Une fille unique
En m’accueillant, elle m’avait prévenue: « J’ai horreur de parler de moi. » Dix minutes plus tard, je connaissais le nom de son psychanalyste et moi, j’évoquais mon père. J’aurais dû me méfier : en arrivant sur le parvis, devant son bureau, je l’avais surprise en train de deviser joyeusement avec un costaud casqué, puis elle lui avait tendu une carte de visite en disant : « Et moi, je m’appelle Constance Benqué. » Là-haut, à l’étage des directeurs, Kheira, son assistante, piaffait, l’agenda à la main tandis que la patronne prenait son temps parce que, franchement, qu’y a-t-il de plus excitant dans la vie que de faire connaissance avec un inconnu croisé dans la rue ?
« Oh, je sais bien que diriger des médias quand on vient de la publicité, c’est comme avoir couché avec les Boches. »
CONSTANCE BENQUÉ
Finalement, telle une stagiaire qui a un peu trop traînassé avant de rentrer de sa pause déjeuner, elle s’est dirigée d’un pas vif vers le grand immeuble de métal blanc proche du parc André-Citroën, dans le XV arrondissement de Paris, qui abrite Lagardère News. Son petit empire de presse à elle depuis qu’Arnaud Lagardère lui en a confié la responsabilité pleine et entière. C’était en juillet 2019, quasiment le jour de son 59 anniversaire. Drôle de cadeau, en vérité. Bien sûr, présider des radios et titres de presse aussi connus qu’Europe 1, RFM, ou ça fait de vous quelqu’un qui pèse dans le petit monde des médias français. Côté financier, c’est moins rutilant : en 2019, le chiffre d’affaires de l’entité – qui comprend également Virgin Radio et la licence à l’étranger de la marque Elle – a baissé de 4 % à périmètre constant pour s’établir à 288 millions d’euros. Et la maison continue à perdre de l’argent – 11 millions d’euros – plombée, entre autres, par l’audience déclinante d’Europe 1. En 1995, l’ex-station de la rue François-I était la deuxième radio la plus écoutée de France. Elle peine aujourd’hui à rester dans le peloton des dix premières. L’été 2020 a même marqué ses pires chiffres historiques avec 2,32 millions d’auditeurs, soit moitié moins que l’éternelle rivale RTL. Quand il imite sa patronne, Nicolas Canteloup résume cruellement la situation : « En fait, on s’adresse à un auditeur qui est... un homme ou une femme. Enfin, un homme plutôt : 42 ans, urbain, qui a deux enfants qui s’appellent Camille et Baptiste, et qui habite au 128, rue Bonaparte. C’est l’avantage quand on a un seul auditeur, on le connaît bien. »
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