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La proie du sang: Roman
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Livre électronique314 pages4 heures

La proie du sang: Roman

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À propos de ce livre électronique

Le destin d'une jeune fille au Bénin va soudainement basculer...

Au Bénin, en pays Somba en 1968, Mokokolo est un riche cultivateur. Les généreuses pluies de l'année annoncent de belles récoltes mais, hélas, arrivent les sauterelles. La famine menace et, malgré ses réticences, Mokokolo se voit contraint d'envoyer Otché, sa fille de 13 ans, à Cotonou, chez Karamoko, son 3ème frère.
Otché, bien que non pubère, est déjà une très belle jeune fille. L'oncle s'est engagé à lui trouver un bon emploi qui, chaque mois, lui permettra d'envoyer de l'argent à la famille pour acheter du mil. Pourtant Karamoko est loin d'être aussi riche que ce qu'il a laissé sous-entendre. Petit trafiquant, ses affaires vont au plus mal. Après avoir déniché à sa nièce un emploi de bonne chez Awa, très vite, sous un prétexte fallacieux, il en vient à abuser d'elle, finissant même par la « prêter » à ses amis...

Découvrez ce roman africain sur les traces d'Otché, contrainte de servir son oncle pour aider son père. 

EXTRAIT

Au bout de quelques jours, à la fin d’un cours, une religieuse qui l’avait remarquée, timide, toute seule debout au fond de la salle, vint la trouver. Avec une voix d’une extrême douceur, elle lui parla, lui demanda la raison de sa venue à la mission. Otché ne comprit mot à ce que cette femme toute de blanc vêtue lui demandait. La sœur insista. Avec un grand sourire en guise d’au revoir, Otché quitta la salle, désespérée.
Le jour suivant, une fois tous les élèves partis, la religieuse vint de nouveau la trouver et lui fit signe de la suivre. Au tableau noir, elle dessina une carte de son pays. Otché ne comprit pas à quoi correspondait le croquis. Dès que la sœur mit son doigt sur une partie du dessin en prononçant le nom de la grande ville, Otché pensa qu’elle parlait de son pays. Son visage s’illumina. En voyant son sourire, la sœur comprit que la jeune fille avait reconnu la carte du Bénin. Tout en désignant des points sur la carte, la sœur énuméra Oujdha, Bohicon, Abomey, Savalou, Parakou, Nattitingou. « C’est là ! » s’écria Otché dans sa langue après avoir reconnu le nom de la dernière ville citée. Aussitôt, à côté de celui de la sœur, elle mit son doigt sur le nord de la carte, un peu au hasard, ne sachant pas exactement où se situait Tanéka, son village.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Christophe Vertheuil de formation scientifique et que rien ne préparait à écrire n'a pris que tardivement sa plume, après 50 ans.
En trois ans, près de 200 prix littéraires lui furent décernés à divers concours.
Encouragé par ces succès, après 8 ans d'humanitaire en Afrique, il reprend sa plume.
Jean-Christophe Vertheuil est un « touche à tout » : poésie libre ou classique, nouvelles, contes, fables et, surtout roman. A ce jour, La proie du sang est le 15ème ouvrage pour adulte publié. 12 autres le sont pour la jeunesse.
LangueFrançais
Date de sortie24 juil. 2018
ISBN9782378772505
La proie du sang: Roman

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    Aperçu du livre

    La proie du sang - Jean-Christophe Vertheuil

    Chapitre 1

    Mokokolo

    — Otché, viens, on va au puits !

    À l’invite de sa mère, la fillette pose le maigre balai de feuilles de palme nouées par quelques fibres de raphia, toujours au même endroit, à droite dans la cour de la grande maison familiale en adobe. Dès son retour, elle reprendra le balayage du sol en terre battue. Chaque jour, debout aux aurores, tel est son premier travail de la journée. Depuis l’âge de six ans, au même titre que les femmes de son père, la fillette participe aux travaux ménagers. Aujourd’hui, à tout juste douze ans, elle est en âge de se marier. Malgré tout, avant de devenir une bonne épouse, elle a tant encore à apprendre ! Sa mère, Aminata, sur un ton tout à la fois sec et tendre, l’invite à la suivre pour la première grande corvée quotidienne : l’eau ! Pas question de discuter. De toute manière, une telle alternative ne lui serait même pas venue à l’idée. Sans jamais rechigner, même en secret, la gamine a toujours obtempéré. C’est dans l’ordre des choses.

    Dès le premier jour de sa naissance, son destin s’est trouvé scellé. Depuis la nuit des temps, pour les femmes de son ethnie, il en a toujours été ainsi. Ses propres filles n’y échapperont pas. Encore trop jeune pour négocier au grand marché de la grande ville, le monde connu d’Otché se limite aux abords immédiats du village. Comment pourrait-elle imaginer qu’il puisse en être autrement ? A l’occasion, elle envie ses cinq frères qui, une fois les travaux des champs terminés, peuvent profiter de leur journée comme bon leur semble, à moins que ce ne soit leur tour de conduire paître le troupeau familial de chèvres et de moutons. Richesse extrême, en plus d’ovins et de caprins, son père possède trois vaches ! En saison des pluies, quand l’herbe est grasse, elles leur fournissent quelques litres d’un lait crémeux.

    Bref, pour elle, pas plus que pour les autres fillettes, pas question de jouer ou d’aller taquiner les singes voire même de piéger les tourterelles. Elle est fille ! En tant que telle, elle ne peut être dévolue qu’aux travaux domestiques. Plus tard, la puberté venue, tout en servant fidèlement le mari que son père ne saurait tarder de lui donner, elle sera destinée à la procréation.

    Otché pose son balai contre un des imposants murs de terre ocre ceinturant leur vaste demeure ancestrale, un château Somba doté de quatre hautes tours en adobe chapeautées d’un fétu de paille. Ensuite, elle se rend à la réserve pour y chercher un canari de terre cuite. Tout d’abord, sur sa tête, elle entortille en forme de cercle un chiffon avant de l’y poser. L’équilibre assuré, elle s’empresse de rejoindre sa mère. Tout en papotant, cette dernière l’attend en compagnie des deux autres épouses de son père, Mina et Sirah.

    Mokokolo est un homme aisé. Son château n’est-il pas l’un des plus grands du village ? Ensuite, en plus de ses trois vaches, il peut s’enorgueillir de posséder trois épouses. Ne lui ont-elles pas déjà donné huit enfants, dont cinq valeureux garçons qui font sa fierté ? Il en fera de grands chasseurs mais aussi de bons agriculteurs. De plus, cinq garçons, quelle fortune ! Son avenir est assuré. Une fois marié, chacun édifiera sa propre case à proximité de la sienne. Ainsi, l’âge venant, Mokokolo deviendra le patriarche. Entouré de ses enfants et petits-enfants, il pourra jouir paisiblement de ses vieux jours. Jusqu’à présent, Irêté-Medji, son Dieu protecteur attribué à sa naissance par le Bouconon⁷ s’est plutôt montré complaisant à son égard. Aussi, ne manque-t-il jamais de lui témoigner sa profonde reconnaissance par de réguliers sacrifices rituels. Dépositaire de la tradition de son père et du père de son père, tout en la transmettant fidèlement à ses enfants, il veille à la respecter scrupuleusement.

    Comme toujours en ce mois de septembre, la journée s’annonce belle. Probablement, en toute fin de soirée, à cette heure incertaine où les derniers rais de soleil étirent au sol les ombres fantasmagoriques des baobabs, elle s’achèvera par un court mais violent orage permettant d’arroser copieusement sorgho et maïs. Grâce à ses garçons, leurs terres ont été bien travaillées. Hébioso⁸ les a gratifiés d’une pluie abondante et régulière. La moisson s’annonce prometteuse. Pour Mokokolo comme pour chaque chef de famille, tous se montrent fort satisfaits. Cette année, chacun mangera à sa faim. Aussi, en ce petit matin, au retour des champs (jamais il ne manquerait son inspection matinale), satisfait, sous le séculaire baobab des palabres, vient-il se joindre aux anciens afin de parler de tout et de rien. Ces discussions sans fin restent l’apanage des hommes. Elles permettent de résoudre bien des conflits. Nul besoin au village de poste de police. Les vieux sont là ! Qui oserait les défier ? Ne pas appliquer leurs décisions ?

    Quant aux femmes, elles ne disposent guère de temps pour potiner ailleurs qu’au puits communautaire. Aussi, afin de préparer la grande fête des moissons, dans les canaris de terre réservés à cet effet, selon leurs ordres, les femmes ont déjà mis à fermenter une partie du mil restant de l’an dernier. Cette année, la fête sera encore plus belle que la précédente. Le chapalo⁹ coulera à flots. Trois années d’abondantes récoltes peuvent se lire à la peau lisse et brillante de chacun. Même les côtes des chiens se font moins saillantes ! Dans les greniers, il reste plus de mil que nécessaire pour préparer cette bière qu’ils affectionnent tout particulièrement. N’était-elle pas, elle aussi, la boisson préférée des âmes des ancêtres ? Tout en palabrant, Mokokolo regarde s’étirer la file des femmes en partance pour le puits. Otché est son aînée. Sa main lui a déjà été demandée. La puberté ne saurait tarder. Le mariage suivra de peu.

    La fillette, trottinant plus que marchant, suit allègrement sa mère et les autres femmes chargées de leur canari en équilibre instable sur la tête afin d’aller puiser l’eau indispensable à la vie. Maintenant qu’elle est plus grande, il lui devient plus aisé de les suivre. Plus petite, il lui fallait presque courir. Quand sa mère avançait d’un pas, elle devait en faire deux afin de ne pas se laisser distancer.

    Bien qu’un bon kilomètre sépare leur château de l’unique puits du clan, elle affectionne ce temps qui lui permet de rencontrer les autres fillettes de son âge. Quel autre moyen pour se tenir au courant des derniers potins ? Si sa mère, à la maison, ne parle guère plus que le nécessaire, quand elle se retrouve avec les autres villageoises, toutes amies de longue date, sa faconde ne tarit pas. Bien qu’elles ne quittent guère le village, ces femmes ont tellement de choses à se raconter ! Aujourd’hui, plus encore que les autres jours.

    Demain sera jour de marché. Chacune y va de ses projets d’emplettes. L’une envisage l’acquisition d’une nouvelle cuvette émaillée et, qui plus est, multicolore. Une autre songe à un pagne fleuri qu’elle réservera aux jours de liesse populaire. Une autre rêve de khôl, de rouge à lèvres, de vernis à ongles... afin de se farder et de plaire davantage à son époux. Bref, aucune ne demeure sans projet et chacune se montre fière d’en faire part à ses amies. D’une manière générale (nonobstant il existe des exceptions), leurs maris se montrent généreux quand la récolte s’annonce belle. Et, cette année, plus que jamais, elle promet. Que ne vont-elles pas s’offrir !

    Arrivées au bord de la margelle de pierres sèches entourant le puits, tout en jacassant comme les tisserins au moment des amours, chacune pose à terre son canari. Sirah laisse choir la peau de chèvre cousue en forme de cuvette permettant de remonter l’eau du fond. Une eau un peu jaunâtre mais qui, à part une discrète flaveur d’argile auquel toutes sont accoutumées depuis leur plus tendre enfance, n’a pas vraiment mauvais goût. Certains puits des villages voisins fournissent une eau légèrement saumâtre. Pas la leur. Une telle eau représente une grande chance, plus même : une bénédiction des Dieux. Sirah et Mina se penchent, tendent l’oreille afin de mieux percevoir l’impact de l’outre au contact de l’eau. Le temps entre le lâcher et l’arrivée au fond du puits permet d’évaluer assez précisément le niveau d’eau. Un large sourire illumine leur visage. Elle sera amplement suffisante jusqu’à la prochaine saison des pluies. Nul besoin pour les hommes de creuser plus profond pour atteindre la nappe phréatique. D’un geste tout à la fois ample et noble, séculaire, Sirah tire sur la corde de raphia tressé afin de déposer l’outre sur la margelle. Ensuite, elle déverse le précieux liquide dans un premier canari. Puis, c’est le tour de Mina et d’autres femmes de la famille élargie. Enfin, celui d’Aminata. Elle commence par remplir le récipient de sa fille. Otché ne reçoit qu’une quinzaine de litres alors que sa mère en porte le double. Disons qu’elle remplit les récipients jusqu’à la gueule. Bien que chaque goutte soit utilisée avec parcimonie, l’eau manque souvent pour, en plus de la préparation des repas, satisfaire aux nombreux travaux domestiques. Aussi, une calebasse de plus ou de moins peut avoir son importance. Une qui manque et... retour au puits !

    Ce matin, deux grandes nouvelles au village de Tanéka Koko¹⁰ !

    La nuit précédente, Noria a donné à son mari le plus beau des cadeaux : des jumeaux mâles. Bien que primipare, tout s’est bien passé. Une telle bénédiction ne peut donner lieu qu’à une grande fête. En plus d’une promesse de richesse, l’arrivée de jumeaux dans une famille est considérée comme une bénédiction divine. Cependant, on en parle à voix basse. Pas question de laisser éclater sa joie ! Hébioso pourrait les entendre. Par jalousie d’une telle bonne fortune, le dieu serait capable de reprendre les deux enfants avant qu’on les lui rachète au cours d’une cérémonie. Cette dernière consacre leur intégration dans le monde des hommes. Avant, ils appartiennent à celui des singes. Elle n’aura pas lieu avant deux ans et se déroulera au pied de l’arbre sacré, à l’écart, dans la brousse.

    On apprend aussi que Badia va se marier. À tout juste douze ans, elle vient d’être réglée. Son père, après de longues tractations avec la famille du prétendant, a accepté la dot négociée par l’entremetteuse. On parle de plus de trente têtes de bétail ! de vingt mètres de Tergal ! d’un bracelet en or… La liste révèle une fâcheuse propension à l’inflation ! Le mariage sera célébré après la moisson.

    Sans mot dire mais intéressée, Otché écoute les cancans. Les jeunes filles, tant qu’elles ne sont pas mariées, n’ont pas à intervenir dans ce genre de conversation réservée aux adultes. Elles n’ont accès à un statut social reconnu qu’après leur mariage, et encore ! La vraie reconnaissance sociale ne vient que lorsqu’elles mettent au monde leur enfant premier-né.

    Otché s’inquiète. Elle aussi va sur ses douze ans et n’est toujours pas réglée. Ne serait-elle pas stérile ? Pas de plus grande catastrophe ! Aucun garçon ne voudra l’épouser. Esclave de son père et de ses épouses, sa vie servile ne serait qu’un long cauchemar. Dès son retour au village, elle se promet d’offrir un sacrifice au Legbhâ¹¹ familial. Afin de soulager ses inquiétudes, par ses prières et libations, elle demandera au dieu de devenir rapidement femme.

    Chapitre 2

    Sur le chemin du retour, le canari en équilibre sur la tête avec son plein d’eau, en apercevant au loin le château familial se détachant fièrement sur un ciel d’azur parfaitement limpide, presque cristallin, son petit cœur se remplit d’orgueil. Plus tard, comme dans un mirage, la chaleur le déformera en l’enveloppant d’un voile vaporeux.

    Les quatre tours, rougissantes sous les douces caresses du soleil levant, aisément reconnaissables par leur taille imposante, témoignent de l’aisance de son père pour qui la jeune fille manifeste une admiration sans bornes. Mokokolo est un gros travailleur. Il a bien réussi. Chaque sillon peut s’enorgueillir d’avoir été arrosé à la sueur de son front. De plus, contrairement à beaucoup, avec ses enfants, peu importe leur mère, il ne fait aucune différence. Si, de toute évidence, il a une préférence pour ses garçons, à l’occasion, chose peu banale au village, il ne dédaigne pas prendre sur ses genoux l’une de ses filles. Il lui raconte alors les histoires de ses parents, des parents de ses parents... Mokokolo sait tant de choses ! Presque pourrait-il ainsi remonter jusqu’à la création. Ainsi se transmet la coutume.

    Comme ses frères et sœurs, depuis le premier Mokokolo, Otché connaît chacun de ses ancêtres. Tous ont été de grands guerriers et de grands chasseurs. Lors des cérémonies familiales, leurs exploits que content les griots font la fierté de la famille. Par chance, dans le passé, lors des razzias, aucun n’avait été capturé puis déporté sur la côte. Là, après de longues palabres avec les Blancs, les négriers troquaient les malheureux par contre quelques cauris¹²  voire quelques vieux fusils. En souvenir de l’ancêtre fondateur de la famille dont l’assin¹³ trône toujours en bonne place dans la case des ancêtres, tous les premiers nés mâles ont hérité du même patronyme que leur père : Mokokolo. Cependant, sans que nul n’en sache la raison, une exception fut faite pour son fils premier-né. Drissa fut le nom choisi.

    Arrivée à la case, la fin du balayage l’attend. Le pilage du mil ne fait pas encore partie de ses attributions. Si, seule, elle sait manœuvrer efficacement le pilon, elle rencontre encore quelques difficultés à frapper en cadence, surtout quand elles doivent piler à trois. La moindre inattention et c’est le choc. De temps à autre, avec ses copines, elle s’entraîne avec du manioc. Il lui faudra encore quelque temps avant qu’un tel geste ne devienne un réflexe conditionné.

    Le balai de feuilles de palme soulève une fine poussière de talc ocre-rouge. Otché ne comprend pas la raison de ce balayage du sol en terre battue de la cour de leur château puisque, de toute manière, la poussière retombe aussitôt. Enfin, peu importe ! On lui demande de le faire et elle le fait consciencieusement, tous les matins, depuis six ans. Elle aurait préféré se voir confier un travail moins désagréable. Sa mère en a décidé ainsi. La fillette obtempère. Leur château est si vaste qu’il nécessite presque une heure de labeur pour venir à bout de cette tâche ingrate. Dès son plus jeune âge, Otché s’est révélée une fillette très consciencieuse. Sans doute est-ce pour cette raison qu’elle reste la préférée d’Aminata.

    Son travail achevé, elle sort à l’extérieur respirer un peu d’air moins poussiéreux. En se pinçant une narine puis l’autre, tout en soufflant fort, elle évacue la poussière collée dans ses fosses nasales.

    À quelques mètres, la seconde femme de son père, Mina, s’occupe à la préparation de la bière de mil. À l’aide d’un brandon, elle a rallumé le feu sous les canaris afin de faire subir au mélange une nouvelle cuisson et ainsi augmenter le taux d’alcool du précieux breuvage. La bière des hommes ne demande pas moins de huit cuissons ! Les effluves qui s’élèvent paresseusement en longues volutes blanchâtres, Otché ne les aime pas. Leurs senteurs aigrelettes lui soulèvent le cœur. De plus, la fillette ne comprend pas pour quelle raison les hommes manifestent-ils un tel besoin de s’enivrer lors des fêtes.

    Quand, après ces beuveries sans fin, son père regagne la demeure ancestrale, Mokokolo se montre toujours de fort mauvaises humeurs. Jusqu’au lendemain, chacun s’applique à ne point se trouver en travers de son chemin afin de ne pas soulever une ire dont personne ne comprend la raison. La fête des moissons venue, comme tous les hommes du village, il ne dessaoule pas de la semaine. Pendant ce temps de réjouissances collectives, les femmes, continuent d’assurer le travail quotidien, exactement comme les autres jours. Exactement, pas tout à fait ! En fait, pour rassasier les ventres affamés et abreuver les gosiers desséchés, le travail ne manque pas.

    Souvent, Otché a songé qu’elle aurait préféré naître garçon. Depuis qu’il n’existe plus de conflits entre clans et tribus, ses frères ont le beau rôle. La guerre, elle en a entendu parler par son père et les anciens. Par chance, elle ne l’a jamais connue. Elle en éprouve un immense soulagement car, à chaque décès d’un villageois, malgré la liesse générale, même si le défunt est un membre éloigné de la famille qu’elle ne voit qu’aux grandes occasions, un enterrement lui procure une immense peine. En dépit des tentatives d’explication, des histoires de revenants rapportées par son père et les anciens, le sens de la mort lui échappe.

    Les hommes sont si différents des femmes ! Et puis, il y a leur sexe. De temps à autre, elle voit les adolescents le brandir fièrement devant les plus jeunes, jouer avec ou sodomiser des chèvres. Quand elle les regarde, elle doit se cacher. Les garçons n’aiment pas être surpris quand ils se masturbent entre eux ou se frottent avec des herbes afin d’augmenter leur virilité. Parfois, elle s’en amuse pensant que, malgré leurs efforts, jamais leur membre ne deviendra aussi imposant que le Legbhâ familial trônant leur château. C’est une histoire d’hommes. Les filles ne sont pas conviées à ces étranges et stupides distractions. Il lui semble que les rapports sexuels font partie intégrante de leurs principales préoccupations. Contrairement aux garçons, c’est une chose à laquelle jamais elle ne pense. Elle aura bien le temps de s’en soucier le jour où elle sera promise en mariage.

    Sa mère a commencé à lui expliquer les choses de l’amour, ce qu’il faut faire pour donner satisfaction et du plaisir à un homme. Elle n’a jamais trouvé le sujet bien intéressant. Certaines de ses amies recherchent les garçons pour faire avec eux des choses qu’elle désapprouve. Quand, involontairement, elle se trouve devant une situation ambiguë, elle s’éloigne et les laisse jouer à l’amour. À quelques reprises, l’un d’entre eux et même ses frères ont tenu à lui montrer la métamorphose de leur sexe quand une fille le touche. Au début, elle avait été amusée par leur érection, puis, très vite, choquée. Certains adolescents lui ont même proposé de faire l’amour, juste comme ça, pour lui montrer ce que cela faisait, histoire de s’amuser. Elle a toujours refusé.

    Si Otché accepte de leur donner satisfaction sur quelques détails, en aucun cas elle n’aurait fait l’amour comme son père avec ses femmes. Bien souvent, alors que le sommeil la fuit, elle les entend jouir dans leur case sans porte. Chaque soir, Mokokolo change de femme. Les trois épouses semblent s’accommoder de cette situation. Même plus, l’élue d’un soir paraît fort heureuse quand, le lendemain matin, les deux autres la questionnent sur la vigueur de leur mari. De grandes interrogations meublent les conversations matinales : « Combien de fois ? Combien de temps es-tu restée ? » Si, par malheur, l’une d’entre elles a passé la nuit, les deux autres en prennent ombrage et ne manquent pas d’aller aussitôt se plaindre à qui de droit. Les deux nuits suivantes, afin de satisfaire aux récriminations de ses épouses et d’éviter de réveiller des conflits toujours latents, Mokokolo leur accorde les mêmes faveurs. Entendre leurs soupirs de plaisir ont, parfois, donné à Otché envie de faire l’amour. Consciente qu’une fille non vierge rencontrerait les plus grandes difficultés à trouver un époux, elle avait toujours rejeté cette pensée. Elle n’a jamais été déflorée et s’en montre fière, le clamant à qui veut bien l’entendre. Afin de donner à son mari tout le plaisir qu’il est en droit d’attendre d’une première épouse, elle compte rester vierge jusqu’au mariage. Otché a décidé qu’elle sera première épouse. Elle ne tient pas à se marier avec un vieux de plus de trente ans, ou plus, et qui aurait déjà d’autres femmes. Elle ne tient pas à être considérée par ces dernières comme une esclave, tout au moins la bonne à tout faire à qui l’on réserve les travaux les plus avilissants.

    Discrètement, Moussa lui a déjà fait la cour. Trouvant le jeune homme beau et fort, elle n’a pas repoussé ses avances. Otché a même soulevé l’éventualité de leur mariage à son père et à sa mère dès qu’elle serait réglée. Ils ne lui ont rien promis. Tout dépendra du montant de la dot. Dans cette réponse, le plus important est de ne pas avoir essuyé un refus catégorique. En général, les unions se réalisent sans le consentement des enfants. Sur ce point de la tradition, Mokokolo ne s’avère pas aussi catégorique que beaucoup. Si le garçon et la famille lui conviennent et que la dot paraît suffisante, il se montre prêt à satisfaire la demande de ses filles. Le marchandage revient à l’entremetteuse. À cette dernière incombent les interminables tractations entre les deux familles.

    De sa poitrine pointent deux petits seins fermes et droits avec de belles auréoles brun foncé. Aussi, afin d’épouser Moussa, Otché espère-t-elle devenir rapidement femme. Son corps d’adonis

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