best-seller… dis-toi que je pourrais tomber malade, pire encore, me retrouver au chômage !
Le téléphone de Marion sonna et empêcha toute réaction de Christophe ; la femme était déjà sur le pas de la porte, elle lança à son compagnon :
Mange sans moi, je pars au centre commercial et je suis de fermeture…
Cela signifiait qu'elle remplaçait comme tant de fois une vendeuse absente au rayon de la poissonnerie, jusqu'à vingt et une heures trente, qu'elle rangerait ensuite les invendus dans des congélateurs, qu'elle nettoierait les étalages après les avoir vidés de la glace pilée, qu'elle laverait le sol… retour à la maison à plus de vingt-deux heures.
Christophe ignorait tout des problèmes que rencontrait Marion, des inquiétudes qu'elle ressentait avant chaque renouvellement de ses contrats de travail, de son envie d'enfanter sans cesse contrarié… aussi les sautes d'humeur de cette dernière avaient des répercussions sur lui, tour à tour follement épris de sa femme ou fortement révolté contre elle, allant jusqu'à souhaiter sa disparition.
Après une courte nuit, Marion retourna au centre commercial, pour tenir une caisse. Son contrat de travail concernait cette activité et non celle tenue la veille, mais elle était soumise à son second employeur, de peur de lui déplaire et de devoir choisir entre ses deux activités professionnelles. Son patron avait accepté de lui aménager un planning spécifique, complémentaire à celui de l'étude de Bonnier, aussi devait-elle accepter en retour les nombreux remplacements de dernière minute.
Christophe avait feint de dormir jusqu'au départ de sa compagne. Durant toute la nuit, il avait vécu en boucle son bannissement du groupe, les paroles blessantes de Laplanche, la colère de Marion, et il était exténué, vidé… Maintenant qu'il était seul, il fallait qu'il trouve un moyen de réagir ; son premier réflexe fut de foncer dans sa cuisine à la recherche d'une bouteille de vin entamée la veille. Il avait oublié qu'il l'avait entièrement vidée avant de se coucher, dans l'espoir de noyer son chagrin. Il ouvrit alors sa fenêtre et il regarda droit devant lui, une petite lueur apparut dans ses yeux :
Ma Titine, t'es la meilleure amie que je n'ai jamais eue. Tu es toujours là pour me consoler, pour me rappeler les périodes difficiles que nous avons traversées ensemble, tu ne me critiques jamais, tu m'es fidèle et tu m'acceptes comme je suis. Que serais-je, sans toi ?
Aucune réponse ne parvint de l'extérieur, pourtant Clause semblait ragaillardi… Comment la contemplation d'une vieille voiture pouvait-elle apaiser le mal-être du romancier ? Lui seul pouvait l'expliquer, ce qu'il fit une fois à un ami d'enfance rencontré à la station essence du village.
Titine est bien plus qu'une simple auto, avait-il affirmé, c'est le seul bien qui me reste de quand j'étais jeune, célibataire et plein d'espoirs pour ma carrière d'écrivain. Ma Simca 1100 Spécial fait rire beaucoup de gens, mais elle a su passer les années sans panne majeure, sans rouille. Ella a survécu aux primes gouvernementales, je l'ai achetée bien après que la Jupette ait envoyé bon nombre de ses sœurs à la casse. Son ancien propriétaire en était amoureux, il l'a gardée près de vingt ans, la bichonnant. Il m'a transmis sa fascination pour cette voiture en même temps que les clés, il m'a fait promettre d'en prendre soin. C'est ce que je fais et elle me le rend bien, elle démarre au quart de tour été comme hiver. Me séparer d'elle serait un drame…
Christophe était désœuvré : il n'avait aucune chance de passer un bon moment avec ses anciens compagnons, au café des Platanes et il n'avait aucun roman en court d'écriture. L'Inconnue
avait puisé ses dernières inspirations et il était en mal d'imaginer un nouveau scénario.
À quoi bon, pensait-il, j'aurais beau écrire un nouveau roman avec mes tripes, je suis né sous une mauvaise étoile, je suis maintenant trop vieux pour intéresser un éditeur. J'ai trop écrit sans jamais être édité et cela nuit à mon image… Pourtant je ne suis pas mauvais, je vaux mieux que certains auteurs médiatisés…
La journée lui parut interminable, bien qu'il passât quelques heures à nettoyer minutieusement sa voiture, des chromes extérieurs aux tapis de sol intérieurs. Ce fut avec soulagement qu'il vit rentrer Marion, qui avait pourtant encore sa tête des mauvais jours. Entre eux deux, la parole était souvent superflue, d'un regard l'un découvrait l'humeur de l'autre. Personne n'aborda le sujet des romans ou celui de la dispute de la veille. Christophe n'imaginait pas plus la vie sans sa femme que sans sa Simca, mais il avait pris conscience au fil des années que dans un couple, l'un donne toujours plus que l'autre et il estimait être le partenaire lésé. Marion pensait-elle à juste titre la même chose d'elle, ne sacrifiait-elle pas tout à son couple, jusqu'à retarder sans cesse son envie d'être mère, ne faisait-elle pas tout dans la maison, de la cuisine répétitive et rébarbative au ménage et au repassage ?
Chapitre 2
Christophe n'avait pas retrouvé sa motivation, il ne parvenait plus à écrire la moindre ligne. Inexorablement, son couple se déchirait. L'amour n'était plus aussi fort après une première semaine d'inaction du romancier ; l'homme et la femme se querellaient, lui se renfermait sur lui-même et négligeait sa tenue vestimentaire, son hygiène, et elle, le menaçait de le quitter, de refaire sa vie avec un homme, un vrai... s'il n'était pas capable de trouver un travail, aussi temporaire fût-il, plutôt que de rester cloîtré dans l'appartement. Les jours suivants, les scènes de ménage se multiplièrent, Christophe allait mendier quelques euros dans le village voisin, qu'il dépensait aussitôt en achat de bouteilles de vin de pays. Il était descendu bien bas, il se faisait horreur et il cherchait stupidement à oublier sa vie actuelle dans l'alcool.
Mi-novembre, Marion lança un ultimatum à son mari :
Ou bien tu te ressaisis et tu ramènes de l'argent à la maison, ou bien je te chasse. Tu es une bouche inutile à nourrir, un boulet…
Chaton…
Il n'y a plus de Chaton, de Chéri. C'étaient nos petits noms quand nous formions un couple uni et que nous étions follement amoureux l'un de l'autre. Regarde autour de toi, ouvre les yeux… nous en sommes à nous quereller sans cesse. Je me tue au travail, toi tu traînes tes savates aux alentours dans une tenue qui me fait honte, tu empestes le vin !
Je traverse une mauvaise passe ! bredouilla le mari, penaud.
Parce que tu crois que moi j'ai une vie idyllique, s'écria Marion. Je n'ai jamais pu m'acheter les vêtements ou les bijoux que j'aime, j'ai travaillé de nombreuses fois avec de la fièvre ou avec la faim, et plus le temps passe, plus…
Marion éclata en sanglots. Instinctivement, elle se blottit contre le torse de son compagnon, ignorant la forte odeur d'alcool. Elle avait beau haranguer ce dernier, elle l'aimait et elle souffrait autant que lui de sa déchéance. Elle voulait le voir réagir, redevenir le romancier qu'il croyait être ou abandonner l'écriture pour un autre métier. L'homme lui caressait les cheveux d'une main tremblante. Émotion, culpabilité, effet de l'alcool ?
Marion n'en pouvait plus, cela faisait trop de temps qu'elle assumait seule la charge du couple et qu'elle voyait passer les années, et avec elles, sa chance de connaître la joie d'avoir et d'élever un enfant. Sa vie ne correspondait pas à ce qu'elle avait espéré, certes elle était en colère contre son mari qui avait réduit son rêve en poussière, mais elle l'avait dans la peau. Jamais une chanson n'avait collé d'aussi près la vie d'une femme ; les paroles de Mon homme
chantées avec tant de sensibilité par Mistinguett dans les années 1920 étaient le reflet exact de ce qu'elle vivait… Quand elle était désespérée, des passages de cette chanson entendue chez ses