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Trilogie Malragon
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Livre électronique690 pages10 heures

Trilogie Malragon

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À propos de ce livre électronique

Coffret Trilogie / Malragon / L.P. Sicard
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Tome 1 - L’exploration du continent maudit

Véritable concentré d’action, de danger et de mystère, MALRAGON est la périlleuse aventure d’une poignée de jeunes hommes et femmes qui s’éveillent en plein désert, sans un seul souvenir de leur passé pouvant expliquer leur présence en ces lieux hostiles et, comme ils ne tardent pas à le découvrir, redoutablement imprévisibles.

Au travers des déserts, des jungles gigantesques, des forêts enchantées et des marais, ils chercheront à percer l’énigme de leurs mésaventures. Mais un défi, plus urgent encore, accaparera toute leur énergie: survivre.
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Tome 2 - Cataclysmes

Véritable concentré d’action, de danger et de mystère, MALRAGON est la périlleuse
aventure d’une poignée de jeunes hommes et femmes qui s’éveillent en plein désert, sans un seul souvenir de leur passé pouvant expliquer leur présence en ces lieux hostiles et, comme ils ne tardent pas à le découvrir, redoutablement imprévisibles.

C’est cette fois dans une forêt parsemée de pièges, en de calmes prairies, sur une mer houleuse ainsi qu’en des steppes volcaniques que les survivants feront des découvertes infiniment troublantes. Les objectifs et priorités basculent, mais un seul défi est et demeure: survivre.
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Tome 3 - Conquêtes

Véritable concentré d’action, de danger et de mystère, MALRAGON est la périlleuse histoire d’une poignée de jeunes hommes et femmes qui s’éveillent en plein désert, sans un seul souvenir de leur passé pouvant expliquer leur présence en ces lieux hostiles et, comme ils ne tardent pas à le découvrir, redoutablement imprévisibles.

Le monde s’est enfin stabilisé. Toutefois, cette accalmie fait rejaillir la plus grande menace qui soit: le camp russe et ses armes redoutables. Les délégations, pour survivre, devront s’unir, apprivoiser les hauteurs des cimes des arbres, fabriquer armes et poudre à canon, pièges et abri. Du reste, le mystère de leur passé demeure; il faudra, avant de le résoudre, réussir un dernier défi: survivre.
LangueFrançais
Date de sortie9 avr. 2020
ISBN9782898086540
Trilogie Malragon
Auteur

L.P. Sicard

LOUIS-PIER SICARD est un écrivain québécois né en 1991. Après avoir remporté plusieurs prix littéraires, tels que le concours international de poésie de Paris à deux reprises, L.P. Sicard publie sa première série fantastique en 2016, dont le premier tome se mérite la même année le Grand prix jeunesse des univers parallèles. Outre la parution d’une réécriture de Blanche Neige, en 2017, il publie également la trilogie Malragon, aux éditions ADA.

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    Aperçu du livre

    Trilogie Malragon - L.P. Sicard

    Copyright © 2017 L.P. Sicard

    Copyright © 2017 Éditions AdA Inc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Révision : Féminin Pluriel

    Correction d’épreuves : Nancy Coulombe et Émilie Leroux

    Conception de la couverture : Mathieu C. Dandurand

    Photo de la couverture : © Thinkstock

    Mise en pages : Kina Baril-Bergeron

    ISBN papier 978-2-89786-021-9

    ISBN PDF numérique 978-2-89786-022-6

    ISBN ePub 978-2-89786-023-3

    Première impression : 2017

    Dépôt légal : 2017

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives nationale du Canada

    Imprimé au Canada

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC)

    pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Conversion au format ePub par:

    www.laburbain.com

    À propos de l’auteur

    Louis-Pier Sicard est un écrivain québécois né en 1991. Après avoir remporté plusieurs prix littéraires tels que le concours international de poésie de Paris à deux reprises, L.P. Sicard publie sa première série fantastique en 2016, dont le premier tome gagne la même année le prix Jeunesse des univers parallèles. Outre la parution d’une réécriture de Blanche-Neige en 2017, il publie également la trilogie Malragon, aux éditions ADA.

    À l’heureuse folie qu’a l’âme curieuse

    De penser à nouveau les mondes établis ;

    À ces adroits rêveurs comme à toi qui me lis,

    Humblement je dédie ces pages périlleuses.

    L.P. Sicard

    1

    Lorsque nous aurons les bras assez longs pour enlacer l’Univers tout entier, nous pourrons alors confirmer, sans ces équivoques qu’on

    m’accuse parfois de créer, que Malragon est

    l’une de ses plus grandes merveilles.

    Épilogue, Ce que j’ai découvert.

    Comme si des poids de cent kilos pendaient à chacun de ses cils, les paupières d’Alex se relevèrent péniblement. La lumière plongeant dans ses yeux éblouis eut l’effet de deux poignards. D’un geste qui lui apprit toute la lourdeur de son corps, il envoya son poignet sur son front afin de jeter sur son visage une ombre apaisante, mais cela ne suffit qu’à atténuer faiblement sa douleur. Sa vision demeura embrouillée longtemps encore ; la clarté lui était étrangère, comme s’il n’avait côtoyé que des ténèbres entières lors des précédentes années. Le menton collé à sa poitrine haletante, il tenta de se détourner du soleil ardent. La chaleur des rayons frappant sa chevelure noire lui tombant sur les oreilles confirmait qu’il lui faudrait, tôt ou tard, trouver de l’ombre où s’abriter, mais il suffisait d’offrir à ses pupilles le répit qu’elles espéraient tant. Ses mains s’enfoncèrent dans un sable si chaud qu’il les retira aussitôt. Quelques clignements rapides des yeux suffirent à éloigner les derniers phosphènes, et il put enfin observer son environnement.

    Une seule seconde suffit pour en venir à une première conclusion : il était dans un désert. Un sable brûlant l’entourait sur 360 degrés. N’eussent été le jeans et le tricot imbibé de sueur qu’il portait, sa peau serait sans doute brûlée partout où elle était entrée en contact avec ces grains blonds cuisants.

    Alex tenta de se relever, mais en fut incapable ; il avait l’impression de sortir d’un long combat, ne serait-ce qu’en raison de cette sensation d’avoir des ecchymoses sur tout le corps. Il repéra un rocher haut de trois mètres non loin de lui, qui, planté dans le sable tel un menhir, suffirait à lui offrir une ombre appréciable. Alex parvint à y ramper, maudissant une seconde fois le sable chaud tandis qu’il y plongeait les doigts pour avancer. À bout de souffle, il gagna l’ombre avec un soupir de soulagement. Cette simple noirceur faisait diminuer la température d’une dizaine de degrés.

    De la sueur coulait abondamment de ses cheveux sur son visage rougi ; des gouttes glissaient de ses aisselles le long de ses côtes. Comme il inspirait par la bouche, ses narines se révélant insuffisantes pour contenir un tel essoufflement, il se rendit compte de son état avancé de déshydratation : il avait la langue pâteuse, et sa trachée était douloureusement sèche. Alex tenta d’avaler, mais ne réussit qu’à s’étrangler ; il lui fallait boire à tout prix. Ce ne fut qu’à cet instant qu’il nota la présence d’un sac à son dos. Il s’empressa de retirer les courroies encore attachées à ses épaules à dessein d’en évaluer le contenu. Tout en empoignant le curseur de la fermeture à glissière, il remarqua une minuscule plaque en argent fixée à même le tissu du sac : « Alex ».

    Cette mention provoqua un froncement de sourcils. Alex aurait pu jurer n’avoir jamais possédé un pareil sac à dos. Mais qu’importait alors ! Il l’ouvrit de ses mains moites et y enfonça littéralement la tête et les bras. Ses doigts se refermèrent d’abord autour d’un objet angulaire d’une matière cartonneuse. C’était un livret à la couverture vert forêt qui ne comportait a priori nul titre. Bien que languissant de boire, il ne put s’empêcher de l’ouvrir au hasard. Deux pages couvertes de texte papillotèrent tandis qu’un vent chaud chargé de sable s’élevait autour de lui. D’un geste désinvolte, il lança le bouquin derrière son dos et poursuivit ses recherches. Alex mit la main sur un crayon à l’encre, un carnet vierge, un drapeau canadien enroulé sur sa hampe télescopique, puis, enfin, son pouce glissa sur le métal constellé de gouttes d’eau d’une gourde pleine, qui réfléchit son visage juvénile. Ses yeux s’écarquillèrent d’impatience alors qu’il en dévissait avidement le bouchon. Une eau encore fraîche lui revigora le corps telle une gorgée de népenthès. Le liquide rafraîchit sa bouche, puis sa gorge — il but si longtemps qu’il oublia de respirer et dut malgré lui cracher l’eau qui lui courait sur les lèvres pour reprendre son souffle. Soulagé, il reposa sa tête sur le rocher près duquel il était assis. Enfin, il lui fut possible de réfléchir.

    Alex étudia plus attentivement les alentours. Au-delà des dunes, il remarqua que le paysage changeait selon l’angle de vue. À sa gauche, il repéra une énorme montagne s’élever au loin ; droit devant, une rivière sèche découpait le désert en deux ; puis, très loin à sa droite, il reconnut, avec un battement de cœur léger et en plissant les yeux, la mer, qui s’étendait vers l’infini. Il lui était difficile d’évaluer la distance le séparant de la montagne ou de toute autre balise qu’il en viendrait à trouver, comme ce cactus esseulé qu’il percevait du coin de l’œil.

    Or de bien plus importantes questions et doutes habitaient son crâne traversé d’élancements violents. Que faisait-il ici ? Alex avait beau se creuser la tête jusqu’à en atteindre le fond, il n’avait aucun souvenir de ce qui avait précédé son réveil en cet endroit. Pourtant, quelque chose en lui savait qu’il y mettait les pieds pour la toute première fois. Un gémissement plaintif le tira tout à coup de ses réflexions. Son cœur prenant de la vitesse, il rangea sa gourde à demi vide dans son sac et prêta attentivement l’oreille. Le bruit suspect se répéta ; il provenait de derrière ce petit rocher auquel il était appuyé. Ressentant une énergie dégourdir ses jambes et ses bras, il déplia ses genoux et s’appuya sur la pierre chaude, avançant progressivement la tête sur le côté afin de percevoir ce qu’elle recelait. Il vit alors un jeune homme rouler à ses pieds.

    — Mes yeux ! s’écria-t-il entre ses dents serrées.

    Le corps d’Alex demeurait cloué sur place. L’inconnu, duquel il ne parvenait pas à détacher ses yeux, se traîna vers cette même pierre. Vu la difficulté avec laquelle il progressait et les râles qu’il émettait, Alex sut qu’il se trouvait dans un état identique au sien quelques minutes plus tôt. Il s’agissait d’un jeune homme d’environ son âge, soit 22 ans, pensa Alex. Il le devina d’après la barbe naissante recouverte de sable sous l’effet de la sueur sur ses joues. Ses cheveux blonds étaient nattés en dreadlocks, et une cicatrice profonde lui marquait latéralement la joue de l’oreille gauche à l’arête du nez. L’étranger parvint à gagner de peine et de misère le rocher, auquel il s’agrippa de sa main en sueur pour se hisser jusqu’à l’ombre. S’il avait d’abord pensé fuir, Alex n’éprouvait plus la moindre peur envers ce jeune homme blond — d’ailleurs, où aurait-il pu se cacher ? Au contraire, il extirpa de nouveau sa gourde de son sac et la lui tendit. En apercevant le récipient de métal dans sa vision périphérique, le blond sursauta et manqua de se heurter la tête.

    — C’est pour toi, bois, fit simplement Alex en agitant le bidon avec insistance.

    L’intéressé, encore sous le choc de la surprise, hésita, mais il avait tellement soif qu’il aurait avalé volontiers n’importe quel liquide, fût-il servi dans le fond d’une botte sale. Avec une parcimonie qui étonna Alex, il laissa l’eau rafraîchissante s’écouler doucement sur sa langue tendue et ne se satisfit que de deux petites gorgées.

    — Je te laisse le reste, le rassura Alex en étirant la main vers lui, je sais très bien que tu en veux plus.

    — Tu as bien raison, mon ami, répondit-il d’une voix enrouée, mais il en reste moins de la moitié, et qui sait combien de temps nous serons coincés dans ce désert ?

    Il tendit une main franche vers Alex. Son bras tremblotait sous l’effort de ce simple geste. En acceptant cette salutation, Alex fut frappé par la rugosité de sa paume et la fermeté de sa poigne malgré sa faiblesse manifeste.

    — Je suis Trevor.

    — Et moi Alex.

    Ils demeurèrent tous deux immobiles un instant, ce qui leur permit d’observer les alentours. D’après les sourcils froncés de Trevor, sa présence dans ce désert le troublait tout autant que lui. Son incompréhension se confirma lorsqu’il demanda, en secouant lentement la tête :

    — Où sommes-nous ?

    Alex eut un rire amer, qui se traduisit par une légère expulsion d’air de ses narines sèches.

    — Je n’en ai pas la moindre idée.

    Nouveau silence. Trevor, qui avait gardé la gourde froide contre sa poitrine, prit une autre gorgée, tout aussi économe que la précédente.

    — Dans de telles situations, expliqua-t-il en vissant le bouchon au goulot, mieux vaut de fréquentes mais petites doses. Pour ne rien gaspiller…

    — D’où tiens-tu cette information ? s’enquit Alex, qui essuya son front suintant de sa manche. Tu t’es déjà retrouvé dans un désert, avant aujourd’hui ?

    Son interlocuteur secoua la tête.

    — J’en ai la nette impression, mais je n’en suis pas sûr. J’ai… j’ai la tête qui tourne en ce moment.

    — À boire… agonisa une voix non loin d’eux.

    Leurs cœurs manquèrent un battement, et un corps s’affala de tout son long dans le sable ombragé, projetant tout autour des constellations de poussières. Alex reçut le menton d’une femme en plein ventre et en eut le souffle coupé. Tout naturellement, il prit son visage entre ses mains et le souleva avec douceur. Les yeux de l’inconnue se rivèrent sur les siens, habités d’une lueur qui témoignait à la fois de l’espérance et de l’abandon. Un geste vers la gourde de Trevor suffit à ce qu’il la lui rende. Usant d’une force délicate, il arqua le visage de l’éclopée vers l’arrière et y approcha le goulot. Lorsque les premières gouttes coulèrent au bord de ses lèvres, les réflexes de la jeune femme la poussèrent à s’emparer vivement du bidon. Les gorgées se succédèrent dans un gargouillement de gorge jusqu’à ce qu’il ne restât plus rien de leur unique réserve d’eau. Dépitée mais soulagée, elle laissa sa lourde tête retomber sur le buste d’Alex en soupirant longuement.

    — Je ne suis pas certain qu’elle ait toute sa tête, confessa Trevor à voix basse tout en arquant exagérément un seul sourcil.

    Alex se contenta de la fixer, encore hébété par son apparition soudaine. Elle semblait s’être rendormie. La peau hâlée de son visage brillait d’une centaine d’éphélides ; ses longs cheveux blonds ondulaient jusqu’à ses hanches ; son petit nez aux narines papillotantes surmontait des lèvres si rosées et luisantes qu’elles semblaient couvertes d’un baume. Trevor, constatant l’admiration dans laquelle était plongé son camarade, choisit de se relever ; même s’il n’en avait absorbé qu’une faible quantité, l’eau lui avait fait un grand bien. D’où cette fille venait-elle ? Il n’avait remarqué personne autour de lui à son réveil dans ce désert… Néanmoins, il eut rapidement la réponse à sa question : des empreintes sur une dune paraissaient droit devant lui. Le son d’un pied s’enfonçant dans le sable lui fit tourner la tête ; Alex, appuyé contre le rocher, avait choisi de se lever à son tour.

    — Eh bien, dis donc ! s’exclama-t-il en levant une main en visière sur son front. Il y en a peut-être d’autres non loin d’ici !

    — C’est exactement ce que je me disais, renchérit Trevor en plissant les yeux. Allons voir. Et ne t’inquiète pas pour la blondinette, ajouta-t-il en lui adressant un faciès faussement réprobateur, nous serons de retour dans quelques minutes.

    Tous deux prirent le chemin des traces d’un commun accord. Le soleil était si ardent qu’Alex avait l’impression de sentir sa peau cuire sous ses rayons. Bien que la marche ne fût que d’une centaine de mètres, les marcheurs s’étaient mis à haleter. Ils suèrent bientôt si abondamment qu’ils n’eurent qu’une idée en tête : revenir à l’ombre. Les empreintes laissées dans le sable disparurent au sommet de la dune. Là se trouvaient les vestiges évidents du corps étendu de la jeune femme, ce qui, en revanche, n’expliquait pas comment elle s’était retrouvée là. On eût dit qu’elle était tombée du ciel. Alex s’apprêtait à s’accroupir pour reprendre son souffle lorsque Trevor lui empoigna le bras de sa main rugueuse et moite.

    — Regarde !

    Alex suivit la direction du doigt pointé pour découvrir, au bas de la dune, près d’une dizaine de corps étendus ! Un calcul rapide lui permit d’en déterminer le nombre exact : sept individus se trouvaient là, assaillis par un soleil violent ! Aucun d’entre eux ne remuait — Alex craignit que ceux-ci ne soient morts de déshydratation et se mit à courir vers eux. Il projetait le sable brûlant de chaque côté de lui tandis qu’il dévalait la dune, ne se souciant guère plus de son épuisement. Il atterrit si brusquement près du premier corps qu’il se tordit légèrement la cheville. Sans plus attendre, il fit courir son index le long de la gorge d’un jeune homme, qui avait la moitié du visage enfoncée dans le sable, mais comme il n’avait jamais appris à chercher correctement le pouls, il ne sut alors s’il avait mal pris sa mesure ou si, véritablement, cet autre inconnu était mort.

    Sans qu’il s’avère nécessaire de se donner des ordres mutuels, Alex et Trevor cueillirent les corps les uns après les autres afin de les déposer de l’autre côté de la colline de sable, là où se trouvait un peu d’ombre. À leur retour, la jeune femme dont ils ignoraient encore le nom et à laquelle il tardait de poser leurs premières questions se mit également de la partie. Manifestement, l’eau et l’ombre lui avaient fait un grand bien. Les allers-retours effrénés se multiplièrent, et Alex se retrouva rapidement dans un dangereux état d’épuisement. Des scintillements étourdissants envahissaient sa vue, des haut-le-cœur faisaient tressaillir sa poitrine, ses mains s’étaient mises à trembler… mais il ne s’en souciait pas — à peine en était-il conscient. Ce ne fut qu’une fois la dernière personne inconsciente déposée près du rocher qu’il se laissa vaciller jusqu’à tomber à genoux. Trevor, dans un état similaire, glissa le long de la pierre.

    — Ton sac… articula péniblement Alex en essayant d’avaler la salive qu’il n’avait pas, regarde dans ton sac.

    Trevor retira les courroies toujours à son dos et fouilla le contenu du sac. En un tournemain, il repéra ce qu’espérait Alex : une seconde gourde pleine. Cette fois, il ne put se résoudre à n’en boire que de maigres gorgées, mais il eut la décence d’en laisser suffisamment pour ses deux nouveaux compagnons éveillés. Alex était assis, encore étourdi par les récents efforts déployés pour transporter les corps, lorsqu’il se mit à les étudier plus attentivement. Tous étaient vêtus de la même manière, lui-même y compris : un jeans délavé, un tricot de laine fort peu adapté à un climat si aride, ainsi qu’un sac à dos arborant la gravure d’un nom. À cet égard, il remarqua l’inscription étincelante sur celui qu’avait l’adolescente à présent sur ses genoux : « Nelly ».

    — Viens par ici, toi ! s’exclama-t-elle en levant victorieusement sa gourde à bout de bras.

    Alex, croyant qu’elle s’apprêtait à se rafraîchir encore, se préparait à intervenir, mais s’interrompit lorsqu’elle fit un pas vers le jeune comateux le plus rapproché. Elle lui pinça les trapèzes de ses doigts, claqua quelques fois des mains, mais en vain ; rien ne parvenait à réveiller cet autre inconnu. Approchant son oreille de sa bouche close, Nelly ferma les yeux, et ses lèvres effectuèrent le compte muet de dix secondes, puis elle se redressa en inspirant fortement du nez.

    — Il respire, conclut-elle en dévissant le bouchon de son bidon d’une laborieuse supination du poignet.

    Alex et Trevor échangèrent un regard circonspect.

    — Ce n’est pas très orthodoxe comme méthode, excusez-la… fit-elle avant d’asperger d’eau le visage du jeune homme.

    Cette tentative eut l’effet escompté ; dans un état de panique et d’incompréhension, celui-ci s’éveilla brusquement. Sa gorge douloureuse tenta vainement de pousser un cri.

    — Je sais, je sais, bois, c’est pour toi.

    Nelly lui plaqua doucement la gourde ruisselante contre la poitrine. Ainsi qu’un mourant parmi les morts s’empare du dernier remède, il empoigna le récipient d’une main tremblante et soulagea son être de sa déshydratation.

    — Merci, parvint-il à articuler sans pouvoir ôter la frayeur qui se reflétait au creux de ses pupilles. Qui… qui êtes-vous ?

    — Tutoie-moi si tu veux bien, très cher. Je m’appelle Nelly.

    Elle lui décocha un sourire des plus francs puis se tourna vers le corps suivant sans fournir d’explications supplémentaires — en avait-elle seulement ? Alex, trop étonné encore de cette scène, se contenta d’adresser un signe à cet inconnu nouvellement éveillé pour lui enjoindre de se rapprocher. Traînant avec peine le poids de son propre corps, il se trouva une place pour s’adosser contre le rocher. Il s’agissait d’un garçon efflanqué à mi-chemin entre l’enfance et l’âge adulte. Sa maigreur semblait accentuée par sa grande taille, et l’on devinait ses membres anguleux au travers des vêtements qui lui paraissaient à la fois trop courts et trop larges.

    — Je m’appelle William. Je…

    Sa voix se brisa. Il semblait sur le point d’éclater en sanglots.

    — Ne t’inquiète pas, le rassura Alex en esquissant un faible sourire. Tu n’as aucun souvenir et tu te demandes encore ce que tu fais dans le désert, pas vrai ?

    Il hocha la tête tel un enfant qui avoue son premier mensonge.

    — Il ne m’en reste plus un seul, confirma-t-il, les lèvres pincées. Tout ce dont je me souviens saurait se résumer à mon nom, ainsi qu’à ceux de toutes ces plantes que je sais avoir un jour étudiées, qu’ils soient en français, en anglais ou en latin. Astragalus membranaceus, Matricaria recutita, Eschscholtzia californica

    — On a compris le principe, je pense bien, le fit taire Nelly, affairée à réanimer une autre fille.

    — Mais le reste, tout le reste… poursuivit William sans s’attarder à la précédente remarque, plus rien !

    Alex, en ayant déjà assez de ses propres soucis, choisit de s’écarter de William sans daigner répondre à son cri d’angoisse. À vrai dire, il n’avait pas de réponses. Cela lui fit néanmoins prendre conscience que rien, a priori, n’avait résisté à la perte de mémoire qu’il accusait à ce jour. Aussi fut-il étonné de n’avoir pas encore cherché ses mots lorsque vint le temps de prendre la parole. D’où ce langage lui provenait-il ? D’où connaissait-il tout ce vocabulaire ? Un signe précipité du doigt suffit à mettre fin à ses appréhensions.

    — Réconforte-la, lui ordonna Nelly calmement, avant de passer à la victime suivante. Tu sais déjà quelles seront ses premières questions ; puisses-tu lui épargner cette rare salive.

    Dès lors qu’il fut assis, sur ses genoux fut déposée la tête d’une adolescente aux courts cheveux noirs qui découpaient son front à la moitié. Ses lèvres entrouvertes, légèrement retroussées, ajoutaient un charme singulier à ses yeux bruns dont les paupières battaient avec la confusion d’un lointain éveil. Elle le regardait, sourcils froncés, sans bouger. À vrai dire, Alex non plus ne savait que faire dans cette situation. La réconforter… comment y parvenir ? Être au courant de son angoisse et de ses questionnements ne lui donnait pas de réponses pour autant ! Aussi se contentèrent-ils d’échanger un regard contre un haussement d’épaules, tandis que Nelly aspergeait d’eau le visage du dernier rescapé. Et bientôt, tous les autres individus furent revenus à eux-mêmes, regroupés dans l’ombre que jetait le monolithe. Il ne resta plus que le tiers de leurs réserves d’eau communes. On parvenait presque à percevoir, là-haut, le grésillement du soleil, plus puissant encore qu’ils ne l’auraient cru possible.

    Ils étaient neuf inconnus : six jeunes hommes et trois femmes sans doute du même âge, caractéristique avec laquelle ils partageaient de surcroît une complète incompréhension de leur situation. Ce fut sans surprise qu’une fois interrogé, chaque membre du nouveau groupe s’avoua aussi désemparé que les autres — pas un ne gardait un souvenir de ce qui précédait leur arrivée dans ce désert écrasant ni ne savait pour quelle cause on les avait jetés pour morts ainsi que des carcasses dans le sable brûlant. Assis en cercle, ils se contemplèrent les uns les autres dans un mutisme ponctué du vent chaud fouettant les dunes, et comme si, dès cet instant précis, une certaine communion liait chacun de leurs esprits, ils comprirent tous qu’à défaut de connaître le passé, il leur faudrait se tourner vers l’avant. Quelles qu’aient été les raisons qui les adjoignirent, ils devraient dorénavant entreprendre ce voyage ensemble, pour ce qu’il en restait.

    Chacun à leur tour, ils offrirent d’eux-mêmes la description la plus précise que le permettait leur mémoire ébranlée. Nelly fut la première à s’éclaircir la gorge, après avoir ramené une mèche de ses longs cheveux blonds derrière son oreille fine.

    — Je suis Nelly, tel que le montre bien cet écusson greffé à mon sac. En en vérifiant le contenu, j’ai trouvé des choses intéressantes : un scalpel, des gazes, un contenant d’alcool à friction, des fils à suture… une véritable trousse, quoi ! s’exclama-t-elle en levant chaque objet nommé à la hauteur de ses épaules. Le plus étonnant, c’est que je sais me servir de tout ceci. Mais j’y ai trouvé aussi un drapeau télescopique du Canada. Comme vous tous, j’ignore tout de ma situation et m’en vois d’autant plus abasourdie que je me sais parfaitement lucide.

    Vint ensuite le tour de Trevor, qui trouva, en vidant son sac dans le sable, une casserole de petit format, un canif, une boussole et des cordages divers noués en lassos. Il s’attira des applaudissements en informant l’attentive assistance qu’il n’était guère impressionné par un environnement aussi hostile que ce désert, qu’il saurait, si on lui laissait un peu de temps, trouver l’eau et la nourriture qui semblaient à première vue inexistantes dans un pareil milieu.

    — Il faudra, dans quelques minutes, se lever et marcher, peu importe la direction, marcher sans jamais s’arrêter. Je vous dirais bien de prendre la route vers le nord, mais cette fichue boussole ne répond pas, se morfondit-il en la secouant. Les étoiles nous seront d’un plus grand secours.

    Ainsi furent présentés Annie, qui s’avéra être une experte tisserande ; Alfie, un mulâtre dont les mains couvertes de callosités et l’équipement témoignaient d’une grande aptitude à escalader des parois ; Déborah, une Asiatique qui trouva un véritable arsenal composé d’une lame, de carreaux et d’une arbalète au fond de son sac — de la seule manière avec laquelle elle chargea l’arme de jet de son premier projectile, il ne fit aucun doute qu’elle était une chasseuse aguerrie — ; Doug, qui jonglait dangereusement avec un marteau et une scie miniature ; Damien, un adolescent aux longs cheveux et aux yeux creux, qui poussa un juron d’étonnement en repérant une flûte entre le drapeau blanc — il n’avait, contrairement aux autres, aucun drapeau canadien en sa possession — et sa gourde vide ; puis William, qui se répéta en affirmant qu’il en savait plus sur les plantes que sur lui-même.

    Alex, qui n’était guère doué pour retenir les noms, s’avoua intérieurement n’avoir presque rien retenu des leurs, à l’exception évidente de Trevor et de Nelly, avec qui il avait pu discuter avant cette réunion.

    — Si je comprends bien, quelqu’un, ou quelque chose, rectifia Déborah en examinant un carreau de son arbalète, qu’elle avait à présent en bandoulière, a regroupé des individus qui, plutôt que d’avoir des traits en commun, sont on ne peut plus différents les uns des autres.

    — Nous a-t-on vraiment regroupés ? dit William, incertain. Qui sait si on ne nous a pas abandonnés, ou si…

    — Désolé de vous interrompre, mais il en reste toujours un qui ne s’est pas présenté, intervint Doug en pointant Alex de son marteau.

    Lorsque les regards se rivèrent sur Alex, il sentit la nervosité s’emparer de lui ; ce que contenait son propre sac était incompréhensible. Qui plus est, il n’était pas encore parvenu à identifier un talent particulier qu’il possédait. Que signifiaient donc ce livret et ce carnet vierge ? Il ne sut si la chaleur suffocante y était pour quelque chose, mais il éprouvait d’importantes difficultés à réfléchir.

    — Je suis Alex, soupira-t-il en montrant lesdits objets, je ne sais toujours pas ce que signifie tout ceci. J’espère seulement que nous saurons quitter cet endroit le plus tôt possible.

    — Aussi bien s’y mettre de ce pas, lança Trevor en se relevant sans plus attendre. J’ai l’étrange sentiment que la route sera longue…

    De multiples cliquetis et frottements indiquèrent que les membres du groupe reprenaient en main leurs affaires et s’apprêtaient à se mettre en route. L’idée de quitter l’ombre désespérait profondément Alex, mais il savait pertinemment qu’à rester sur place, ils ne feraient qu’épuiser leurs dernières réserves d’eau et s’assurer une mort lente et affreuse. Alfie, fort de ses bras longs et souples, escalada aisément les trois mètres le séparant du sommet du rocher. Il allongea son front de ses deux mains pour contrer l’aveuglante lumière, mais demeura insatisfait. Une rapide fouille dans son sac lui permit de mettre la main sur une longue-vue rétractable qu’il avait précédemment présentée au groupe.

    — C’est toi qui nous indiques le chemin, brave explorateur ! ironisa Trevor, la tête levée vers Alfie.

    Alex aurait volontiers partagé la vue de celui-ci ; il était plus que curieux de savoir ce qui se recelait au loin. N’y avait-il, de tous les côtés, qu’une étendue infinie de sable ?

    — Je n’en crois pas mes yeux ! Attendez une minute…

    Alfie tenta d’ajuster sa longue-vue sans fournir d’explications supplémentaires. Quelques membres du groupe, piqués par la curiosité, s’agglutinèrent au pied du rocher.

    — Droit devant, mes amis, se trouve exactement ce que nous cherchons ! Une rivière, quelques arbustes… Et cette rivière se rend jusqu’à la mer ! Nous ne sommes pas perdus !

    Alex, ne pouvant se satisfaire de cette seule description, chercha à escalader le rocher à son tour. Il approcha son corps de la paroi rocheuse, fit courir ses mains sur la pierre, mais ne parvint pas à trouver de prise satisfaisante où plonger ses doigts. Choisissant d’agripper le côté du monolithe, il effectua une première tentative qui lui rappela la faiblesse dans laquelle se trouvait encore son corps. Il ne parvint qu’à s’élever de quelques centimètres avant d’entendre un inquiétant craquement provenant de ses phalanges. Ce bruit fit grincer des dents Alfie, qui se détacha enfin de sa lunette d’approche.

    — Prends ma main, mon vieux !

    Après un hochement de tête en guise de remerciement, Alex ne se fit pas prier pour obtempérer ; sa main s’enroula autour du poignet du grimpeur, qui le souleva jusqu’à lui. Il eut légèrement le souffle coupé lorsqu’on lui tendit la longue-vue en la plaquant contre sa poitrine.

    — Regarde ! lui dit Alfie en pointant du doigt une direction précise.

    La paupière gauche d’Alex se ferma tandis que son autre œil se posait sur l’oculaire. Sa vision se perdit momentanément dans l’azur, puis dans l’or du sable — Alfie ajusta lui-même la direction de la lunette. Alex ne put s’empêcher de pousser un soupir de satisfaction : on avait dit vrai ! Une rivière à grand débit divisait le désert en deux parties distinctes. De chaque côté, de la verdure croissait sur les sables irrigués jusqu’à la mer, qu’on apercevait vaguement au loin en raison de l’averse qui sévissait.

    Sa soif de curiosité n’étant pas étanchée, ses talons pivotèrent, et il put alors se plonger dans la vastitude d’un tout autre point cardinal. La boussole de Trevor ne fonctionnant pas, il n’avait pour l’instant aucun moyen d’affirmer s’il s’agissait du nord ou du sud, d’autant plus que le soleil se trouvait droit au-dessus de leurs têtes, mais il vit là une impressionnante montagne s’élever si haut dans le ciel que des neiges éternelles en couvraient le faîte. En revanche, celle-là semblait si éloignée qu’il n’aurait pas été étonnant d’apprendre qu’il fallût des jours entiers de marche pour s’y rendre. Il fit un autre quart de tour, sans détacher son œil de la lentille. Cette fois, une zone désertique s’étendait à perte de vue, mais elle semblait, à certains égards, différente de celle où ils se trouvaient tous alors. Elle était ponctuée de cratères expirant des fumées jaunâtres et de crevasses gigantesques, qui donnaient à ce territoire inhospitalier l’allure d’une peau tailladée et pustulée.

    Une grimace aux lèvres, il fit face à la dernière direction inobservée. Des averses lointaines obstruaient grandement la vue. S’agissait-il d’ombres ou de reflets ? Il n’aurait su le dire à cet instant, mais il crut entrapercevoir un haut plateau se perdre vers le ciel gris, dont les nuages semblaient transpercés des toits de bois d’habitations rudimentaires. Tandis qu’un frisson lui parcourait l’échine, il abaissa négligemment sa longue-vue. Ses yeux plissés ne remarquèrent rien de suspect dans l’horizon éclatant de lumière dorée ; pas même un nuage n’enténébrait le ciel, aussi loin qu’il pût le suivre des yeux. La lentille se reposa illico contre son œil interdit. Plus rien ! Avait-il halluciné ? Était-ce un effet collatéral de la soif, de l’épuisement ? Il eut peur à la fois de cette anomalie et de lui-même.

    — Tu viens ? s’impatienta Nelly, les bras croisés en bas du rocher. La moitié du groupe s’est déjà mise en route, Trevor en tête. Et les autres ne tarderont pas.

    Alex secoua la tête. Que le groupe se divisât aussi tôt, en plus de lui montrer la vulnérabilité d’un aussi grand nombre d’individus, lui rappela que le temps était compté et que, comme rien ne les unissait sinon une envie commune de quitter ce désert, c’était encore chacun pour soi. Aussi Alex fut-il heureux que Nelly daignât bien l’attendre ou, du moins, le rappeler à l’ordre.

    — Oui, j’arrive !

    Après avoir remis la longue-vue à Alfie, Alex arqua le cou à dessein de voir quelle hauteur le séparait du sable. Trois mètres représentaient une distance relativement courte, mais après y avoir ajouté son propre mètre quatre-vingts, c’était vertigineux ! Alfie, peu impressionné, avait simplement sauté à pieds joints. Comment redescendre sans se blesser ? Déjà, il sentait l’embarras lui monter aux joues alors que Nelly le fixait, sourcils haussés. Cherchant à tout prix à ne pas s’embourber davantage dans les couches délicates de la gêne, il abandonna net l’idée d’une descente qui s’avérerait assurément maladroite et opta pour sauter — le sable amortirait sa chute, tenta-t-il de se convaincre. Il déglutit, puis fit le grand saut. D’où lui vint cette idée, cette habitude, ce réflexe, il n’aurait su le dire, mais il effectua une agile roulade dès lors que ses pieds effleurèrent le sable, lui permettant d’éviter un brutal atterrissage. Lui-même surpris de sa propre démarche, il se retrouva en un clin d’œil sur ses deux pieds.

    — Ne viens plus jamais me dire, après ça, que tu n’as aucun talent ! se moqua Nelly avec un sourire qui révéla une dentition étincelante.

    Et elle le devança, l’effleurant d’un mouvement folâtre de l’épaule au passage. Si Alex ne savait pas monter une paroi, au moins, il savait en descendre — pourvu qu’elle ne fît guère plus de trois mètres de hauteur !

    Une portion du groupe en tête s’était déjà distancée de son autre moitié d’une vingtaine de mètres. Alex et Nelly rejoignirent Alfie, Déborah et William. Il leur fut aisé de s’immiscer dans leur conversation, comme celle-ci semblait débuter.

    — Alors, nous nous rendons jusqu’à la rivière, et ensuite ? questionnait Déborah en faisant tournoyer un carreau d’arbalète entre ses doigts.

    — J’imagine que nous la longerons jusqu’à la mer, lui répondit-on.

    — Ce soleil va finir par nous tuer ! maugréa William, qui fouilla dans son sac.

    Il empoigna le drapeau canadien qui y était enroulé, puis désigna de l’index le couteau de chasse attaché à la taille de Déborah.

    — Tu permets ?

    Ses yeux plissés manifestèrent une curiosité craintive, mais elle consentit à le retirer de sa gaine en cuir pour lui tendre le manche.

    — Ce n’est pas un jouet, tu es averti, l’avisa-t-elle avec condescendance.

    Le peu d’assurance manifesté par le jeune botaniste depuis son éveil lui avait suffi pour afficher une certaine supériorité — bien qu’ils eussent approximativement le même âge, Déborah avait déjà adopté le rôle de la grande sœur.

    — Je sais, fit William, agacé par cette attitude.

    D’un geste malhabile, il découpa le tissu de l’étendard près de la hampe après l’avoir déroulé. Au terme de maintes coupes, la pièce d’étoffe fut libérée, et il put s’en couvrir la tête et la nuque. Quelques plis suivis d’un nœud solide avaient créé une coiffe semblable au keffieh que portent les nomades arabes pour se protéger du soleil et de la poussière. Jusqu’alors sceptique, la chasseuse fut forcée d’admettre que cette idée était ingénieuse.

    — À votre place, je ne ferais pas ça, les prévint Nelly en épongeant la sueur qui perlait sur son visage constellé de taches de rousseur. On ne sait pas encore à quoi ça doit servir.

    Doit servir ? répéta Déborah avec une incrédulité près de la colère. Ce fichu drapeau ne sert absolument à rien ! Si c’était pour nous rappeler notre nationalité, soit ! C’est déjà fait. À quoi ça nous sert, maintenant ? Et si nous étions en train de mener une mission suicide en plein désert avant que je ne sais quelle catastrophe nous tombe sur la tête, eh bien, je crois que nous pouvons aussi bien les brûler ; ça ne changerait pas un atome de ce monde !

    — Attendez une minute ! s’interposa Alex en se tournant face aux deux jeunes femmes. Ça ne vous donne pas envie, à vous, de vous interroger un peu plus sur le sujet ? Pourquoi, malgré les différents objets que nous avons tous, ce drapeau est-il la seule chose que nous ayons en commun ?

    — Tu oublies les gourdes d’eau, rectifia Nelly. Et Damien a un drapeau blanc, lui. Mais je suis entièrement d’accord avec toi ; c’est un peu ce que j’essayais de dire.

    Ils s’interrompirent, le temps de contourner un cactus solitaire qui dressait ses bras épineux de chaque côté de lui. D’une couleur verdâtre rappelant la vase, cette plante grasse et résistante faisait deux mètres de hauteur. Sa tige s’achevait par un certain renflement qui n’était pas sans évoquer une apparence humaine. Alex s’en émerveilla brièvement, ignorant encore comment une forme de vie parvenait à s’épanouir dans un climat désertique tel que celui-ci, où la température atteignait des sommets vertigineux.

    — Étrange, commenta William en se massant le menton, je suis prêt à jurer que je n’ai jamais vu ce cactus. Il présente bien des traits du Carnegiea gigantea, mais la grosseur de ses épines et sa forme par endroits me font douter.

    Déborah poussa un long soupir de désintéressement. Alex sut dès cet instant que quiconque chercherait à attirer son attention ou à la charmer ferait mieux de s’y prendre avec la faune plutôt que la flore.

    — Ce livret que tu avais, personne n’a regardé à l’intérieur ? s’adressa Alfie à Alex.

    — Je doute fort que nous ayons le temps de nous adonner à la lecture, répondit Déborah avant qu’Alex n’eût le temps d’ouvrir la bouche.

    Bien qu’il n’eût passé en somme que peu de temps à ses côtés, Alex jugeait Déborah de plus en plus désagréable, mais, encore impressionné par son arbalète, il jugea plus prudent de garder pour lui le fond de sa pensée. En revanche, Nelly avait une tout autre opinion sur le sujet.

    — Si tu veux mon avis, nous n’avons surtout pas de temps pour ton insolence ! rétorqua-t-elle froidement. Il est clair que ce livre…

    — Ouais, c’est ça, la coupa la chasseuse avec indifférence.

    Elle pressa le pas pour s’éloigner des quatre autres, qui haussèrent les épaules.

    — Ce n’est pas une très grosse perte, se moqua William, qui prit néanmoins soin de murmurer ces dernières paroles.

    — C’est mieux de ne laisser personne seul. Je vais la rejoindre.

    Aidé de ses longues jambes, Alfie accéléra le pas jusqu’à se retrouver côte à côte avec Déborah. Alex, Nelly et William se retrouvèrent seuls, à l’arrière du groupe divisé. Le soleil était tout aussi cuisant ; l’effet désaltérant de l’eau ingurgitée à leur éveil s’était presque entièrement estompé.

    — Si des clans se forment déjà, je peux vous garantir que c’est mal parti pour nous tirer indemnes de ce désert ! lança William, sa coiffe arborant une feuille d’érable rouge lui couvrant toujours le chef.

    — T’inquiète, je connais ce type de fille, assura Nelly comme s’enfonçait son pied dans le sable chaud. Elle se calmera dès qu’on lui donnera l’attention qu’elle cherche. Enfin, c’est peut-être déjà réussi.

    Une dizaine de mètres plus loin, Alfie et elle semblaient mener une énergique discussion. Alex se demanda si le groupe en tête dirigé par Trevor avait obtenu quelques réponses aux nombreuses questions qu’il se posait encore.

    — La voyez-vous, cette rivière ? demanda William.

    Alex l’avait aperçue de ses propres yeux, aussi était-il certain qu’elle existait bel et bien. Toutefois, l’endroit était parsemé de si hautes dunes qu’elles en obstruaient considérablement le panorama.

    — Je sais, c’est plutôt étrange qu’une rivière traverse un désert, mais je peux vous assurer qu’elle n’est plus très loin.

    — Ce qui est surtout étrange, c’est que nous ne l’entendions pas, précisa Nelly.

    Tous trois s’arrêtèrent afin de prêter l’oreille. Ils ne perçurent, hormis leurs respirations haletantes, que les mots confus de leurs compagnons devant eux.

    — Allons rattraper les autres ! proposa Alex en donnant le nouveau rythme.

    Malgré leur épuisement et leur soif croissante, les trois retardataires rejoignirent le reste du groupe immobilisé au faîte d’une dune. Alex eut tôt fait de deviner la raison les ayant motivés à effectuer une pause en ce lieu. De là, ils pouvaient enfin apercevoir cette rivière bordée d’une végétation clairsemée, à environ une centaine de mètres. Plus encore, ils constataient à présent que celle-ci traversait le désert d’une mer à une autre — ils devaient donc être sur une île ou encore l’extrémité d’un continent ! Comme ses yeux se plongeaient dans l’eau lointaine de la rivière et que son corps couvert de sueur s’imaginait s’immerger dans les flots rafraîchissants, Alex eut l’impression que sa déshydratation avait triplé d’intensité. Il demanda à Trevor, qui avait sa gourde à la main, s’il lui restait quelques gouttes à partager. Ce dernier se contenta de renverser le récipient pour toute réponse ; il n’en avait plus un seul millilitre.

    — Je l’ai sortie parce que je suis impatient de la remplir ! l’informa-t-il. Je ne sais pas encore comment nous avons fait pour vous attendre jusque-là ! Mes amis, il est temps de savourer notre première halte !

    — Allons-y ! se rallia Damien, qui attacha sa flûte à sa ceinture à la manière d’une dague.

    Ces derniers mots eurent l’effet d’un coup de canon sonnant le départ d’une course. À cet ordre collectif répondirent les plus empressés en prenant leurs jambes à leur cou vers la rivière. S’aidant de grandes enjambées, ils dévalèrent la dune si follement que quelques-uns trébuchèrent, roulèrent dans le sable brûlant, mais n’en eurent cure, car dans quelques secondes, leur corps entier plongerait dans les flots libérateurs. Alex, malgré son ardeur, n’avait pas suffisamment d’énergie pour suivre les plus rapides, parmi lesquels se trouvaient Alfie, Doug et Damien. Il se contenta d’enchaîner ses pas les uns après les autres tout en préservant sa concentration. La simple vue de l’eau claire avait empiré sa soif et sa fatigue, et il ne souhaita plus qu’être à même de l’atteindre, de ne pas s’évanouir si près du but. Un sourire se dessinait faiblement sur ses lèvres, cependant ; le plaisir que lui procurerait cette baignade inespérée était inimaginable.

    En moins d’une minute, les trois devanciers s’étaient forgé une avance considérable. Ils franchissaient la courte étendue de verdure et de bosquets bordant la rivière lorsque Trevor, s’immobilisant soudain, attrapa les bras d’Alex et de Nelly de chaque côté de lui afin qu’ils s’arrêtent.

    — Non !

    Son ton était habité d’un effroi qui glaça le sang d’Alex. Qu’avait-il donc aperçu ? Alex chercha à ses côtés l’origine de cette alarme, mais ce ne fut qu’en reportant son regard droit devant qu’il comprit enfin : la rivière, la végétation… tout ce paysage était désormais nébuleux. Les couleurs s’affadissaient, l’eau s’évaporait ; partout, la fertilité faisait invraisemblablement place à l’aridité. Quelques pas de plus vers l’avant suffirent à confirmer l’hypothèse qu’avait alors Alex en tête : cette rivière n’était rien de plus qu’un mirage ! En ce cas, pourquoi Alfie et les deux autres ne s’étaient-ils pas arrêtés ? Ils franchissaient la végétation, courant toujours à toutes jambes, sans se soucier de ce faux-semblant. C’est alors que l’impensable se produisit : leurs trois silhouettes, maintenant dispersées dans ce décor trompeur, commencèrent aussi à disparaître !

    — Mais qu’est-ce qui se passe ! paniqua William, conscient de ce même non-sens.

    — HÉ HO ! ARRÊTEZ-VOUS ! s’époumona dérisoirement Trevor, qui mena une vaine lutte à dessein de les rattraper.

    Alex, bien qu’hébété par cette situation inexplicable, avait en lui le net sentiment que les choses allaient mal tourner. Plus ils se rapprochaient, plus le paysage basculait vers l’invisibilité. Le cours d’eau s’assécha complètement, les boqueteaux se flétrirent et la verdure se pétrifia. Ce n’est qu’une fois arrivés au bord de la rivière, qu’à l’instant où les trois devanciers s’y plongèrent les mains pour s’en asperger le visage, qu’ils prirent conscience qu’il y avait anguille sous roche.

    Dès lors que leurs doigts s’immergèrent dans la masse aqueuse en mouvement, ils les en retirèrent pleins de sable. Alfie sentit son sang ne faire qu’un tour dans ses veines en contemplant d’un œil rond les grains dorés s’écouler entre ses jointures tremblantes. Il répéta l’exercice : ses bras plongèrent dans l’eau dont l’opacité s’effritait. Encore cette fois, il n’y cueillit que du sable chaud. Lorsqu’il releva la tête, force lui fut de constater que tout autour de lui disparaissait ainsi qu’une bougie jetée dans les flammes. Mais il était loin, bien loin encore, de se douter que son ahurissement n’en était qu’à ses balbutiements. À ses côtés, Doug et Damien avaient une apparence spectrale. Ce mirage était sur le point de les avaler vivants !

    — REVENEZ ! REVENEZ PAR ICI ! s’écrièrent de plus belle les voix de Trevor, d’Alex et de Nelly.

    Il était encore temps de s’enfuir ! Alfie fit volte-face et puisa dans son corps éreinté toute l’énergie qu’il lui restait. D’un bond, il se mit résolument au pas de course pour franchir l’étendue sablonneuse le séparant du reste du groupe, mais ses jambes, comme prises dans un ciment à demi durci, éprouvaient un mal inéluctable à bouger. Avec un grognement paniqué, il essaya encore et encore de déprendre ses membres de leurs invisibles chaînes. Au terme d’un effort à en grincer des dents, il n’avait parcouru qu’un seul mètre. C’est l’eau ! L’eau de la rivière !, comprit-il avec terreur. Bien qu’entièrement dérobé à sa vue, le cours d’eau, qu’il avait naguère eu jusqu’aux cuisses, l’avait fait prisonnier. Hors de question d’abandonner ! À faire éjecter ses yeux de leurs orbites, il déploya l’entière force de son être pour parcourir un mètre de plus, au terme duquel il tomba à genoux, puis s’affala de tout son long.

    Alex arriva en toute urgence là où le mirage avait fait son œuvre impitoyable. Parmi la végétation desséchée, dans le bas-fond stérile qu’était devenue la rivière, il repéra la silhouette quasi inapparente d’Alfie. Leurs regards se croisèrent l’instant d’un battement douloureux. Le grimpeur tendit une main désespérée vers son sauveur, qui se rua vers lui pour la lui agripper. Alex s’élança, les deux bras tendus devant lui, mais alors que leurs doigts étaient sur le point de se toucher, le corps d’Alfie disparut complètement. Les côtes d’Alex percutèrent durement le sable compact, projetant autour de lui une constellation de grains qui l’aveugla momentanément. Lorsque la poussière en suspension se dissipa, il constata avec horreur qu’il n’y avait plus la moindre trace de son compagnon ni de ce paysage ensorcelant qui l’avait leurré. Il roula sur lui-même quelques fois, nourrissant encore l’espoir de l’apercevoir à ses côtés, mais dut forcément en venir à l’évidence : Alfie, de même que Doug et Damien avaient été eux-mêmes transmués en mirages.

    — OÙ SONT-ILS ? s’affola une voix qu’Alex, égaré dans sa détresse, ne parvint pas à identifier.

    Deux mains se posèrent sur ses épaules.

    — Alex ! souffla Nelly avec une audible inquiétude. Regarde-moi !

    Elle plongea ses yeux verts dans les siens en lui relevant doucement le menton. Il ne s’y trouvait aucune anormalité, hormis une rougeur qui trahissait le plus profond désarroi.

    — Fichons le camp d’ici ! conclut-elle en l’aidant à se remettre sur ses pieds.

    Les six membres restants du groupe, secoués par cet incroyable événement, s’écartèrent de la rivière asséchée comme d’un monstre endormi. Au haut de la dune, où paraissaient encore les empreintes des disparus dans le sable maudit, ils n’osèrent s’asseoir ni se détourner de l’endroit où leurs camarades venaient d’être emportés.

    — Je ne sais pas dans quel merdier on nous a foutus, commenta Nelly en reculant, mais ce dont je suis absolument certaine, c’est qu’il ne s’agit pas d’un jeu. Ce désert est dangereux, bien plus que nous ne le saurons jamais.

    — Il faut quitter ce trou au plus vite ! ajouta Déborah, tout aussi horrifiée. Qui sait si ce mirage ne va pas nous rattraper ? Fuyons !

    Et elle se mit à descendre follement la dune, suivie aussitôt d’Annie et de William. Le soleil plombait avec autant d’ardeur sur l’étendue stérile. Alex chercha à les suivre, mais fut rapidement rattrapé par son état, qui s’aggravait minute après minute. Depuis combien de temps n’avait-il rien avalé ? Sa gorge était si sèche qu’elle lui causait une vive douleur à chaque inspiration. Ses mains moites étaient secouées de tremblements incessants, des étoiles constellaient sa vision embrouillée… Il se sentit sur le point de s’évanouir et fut contraint de s’arrêter. Trevor, qui le talonnait de près, s’immobilisa à son tour.

    — Ça ne sert à rien… de courir… anhéla-t-il en prenant appui sur ses genoux.

    Il déglutit avec tant de difficulté qu’il esquissa une grimace douloureuse.

    — ARRÊTEZ-VOUS ! parvint-il à hurler.

    Avec une lenteur inquiétante, le blond aux dreadlocks se retourna vers Alex et Nelly, qui avait un visage si rouge qu’il semblait sur le point d’éclater.

    — Il faut se trouver… de l’eau, articula-t-elle péniblement.

    Trevor opina du chef. Par chance, le groupe mené par la chasseuse répondit à l’appel en ralentissant. N’ayant plus de salive à gaspiller, on se contenta de larges signes pour leur indiquer de rebrousser chemin. Si l’idée fut acceptée sur-le-champ par William, Déborah montra une plus grande réticence.

    — Je ne m’arrête plus ! s’obstina-t-elle. Je vais courir jusqu’à la mer !

    Annie, quant à elle, jongla avec les deux options qui s’offraient à elle. Écoutant sa soif plutôt que sa peur, elle finit par emboîter le pas à William.

    — Très bien ! cracha Déborah en posant une main sur son arbalète sur la dune voisine. Restez là à attendre des secours qui ne viendront jamais, moi, je fous le camp !

    — Déborah ! tenta de la raisonner Nelly.

    Mais son cri, s’étant noyé au fond de sa gorge, ressortit en faible murmure. Un instant plus tard, la silhouette de Déborah disparut de l’autre côté de la butte de sable.

    — Comment fait-elle… pour continuer ? s’étonna William en s’essuyant le visage de sa coiffe rouge et blanc.

    — Elle doit avoir gardé sa gourde pour elle seule, pressentit Alex. Je ne me souviens pas de l’avoir vue ouvrir son sac pour autre chose qu’astiquer son arme.

    — Eh, merde… pesta Nelly avant de plaquer une main désespérée contre son front.

    Trevor les incita à se remettre en route, insistant sur le fait qu’il ne faudrait ni courir ni s’arrêter. Marcher à un rythme constant serait leur seule chance de trouver de l’eau et, peut-être, de survivre. La disparition d’Alfie, de Doug et de Damien était loin d’avoir quitté leur esprit, mais la soif accaparait chacune de leurs pensées. À de nombreuses reprises, d’une manière presque délirante, Trevor répétait à voix basse : « Ne jamais abandonner… Ne jamais abandonner… » Alex sentait sa peau cuire sous les rayons violents du soleil perché dans le ciel sans nuages, et ses lèvres gercées se craquelaient à saigner. Comment ne pas désespérer dans une pareille situation ? Il n’y avait d’eau nulle part, il fallait en venir à l’évidence. Et si, par une chance miraculeuse, ils apercevaient une source, ils ne disposaient d’aucun moyen pour différencier la réalité du vorace mirage ! Dans leur errance, ils croisèrent un haut cactus non loin d’un rocher semblable à celui qui leur avait fourni un peu d’ombre à leur éveil. Trevor choisit de s’y arrêter et, sans fournir d’explications, retira son sac à dos ainsi que son tricot.

    — Qu’est-ce que tu fais ? s’enquit Nelly la première.

    En guise de réponse, il enfonça ses deux mains dans le sable pour y creuser un trou. Alex lui donna aussitôt un coup de main. Les quatre pelles humaines charrièrent suffisamment de matière pour en élever un monticule près de leurs jambes pliées. À 30 centimètres de profondeur, le sable était rafraîchi et légèrement humide. Trevor forma une poche avec le tricot qu’il venait de retirer, dans laquelle il déposa des mottes de grains minéraux. Il y posa ensuite ses lèvres et aspira l’air. L’humidité du sable contribua à revivifier tant soit peu sa bouche et sa gorge. Tour à tour, les adolescents se prêtèrent à cette tentative désespérée de retrouver un peu de fraîcheur.

    — William, sais-tu si ce cactus est comestible ? questionna Trevor en empoignant son canif.

    — Je ne le reconnais pas, lui non plus. Je ne tenterais pas le coup, certaines espèces sont carrément mortelles. La plupart des cereus contiennent de l’eau, mais ils ne ressemblent pas…

    N’ayant pas eu la réponse qu’il attendait, Trevor avait décidé de couper à la fois la conversation et la plus frêle branche du cactus à l’aide de la petite lame de son canif. Ils entendirent alors un bruit étrange, une sorte de grognement, mais un détail, plus stupéfiant encore, attira toute leur attention : une sève rouge, identique au sang pour ce qui est de la couleur et de l’épaisseur, s’écoula de la coupure du végétal.

    — C’est dégoûtant ! fit Annie en haussant les sourcils.

    — On dirait la résine du Dracaena cinnabari ! s’exclama William, à mi-chemin entre l’admiration et la crainte. Pourtant, cet arbre est bien différent…

    Un craquement à peine audible fit tourner toutes les têtes : la plus haute partie de l’arbre se pencha légèrement,

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